Chanteur, musicien, arrangeur, voix
française de Guy dans Les Parapluies de Cherbourg et du Roi Louie dans Le Livre de
la Jungle, José Bartel nous a quittés le 26 janvier 2010 dans la plus
grande discrétion. Grâce à sa seconde épouse, Norma, que j'ai pu contacter grâce à un appel lancé ici il y a quelques mois, j’ai tenté de reconstituer
le puzzle de la vie de ce surdoué de la musique.
José Bartel naît
à Lille le 24 février 1932, le même jour que Michel Legrand. Son père, José Bandera, fils
du général Quentin Bandera, ancien esclave noir héros de la guerre d’indépendance cubaine, est
sax alto, flûtiste et bandéoniste dans un orchestre cubain et rencontre
sa mère, strasbourgeoise, lors d’un passage de son orchestre à Paris, à une
époque où les mariages inter-ethniques sont quasi inexistants et plutôt mal vus… Les parents
de José se séparent assez rapidement, et l’enfance de José sera marquée
par les tournées de son père, et de nombreux changements d’adresse. Un
nomadisme que José poursuivra pendant toute sa vie.
Enfant, José
apprend à chanter, jouer de la batterie, faire des claquettes, et connaît tous
les succès américains de l’époque qu’il interprète dans un parfait
anglais, car très doué pour les langues. Après le débarquement en Provence, il devient la
mascotte d’un big band de dockers noir américains provenant de la 6th Port Division basée à Marseille. En 1946, alors qu'il n'a que quatorze ans, son
père l’emmène avec lui à Paris, et José passe une audition devant Aimé Barelli
et son orchestre. Quelques pas de claquettes, un "Hey Ba-Ba-Re-Bop" et un "Caledonia" plus tard, et l'affaire est dans le sac: Aimé Barelli l’engage aussitôt comme chanteur et percussionniste. Il
interprète au sein de l’orchestre de grands "standards" américains,
encore inconnus en France, et tourne à Rome dans le film Les Joyeux Pèlerins de Fred Pasquali. En avril 1947, le Dizzy Gillespie Big Band se produit aux Ambassadeurs, club dans lequel joue aussi l'orchestre Barelli. Plusieurs musiciens du big band cessent le travail en raison d'un différend avec Gillespie. Ce dernier engage alors Aimé Barelli et plusieurs de ses musiciens pour remplacer les absents... dont José qui a l'immense honneur de remplacer le grand Kenny Hagood.
José prend des cours pour entrer au conservatoire, mais étant tout le temps en tournée avec l’orchestre d’Aimé Barelli, il échoue au concours d’entrée. C'est donc en autodidacte qu'il apprend le métier d'arrangeur, quand Aimé Barelli lui propose en 1954 de créer son propre orchestre pour le Casino de Monte-Carlo.
José Bartel chante "La valse des lilas" (1966)
José prend des cours pour entrer au conservatoire, mais étant tout le temps en tournée avec l’orchestre d’Aimé Barelli, il échoue au concours d’entrée. C'est donc en autodidacte qu'il apprend le métier d'arrangeur, quand Aimé Barelli lui propose en 1954 de créer son propre orchestre pour le Casino de Monte-Carlo.
José Bartel fréquente
les clubs de be-bop à Saint-Germain-des-Prés et fait partie de la bande de
Juliette Greco, puis de celle de "Chez Castel", où il devient ami de Jean-Pierre
Cassel et Sacha Distel. Le début des années 60 marque un grand
« boum » de l’industrie du disque avec l’arrivée des yéyés. José
Bartel devient arrangeur, chef d’orchestre (il dirige les premiers disques de
Régine, Nicole Croisille, Petula Clark), travaille pour Polydor, Pathé Marconi,
et produit France Gall.
En 1967, il poursuit sa collaboration avec Michel Legrand en faisant la voix parlée et chantée de l’acteur Grover Dale (Bill le forain) dans Les Demoiselles de Rochefort. Dans ce même film, en tendant bien l'oreille, on l'entend également sur quelques mots de Guillaume Lancien dans la chanson "De Rochefort à Hambourg" (erreur de partitions? Indisponibilité de Jean Stout au moment de l'enregistrement?). Michel Legrand l’engage aussi pour chanter en soliste dans L’homme à la Buick (1968) de Gilles Grangier et dans Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau (1975). Les deux hommes collaborent ensemble dans les années 80 sur un projet de musique de film autour de Noureev. José enregistre en studio pendant vingt quatre heures, mais le film ne sortira jamais. Michel Legrand prend une place particulière dans la carrière de José, et devient même avec Michel Colombier l’un des deux « parrains » de son fils David lorsque celui-ci passe un PhD en composition aux Etats-Unis avant de devenir un brillant batteur et compositeur de musique contemporaine.
Ces
expériences de chanteur dans des musiques de films permettent à José de
participer à des doublages, un milieu qu’il trouve malgré tout assez fermé et dans lequel il peine à se faire une place. En 1968, il prête sa voix parlée et chantée
au Roi Louie dans Le Livre de la Jungle.
Son sens du scat et du swing chanté s’adaptent remarquablement au travail de
Louis Prima, créateur du rôle. Il garde un bon souvenir de ce doublage, même si
l’enregistrement lui avait demandé beaucoup d’efforts vocaux. La même année, il
est la voix chantée d’Anthony Newley (personnage de Matthew Mug, doublé par Dominique
Paturel pour les dialogues) dans L’Extravagant
Docteur Doolittle. Cinq superbes chansons, adaptées par Eddy Marnay, qui pour l'occasion cumule les fonctions d'adaptateur des chansons et de directeur musical du doublage. Il double également Don Francks dans le film musical La Vallée du Bonheur (1968). Plus tard, en 1974, José double
l’acteur Cleavon Little (Bart) dans Le
shérif est en prison, comédie de Mel Brooks.
José Bartel sur le doublage de L'Extravagant Docteur Dolittle (sous la direction du parolier et directeur musical Eddy Marnay et du directeur artistique Michel Gast)
José Bartel
compose des chansons (pour Serge Reggiani : « Le premier amour du
monde ») et des musiques de films (L'italien des roses (1972) et Spermula (1976) de Charles Matton), réalise des jingles pour la télévision et des
arrangements pour des séries télévisées (Arsène
Lupin). En 1967, le grand producteur Norbert Saada lui confie la direction artistique d'un nouveau label, "La Compagnie". José Bartel crée un an plus tard son propre label, "Grenadine Music", où il produit Nemo, groupe de musique avant-gardiste entre le jazz
fusion, le funk et le rock progressif. François Bréant, organiste du groupe,
commente sur son site « José Bartel
était plus chanteur et musicien que producteur. C’est aussi pour ça qu’on l’aimait ».
Nemo ne sort que deux disques mais José est heureux de collaborer à ces disques, dont les
interprètes formeront plus tard l’équipe de musiciens de Bernard Lavilliers.
José crée également un groupe "bidon" anglais dont il devient le chanteur soliste, Jupiter Sunset, et qui contre toute attente connaît un vrai succès en 1970 avec le titre "Back in the sun".
José crée également un groupe "bidon" anglais dont il devient le chanteur soliste, Jupiter Sunset, et qui contre toute attente connaît un vrai succès en 1970 avec le titre "Back in the sun".
José Bartel et les Jupiter Sunset chantent "A friend" (1971)
José met sa
carrière de chanteur solo entre parenthèses, enregistre assez peu de disques.
Il est assez fier de son dernier, Dis
pourquoi, mais celui-ci reste relativement inaperçu. Ses seules occasions
de chanter sur scène sont quand il dirige son orchestre dans des tournées où il
fait danser dans les casinos (La Baule, Cannes, tournées en Allemagne), mais la
mode des orchestres passe assez vite, déjà en rivalité avec les orchestres philippins et
italiens qui forment d’excellents combos.
A. Germain et J. Bartel |
Quelques
années après cette expérience particulièrement enrichissante, on propose à José
la direction artistique du Sporting Monte-Carlo. Il poursuit ce travail dans
l’événementiel comme organisateur de spectacles, notamment
pour les événements internes de la firme IBM à l'international. Dans ce cadre, il organise des concerts de Shirley Bassey aux Bahamas (accompagnée par l'orchestre Count Basie), Charles Aznavour aux Bermudes, ou encore Julia Migenes à Palm Beach (accompagnée par l'Orchestre symphonique de Floride). Plus tard,
on lui confie la direction artistique du Jazz Club Lionel Hampton (club de jazz
de l’hôtel Méridien Etoile, à Paris). Un jour, José Bartel a l’idée de monter
un festival de blues, part aux Etats-Unis s’inspirer de ce qui est organisé
là-bas. On lui propose de monter son festival à Perpignan. Il commence la préparation de ce festival alors qu’il travaille encore pour le Méridien. Après
des voyages incessants entre Paris et le Sud, il décide de quitter Paris et de s’installer à Perpignan. Le festival ne se monte finalement pas
et il n’arrive pas à le vendre à une autre ville. Trois ans de travail perdus. Il vit
pendant six ans à Toulouse, puis à la Rochelle. Ayant perdu la joie de vivre
suite à ces échecs successifs, il n’a plus de projets, à part la rédaction d’une
autobiographie qui ne trouve pas d’éditeur…
"Etre un homme comme vous" dans Le Livre de la Jungle (1968)
José Bartel s’est éteint il y a presque trois ans. On retiendra de lui ses superbes enregistrements pour Aimé Barelli ou les musiques de films de Michel Legrand, mais aussi une carrière assez éclectique d’un artiste "nomade" qui ne tenait pas longtemps à la même place tant sur le plan "géographique" que sur le plan professionnel. Peut-être, comme me l'a suggéré sa veuve, le destin d’un artiste très doué qui connut le succès trop jeune, et manqua d’ambition et d’une véritable construction de carrière par la suite… Un artiste que j'aurais certainement eu énormément de plaisir à rencontrer, et que nous regrettons tous.
(Remerciements
à Michel Moreau, Norma et David Bartel)
Suivez toute l'actualité de "Dans l'ombre des studios" en cliquant sur "j'aime" sur la page Facebook.
Suivez toute l'actualité de "Dans l'ombre des studios" en cliquant sur "j'aime" sur la page Facebook.