vendredi 30 mai 2014

Communiqué commun : Festival Les Anciens Doublages Disney



COMMUNIQUÉ COMMUN:

Voici maintenant plusieurs années que nos quatre sites, La Gazette du Doublage, Dans l’ombre des studios, Film Perdu et Les Grands Classiques s’unissent pour retrouver des informations et des éléments sonores concernant les premiers doublages Disney tombés dans un injuste oubli. En raison des vagues de redoublages successifs, certains sont perdus depuis cinquante ans et seuls subsistent quelques extraits. Les recherches sont si complexes que la collaboration de nos quatre sites est primordiale dans ce dossier, chacun apportant les compétences qui lui sont propres (archives sonores, archives papier, identification de voix, restauration, lien avec les interprètes de l’époque, etc.).

La découverte, la restauration et l’analyse de la VF originale de Blanche Neige et les sept nains fut l’année dernière l’un des points culminants de cette collaboration.

Nous avons le plaisir de vous annoncer que nous avons retrouvé de nouveaux extraits de premiers doublages Disney, certains très courts (4 mn de plus que ce qui avait déjà été retrouvé pour La Belle au Bois Dormant) et d’autre très longs (la quasi-totalité de la 1ère VF de Bambi a pu être reconstituée), et que nous vous proposerons pour chacun de ces films une analyse voxographique et des extraits dans ce qu’on pourrait appeler un mini « Festival des anciens doublages Disney ».


Lundi 2 juin : Pinocchio sur Film Perdu

Mardi 3 juin : Bambi sur Les Grands Classiques

Mercredi 4 juin : Alice au Pays des Merveilles sur La Gazette du Doublage

Jeudi 5 juin : La Belle au Bois Dormant sur Dans l’ombre des studios.


Les extraits resteront en ligne pour une durée très courte, donc soyez réactifs !

Bande-annonce de l'événement:


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samedi 17 mai 2014

Anne Germain : « Chanter la vie, chanter les fleurs, chanter les rires et les pleurs » (Partie 6/6)







Dans l’ombre des studios : De la musique de film au doublage il n’y a qu’un pas… Quand et comment avez-vous débuté dans le doublage ?

J’avais vingt-deux ans et travaillais alors comme chanteuse d’orchestre à la Villa d’Este avec l’orchestre de danse de Ben, un copain de longue date qui avait naturellement pris Claude au piano. Un jour à la fin du « thé », un monsieur est venu me dire que j’étais exactement la voix recherchée pour doubler deux chansons de Rita Hayworth dans un film avec Frank Sinatra et Kim Novak, Pal Joey (1957). En français, ce film s’intitule La Blonde ou la Rousse, on ne fait pas plus tarte ! C’est ainsi que j’ai fait connaissance avec les frères Tzipine qui s’occupaient alors de nombreux doublages de films musicaux. Moi j’étais dans mon petit coin, j’attendais et n’en menais pas large. Comme je ne connaissais personne c’était quand même impressionnant. Par chance, je connaissais déjà une des chansons, « Bewitched » (« Maudite » en V.F.), et l’autre, « Zip » ne m’a pas posé problème. On m’a expliqué le système de la bande rythmo. En fait la bande orchestrale dans le casque me suffisait car la musique était très carrée, bien rythmée. Ca s’est bien passé. Les producteurs américains de Paramount ont je crois été tellement satisfaits qu’ils ont adressé une lettre de félicitations aux Tzipine, hyper fiers, qui ont d’ailleurs eu la gentillesse de me le faire savoir. Un bon présage pour la suite de ma carrière... Du coup j’ai été demandée par la MGM pour le film Les Girls (1957) avec Christiane Legrand et Lucie Dolène sous la direction de Guy Luypaerts. Il y a eu aussi à la suite un doublage de Shirley Temple qui avait bien grandi mais je ne me souviens pas du titre. Il y avait des choristes derrière moi, un peu impressionnant car je ne connaissais alors personne dans ce milieu très fermé. 

Anne Germain (voix chantée de Rita Hayworth/Vera): Maudite
du film La Blonde ou la Rousse (1957)


DLODS : Dans Mary Poppins (1964), le générique présente quelques curiosités : les noms des choristes et de voix secondaires sont écrits en plus gros que certains noms de comédiens-chanteurs qui ont un rôle important dans le film. Du coup, certains s’obstinent à penser que vous êtes la voix de Mme Banks, la mère des deux enfants…

Non, je n’ai pas doublé la mère. En écoutant sa voix dans le disque que vous m’avez passé j’ai reconnu la voix de la comédienne qui doublait Shirley MacLaine dans un film passé il y a quelques temps sur Arte (Nicole Riche, ndlr). J’avais passé les essais pour doubler Julie Andrews, et j’ai fait les chœurs. Je me souviens d’une séquence dans une ferme, on faisait les voix des oies et des brebis avec plusieurs camarades choristes comme Jeanette Baucomont et Michelle Dornay. Donc je ne sais pas pourquoi ils ont mis nos noms en gros. Des amis me disent que d’après internet mon mari doublait Dick Van Dyke dans Mary Poppins, mais non, c’était Michel Roux ! Il ne faut pas se fier à ce qu’on lit dans la presse.

Par contre dans Les Aristochats (1970), c’est le problème inverse. J’avais doublé dans les chansons Duchesse, ma fille Isabelle la petite Marie et le fils de mes amis Georges et Christiane Cour (respectivement ancien chef des Djinns et ancienne choriste et membre des Djinns, ndlr), Nicolas Cour, avait doublé Berlioz. Quand le film est sorti au cinéma, il y avait nos noms. Toute la famille Germain ! José (« Scat Cat »), Anne, Isabelle, et il ne manquait que Claude qui n’était pas là. Et nos noms ne sont plus au générique dans les VHS et DVD.

Isabelle Germain (Marie), Nicolas Cour (Berlioz) et Anne Germain (Duchesse): 
Des gammes et des arpèges
du film Les Aristochats (1970)



DLODS : Ils sont également absents de la pochette du disque…

Quand vous n’indiquez pas le nom d’un interprète c’est un vol, une atteinte à la propriété intellectuelle. En plus, professionnellement, il y a des gens qui prennent les génériques pour argent comptant. Aujourd’hui le dernier technicien a son nom au générique, ce qui permet de dire quand il a un entretien pour un engagement après pour un autre film « J’ai fait ceci ou cela ». Il faut rétablir une exactitude dans ce domaine.  Mais on ne peut que faire un procès, alors… « Pot de terre contre pot de fer ».

DLODS : Vos filles Isabelle et Victoria ont donc fait des chœurs et du doublage chanté...

Victoria (1er plan) et Isabelle (derrière) à la télévision en 1968
Mes filles étaient alors toutes jeunettes, elles avaient de jolies voix et chantaient bien juste alors des arrangeurs me les ont demandées, en studio d’abord et aussi pour des télés. Elles ont fait les voix des enfants pour « Les jolies Colonies de Vacances » et « La Cage aux oiseaux » pour Pierre Perret, « Le sirop typhon » pour Richard Anthony, « Adieu monsieur le professeur » avec Hugues Aufray et aussi « Papa je t’aime » avec Georges Guetary. Il y a eu des émissions de télé avec Hugues Aufray et Georges Guetary. Pour cette dernière, Isabelle était seule avec un groupe d’enfants tous en pyjama ! Puis Isabelle a fait la voix chantée de la petite Marie dans Les Aristochats, nous avons fait le petit duo « Des gammes et des arpèges », et un autre duo avec son oncle José Germain « Tout le monde veut devenir un cat ». Elle a fait aussi des pubs avec moi plus tard, Badoit entre autres, et aussi les chansons pour la revue du cabaret La Nouvelle Eve dont mon mari avait composé la musique. Ensuite les Tzipine ont demandé Victoria pour doubler le rôle d’Alice dans Alice au pays des merveilles (redoublage de 1974). J’étais moi-même dans les chœurs avec Danielle Licari, Françoise Walle et d’autres qui étaient admiratives de ce que Victoria faisait. Si le métier n’avait pas tant changé elles auraient fait des choristes top toutes les deux.

DLODS : Elles devaient quand même être fières de leur maman et de leur propre travail…

Elles ne se sont jamais vanté de ce qu’elles avaient fait, ça leur paraissait naturel puisqu’en somme elles faisaient comme leurs parents. Sauf qu’évidemment ce n’est pas un métier courant. Lorsque par hasard des camarades à l’école ou ailleurs parlaient de « nos » films, elles disaient juste : « C’est maman qui chante pour Catherine Deneuve » ou « C’est moi qui chante Les Aristochats » ou « Alice » ! Stupeur des copines, et souvent incrédulité… Ce métier étonne toujours et encore plus ceux qui le pratiquent dans l’ombre !

DLODS : Puisqu’on parle de votre famille, votre mari a-t-il fait du doublage comme soliste ?

En soliste non. En trio, avec son frère et Vincent Munro ils ont chanté le célèbre générique de Zorro pour la télé. A part ça, il a fait principalement des chœurs, et quelques répliques de temps en temps, notamment dans Blanche-Neige et les Sept nains (redoublage de 1962). Par contre il a fait la chanson de Kaa le serpent pour le livre-disque Adès du Livre de la Jungle, moi je faisais Mowgli et le petit éléphant. J’ai fait pas mal d’autres livres-disques Adès avec Jean Baïtzouroff alias « Popoff », Christiane Legrand, Jean Cussac, Henry Tallourd et mon mari. D’abord des petites chansons enfantines comme « Cadet Rouselle », puis des Disney : Madame Mim dans le disque de Merlin l’Enchanteur, le lapin blanc dans celui d’Alice au pays des merveilles, etc.

Anne Germain : Suzy le petit coupé bleu
du livre-disque Disneyland Suzy, la petite voiture bleue


DLODS : J’aimerais que vous me parliez des frères Tzipine directeurs musicaux de doublages de la Libération à la fin des années 70, de leur manière de travailler…

Georges Tzipine
Les Tzipine étaient très exigeants : Georges pour la musique, Joseph pour la synchro. Il fallait que ce soit impeccable pour les producteurs. Ils avaient des comptes à rendre ! Georges était assez « grand maître » et Joseph plus chaleureux. Nous répétions juste un peu avant d’enregistrer avec le pianiste Billy Colson pour s’assurer qu’il n’y avait pas de faute sur la partition. Evidemment il ne fallait pas perdre de temps car les heures de studios coûtent cher, et donc pas trop droit à l’erreur. Mais il y avait toujours de très bonnes équipes en chant et lecture.


Anne Germain (Samantha Eggar/Emma): Si j'étais un homme / Un matin
du film L'Extravagant Docteur Dolittle (1967) 


DLODS : En 1967 vous doublez les chansons de L’Extravagant Docteur Dolittle

Pour « doubler » la jeune première, Samantha Eggar, j’ai été retenue après audition avec d’autres choristes. Eddie Marnay qui avait adapté les paroles des chansons dirigeait la partie musicale. Raymond Gérôme doublait Rex Harrison comme dans My fair Lady et d’autres films. Il a chanté lui-même. José Bartel doublait en chant le personnage que doublait Dominique Paturel. Ce fut un beau travail pour une grande réalisation. La musique était superbe, l’orchestre était somptueux, c’était un bonheur de chanter là-dessus ! Malheureusement, le public n’a pas « accroché » et aujourd’hui la télévision diffuse plutôt la version avec Eddie Murphy.

Danielle Licari (Michèle Marsh/Hodel), Anne Germain (Neva Small/Chava) 
et ? (Rosalind Harris/Tzeitel) : Un homme à marier
du film Un violon sur le toit (1971) 


DLODS : Vous avez doublé la jeune Chava dans Un violon sur le toit (1971)…

Avec Danielle Licari nous avons fait le duo des sœurs, moi je faisais la plus jeune. Danielle avait encore un beau solo dans ce film, mais nous avions déjà fait un beau duo toutes les deux, en vocalises, pour Alain Delon dans son film Madly. Pour Un violon sous le toit nous avions assisté à tous les essais et avions admiré Micheline Dax, éblouissante dans le rôle de Fruma Sarah, la veuve du boucher, et finalement quelqu’un d’autre l’a fait. Peut-être une histoire de cachet…

DLODS : Avez-vous d’autres souvenirs de doublages des années 60-70 ?

J’avais doublé une chanson dans un film intitulé Krakatoa à l’est de Java (1969), ça se passait sur un bateau, il y avait l’éruption d’un volcan. Ce n’était pas pour les Tzipine, c’était pour un autre studio de doublage. J’ai fait aussi des Heidi mais je ne me souviens plus si c’était une série ou de l’animation. Et puis j’ai participé aux chœurs de nombreux doublages : My fair lady (1964), Olivier ! (1968), L’apprentie sorcière (1971), Robin des Bois (1973), Le shérif est en prison (1974) avec José Bartel, Les Aventures de Bernard et Bianca (1977, voix de Bianca dans « S.O.S. Société »), etc.

DLODS : Le doublage d’Oliver ! (1968) est assez curieux. Shany Wallis (Nancy, la prostituée) est doublée par Nicole Croisille sauf que dans certains mots ou phrases chantées elle semble avoir été remplacée par une autre chanteuse…

En effet je me souviens que Nicole avait des problèmes de voix au moment de ce doublage. Au lieu de la faire remplacer intégralement sur les chansons qui posaient problème ils ont préféré la remplacer uniquement sur quelques passages.

Anne Germain (Shelley Duvall/Olive) et les choeurs : Il est large
du film Popeye (1980)
Dans ce montage du blog "Film Introuvable" qui replace les répliques de la V.O qui ont été coupées en V.F. on peut constater le mimétisme vocal entre Anne Germain et Shelley Duvall


DLODS : Dans le film Popeye (1980) de Robert Altman, vous doublez les chansons de Shelley Duvall (Olive). C’est extraordinaire à quel point votre voix raccorde avec celle de la voix parlée (Monique Thierry) !

Là encore j’avais « truqué » ma voix pour rendre la sonorité très « spéciale » d’Olive. J’avais passé aussi les auditions pour la comédie et j’avais eu le soutien des techniciens du son ! Mais le directeur artistique a préféré une comédienne qu’il connaissait déjà.

DLODS : Je pense que Monique Thierry doublait déjà Olive dans le dessin animé à l’époque.

C’est possible, du coup je n’ai fait que le chant. Danielle Licari qui était dans les chœurs était épouvantée de m’entendre truquer ma voix comme je le faisais pour faire le « son » d’Olive. « Tu vas t’abimer ta voix ! Il ne faut pas faire ça» mais je ne pouvais pas faire autrement pour être vraiment le personnage.

DLODS : Vous avez eu l’occasion de vous « rattraper » en doublant dans Annie (1982) l’actrice Ann Reinking (Grace Ferrell) à la fois pour les dialogues et les chansons !

Pour ce doublage aussi il y a eu des auditions. Il y avait une séquence où la voix parlée et la voix chantée de la jolie secrétaire du banquier s’enchaînaient presque dans le même mot. Ce n’était pas possible de faire une coupure entre le « parlé » et le « chanté », il fallait donc faire les deux : chant et comédie. Après les auditions, Jacqueline Porel m’a sauté au coup car elle était inquiète de ne pas trouver l’oiseau rare ! Nous avons eu une très bonne relation. Elle a été charmante. On m’avait dit qu’elle était assez dure avec les femmes, mais elle a semblé m’adopter et m’a même emmenée déjeuner avec son fils Marc. Elle avait voulu le prendre comme assistant sur ce doublage pour essayer de le sortir de son état, déjà très atteint par la drogue. Quel gâchis, un si beau garçon, et quelle souffrance pour cette maman !

Anne Germain (Ann Reinking/Grace), Amélie Morin (Aileen Quinn/Annie) 
et Sady Rebbot (Albert Finney/M. Warbucks) : Allons voir un beau film
du film Annie (1982)


DLODS : N’avez-vous pas tenté après cette première expérience réussie de continuer une carrière de comédienne dans le doublage ?

J’ai eu les compliments enthousiastes de Roger Rudel, un grand comédien du doublage, qui m’a donné sa carte –comme Gainsbourg !- pour que je le rappelle, eh bien, là encore je n’ai pas osé me lancer. C’est vrai, j’aurais sans doute pu prolonger mon activité artistique par cette voie en découvrant un autre milieu que les chœurs dans lesquels arrivaient beaucoup de nouvelles têtes, et il commençait à y avoir moins de séances.

DLODS : Justement, pouvez-vous me parler de la fin du métier de choriste ?

Studio Barclay
La fin du métier –tel que je l’ai connu les dix premières années- a commencé lorsqu’on n’a plus enregistré tous ensemble, orchestre et chœurs. Il y avait alors une sorte de sélection naturelle : seuls pouvaient accéder à ce travail les musiciens et chanteurs pouvant mettre quatre titres en « boîte » dans les trois heures d’une séance : lecture, essais pour le son, enregistrement. Ensuite, avec les nouvelles techniques, nous avons enregistré à part les uns des autres. On a commencé à « doubler » ou « tripler » nos voix, ce qui donnait davantage de volume et corrigeait les imperfections ici ou là. Du coup, on pouvait prendre quatre choristes pour faire huit ou douze voix au final. Faites le compte de ceux qui restent à la maison ou vont pointer aux Assedic ! Autre horreur : remplacer les instruments par des synthés. Les synthés sont des inventions diaboliques ! Très intéressants pour créer des sons particuliers et donner une atmosphère particulière, des effets sonores, un climat spécial, mais carrément remplacer les vrais instruments c’est minable car le son est mécanique et sans vie. Forcément une belle économie pour le producteur. Petit à petit, ainsi, beaucoup d’orchestres vivants ont disparu et les musiciens avec.

DLODS : Aujourd’hui, touchez-vous des droits par exemple sur les musiques de films de Michel Legrand ?

Je vois que cette question éveille particulièrement votre curiosité ! En fait, il n’y a eu des droits sur la vente des disques des Parapluies ou des Demoiselles pour personne. J’ai réussi à obtenir quelque chose pour Peau d’âne sur les disques, mais pas sur le DVD. C’est une histoire un peu compliquée et ce serait fastidieux et peu discret d’en décrire toutes les étapes. Comme tous les artistes aujourd’hui, je ne perçois que les droits recueillis par les sociétés de répartition Adami ou Spedidam suite à la loi Lang de 1985 concernant les « droits voisins » du droit d’auteur. Donc c’est récent. Cependant il paraît qu’aujourd’hui des producteurs « contournent » cette loi en faisant signer aux musiciens des abandons de droits à l’entrée du studio. Ceci m’a été indiqué par des collègues encore en exercice. Ceux qui ne sont pas d’accord ne sont plus rappelés. Il y a aussi de nombreux enregistrements, surtout dans la musique de films, qui se font dans les pays de l’est, vous le verrez si vous observez les génériques de fin de films. J’ai eu la chance de faire ce métier à une époque de rêve…

DLODS : Et pour L’île aux enfants ?

Quand Christophe Izard m’a prévenue que ce que j’avais enregistré pour la télé allait être exploité sur disque, je suis intervenue car une exploitation secondaire ne peut se faire sans l’accord de l’interprète. Là encore, longues et pénibles « palabres » qui m’ont valu des représailles –aïe aïe aïe- mais j’ai réussi à obtenir des droits satisfaisants pendant des années. Le titre ayant été utilisé récemment pour le film de Maïwenn Polisse (2011) j’ai reçu aussi quelque chose dessus. J’ai bien fait de me battre. Hélas trop d’artistes « s’allongent » par peur de ne pas travailler. Il y a tant de concurrence !



 Charlatan Transfer: Fume plus
Paroles et musique Claude et Anne Germain


DLODS : Plus tard dans votre carrière, vous avez écrit avec votre mari des chansons qui sont toujours chantées dans des chorales de nos jours…

Christiane Legrand faisait travailler beaucoup d’ensembles vocaux dans diverses écoles et elle avait besoin de matériel écrit « jazzy » façon Double Six en simplifié pour ses « élèves », souvent très bons. D’où quelques groupes qui se sont formés ensuite et ont fait des spectacles et disques comme Amalgam de Gabriel Cabaret –excellent travail- ainsi que Charlatan Transfer  de François Bessac –avec un très beau titre de nous deux, « Une carte postale »- et Cool in hot de Jean-Yves Jomier à Pau. Des groupes soit disant amateurs qui ont super bien chanté avec de très bons accompagnements. C’est donc pour Christiane que Claude s’est lancé dans ce travail. Nous avons fait les paroles ensemble. Un très bon groupe, Les Souingue, deux hommes/deux femmes, ont eu un temps de gloire il y a quelques années et nous ont chanté, aussi, malheureusement ils n’ont pu continuer très longtemps. Il y avait là Fabienne Guyon qui avait chanté dans Une chambre en ville (1982) de Jacques Demy et qui chantait très bien.


 Elèves du Conservatoire du VIIème arrondissement: Le temps d'avant
Paroles et musique Claude et Anne Germain

 
Nous avons fait un album pour voix d’enfants, Promenade au pays d’enfance, pour les éditions A cœur joie. Un autre aussi pour Comufra les éditions de Christiane Legrand, Le temps d’avant : une chanson assez dramatique sur un rythme gai par contraste, sur la disparition des espèces… Nous l’avons écrite bien avant tout ce qui est dénoncé sur ce sujet aujourd’hui. Il n’y a hélas qu’une « maquette » interprétée par les élèves du Conservatoire du 7ème arrondissement où Christiane donnait des cours. Michel Leeb qui avait entendu cet enregistrement l’adorait ainsi que ses filles. 

 Maîtrise du Conservatoire du Rueil-Malmaison: Voici venir Noël (live)
Paroles et musique Claude et Anne Germain

 
Et puis un « Noël » enregistré dans une église de Rueil-Malmaison par la maîtrise du Conservatoire de cette ville. J’aimerais bien qu’un jour elle soit sur un disque « en vrai », parce que « Petit papa Noël » ça commence à être usé ! Avis aux petits chanteurs de toutes les chorales ou des églises… J’ai le petit CD à vous faire écouter !

(NDLR : Chefs de chœurs, vous pouvez contacter danslombredesstudios@gmail.com pour plus de renseignements)

DLODS : Quel regard portez-vous sur la chanson d’aujourd’hui ?

Ce serait plutôt l’écoute. Franchement j’en suis restée à Voulzy et Souchon bien que j’aime aussi beaucoup Nolwenn, une des rares qui ne copie pas les Américains, elle fera une plus longue carrière que beaucoup. Dans l’ensemble, ce qui est diffusé aujourd’hui me paraît musicalement plus que pauvre. Il n’y a pratiquement plus de mélodies, tout est basé sur une rythmique répétitive, du coup tout se ressemble. Je préfère ne pas insister sur ce qui constitue le programme des « Victoires de la Musique », qui devrait s’appeler « Les Victoire de la Non-musique ». Si vous comparez ça à la richesse de la variété d’avant… Entre les chansons « rive gauche » de Jean Ferrat, la fantaisie de Pierre Perret, Hugues Aufray, Michel Fugain, ça s’était de la vraie chanson écrite avec respect pour la musique et la langue française. Ce qu’on « matraque » aujourd’hui est appauvrissant pour les « oreilles » des jeunes, et même souvent abrutissant. Il n’y a pas beaucoup de soleil dans cette sous-musique là. Réécoutez vite Charles Trénet « Y a d’la joie » par exemple, vous retrouverez la « pêche » comme on dit. Je tiens à signaler parmi ce temps d’indigence deux très belles, vraies chansons d’Yves Duteil qui ne cède pas à la mode et garde sa personnalité : « Le mur de la prison d’en face » et « La mer ressemble à ton amour ». Merci monsieur et « bravo » !

DLODS : Anne Germain, je vous remercie pour ce passionnant entretien. Je suis, depuis que nous nous connaissons, toujours impressionné par votre extraordinaire mémoire.

C’est que j’ai vécu ce métier et plus généralement mon « chemin de vie » avec passion. Rien ou presque ne m’a laissé insensible ou indifférente, tout ou presque s’est imprimé dans ma mémoire sans que je me force. C’est pourquoi j’ai une énorme réserve de souvenirs –et encore je ne vous ai pas tout raconté !- un long film avec son et images encore bien nets. Ah oui… « Souvenirs ! Souvenirs ! » (rires).

En conclusion : « élève douée, mais on espère qu’elle fera mieux la prochaine fois ».


BONUS:

 Message d'Anne Germain aux lecteurs de "Dans l'ombre des studios"


 Joe Dassin : Indian summer (1976)
avec Nadine Doukhan, Hélène Devos, Nicole Darde et Anne Germain


Jacques Revaux (Le Prince) et Anne Germain (Peau d'âne): 
Séance de travail pour la chanson "Amour, amour"
du film Peau d'âne (1970)




Anne Germain chante "Chanson en langue inconnue" (musique: Paul Misraki) pour le film Le Dernier Homme (1971) de Charles L. Bitsch
(attribué à tort à Danielle Licari sur la pochette du disque)


(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)
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Anne Germain : « Chanter la vie, chanter les fleurs, chanter les rires et les pleurs » (Partie 5/6)

Pour lire la page précédente de l'entretien, vous pouvez cliquer ici.
(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)




Dans l’ombre des studios : Je souhaiterais maintenant que nous évoquions les différentes musiques de films auxquelles vous avez participé, à commencer par Les Demoiselles de Rochefort (1967)

Vous me parliez de maquettes : j’avais été demandée pour enregistrer celles des Demoiselles. Comme je vous l’ai déjà expliqué pour La Fugue il fallait présenter quelques airs pour ces messieurs les producteurs. Ca s’est fait à la Comédie des Champs Elysées transformé en studio d’enregistrement dans la journée (les Double Six y ont enregistré leur premier 33 tours avec Quincy Jones), une petite loge d’orchestre au fond servait de cabine aux ingénieurs du son (salut à Gilbert qui prenait si bien les voix et à Jean-Pierre !). Le soir la salle redevenait théâtre. Michel Legrand avait réuni un simple orchestre de cuivres et une rythmique, pas de cordes. J’ai chanté une des chansons de Solange « Je rentrais de l’école et je traînais Boubou » (elle chantonne) reprise dans le film par Claude Parent. L’autre chanson, celle de Delphine a été interprétée pour la maquette par Nicole Darde qui n’a pas chanté dans le film car ensuite le projet ayant été retenu par Hollywood (Gene Kelly, etc.) nous avons passé des auditions avec les autres choristes de l’époque. J’ai auditionné avec la « Chanson de Delphine à Lancien » : « Mais que sais-tu de moi, toi qui parles si bien, etc. » (elle chantonne) que j’ai déchiffrée en même temps derrière Michel au piano en lisant par dessus son épaule ! Il y avait là Francis Lemarque qui avait investi aussi dans le projet, Agnès Varda et bien sûr Jacques Demy. J’ai donc été retenue aussitôt pour faire la « voix chantée » de Catherine Deneuve. Par contre je n’avais pas été contactée pour les auditions des Parapluies de Cherbourg (1964).

DLODS : C’est Danielle Licari qui doublait Catherine Deneuve dans Les Parapluies. Pourquoi ont-ils ressenti le besoin de changer de voix pour Les Demoiselles?

L’extrême originalité des Parapluies de Cherbourg qui a tant étonné le monde de la critique et le monde tout court c’est qu’il était entièrement chanté : pas une parole de comédien, que du chant (d’ailleurs  je trouve que les chanteurs n’ont pas eu la reconnaissance qu’ils méritaient, car ce sont eux qui font le film. Ils auraient dû être invités au festival de Cannes !), alors que dans Les Demoiselles il y a beaucoup de texte et on entend donc les voix des comédiens. Il fallait donc que les timbres des voix parlées et chantées raccordent parfaitement, c’est pourquoi Danielle Licari n’a pas fait Les Demoiselles de Rochefort ni Peau d’âne.

DLODS : D’où venait Claude Parent, la voix chantée de Françoise Dorléac dans Les Demoiselles de Rochefort?

C’est Mme Legrand la maman de Michel qui connaissait tout le monde dans le métier par sa maison d’édition et qui a pensé à Claude Parent. Elle avait un tour de chant alors et a dû faire un essai après nous. Elle a été prise aussitôt car sa voix « collait » parfaitement à celle parlée de Françoise Dorléac.


Anne Germain (voix chantée de Catherine Deneuve): Chanson de Delphine
du film Les Demoiselles de Rochefort (1967) 
 

DLODS : Dans Les Demoiselles de Rochefort comme dans les autres films de Jacques Demy, les chansons ont été enregistrées avant le tournage du film. Les comédiens du film ont-ils assisté à l’enregistrement ?

Oui, les deux sœurs sont venues se rendre compte du travail dans la cabine du son, mais il n’y a pas eu de contact personnel avec elles. La pauvre Françoise s’est tuée tragiquement l’année suivante. Quant à Catherine Deneuve, elle est toujours restée très discrète sur le fait de n’avoir pas chanté elle-même dans les films de Demy.

DLODS : Vous avez quand même participé à une émission quelques temps après la sortie du film…

Oui, nous avions été sollicitées Claude Parent et moi pour une émission de télévision dans laquelle nous devions chanter en direct devant un écran la chanson des jumelles. Il y avait là Serge Gainsbourg et d’autres artistes. Un de mes « collègues » batteurs André Arpino éprouve le besoin de me présenter à Serge Gainsbourg qu’il avait accompagné (naturellement je ne mentionne pas notre rencontre à Milord l’arsouille quelques années avant sa célébrité, la carte de la Cité des Arts, etc. s’en est-il souvenu ?), mon copain lui dit « Je te présente Anne Germain, qui a prêté sa voix à Catherine Deneuve dans Les Demoiselles de Rochefort ». Gainsbourg me regarde et dit « Il ne faut rien prêter dans ce métier » (rires) !

DLODS : Que pensez-vous du film au moment de sa sortie ?

Je n’ai pas été éblouie à l’époque, j’étais encore dans la magie des grandes comédies musicales américaines comme Chantons sous la pluie, The Bandwagon, Royal Wedding et tant d’autres splendeurs avec les Marge et Gower Champion, Vera Hellen, Fred Astaire, enfin les génies du spectacle chanté et dansé. Ce n’était pas au niveau bien que très vivant. En fait c’est français, aussi beaucoup comme mes camarades et moi ont été surpris du succès que rencontre ce film avec le temps, car en effet des générations de jeunes l’ont découvert et l’ont trouvé formidable, la chanson des jumelles est devenu un « classique » ! Mais nous forcément n’avions pas le même regard ayant « travaillé » pour ce film. Peau d’âne (1970), c’est différent, il n’y a aucune référence hollywoodienne. Un conte de fées infiniment poétique –la scène de l’enterrement de la Reine au début dans son cercueil de verre en forme de bulle porté à travers un champ enneigé, c’est d’une beauté !-, d’autres passages un peu surréalistes au-delà du conte, parfois un peu inspirés par Cocteau peut-être ? Comme Parking d’ailleurs…


Anne Germain (voix chantée de Catherine Deneuve): Recette pour un cake d'amour
du film Peau d'âne (1970) 


DLODS : Aviez-vous passé une nouvelle audition pour Peau d’âne?

Non, j’ai été demandée directement : toujours la même obligation des voix qui raccordent. Musicalement par contre, c’était plus chanté, plus « lyrique » sauf la « Recette pour un cake d’amour » qui a un petit style Burt Bacharach/Herb Alpert –aïe si Michel lit ça, gare (rires)! Jacques Revaux a repris naturellement la voix chantée de Jacques Perrin.

DLODS : L’univers de Michel Legrand est-il particulièrement difficile à s’approprier ?

Pas pour moi, je ressens sa musique comme si je la connaissais depuis toujours, c’est tellement évident ce qu’il écrit, c’est une vraie musique de Musicien. Dans ses séances il faut chanter juste et « en place » quand c’est jazzy comme les séances que nous avions faites pour Stan Getz. Michel a toujours été charmant et amical avec moi, il était content, donc…

DLODS : Francis Huster chantait lui-même dans Parking (1985) de Jacques Demy, et ce n’était pas très «heureux » …

Je n’ai jamais compris comment la partie chantée de son rôle lui avait été confiée finalement, alors qu’un vrai chanteur avait déjà fait un enregistrement très concluant car une belle voix et un vrai interprète : Daniel Levi. Il a chanté plus tard dans Les Dix Commandements avec beaucoup de succès. Cela s’est déjà produit que des vedettes fassent du chantage et exigent de chanter ou sinon elles ne font pas le film, mais… motus !

DLODS : Pour Michel Legrand vous avez chanté dans Les Mariés de l’An II (1971) de Jean-Paul Rappeneau…

Ah oui, Michel avait dit à Paulette qui convoquait les musiciens « Je ne veux personne d’autre qu’Anne Germain » (rires) ! Je chantais  « Gloire à la République, mort à tous les fanatiques, etc. » (elle chante) à la place de la belle Laura Antonelli ! Pour Michel j’ai fait un soir au studio Davout une très belle maquette –encore !- pour le film de Claude Lelouch Les uns et les autres (1981). C’est Nicole Croisille qui devait chanter et jouer la scène dans le film mais elle n’était pas là et Claude Lelouch avait absolument besoin de la musique pour tourner le lendemain. J’ai donc enregistré à sa place en attendant son retour pour le définitif. C’était magnifique, un orchestre somptueux comme toujours avec Michel. Hélas j’ai oublié de demander à l’ingénieur du son de me faire une petite bande en souvenir et quand j’y ai pensé c’était trop tard : Nicole avait enregistré la séquence et comme il n’y avait qu’une piste chant la mienne avait été effacée. Désolant et grave de ne pas penser plus loin que l’immédiat. Pour Cannabis (1970) de Serge Gainsbourg, même oubli. Pour ce film qu’il avait réalisé et dont il avait composé la musique avec l’aide de Jean-Claude Vannier pour les arrangements, il y avait une scène dans un cabaret de travestis où l’un d’eux mimant Marylin Monroe chantait une chanson en anglais évidemment mais composée par Serge. Il lui fallait donc une fille chantant bien en anglais, ne pouvant utiliser un vrai disque de Marylin. Deux prises, tout le monde satisfait, mais là encore j’ai oublié de demander une bande pour moi ! Il reste ce qui est dans le film, mais la scène étant brutalement interrompue dans l’histoire, la chanson est donc brutalement coupée aussi, je n’ai donc jamais pu l’avoir en entier. Où est-elle aujourd’hui  cette bande ? Jane Birkin le sait peut-être car c’est elle qui avait écrit le texte…

DLODS : J’imagine que vous aviez dû faire des chœurs pour Gainsbourg ?

Je n’ai fait des chœurs pour Serge Gainsbourg qu’une fois : pour sa comédie musicale Anna, avec Anna Karina d’ailleurs : « Sous le soleil exactement », etc.

DLODS : Nous allons maintenant parler d’une autre « figure » de ce métier qui vous avait engagée comme soliste pour son premier film Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil (1972) : Jean Yanne… Comment l’avez-vous connu?

Ce n’est pas Jean Yanne qui m’avait engagée mais mon mari ! Claude avait déjà travaillé en collaboration avec Michel Magne qui avait besoin de bons arrangeurs et orchestrateurs pour ses musiques car Michel était surtout un mélodiste avec beaucoup d’idées mais il ne savait pas écrire pour tout un orchestre. Dans le projet de film de Jean il devait y avoir beaucoup de musique de variété principalement avec solistes et chœurs pour les chansons qu’on entend à longueur de journée dans une station de radio genre RTL. J’ai donc fait toutes les chansons en « imitation », comme je l’avais déjà fait dans des covers. Jean Yanne je l’avais déjà croisé quand avec Christiane Legrand, Claude et d’autres copains nous faisions des pubs pour Les Programmes de France avec le cher Gérard Sire dans un petit studio rue Croix des petits Champs dans un immeuble en face de la Banque de France. Eh bien, malgré le temps, Jean Yanne s’est souvenu de moi à mon grand étonnement.



Montage d'extraits de la B.O. de Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil  
Anne Germain imite Sylvie Vartan ("Jesus, rends-moi Johnny"), Mireille Mathieu ("Jésus Java"), Gloria Lasso ("Che o Che") et France Gall ("Chanson bête et stupide")


DLODS : Dans ce film on entend votre voix à de nombreuses reprises, c’est un véritable « festival Anne Germain », vous vous imprégnez de tous les styles…

J’ai repris des évocations de Sylvie Vartan, France Gall, Gloria Lasso, Zizi Jeanmaire, etc. C’était sympa à faire, dans une ambiance super car tout ça plaisait beaucoup à Jean Yanne. Claude avait glissé un petit passage « brésilien » de son cru à la façon « Les Masques » qui sonnait super bien, trop court mais dans lequel on reconnaît dans deux petites répliques les voix de Michel Cassez et Danielle Licari. Cette chanson c’est « Symphonie pour odeur et lumière » : « A cinq heures du soir, dans son bureau, la dactylo sent mauvais sous les bras ».

DLODS : Il y a également deux chansons interprétées par un certain N’Dongo Lumba. Je ne trouve aucune trace de cet artiste, était-ce un pseudonyme ?

Klaus Blasquiz
Oui, naturellement il fallait créer l’illusion, c’est le propre du cinéma, vous savez. Il avait super bien chanté. Nous pensions qu’il serait un rival sérieux pour le grand Johnny mais il faisait en fait partie du groupe Magma et n’a pas été intéressé par une carrière de soliste, il était sûrement très bien avec son groupe. Il chantait la chanson « Jesus San Francisco » dans le film. C’était l’époque où le monde du spectacle a exploité Jésus (Jesus-Christ Superstar, le film de Norman Jewison) et Jean Yanne n’a pas manqué d’ « épingler » cette « mode » ! Ce chanteur c’était Klaus Blasquiz que nous avons « retrouvé » des années après mon mari et moi pour une expertise d’instruments synthétiques pour lesquels il avait créé une sorte de musée.

DLODS : Votre mari a poursuivi sa collaboration avec Jean Yanne sur d’autres films…

En effet, Claude a été sollicité pour les films suivants avec ou sans Michel Magne. Jean Yanne avait lui-même des idées de musique et il a souhaité confier directement à Claude les arrangements et musiques additionnelles des petites « maquettes » qu’il s’était enregistré lui-même. Certes, le matériel était mince ! Sauf pour Deux heures moins le quart avant Jesus-Christ (1982) où il a demandé Raymond Alessandrini un grand virtuose du piano qui n’a pas eu la carrière à la hauteur de son talent. Trop modeste lui aussi, pas tout à fait Philippe Sarde !

Anne Germain : Pauvre Bach
du film Chobizenesse (1975) 

DLODS : Pour Chobizenesse (1975) de Jean Yanne, vous chantez en soliste "Pauvre Bach", une parodie des Swingle Singers… et on peut également vous voir à l'image dans une scène du film!

C’était vraiment de la figuration dans une scène tournée au Théâtre de la Madeleine. Un film assez délirant comme Jean Yanne aimait bien, avec toujours avec lui de très grands acteurs, comme à cette occasion Robert Hirsch et la grande Denise Gence, tous deux de la Comédie-Française quand même ! Les acteurs aimaient bien travailler avec Jean Yanne car c’était toujours une partie de rigolade avec malgré tout le savoir-faire et le talent !

DLODS : Dans un tout autre genre, puisque nous évoquons les musiques de films que vous avez chantées, nous ne pouvons pas oublier le générique de l’émission L’île aux enfants (1974)!

J’avais été convoquée par Roger Pouly le pianiste de Charles Trénet pour soutenir une chorale d’enfants qui devait chanter ce générique, ce que j’ai fait. J’ai donc chanté avec eux mais ensuite Christophe Izard, l’auteur, m’a demandé de chanter la partie soliste (le couplet) car le petit garçon prévu n’y arrivait pas. J’ai donc eu l’idée de chanter une octave en-dessous pour ne pas faire une fausse voix d’enfant, car les fausses voix d’enfants ça s’entend, ce n’est pas crédible, alors j’ai chanté plutôt à la façon d’une « maman » avec un timbre naturel, ce qui je pense a contribué au succès de ce générique. Cela a beaucoup plu à Christophe Izard qui m’a ensuite redemandée pour l’émission Les visiteurs du mercredi.

Anne Germain: Générique de L'île aux enfants (1975)


DLODS : Vous avez continué à travailler avec Roger Pouly et Christophe Izard ?

Christophe Izard avait repris Sesame Street, réalisé en noir et blanc avec les premières « muppets » bien avant le Muppet Show qui sera diffusé plus tard avec les voix des « stars » du doublage. Les épisodes que nous avons doublés étaient très courts mais il y en avait un très grand nombre. Nous faisions souvent le doublage sans bande rythmo car cela arrivait tellement vite des Etats-Unis qu’il n’y avait pas eu le temps de les préparer, on avait juste les textes sur un papier et on doublait à l’image ! Heureusement ce n’étaient que des poupées avec des mouvements de « bouche » imprécis et saccadés donc moins délicat que pour des visages humains. Ca aussi c’était hilarant. Fatiguant, mais si drôle à faire ! Encore un souvenir qui sort de l’ordinaire dans mon travail de « choriste ».

DLODS : Qui faisait avec vous les voix des Sesame Street ?

Il y avait donc Roger Pouly engagé pour la circonstance, son épouse et deux copains à eux dont je ne sais plus les noms et que je n’ai jamais revus. Plus tard je retrouverai d’autres « muppets » en doublant Les Fraggle Rock avec Vincent Grass, Michel Mella, Claude Lombard et Jocelyne Lacaille.

"Ballet du rêve" par Anne Germain (voix chantée de Noëlle Adam)
dans L'homme orchestre (1970)



DLODS : Avez-vous en tête des souvenirs de chœurs dans des films français connus ?

Anne Germain dans
Le Gendarme et les Extra-Terrestres
Pas français mais tout de même cas rare, un James Bond, Moonraker (1979) bénéficiant d’une grève des musiciens en Angleterre. Autrement Le Gendarme de Saint-Tropez (1964) avec le célèbre « Douliou douliou Saint-Tropez » et Le Gendarme et les Extra-terrestres (1979) dans lequel nous sommes à l’image dans la scène du couvent, en bonnes sœurs. Dans Astérix et Cléopâtre (1968), nous chantons Danielle Licari, Nicole Darde et moi les servantes de Cléopâtre dans la scène du bain. Il y a eu aussi un beau duo avec Danielle Licari pour Alain Delon dans son film Madly (1970), Tendre poulet (1978) avec Annie Girardot et Philippe Noiret où l’on nous voit –une vraie chorale, cette fois !- dans quelques scènes. J’avais fait une chanson dans un épisode de la série télé Arsène Lupin avec Georges Descrières pour une musique de Claude Bolling. Tant d’autres aussi pour Vladimir Cosma dont Les Malheurs d’Alfred (1972) et la série télévisée Le Loup blanc (1977), mais aussi pour Georges Delerue, François de Roubaix que j'aimais énormément et dont la disparition tragique m'a beaucoup choquée, etc. Il faudrait que je ressorte toutes mes feuilles de paie pour tout citer car il y en a trop !


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(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)
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