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(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)
Dans l’ombre des studios : Parlons
maintenant de différentes expériences solistes que vous avez eues, à commencer
par les duos que vous avez enregistrés, notamment « La jeune fille et le
commissaire » !
Christian
Chevallier qui avait composé la musique a pensé à moi pour donner la réplique à
Hugues Aufray, c’était sa première épouse Vline Buggy la parolière entre autres
de « Belles, belles, belles » qui en avait écrit le texte. Ca avait
un petit côté « Parapluies de Cherbourg » romantique et dramatique
très loin de « Santiano », ça n’a pas eu l’accueil mérité. On l’a
enregistré de nuit dans les beaux studios Barclay de l’avenue Hoche, disparu
lui aussi avec tous les autres : Philips, Pathé, Polydor, etc. comme dans
la chanson de Gainsbourg : « disparus Brian Jones, Eddy Cochran,
Janis Joplin, T-Rex, Elvis… ». Très triste quand même !
Hugues Aufray et Anne Germain: La jeune fille et le commissaire (1968)
J’ai aussi
enregistré un autre duo avec un partenaire célébrissime mais sans sa présence,
donc un duo toute seule ! On m’a appris une fois enregistré qu’il
s’agissait de Jean Gabin. Sans doute ne voulait-il personne à ses côtés. On m’a
ensuite demandé d’enregistrer la version en anglais tout ça en minaudant à la
façon Jane Birkin que sans doute les producteurs n’avaient pu s’offrir !
Dans ce disque c’est surtout le titre « Maintenant, je sais » qui a
été la coqueluche des programmateurs en radio, dommage car « Maître
Corbeau et Juliette Renard » est une chanson très jolie, et une version
très originale de la fable. J’ai beaucoup aimé la chanter car c’est encore tout
autre chose que Peau d’âne et les Demoiselles de Rochefort ou les
Swingle ! Et puis on y entend un Jean Gabin tout en finesse et en malice
loin de la nostalgie de l’autre chanson.
Il y a eu
aussi quelques duos pour l’émission de radio de Jean-Christophe Averty Les cinglés du music-hall avec le grand
Georges Rabol au piano : d’abord Bob Martin qui m’avait introduite dans
l’émission, une fois avec Pierre Louki, et quelques fois avec le comédien
récemment disparu Sacha Briquet qui chantait très bien.
DLODS : Contrairement à d’autres
choristes, vous n’avez jamais eu peur de « transformer » votre voix…
J’ai sans
doute malmené ma voix mais c’est parce que j’ai toujours donné priorité au style,
au caractère et à l’esprit de la musique et du texte. Parfois j’ai un peu forcé
et alors les cordes vocales en prennent un coup. Ou alors, après, il faut le
repos vocal et refaire des exercices pour tout remettre en place, ce que je
n’avais pas le loisir de faire. Mais changer ma voix ce n’était pas toujours
dangereux quand ce n’était qu’une fois comme dans une émission de télé où j’ai
« doublé » Dalida en faisant la seconde voix qu’elle avait chantée en
studio pour son disque, mais qu’elle ne pouvait faire en direct sur le plateau.
Son frère Orlando était épaté : « On
aurait Dali ! On aurait dit Dali ! » (rires).
Par contre
j’ai enregistré un jour une série de « covers » pour un copain et il
y avait la chanson de Barbara Streisand « Woman in love » où elle
« gueule » littéralement. Il a fallu la faire trois fois pour une
histoire de réglage de son, alors là je me suis fait mal. J’avais recommencé à
travailler ma voix avec une merveilleuse prof, Mme Decrait, la maman d’Eliane
Victor de l’émission Les femmes aussi.
Elle était furieuse ! « Ah, il
va falloir tout recommencer ! ». C’est arrivé à de grands
chanteurs ou chanteuses même du lyrique d’avoir des problèmes graves pour avoir
forcé ou chanté sur la fatigue : polypes à opérer, rééducation, obligés de
décommander des concerts ! Enfin, j’ai tout de même tenu assez longtemps
malgré mes acrobaties et imprudences…
INEDIT EN CD: Jean Gabin et Anne Germain : There's no fool like an old fool (1974)
Pour écouter la chanson originale ("Maître Corbeau et Juliette Renard"), rendez-vous sur Bide et Musique
DLODS : Pouvez-vous me parler de ces reprises
(« covers » dans le jargon du disque) dans lesquelles vous vous êtes formidablement
imprégnée du style des interprètes originaux ?
J’en ai fait
beaucoup. De l’«alimentaire » comme on dit, pour des maisons de disque
comme Musidisc ou publicitaire comme Multitechnique qui avaient l’autorisation
des producteurs d’origine de reprendre sur un seul 33 tours une sélection des
« tubes » du moment : un Sheila, un Annie Cordy, un Dalida, un
Mireille Mathieu, un Françoise Hardy… dont le titre de Michel Jonasz et Gabriel
Yared « J’écoute de la musique saoule » qui comportait un solo du
chanteur noir américain Arthur Simms que j’ai dû relever d’oreille là encore
car personne n’avait mis sur partition son impro extraordinaire dans le style
« funky ». C’était loin de « La Bonne du Curé » (rires) ! J’ai aussi fait Donna
Summer « Love me… baby » et « Lady Marmelade ». Chez les
garçons qui faisaient des covers il y avait aussi des presque vedettes dont
Georges Blanès et un qui allait composer le « tube » du siècle un peu
plus tard, Jacques Revaux avec « Comme d’habitude » (« My
way » par la grâce de Paul Anka). Il a abandonné alors très vite les
« covers » et est aussi devenu producteur de Michel Sardou, quel
destin !
Anne Germain: Bang Bang (années 60)
DLODS : N’avez-vous pas eu l’opportunité à un moment ou à un autre de suivre une carrière de soliste ?
Oui, ça
aurait pu se faire mais je n’ai pas donné suite. Jacques Bedos, l’oncle de Guy
voulait m’engager chez Decca. Je chantais alors dans l’orchestre d’Armand
Migiani, de grandes vocalises de jazz à la mode dans le style de la musique du
film La Parisienne que chantait
Christiane Legrand, mais j’étais trop prise par ma famille. Il faut beaucoup de
disponibilité, et puis c’est aussi la fin de l’indépendance car on appartient à
une maison de disques. J’étais partie dans une autre direction et finalement
bien m’en a pris car j’ai pu vivre plus librement tout en gagnant bien ma vie
et en n’étant pas loin de la maison.
Anne Germain chante avec l'orchestre Armand Migiani (1964)
DLODS : Vous a-t-on quand même proposé
des chansons ?
Il y a bien
longtemps un soir avec mon frère et des amis nous sommes retournés au Milord
l’arsouille en « clients » et nous avons découvert un nouvel
auteur-interprète hors du commun : Serge Gainsbourg. Cela m’a causé une
telle émotion que j’ai demandé à Francis Claude si je pouvais aller lui dire un
mot –je ne sais pas comment j’ai trouvé le culot, moi qui suis si coincée d‘ habitude,
mais c’était un besoin irrésistible- ! Il était assez impressionnant –sur
scène déjà- avec son fameux regard oriental un peu hautain, mais il m’a écouté
gentiment lui dire mon admiration. Je lui ai dit que j’étais chanteuse aussi
(d’orchestre à l’époque), il a compris qu’il ne s’agissait pas d’une
« groupie » à la noix. A cette époque j’aurais été tentée de chanter
toute seule un répertoire à moi. Je lui ai avoué que j’aimerais chanter ses
chansons, il m’a répondu « Mais
c’est des chansons de mec, ça ! » puis il m’a donné sa carte –il
habitait la Cité des arts à cette époque- et m’a dit « venez me voir, je
vais essayer de trouver quelque chose pour vous » eh bien je n’ai jamais
osé y aller ! Ce n’était pas mon destin de faire un tour de chant. Comme
je vous l’ai dit c’est tellement une autre vie même si c’est grisant je
n’aurais sans doute pas tenu le coup : trop de pression, de stress alors
qu’en accompagnant tout le monde je ne me suis jamais ennuyée et j’ai gardé une
vie à peu près « normale » avec mes filles et malgré une activité
très souvent intense.
DLODS : Comment définissez-vous votre
voix ? Chez les Swingle Singers vous étiez considérée comme alto, alors
que dans Peau d’âne ou Les Aristochats par exemple vous aviez
de très beaux aigus ?
Quand je
suis arrivée dans les séances on ne m’a pas mise dans les premières voix
réservées aux grandes aigues comme Christiane Legrand, Danielle Licari ou
Janine de Waleyne. J’étais deuxième ou troisième voix, ce qui m’a un peu
étouffé la voix d’être souvent dans un registre proche de la voix parlée. La
voix est un muscle qu’il faut entraîner comme les abdos, le souffle, etc. Ninon
disait en parlant du lyrique « Le chant c’est de l’athlétisme ! ».
C’est vrai, même pour la variété : à moins d’une grande résistance
naturelle, on ne dure pas longtemps quand on ne s’entraîne pas, la voix perd sa
tonicité et l’aigu alors c’est pire. J’en ai fait un peu des premières voix
mais pas assez pour consolider. En plus il y avait les « grandes »
premières voix dont je viens de parler, qui étaient tellement sûres ! Je
pense que sans Christiane, Ward Swingle n’aurait pas formé les Swingle Singers,
c’était une vraie soprano léger, une soliste extraordinaire.
DLODS : J’aimerais qu’on évoque
maintenant une expérience qui je crois vous a laissé un grand souvenir :
chanter à la Comédie-Française.
N. Darde et A. Germain dans "Le Bourgeois Gentilhomme" |
Le théâtre
étant en grands travaux de rénovation, nous avons joué sous un grand chapiteau,
comme au cirque, installé Place de la Concorde à l’entrée des Tuileries. Les
loges c’étaient de petits boxes avec une grande toile pendue en guise de porte,
tout le monde était logé à la même enseigne un peu comme au temps de Molière
peut-être ? Quel clin d’œil ! Une fois les travaux terminés la troupe
a pu réintégrer sa Maison, mais nous n’avons pas retrouvé cette ambiance
exceptionnelle…
DLODS : Pourriez-vous évoquer un autre
de vos grands souvenirs ? La réalisation des maquettes de la comédie
musicale La Fugue (1978) du grand
pianiste Alexis Weissenberg…
Alexis
Weissenberg avait composé une comédie musicale, La Fugue, pour laquelle il souhaitait que Nicole Croisille chante
les maquettes, elle ne pouvait pas et elle lui a indiqué mon nom. Lorsque j’ai
vu la musique et réalisé qu’il y avait deux airs beaucoup trop aigus pour moi, je
lui ai conseillé Géraldine Gogly qui avait fait Le Bourgeois Gentilhomme avec moi, la tournée au Japon avec Paul
Mauriat et qui se trouvait sans travail. Pour le garçon, je lui ai envoyé
Michel Barouille, un autre très bon chanteur. Ces deux camarades avaient des
voix très travaillées mais chantaient aussi très bien la variété. Michel,
Géraldine et moi avons enregistré les maquettes avec les auteurs Francis
Lacombrade –un ancien jeune comédien du film Les amitiés particulières- et Bernard Broca, et Jeanne Colletin qui
ont fait les « chœurs » avec nous dans certains titres : en
cabine, le directeur artistique de Deutsche Grammophon (et d’Herbert Von
Karajan), impressionnant quand même pour de petits chanteurs de variété, qui
s’était dérangé pour juste une « maquette ». Ce fut un très beau
travail et un souvenir rare.
INEDIT: Anne Germain (acc. au piano par Alexis Weissenberg): Mon destin (1978)
Maquette pour la comédie musicale La Fugue
DLODS : A ce propos, quel est le
principe d’une « maquette » dont on entend pas mal parler dans le
métier ?
Il faut
réaliser une démonstration de ce que sera la réalisation finale avec beaucoup
moins de moyens évidemment, de façon à ce que les « investisseurs »
aient une « vision » la plus précise possible du projet, c’est
pourquoi nous avons enregistré avec juste un piano comme accompagnement mais
quel piano puisque c’était Alexis Weissenberg lui-même –le compositeur, donc-
qui jouait. Etre accompagné ainsi ne pouvait jamais se reproduire, un vrai
cadeau du ciel. Nous avons enregistré dans les grands studios Pathé près du
pont de Sèvres. Très malheureusement ce spectacle n’a pas eu le succès espéré.
Il y avait beaucoup d’idées, de poésie et de fantaisie, avec des interprètes,
acteurs, chanteurs, danseurs, de grand talent, mise en scène de Jean-Claude
Brialy, chorégraphie de Matt Mattox (célèbre danseur de Broadway). Dans les
premiers rôles mon copain Jean Salamero que j’allais retrouver quelques années
plus tard dans l’émission Thé dansant de Jacques Martin, et aussi
une jeune débutante inconnue qui ne l’est pas resté très longtemps :
Arielle Dombasle.
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