J’ai appris avec une immense tristesse vendredi matin le décès des suites d’une longue maladie de Gérard Rinaldi, comédien, chanteur,
auteur de pièces et de chansons… Gérard était un artiste surdoué, mais aussi un « homme
bien ». Je l’avais rencontré pour la première fois en mars 2007. Le
conviant à faire partir du jury d’un festival de théâtre étudiant que j’organisais
à Cannes avec des amis étudiants comme moi en école de commerce, il avait gentiment accepté mon invitation. Une présence à la fois pudique et
chaleureuse. Nous nous revoyions depuis deux fois par an, quand son emploi du temps le lui permettait. Je ne l’ai jamais « interviewé »,
mais garde en mémoire de très nombreuses anecdotes qu’il m’a racontées… Hommage
à l'une des "légendes" de ce métier.
Né en 1943, le bébé Gérard Rinaldi reçoit des bonnes fées une
« bonne tête », une voix exceptionnelle, beaucoup d'humour et de nombreuses
qualités humaines (modestie, générosité, écoute). Adolescent, il monte un
groupe de musique avec des copains, qui deviendra « Les Problèmes ». Cheveux
longs, catogans, et déjà un esprit à la fois rebelle et farceur, ils accompagnent Pascal Danel, puis Antoine. On est en pleine vague yéyé. Par leur look et leurs
provocations, ils s’attirent les foudres d’une France réactionnaire qui veut
leur « couper les cheveux », et doivent même engager des gardes du
corps pour se protéger.
En 1966, ils font la première partie des Rolling Stones lors
de leur tournée en France (ils osent même chanter « Satisfaction »,
avant que Mick Jagger ne les remette gentiment à leur place), s’affranchissent d’Antoine
et deviennent Les Charlots. Dès le premier disque, le titre « Je dis n’importe
quoi, je fais tout ce qu’on me dit » (en réponse à « Je dis ce que je
pense et je vis comme je veux » d’Antoine) chanté par Gérard avec l’accent
berrichon, annonce la couleur : celui d’un esprit parodique et potache.
De
par son exceptionnelle voix et son charisme, Gérard devient le leader du groupe.
Son don pour l’imitation fait mouche comme en témoignent son Gainsbourg de
« Sois érotique », Luis Mariano de « Paulette, la reine des
paupiettes » (parodie des « espagnolades » de l’époque), Jacques
Dutronc de « Je suis trop beau », Tino Rossi de « Je chante en
attendant que ça sèche » et ses très nombreuses « chansons à accent »
(berrichon, arabe, etc.). Il participe par ailleurs à l’écriture de la plupart
des chansons du groupe (avec Jean Sarrus
et Luis Rego).
L’année 1971 marque la sortie d’un nouveau tube,
« Merci Patron », qui deviendra un « hymne » des
manifestations syndicales, et leurs débuts au cinéma dans La Grande Java de Philippe Clair. Groupe de jeunes blagueurs qui ne
se prennent pas au sérieux et se moquent gentiment des règles, ils amènent un
vent frais dans le cinéma comique français de l’époque. Le public est vite
conquis par leurs films qui totalisent plusieurs millions de spectateurs à
travers le monde (une tournée promotionnelle en Inde virera à l’émeute, tant
les « Crazy Boys » sont populaires là-bas) : Les Bidasses en folie, Les Fous du Stade, Les quatre Charlots mousquetaires, etc.
A cette époque, Gérard a un premier contact avec le
doublage. Pour des
raisons de droits (il est lié par contrat aux Charlots), il prend le pseudonyme
de Gérard Dinal et enregistre la voix du chanteur de quadrille dans Lucky Luke in Daisy Town (1971) (mystérieusement
remplacé par Philippe Clay dans le disque sorti à l’époque et réédité par
PlayTime), et participe au doublage de la série d’animation Oum le Dauphin Blanc.
Fin des années 70/début des années 80, le succès
cinématographique des Charlots s’essouffle un peu. Ils se recentrent alors
sur leur carrière de chanteurs, enregistrent plusieurs albums de chansons
paillardes dont les célèbres « Histoire merveilleuse » (ou « Je
bande ») et « Ah ! Viens ! » (avec Debbie Stoockett
alias Nicole Croisille), et deux tubes : une parodie (« Chagrin d’labour »)
et un « hommage » à Véronique et Davina (« L’apérobic »).
Gérard ne retrouve plus l’esprit original du groupe, les
rebelles sont devenus une machine commerciale un peu ringarde, et les
producteurs ne les encouragent pas à changer de voie. Il quitte le groupe en
1983 pour démarrer une carrière solo, à la fois au cinéma (Descente aux Enfers de Francis Girod, où il incarne Elvis,
animateur d’un centre de vacances), au théâtre (Double mixte dans une mise en scène de Pierre Mondy), et à la télévision
(Marc et Sophie, série à succès!).
C’est aussi l’année où il commence « officiellement »
sa carrière dans le doublage de films. Il est tout d’abord engagé pour des
rôles parlés et chantés : le méchant Ratigan dans Basil Détective Privé (qui chante "Bye Bye déjà"), Henri le Pigeon dans Fievel et le Nouveau Monde (Christopher Plummer doublant le pigeon
avec un accent français dans la Version Originale, Gérard a l’idée de le
doubler en imitant Maurice Chevalier), ou bien encore Steve Martin (le
Dentiste) dans La Petite Boutique des
Horreurs.
Gérard devient vite un « grand » du doublage,
prêtant sa voix à John Malkovich (Dans la ligne de mire), Tommy Lee Jones (Piège
en haute mer), Jack Nicholson (Man Trouble), Ben Kingsley
(Shutter Island) et Ted Danson (Damages). Il m’avouait il y a peu
son découragement face à la participation de plus en plus « intrusive »
des décideurs dans le doublage : « Ted
Danson doit reprendre le premier rôle de la série Les Experts… On m’a demandé
de passer des essais dessus, alors que ça fait des années que je le double. J’ai
refusé de passer des essais, ils vont certainement prendre quelqu’un d’autre... »
Le statut de « personnalité » de Gérard ne l’empêche pas
d'accepter de reprendre avec beaucoup d’humilité et ses dons d'imitation naturels les rôles réguliers de comédiens
disparus : Sipowicz dans New York Police
Blues (précédemment doublé par Henri Poirier et Jacques Richard), Krusty le
clown et plusieurs personnages des Simpson
(suite au décès de Michel Modo), Big Ben dans les séquences inédites de La Belle et la Bête.
Il double aussi Dustin Hoffman (recordman du nombre de « voix
françaises » différentes) dans plusieurs films dont Last Chance for Love (suite au désistement de Pierre Arditi) qu’il a beaucoup aimé doubler et qui reste l’un de ses meilleurs souvenirs
de doublages, avec Lorenzo (1992). Dans Lorenzo,
il double Nick Nolte, père d’un enfant malade, qui se bat pour trouver un
remède. Un sujet tellement émouvant que l’équipe fond en larmes pendant le
doublage.
Gérard Rinaldi prête plusieurs fois sa voix à David Suchet
(Ultime Décision, Meurtre Parfait). Peut-être aurait-il pu reprendre Hercule Poirot (suite à la retraite de notre ami Roger Carel), je l'avais en tout cas suggéré à Roger qui cherchait un remplaçant. Séduit par cette idée, Roger en avait parlé à la direction artistique
de la série…
Gérard devient également avec ses camarades Daniel Beretta, Richard Darbois, Michel Mella et
Bernard Alane l’une des voix incontournables des films Disney de la fin des
années 80 aux années 2000, prêtant sa voix à Dingo (depuis le début des années
90), au Chef Louis dans La Petite Sirène,
au Hibou dans le redoublage de Danny le
petit mouton noir et à de nombreux personnages.
Parallèlement à sa carrière dans le doublage, Gérard tourne
beaucoup, principalement pour la télévision (peut-être trop « étiqueté »
par les Charlots et Marc et Sophie,
il peine à s’imposer au cinéma), dans des fictions, des « drames ruraux »
comme il les nomme. « C’est devenu
un jeu. Quand j’arrive le matin sur un plateau, je demande « Qu’est-ce qu’on
tourne aujourd’hui ? » et toute l’équipe du tournage me répond en chœur
« Un drrrrame rrrurral ! »».
Passionné par le jazz et la chanson française des années
30-40, il enregistre en 2007 un album de vieilles chansons françaises
interprétées « façon crooner », avec des musiciens de jazz. En raison d’un changement de
producteurs, il réenregistre à deux reprises les chansons. Le disque doit finalement sortir en 2012 chez Sony.
Gérard en est particulièrement fier, même s’il doit faire quelques
concessions (enregistrer un peu plus de « tubes » et mettre de côté
quelques chansons moins connues). C’est pour promouvoir ce disque et d’autres projets
personnels (co-écriture de la pièce Chambre
d’hôtes ou La vie déjantée des Rognoles avec Sylvie Loeillet), qu’il accepte de participer
à la tournée Age tendre et têtes de bois et de réenregistrer des
tubes des Charlots (Les Charlots 2008
et Les Charlots : L’essentiel). Un retour vers une certaine médiatisation (Les Grosses Têtes de Philippe Bouvard en 2008 et 2011, Vivement Dimanche, Le Plus Grand Cabaret du Monde, Les Années Bonheur, Etonnez-moi Benoît, Dimanche soir chez Hubert à plusieurs reprises, etc.) qui lui prouve une nouvelle fois tout l'amour que lui porte le public.
Lors de notre dernière rencontre mi-novembre, entre deux tournages
(deuxième saison de La Nouvelle Maud à Angoulême (rôle du père d'Emma Colberti) et un épisode de Caïn à
Marseille (rôle d'un mafioso atteint de la maladie d'Alzheimer)), Gérard débordait de projets : montage de sa pièce Les Rognoles
dans un théâtre parisien, participation à une tournée d’anciens humoristes (sur
le même principe qu’Age Tendre et Têtes de Bois), tournée de concerts « crooner », enregistrement de chansons avec le groupe Les Low Budget Men (association pour la mise à disposition de défibrillateurs), mise en scène d’une comédie musicale parodique sur Zorro qu’il avait écrite
et qui traînait depuis trop longtemps dans ses cartons…
Gérard Rinaldi laisse un immense vide dans la profession. Pour
décrire l’état de tristesse dans lequel il nous abandonne, je reprendrai les
mots de notre ami commun Michel Mella « Notre
magnifique camarade et ami, artiste de grand talent, érudit et drôlissime,
modeste et indulgent, nous a quittés. Gérard Rinaldi n'est plus et on est comme
des cons. »