Série d’entretiens réalisés entre le 16/02 et le 27/03/14.
Remerciements à mes fidèles amis et
« partenaires de recherches » Gilles Hané, Greg Philip (blog Film
Perdu), François Justamand (La Gazette du Doublage), Jean Letellier (Radio
Enghien), Serge Elhaïk (France Musique) et Alaric Perrolier pour nos échanges
d’informations, photos, disques, vidéos, etc.
Dans l’ombre des studios : Anne
Germain, vous êtes née à Paris au printemps...
Pour paraphraser
Céline dans Mort à crédit, « Je suis née en avril, c’est moi
l’printemps » !
DLODS : Etes-vous issue d’une famille
d’artistes ?
Pas de
professionnels en tout cas. Papa n’était pas musicien. Maman, ses frères et
sœurs avaient le goût et le sens du chant ; mon grand-père maternel avait
une voix splendide, les gens venaient des villages éloignés pour l’écouter lorsqu’il
chantait à la messe dans leur village d’Auvergne. Malheureusement, aucun d’eux
n’a pu suivre d’études musicales.
Raymond Asso |
DLODS : Vos parents écoutaient quels
styles de musique ?
C’était
surtout maman qui chantait des mélodies anciennes ou des airs d’opérettes :
La veuve joyeuse, Le pays du sourire et autres. Le chant
c’était un besoin vital mais ils n’avaient guère de loisirs pour écouter de la
musique, trop cloués par le travail. Après la guerre nous avons eu enfin un
tourne- disque. Avec mon grand frère qui était un fou de musique nous écoutions
de tout. Une amie pianiste qui venait de Lyon prendre des cours avec de grands
maîtres répétait chez nous et nous étions gorgés de fugues de Bach et d’études
de Chopin ou Debussy.
Pendant la
guerre, l’hôtel a été réquisitionné par l’armée allemande puis après sont venus
les Américains : parmi les soldats certains étaient musiciens et avaient
avec eux des petits albums de musique de variété jazzy. Quand ils ont entendu
le piano ils ont demandé à maman la permission de l’utiliser. Ils nous ont fait
découvrir « In the mood », « Chattanooga choo choo » et
autres « Moonlight Serenade ». Mon frère et notre amie pianiste
déchiffraient ces partitions.
Mon frère a
ensuite fait une récolte de tous les disques 78 tours que l’on trouvait alors.
Nous écoutions Duke Ellington, Fats Waller dont je « reproduisais »
les morceaux d’oreille et aussi Dinu Lupatti ou Walter Gieseking pour le
classique, en chant c’était Catherine Sauvage, les chansons de Prévert et
Kosma, Piaf aussi bien que Victoria de los Angeles, Mouloudji et Mario
Lanza ! Nous avons aussi découvert les groupes vocaux américains à cette
époque. Mon frère et des copains de collège avaient formé un petit groupe vocal
dès ce temps-là qui chantait alors des chansons traditionnelles françaises.
Glenn Miller : In the mood (1939)
DLODS : Comment s’appelait ce groupe ?
Un groupe
vocal allemand d’avant-guerre qui reproduisait des instruments de musique dans
certains titres les avait marqués : les Comedian Harmonists. Il y avait aussi
Ray Ventura et ses Collégiens, ils se sont donc nommés les « Collégiens
Harmonistes ». A la Libération il y a eu une explosion de nouveaux
artistes, c’est l’époque de La Rose Rouge, du Lorientais, du Tabou, et autres
caves. Mon frère et ses copains ont découvert Léo Ferré inconnu qui chantait
chez Francis Claude au Quod-Libet, une cave rue du Pré-aux-Clercs, ces
collégiens ont sympathisé avec eux, Ferré leur a confié quelques partitions et
le groupe à commencer à les ajouter à leur répertoire. Certaines co-écrites
avec Francis Claude sont hélas oubliées aujourd’hui : il y en a qui
conviendraient bien à Bernard Lavilliers : « Regardez-les
défiler », « Les métros vont, les métros viennent », « La
Chambre », « La vie d’artiste », etc. Francis Claude a ensuite
ouvert une autre « boîte » au Palais Royal, Le Milord l’Arsouille, où
les garçons venaient chanter quand ils voulaient en « copains ». Ont
débuté là Serge Gainsbourg –je ne me doutais pas qu’un jour je travaillerais
pour lui en soliste pour son film Cannabis-,
Claire Leclerc que j’ai retrouvée des années après dans les studios avec les
Angels ou les Barclay, et Michèle Arnaud.
DLODS : Comment avez-vous intégré le
groupe de votre frère ?
The Mills Brothers |
DLODS : Est-ce à cette époque que vous
avez connu votre mari, le regretté compositeur, pianiste et chanteur Claude Germain ?
Un peu
après, à dix-sept ans et demi, par un voisin qui était son ami depuis l’Ecole
Supérieur de Musique. Claude quand je l‘ai connu était alors un pianiste et un
musicien confirmé : harmonie, etc. Il était dans cette école avec le frère
de cet ami qui fut le pianiste de Fernand Raynaud, et aussi Maurice Vander, le
célèbre pianiste de jazz accompagnateur de Claude Nougaro, etc. Une pépinière
de futurs musiciens de studios !
Quand j’ai
connu mon mari, je chantais déjà tout ce que j’aimais sans me préoccuper si
c’était mauvais pour ma voix. Les standards américains : Sarah Vaughan,
Doris Day mon idole… Je chantais en m’accompagnant au piano avec les harmonies
d’oreille. Un jour bien plus tard j’ai esquissé quelques notes en studio sur un
super Steinway me croyant toute seule. Michel Legrand est sorti de la cabine à
ce moment-là et m’a juste dit « Mais
Anne, il faut travailler avec Nadia Boulanger ! » (sa grande prof
et LA grande prof du Conservatoire). Bref, ce n’était pas mon destin sans
doute !
Claude Germain |
Anne Germain & The Trombone Paraders : Small Hotel (1958)
Tout premier enregistrement d'Anne Germain pour un disque, Jazz à la Fiesta restauré récemment par la BNF
DLODS : Nous n’avons pas parlé de
votre formation. Vous avez eu comme professeur de chant une grande cantatrice,
Ninon Vallin…
Oui elle m’a
fait travailler quelques temps après la mort de mon premier prof mais ce
n’était pas un bon professeur pour une débutante comme moi. Barbara Hendricks
disait cela de l’immense Maria Callas, qu’elle n’était pas une bonne
enseignante. C’est souvent le cas de très grands interprètes qui ne savent pas
former les autres. Je devais présenter le concours d’entrée au Conservatoire et
avais déjà auditionné devant un des profs qui suite à l’audition me voulait
déjà dans sa classe. L’audition avait eu lieu au conservatoire devant ses
élèves mais ma prof est morte et le choc m’a tellement cassée que je me suis
sentie incapable de me préparer toute seule : trop peu entraînée encore.
Quelques mois après, c’était la mort de maman !
Ninon Vallin |
DLODS : Comment de chanteuse d’orchestre
êtes-vous devenue choriste dans la variété ?
Par des
camarades musiciens entrés avant moi dans ce circuit et qui m’ont introduite
dans ce cercle très fermé des musiciens de studio appelés les
« requins » d’ailleurs, c’est dire ! Il y avait déjà quelques
groupes vocaux à peu près constitués comme les « Blue Stars » dans le
style des groupes vocaux américains très à la mode dans les années 56, 57, etc.
Il commençait aussi à y avoir beaucoup de séances d’enregistrement, ça a décuplé
encore avec l’arrivée des yéyés. Merci à eux car de ce fait il y a eu beaucoup
de travail. Les jeunes arrangeurs comme Michel Legrand avaient besoin de gens
qui lisent très bien la musique, qui chantent juste mais surtout pas de voix
lyriques. J’ai ainsi travaillé avec les meilleurs de ce métier, les Christiane
Legrand, Janine de Waleyne, Mimi Perrin, Ward Swingle, Jean-Claude Briodin,
etc. Quand Mimi a eu l’idée des « Double Six » elle a demandé à mon
mari Claude d’intégrer le groupe après des essais non concluants avec d’autres,
puis il y a eu les prestigieux « Swingle Singers ». Ces deux groupes
ont obtenu les plus glorieuses récompenses, surtout aux Etats-Unis. Après l’orchestre
j’étais dans la cour des grands ! Mais j’aimais quand même bien chanter en
orchestre.
Pour lire la suite de l'entretien, vous pouvez cliquer ici.
(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)
Suivez toute l'actualité de "Dans l'ombre des studios" en cliquant sur "j'aime" sur la page Facebook.
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Très très intéressant
RépondreSupprimerTres bel article que je découvre ce jour, merci
RépondreSupprimerR.I.P. A.G. :( (mon enfance qui se barre ;;; fait chier la mort :( )
Merci pour cet article qui a le mérite de faire connaître une très grande voix (très peu connue du grand public et de moi) mais dont j'ai appris la disparition ce matin 15 septembre 2016. (J'espère que vous n'aurez pas d'objection à ce que je partage cet article sur mon espace FB par son lien d'accès. Merci d'avance) Serge
RépondreSupprimerhe voila, je me rends compte apres sa mort du talent un peu oublié de cette dame a la voix de fée
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