Avec beaucoup de gentillesse et de modestie, elle a accepté de répondre à mes questions lorsque je suis venu lui rendre visite chez elle à Rouen le 8/09/2024 (après quelques années de correspondance par mail et d’échanges téléphoniques), en compagnie de mes amis Rachel Pignot et Gilles Hané. Quelques questions supplémentaires ont été posées par mail en avril-mai 2025.
Remerciements à Grégoire Philibert pour la numérisation de plusieurs vinyles.
Dans l’ombre des studios : Franca, pouvez-vous nous parler de votre enfance et de vos parents ? Étaient-ils chanteurs ?
Je suis née le 11 décembre 1938 à Borgosesia, dans la vallée du Mont Rose, en Italie. Mes parents venaient d'autres régions : mon père du centre sud des Abruzzes, et ma mère de Lombardie. Ils se sont rencontrés dans cette petite ville du Piémont, car c’était un endroit plus industriel, qui attirait les gens pauvres, qui venaient y trouver du travail. Mon père travaillait dans une usine où on fabriquait des tapis qui étaient vendus dans le monde entier. Ma mère, pendant un certain temps, a travaillé dans cette usine, puis à la naissance de sa deuxième fille, elle est devenue femme au foyer. Ils aimaient écouter de la musique, on avait un poste de radio dans la cuisine. Mon père aimait chanter l'opéra et ma mère chantait de tout. C'était une voix magnifique, une voix de cuivre, une sonorité intense et lumineuse. J'ai toujours entendu chanter chez moi, ça a dû m'influencer, probablement. J'aimais chanter étant enfant mais ne faisais pas partie d'une école de chant, car on était dans une petite ville, il n'y avait pas de conservatoire ou d'école de musique, rien, seulement un cinéma où mes parents nous emmenaient. On chantait à l'église, et je chantais dans les anniversaires, les mariages, même petite on me mettait sur la table pour dire une poésie ou chanter une chanson.
DLODS : Comment êtes-vous devenue professionnelle ?
Autour de ces villes, il y a des fêtes champêtres, particulièrement en été, avec orchestre. Très souvent, après avoir fait un pique-nique avec mes parents, le soir je montais chanter avec l'orchestre, je devais avoir une dizaine d'années. On savait que la petite Franca di Rienzo chantait. De là à s'imaginer qu'un jour, alors que j'avais 14 ou 15 ans, quelqu’un arriverait chez moi en disant « Je suis contrebassiste, j'ai un orchestre à Turin, on m'a parlé d'une petite jeune fille qui chante bien, j'ai besoin d'une chanteuse ». Après je ne sais combien de conversations entre mon père et ma mère, on a décidé de me laisser partir à 15 ans. Je me revois partir avec une valise, et ma maman qui m'a accompagné à Turin. Comme l’avait promis le contrebassiste à mes parents pour les rassurer, on m’a mise en pension chez une dame, dans un appartement modeste. Dès le lendemain, je suis allée répéter, c'était un dancing qui s'appelait le Florida et je chantais beaucoup : deux heures dans l'après-midi et trois heures le soir. Toute une saison. Autrefois, dans les clubs de jazz on pouvait rester jouer trois mois. Maintenant ça n'existe plus.
DLODS : Qu’y chantiez-vous ?
C'étaient tous les succès qui pouvaient faire danser, du répertoire italien -il y avait déjà le festival de San Remo mais pas encore l'Eurovision-, et des chansons anglaises et américaines. J’adorais ça. J’y suis restée deux ans. Entre temps, pendant l'été on m'a proposé une saison d'été sur les collines de Turin, il y avait un night-club où il y avait un tour de chant. Je gagnais ma vie, j'avais grandi. Quand je rentrais chez mes parents pour un anniversaire, c'était difficile de repartir, car j'étais encore très jeune, mais je ne leur ai jamais dit que j'avais la nostalgie. Ensuite, quelqu'un m'a contactée pour me proposer un contrat de chanteuse à Milan dans un dancing. J'avais une vingtaine d'années, et quelqu'un, propriétaire d’un club de jazz à Genève, La Veille Tour, m’a vue et m’a proposé un contrat à Genève. J’ai dit oui, d’autant que chanter les standards de jazz américains était ce que je préférais.
Cantacronache (voix: Franca di Rienzo) : Ad un giovine pilota (1958)
DLODS : Avant de parler de votre départ à Genève, restons en Italie. Il me semble que vous y avez enregistré quelques disques, à commencer par un avec le groupe Cantacronache (1958).
C'était l'époque où on faisait des chansons engagées et on m'avait demandé de chanter deux chansons très engagées d'Italo Calvino, un très grand écrivain italien. C’était à Turin, dans des conditions pas possibles, je me souviens de la pièce dans laquelle on a enregistré ça. Je me demande comment ce grand écrivain a accepté d'écrire des textes pour un disque aussi confidentiel.
Alberto Pizzigoni et son quintette (voix: Franca di Rienzo) :
Com'e bello (1960)
DLODS : Parmi les groupes suivants, on trouve I gentlemen en 1959 et Alberto Pizzigoni et son quintette en 1960.
I gentlemen, c’était un orchestre de trois amateurs avec qui je chantais à Turin. Il y avait une chanson soi-disant en anglais, mais ce n’était pas de l’anglais, c’était du yaourt. Et Alberto Pizzigoni était un super guitariste avec lequel j’ai travaillé à Milan. Le fils de ce guitariste m'a contacté il y a quelques années, il avait retrouvé mon nom et on a un petit peu communiqué pendant un certain temps. Son père est mort. Je déteste m'écouter, et ces enregistrements sont tellement datés.
DLODS : Revenons à votre départ pour Genève. Parliez-vous français avant de travailler là-bas ?
Je ne parlais pas français, j'avais eu juste quelques notions au collège, et j'aimais bien. J'étais mauvaise élève mais j'aimais beaucoup lire et j'avais déjà lu de la littérature française, des livres de poche avec papier gris, je les avais avec moi, notamment des nouvelles de Maupassant. Et lorsque j'étais à Milan, j'ai fait la connaissance d'un chanteur qui commençait à être connu, Sergio Endrigo, il m'a dit : « Il y a un chanteur en France qui est extraordinaire, il faut que je te le fasse écouter » et il m'a fait entendre Brassens, le disque des bancs publics. Il me traduisait les paroles. Je me suis dit « En France, on peut dire en chansons des choses comme ça, c'est passionnant ».
DLODS : Comment s’est passée cette période genevoise ?
Au cours de cette saison, j'arrivais avec mes partitions pour le piano et je chantais les yeux fermés, car si je voyais qu'on me regardait, ça me perturbait. Des gens de Radio Genève ont su qu'une chanteuse italienne chantait pas mal. On m'a fait faire des émissions publiques, et il y a eu un concours pour représenter la Suisse à l'Eurovision. On m'a demandé de représenter la Suisse romande à Lugano. Je suis allée chanter ma petite chanson qui était une petite valse qui s'appelait « Nous aurons demain ».
DLODS : Avez-vous choisi vous-même cette chanson, et si oui comment ?
Je ne m’en souviens plus, mais je suppose que pour trouver la chanson qui allait représenter la Suisse romande il y a peut-être eu un concours, et ils ont décidé que j’en serai l'interprète. Donc, je pars à Lugano. C'était la première fois que ma maman allait à l'hôtel. C'est un souvenir magnifique pour moi de lui avoir offert ça. À ce niveau de la compétition il s’agissait de choisir entre les trois chansons qui représentaient les trois cantons : l’allemand, l’italien et le romand. Et c’est « Nous aurons demain », celle que je chantais, qui a gagné. C’est ainsi que je suis allée à Cannes, sous les couleurs de la Suisse pour la « défendre » à l’Eurovision.
Franca di Rienzo : Nous aurons demain
(Eurovision 1961)
On me parle beaucoup de l'Eurovision, mais cette chanson, c'est tellement démodé... Elle est quand même arrivée troisième, ce qui était honorable. C'était l'année des « Nous les amoureux » de Jean-Claude Pascal, qui était très beau, très gentil et très élégant. Je ne me souviens pas des autres chanteurs, ni du chef d’orchestre de ma chanson (Fernando Paggi, ndlr). C’était au Palais du Festival de Cannes, et présenté par Jacqueline Joubert. Je me souviens d'avoir été très impressionnée qu'on me propose le wagon-lit pour aller à Cannes. Lorsque je suis arrivée à Cannes avec mes bagages, à l'époque il y avait des porteurs, et en écoutant le porteur, je me suis dit « Tiens, un italien » et en fait j'avais pris l'accent du midi pour de l’italien (rires). J'étais logée dans un grand hôtel, j’étais éblouie, pour la petite italienne du Piémont c’était une expérience incroyable. À Cannes, il y avait avec moi mon impresario en Suisse, Monsieur Guggenbühl, qui était très efficace. Mais cet Eurovision, c'est le trac de ma vie, épouvantable. C'est là que j'ai commencé à me dire « je commence à souffrir de chanter en public, il y a un problème ». Quand je revois ces images, parce que des amis ou de la famille me demandent de le regarder avec eux, moi je sais que j'ai un trac fou et que je ne chante pas bien, j'avais trop peur, j’étais dans un état second et n’étais pas fière. À partir de là, je commençais à faire des disques. Dès l'instant où je faisais des disques, il ne s'agissait plus de chanter les yeux fermés pour un public qui est dans le noir dans un club de jazz, mais de chanter pour un public qui est venu vous voir vous, et c’est devenu une souffrance.
DLODS : L’enregistrement studio a été fait avant ou après le concours ?
J'ai enregistré « Nous aurons demain » après le concours. C'est Vogue qui m'a proposé un contrat, peut-être par l'entremise de Radio Genève, et je suis venue à Paris pour l’enregistrer.
DLODS : À partir de là, vous commencez une carrière discographique en France.
J’ai fait des concerts, mais aussi quelques disques chez Vogue, puis je suis passée chez Pathé-Marconi (Columbia), pour quelques 45 tours. J’enregistrais en même temps que l’orchestre, c’étaient plutôt de bons souvenirs. Comme chefs, il y a eu notamment Hubert Degex au début, puis Christian Chevallier. Christian enregistrait énormément pour Pathé-Marconi, il faisait beaucoup d'arrangements de jazz, a eu le prix Stan Kenton, le prix de l'Académie du jazz, etc. À 26 ans, il avait tous les prix.
DLODS : Justement, comment avez-vous rencontré votre mari, le pianiste, compositeur et arrangeur Christian Chevallier ?
Je venais régulièrement à Paris pour enregistrer, et un éditeur qui était sur les Champs-Elysées, m'a dit un soir « Ma femme et moi sommes invités chez André Popp pour la soirée, on t'emmène avec nous ». J'étais assez timide. Chez André Popp, je vois qu'il y a des enfants, une balançoire, donc je vais avec les enfants Popp. Christian était là aussi. Il a dû trouver que la petite italienne était pas mal. A la fin de la soirée, au moment où il était temps de rentrer, l'éditeur dit « On raccompagne Franca », et Christian a dit « Je la raccompagne, j'habite dans le coin » alors qu'il n'habitait pas du tout dans le coin (rires). C'était la première fois que je voyais Christian. Il avait été très surpris de voir cette jeune fille sur la balançoire avec les enfants. Lorsque je l'ai rencontrée j'avais 23 ans. Christian était divorcé, avec un petit garçon, avant que je n'entre dans sa vie. Je partais en tournée, revenais, etc. et finalement on s’est mariés six ans après.
DLODS : Christian Chevallier faisait à l’époque partie des arrangeurs qui employaient beaucoup de chœurs. En avez-vous fait, pour lui ou pour d’autres arrangeurs ?
Non, je ne faisais pas de choeurs, je ne m’en sentais pas capable. J’avais l’oreille, mais je ne lisais pas la musique.
DLODS : Il y a une télévision où vous chantez « T’en vas pas comme ça » avec une perruque.
J’ai un très mauvais souvenir de cette perruque. J’ai chanté la chanson également en Suisse pour un tournage télé avec Sacha Distel, mais je n’en garde pas de bons souvenirs.
Christian Chevallier parle de Franca et des Troubadours
(Extrait de l'émission radiophonique Nouvelle vogue du 24 avril 1994)
Christian parle d’un Musicorama avec Lucien Morisse, mais je dois dire que la première fois qu’il m’a vue sur scène, avant même la rencontre chez André Popp, c’était dans la même situation, au Palais de Chaillot, pour l'émission Jazz aux Champs-Elysées, présentée par Jack Diéval, Christian dirigeait l'orchestre, moi je chantais quelques chansons, et il m’a vue pleurer dans les coulisses. Pour moi, chanter n'était plus du tout un plaisir, je n'étais pas contente de moi, je pleurais avant et après, un désastre. Donc, au bout de quelques années de carrière soliste, de concerts en Belgique, Hollande, etc. j'ai décidé d’arrêter. Pendant deux ans, j'ai fait tout à fait autre chose pour gagner ma vie.
DLODS : Qu’avez-vous fait ?
Vous voulez vraiment le savoir (rires) ? Je me suis inscrite à Berlitz pour apprendre l’anglais, car je chantais l’anglais depuis longtemps, mais sans maîtriser la langue. Et j’ai pris les offres d’emploi du journal. Un couple cherchait une nurse dans les beaux quartiers, et comme j’aimais bien les enfants, j’ai répondu à l’annonce, et j’ai été engagée. Je me suis occupée pendant deux ans (globalement de mi-1963 à mi-1965, ndlr) de deux enfants, dans un hôtel particulier, avenue Victor Hugo. Les parents se trompaient allègrement mais se vouvoyaient entre eux, et vouvoyaient les enfants.
DLODS : Comment êtes-vous revenue à la chanson ?
Cela devait me manquer. Christian m'a dit que c'était dommage de ne plus chanter, et il m'a dit « Et si tu ne chantais plus toute seule ? ». Il a eu l’idée de créer le groupe Les Troubadours, a demandé à deux choristes avec lesquels il travaillait, Jean-Claude Briodin et Bob Smart s’ils voulaient nous rejoindre. Jean-Claude faisait déjà un peu de guitare, il a donné des cours de guitare à Bob, et on a pris Pierre Urban, qui était un guitariste classique. C'était reparti. J'ai découvert que lorsque les regards n'étaient plus sur moi toute seule, ça changeait tout, on partageait les responsabilités, c'était du « bon » trac, qui stimule.
DLODS : Qui a eu l’idée du nom du groupe ?
Il a été choisi par Lucien Morisse, qui dirigeait notre maison de disque, AZ, et on n’a pas osé lui dire que le nom nous nous déplaisait. J'ai un très tendre souvenir de Lucien Morisse, il n’était pas beau mais avait beaucoup de charme, d’intelligence, de gentillesse, avec une très belle voix, calme et basse. Il a entendu une maquette et nous a engagés. Ça se faisait plus vite à l'époque.
DLODS : Est-ce qu’avant la création du groupe vous écoutiez ce type d’artistes folk, comme Peter, Paul & Mary ?
J'écoutais du jazz, de la pop, mais je ne pense pas que je connaissais Peter Paul & Mary. C’est ce groupe qui a inspiré Christian, il a voulu faire quelque chose dans ce style.
DLODS : Qui était décisionnaire du choix des chansons ?
On décidait du choix des chansons ensemble, selon les propositions des éditeurs, des auteurs, etc. Lucien Morisse nous laissait décider. Et Christian s'occupait des arrangements, parfois avec l’aide de Jean-Claude. C'est Christian qui nous faisait répéter. Les répétitions se faisaient chez moi ou chez Jean-Claude. Nous à Draveil et Jean-Claude à Savigny, puis finalement on a pris une maison à côté de Jean-Claude. J'avais déjà mon fils David que j'emmenais dans mon couffin pendant les répétitions.
DLODS : Dans quels studios étaient enregistrés vos disques ?
Les premiers, pour AZ, étaient faits à Davout. Ensuite, on a enregistré à CBE. Et les deux derniers albums (Rencontre et Noël) ont été enregistrés dans le studio de Christian, à Savigny.
DLODS : Votre époux, Christian Chevallier, était un grand arrangeur, qui a travaillé pour Claude Nougaro, Richard Anthony, Hugues Aufray, Claude François, Nana Mouskouri, Gilbert Bécaud, Henri Salvador, etc. et donc, Les Troubadours. Comment travaillait-il ? Faisait-il ses arrangements sans s’aider d’un instrument ?
J’ai toujours vu Christian avec sa table de travail, son crayon et sa gomme, et le piano à côté pour contrôler certains accords. Mais avant d’écrire l’arrangement il entendait déjà ce qu'il voulait faire pour les cordes, les cuivres, les percussions, etc. Beethoven composait alors qu'il était sourd. C'est un don, mais aussi un savoir-faire.
Les Troubadours (1er line-up du groupe, avec Bob Smart) :
C'est la fin de l'hiver (1965)
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Don Burke |
DLODS : « Socatana », dans le deuxième 45 tours, fait partie des classiques du groupe, pouvez-vous nous en dire plus sur cette chanson ?
Elle a été recueillie par N. Sauvageot, mais c’est une chanson brésilienne d’influence noire dans le style des « emboladas », des mélodies et mots tournées en boule. Le texte est formé d’onomatopées.
DLODS : Parmi ses premières télés avec le groupe, en mars-avril 1966, Don chante en playback avec la voix de Bob « Je reviendrai à San Francisco » qui faisait partie du deuxième 45 tours.
Oui, et Don n’était pas content (rires).
Graeme Allwright et les Troubadours : C'était bien la dernière chose (1968)
DLODS : En mai 1966, vous enregistrez les chœurs d’ « Emmène-moi » de Graeme Allwright, qui était je crois un ami du groupe.
On l'adorait, il a écrit des adaptations pour nous, comme « Melinda » ou « Le jour de clarté » (45 tours de 1966). Graeme était très chaleureux et en même temps très mélancolique, il n’allait pas très bien. Je l'ai rencontrée alors qu'il était encore avec sa femme qui était actrice, Catherine Dasté. On l'a rencontré pour qu'il fasse des adaptations de quelques titres, et il nous est arrivé de chanter avec lui dans des galas, même si on n'a pas vraiment fait de vraie tournée avec lui. On ne s'est jamais vraiment quittés. C'est même lui qui nous a vendus notre première sono quand il a changé la sienne. Christian a travaillé un peu pour lui. Je l'ai perdu de vue en arrivant ici. Il était engagé, et se battait pour faire connaître l'association Partage pour les enfants du tiers-monde. Il avait convaincu Christian et moi de parrainer des enfants indiens, puis africains.
DLODS : Vous évoquez la sono qui vous a été vendue par Graeme Allwright. Parlons justement des concerts des Troubadours. Y avait-il, comme dans certaines télés que vous avez faites, un contrebassiste pour vous accompagner ?
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Affiche de concert des Troubadours (merci à Stéphane Birette) |
DLODS : Étiez-vous considérés comme des artistes « engagés » ?
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Les Troubadours en concert au Pyré-Beach club du Canet-Plage présentés par M. Drucker (merci à Serge Llado) |
DLODS : Lucien Morisse dirigeait, en plus des disques AZ, Europe n°1. Avez-vous fait des tournées, de types podiums estivaux, avec Europe n°1 ?
Non, on n’en a pas eu l'occasion.
Franca di Rienzo : Trop tard
DLODS : Quel est votre plus grand souvenir de tournée ?
On a fait pas mal de tournées, notamment en première partie de Moustaki, Adamo, etc. Mais mon souvenir le plus marquant de cette « longue » carrière est d’avoir participé à la dernière tournée de Jacques Brel, pendant près d'un mois, un temps où on pouvait partir un mois en tournée, c'est rare maintenant, je ne sais pas si ça se fait encore. Avant de chanter avec les Troubadours, j'avais enregistré une chanson qui s'appelait « Trop tard ». C'est une des seules télévisions en soliste que j'aime bien regarder, ma petite-fille me ressemble quand je revois cette archive. Et Brel m'a dit « Vous avez chanté une chanson que j'aime beaucoup, « Trop tard » ». Non seulement on fait la tournée avec lui, mais en plus il se souvient de cette chanson, c’est incroyable. C'était sa dernière tournée. Après avoir chanté quelques chansons avec Les Troubadours, tous les soirs, j’allais l’écouter. Quand on pense à tout ce qu'il donnait sur scène... Ce que j'avais constaté après le spectacle, où on dînait tous ensemble, c’est qu’il était très gentil et chaleureux mais pas très à l'aise. Ce n’était pas gênant, mais étant donné son charisme, sa présence, le côté « affirmé » qu'il avait sur scène, on aurait pu penser qu’il était dans la vie plus sûr que lui.
Les Troubadours : La Ballade de Polly Maggoo (1966)
DLOS : En octobre 1966, vous enregistrez la « Ballade de Polly Maggoo », chanson du film Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? de William Klein. Cette chanson, composée par Michel Legrand, devient un titre phare de votre groupe, mais ce n’est pas cette version qu’on entend dans le film, mais une version chantée par Géraldine Gogly (je l’ai identifiée et elle me l’a confirmé) et des choristes.
C’est très étonnant, et triste que ce ne soit pas notre version dans le film. Pourquoi nous a-t-on alors demandé d’enregistrer une autre version pour le disque ? J'étais persuadée d'avoir vu le film avec notre version, mais la mémoire est fallacieuse. Dans la version de Géraldine Gogly, que vous me faites écouter, Michel Legrand a repris notre arrangement. C'était Christian qui l’avait fait, et on l'a enregistré sans Michel Legrand. Je reconnais l'arrangement des voix, toute la structure est la même.
Présentation des Troubadours par Anne Germain et Louis Aldebert (non crédités)
C'est adorable, je ne m’en souvenais pas. J'aimais beaucoup Anne Germain. Et Monique Aldebert, femme de Louis, nous a écrit des chansons.
DLODS : En juin 1967 c’est « le » gros succès avec « Le vent et la jeunesse ». Comment a été conçue cette chanson ?
Il était question de présenter une chanson pour le Festival de la rose d'or d’Antibes. Est-ce qu'on a demandé à Christian de faire une chanson ou y a-t-il eu un concours préalable pour choisir la chanson, je n'en sais rien. Lorsque Christian a écrit cette très jolie mélodie, il l'a confiée à Vline Buggy (parolière de nombreux succès populaires, et première épouse de Christian Chevallier, ndlr). Vline était persuadée que nous n'avions pas le public que nous méritions, et que c'était à cause des textes de nos chansons, il fallait quelque chose de plus populaire et plus réaliste, plus ancré. Elle a proposé un texte très réaliste mais qui n'allait pas du tout avec la chanson. Je me souviens seulement des premières phrases (elle chante) « Je vais me marier sans amour, avec un homme respectable, je vais me marier sans amour, pour être une femme honorable ». Vous imaginez ? C'était franchement réaliste, étant donné que c'était moi qui devais chanter la chanson. On l'a échappé belle. Je pense que Buggy nous en a toujours voulu un peu, un petit peu à moi en particulier, d’avoir refusé son texte. C'est finalement Thomas et Rivat qui ont fait ce joli texte qui va très bien avec la mélodie. La chanson a pas mal été reprise, notamment par Esther Ofarim et par une chanteuse hollandaise.
Judith Durham : Your heart is free (just like the wind)
DLODS : Et sous le titre anglais de «Your heart is free (just like the wind) », elle a été enregistrée par les plus grandes « female vocalists » anglophones des années 60 : Petula Clark, Judith Durham, Vikki Carr, Cilla Black, Nana Mouskouri, etc. L’adaptation anglaise est de Joan Shakespeare. Savez-vous comment elle a été sollicitée, et l’avez-vous rencontrée ?
Non, je ne me souviens pas comment elle a été sollicitée.
Les Troubadours : Quando sei sola
DLODS : Vous avez, avec les Troubadours, enregistré une version italienne du « Vent et la jeunesse », sous le nom de « Come il vento », ainsi que la face B, « Ton cœur s’envole » (« Quando sei sola »). Gardez-vous des souvenirs de la séance ? Qui est la personne qui a signé l’adaptation sous le nom d’Annarita ? En tant qu’italienne, avez-vous apporté des changements de texte au moment de l’enregistrement ? Avez-vous enregistré la chanson dans d'autres langues?
N‘est-il pas incroyable que, moi, l’italienne, j’ai oublié cette version. Drôle de chose que la mémoire, d’autant que je me souvenais de l’adaptation en allemand (« Frühling, Wind und Liebe », ndlr), peut-être parce qu’elle nous avait donné bien plus de fil à retordre que celle dans ma langue maternelle. Quel plaisir, aussi, d’entendre mon cher Don avoir la voix de soliste dans la face B.
Les Troubadours : Le vent et la jeunesse
(1er passage à la Rose d'or d'Antibes, 1967)
DLODS : Quels souvenirs gardez-vous du Festival de la rose d’or d'Antibes ?
Je crois qu'il y avait trois soirs avec des sélections et une finale. Maxime Leforestier faisait partie du concours. Nous, on chante notre chanson, on sort, les garçons remettent les guitares dans leur étui, et là on vient nous dire « Venez vite, on vous appelle sur scène, vous avez gagné ! ». On ressort les guitares et on arrive en catastrophe. Au moment où on commence à chanter, on voit quelqu'un qui se lève dans le public et se rapproche de nous, c'était Charles Trénet, qui aimait la chanson. Ça nous a beaucoup touchés, d'autant que Trénet n'avait pas la réputation d'être facile.
DLODS : Durant l’été 1967, vous travaillez sur votre premier 33 tours.
Il y avait beaucoup d’airs de folklore dans ce disque. On a travaillé sur le disque sans Christian. On est parti un été, deux mois à travailler, avec Jean-Claude, Pierre et Don, du côté de Perpignan, et à camper. C’est un souvenir très joyeux. Jean-Claude avait sa caravane, et moi j’étais hébergée chez Pierre. C’est Jean-Claude qui a fait les arrangements, et en rentrant, Christian a fait des ajustements, et on a enregistré.
Les Troubadours : N'y pense plus tout est bien
On l’a chantée régulièrement sur scène. On aimait bien Hugues Aufray, Christian a beaucoup travaillé avec lui. Je l'ai entendu l'autre jour, je me suis dit que c’était remarquable, à son âge de chanter encore.
DLODS : Vous l’avez chantée également dans un Bienvenue. Il vous est souvent arrivé de chanter dans cette émission présentée par Guy Béart.
Christian a travaillé pour Guy Béart, c’était un personnage très particulier mais j'ai beaucoup aimé son émission, c'était l'occasion de rencontrer des gens très différents et tout le monde était très à l'écoute, très gai, très bien. Moi qui n'aimais pas du tout faire de la télévision, dans Bienvenue on n'avait pas l'impression d’en faire, on était tous ensemble, on s’écoutait les uns les autres, sans aucune crainte de passer à l’image.
DLODS : Après une dernière télévision en avril 1969, Pierre Urban semble quitter Les Troubadours. Que s’est-il passé ?
Depuis quelques temps, on avait l'impression qu'on était trois d'un côté et un de l'autre. Il avait des goûts différents, on n'arrivait plus à bien s'entendre et on s'est quittés pas forcément dans des termes aussi excellents qu'on l'aurait souhaité.
DLODS : On m’a raconté qu’il avait fait un procès au groupe.
Il nous a fait un procès, qu'il a perdu. Ça s'est mal passé, c'est dommage, car il devait bien sentir que ça n'allait plus, mais il ne l'a pas accepté et ça a duré un certain temps. Il a poursuivi son chemin de son côté, comme professeur de guitare, et nous avons perdu le contact avec lui (Pierre Urban est décédé le 27 février 2019, peu de temps avant Don Burke, ndlr).
DLODS : Pendant une très courte période (deux ou trois mois, à partir de mai 1969), Pierre Urban a été remplacé par le chanteur et guitariste Mark Sullivan. Il a notamment enregistré un 45 tours avec le groupe pendant cette période.
Après le départ de Pierre, Don nous a parlé de Mark et on a fait un essai. Mark était américain. Son père, qu’on a rencontré, était un réalisateur, qui avait fui le maccarthysme. Mark avait beaucoup de talent comme chanteur, guitariste et auteur mais il avait des problèmes psychologiques. On a appris plus tard qu'il avait fait un mauvais voyage avec du LSD et depuis il était resté très perturbé, à tel point qu'il nous est arrivé quelque chose que je n'oublierai jamais : en été, lorsque nous avions quelques spectacles, nous avions aussi nos familles, on alternait vacances et concerts. J'étais à La Baule avec David et Christian, Jean-Claude était dans le sud, et Don à Paris. On se retrouve à Bayonne pour un concert, et Mark n'est jamais arrivé. On devait chanter l’après-midi, sur les affiches nous étions quatre alors que là il en manquait un, et nous n’avions qu’une heure pour répéter. Jean-Claude a modifié les arrangements en catastrophe pour qu’on chante à trois. Mark était le plus jeune d’entre nous et avait tellement de talent, c’était triste, un petit garçon perdu. Finalement, on s’est dit qu’on allait rester à trois, Jean-Claude, Don et moi, et poursuivre notre route comme ça, c’est ce qu’il fallait pour continuer.
Les Troubadours : De l'autre côté des collines
DLODS : En 1970, premier single du groupe « à trois », avec « De l’autre côté des collines », une chanson que j’aime beaucoup.
Christian composait comme il respirait, c'est incroyable. C'est une des plus jolies, avec un texte un peu étrange, toujours de Thomas-Rivat.
DLODS : Viennent ensuite « La femme du mineur » et « Formez la ronde », dont la transition est très sympa…
Oui, la transition fait très Beatles, et la chanson a pas mal marché en radio. Quant à « La femme du mineur », c’est une chanson typique des fêtes du Parti Communiste.
DLODS : Il y a à cette époque une télé sympa, où vous déambulez dans un marché, discutez avec les commerçants, etc.
C’était rue Mouffetard, j'ai beaucoup aimé cette séquence. Un très joli film, on s'est bien amusés. On décide de faire un live, et il pleut, alors, on prend les parapluies et on y va.
Les Troubadours : Le meilleur de la vie
Oui, j’aime bien cette chanson. Il me semble que c'est Don qui siffle.
DLODS : En juin 1972, vous enregistrez, dans un style « moyenâgeux », le générique de la série française Le secret des flamands.
Je ne l’ai pas, je crois qu’elle n’est jamais sortie en disque.
Les Troubadours : La ville d'or
DLODS : Ensuite vient la comédie musicale Les gens de la ville.
C’est un merveilleux souvenir. On a fait à la fois le spectacle de Jean Ferrat au Palais des sports, et l’album studio. La comédie musicale était très intéressante. On parlait de la vie dans les grands ensembles, il y avait un côté politique. Francis Lemarque a composé certaines chansons, et Christian d'autres. J’adore les chansons de cet album, elles me plaisent énormément, alors que je suis assez critique : « La ville d'or », « Dis-moi quand ». Avant ce spectacle, on avait déjà fait une tournée avec Ferrat. C'est une crème d'homme, un homme merveilleux.
DLODS : Toujours en 1972, « Un an c’est vite passé », extrait de la B.O. du film Ras le bol de Michel Huisman.
C’étaient des chansons sympas. Christian, qui avait composé la musique, me disait que c'était un bon film et il n'est jamais passé à la télévision.
DLODS : En 1977-1978, Les Troubadours deviennent… Don, Dan & Franca.
Ça, c'est les maisons de disques. Dès le départ on s'est dit Les Troubadours, c'est trop précis, on pense de suite au Moyen-Age, etc. mais c'était difficile de dire non à Lucien Morrisse qui nous accueille gentiment, donc on accepte. Il y avait Les trois ménestrels qui étaient complètement autre chose, et souvent on mélangeait les deux. À un moment donné, la maison de disque a dit « Vous ne passez plus assez à la radio, c'est le nom qui ne va pas, on suggère Don, Dan & Franca ». Jean-Claude était ulcéré qu’on le renomme Dan, et les disques suivants n’ont pas marché plus que ça. Il y avait notamment « Je t'aime Agapimu » et « Un océan d'ailes blanches » des chansons italiennes, qui étaient belles au départ. Puis « Harmonie » et « L’amour existera », qui étaient pas mal, mais le nom du groupe n’allait plus du tout.
DLODS : Le groupe change ensuite de nom presque à chaque disque : « Dan, Don & Franca», « Troubadour : J.C. Don Franca », « Troubadours : J.C. Don Franca » puis « Franca Di Rienzo, Don Burke et Jean-Claude Briodin alias « Les Troubadours » », puis enfin, retour aux sources avec « Les Troubadours » en 1981. Le groupe cesse son activité en 1984.
On a débuté chez AZ, donc nos disques passaient sur Europe n°1, et il y a eu le succès du « Vent et la jeunesse », où on nous a beaucoup entendus, on a fait énormément de concerts. C'était pas mal comme ventes mais petit à petit ça a diminué, on ne nous passait plus en radio, donc on ne nous engageait plus. On avait l'impression qu'on n’était plus professionnels parce qu'on ne gagnait pas assez bien notre vie, c'était de l'amateurisme. Quand il y a moins de spectacles, la motivation n'est plus la même au bout de 19 ans, même se retrouver pour répéter comme ça dans le vide...
Les Troubadours (duo Don & Franca) : Chanson pour gagner du temps (1973)
DLODS : Vous avez gardé, je crois, de bons liens avec Don Burke et Jean-Claude Briodin. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos anciens camarades?
Don était un très bon auteur-compositeur, et j’adorais sa superbe voix, et chanter avec lui, on pouvait chanter à l’unisson avec les mêmes nuances, on s’entendait tellement bien. Ce qui peut paraître étonnant, c’est que je l’ai toujours vouvoyé. Lui a fini par me tutoyer mais j’ai continué à le vouvoyer jusqu’au bout. Quand le groupe s’est arrêté, j’ai dit à Don qu’on allait essayer de faire quelque chose, je l'ai aidé à tenter une carrière de soliste. J’ai essayé de le placer pour des concerts, etc. et ça a un petit peu marché, il a fait des concerts, mais ça ne suffisait pas. Il a décidé de rentrer au pays et de reprendre son métier de prof. Sauf que le latin était un peu loin dans son histoire et qu'il parlait maintenant le français, même s’il avait un accent. Il a refait des études afin de passer un examen pour pouvoir enseigner le français. Il se morfondait au Canada, il nous envoyait des lettres pleines de nostalgie et de mélancolie, pour la France et le groupe. Le premier été après son installation, on est allé avec Christian et David passer des vacances vers chez lui, en Nouvelle-Écosse (Canada britannique).
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Jean-Claude Briodin |
Avec toutes ses connaissances musicales, alors que Don et moi ne savions pas déchiffrer, Jean-Claude était au top et nous permettait d'avancer plus vite lors des répétitions. En outre, il s'est révélé comme « la tête pensante » du groupe. Don et moi étions un peu légers, et Jean-Claude était sérieux et tellement rassurant! Il organisait, entre autres, nos déplacements pour les galas, et tant d'autres choses importantes pour la vie du groupe. Sur scène, en plus de chanter et de jouer, il assurait la sono, car nous ne pouvions pas nous permettre d'avoir un technicien attitré. Si enfin je me suis sentie à nouveau si bien, si heureuse de chanter, c'est aussi grâce à sa présence rassurante.
Tout le long de ces 19 ans de carrière, nous nous sommes très bien entendus tous les trois. Nous avions autant de plaisir à travailler ensemble qu'à nous retrouver avec nos familles respectives. Hélas, Don nous a quittés trop tôt, mais par bonheur Jean-Claude va bien. Il est toujours beau, et notre affection réciproque est intacte. Il habite dans le Lot, loin de la Normandie, mais nous nous parlons régulièrement avec la même chaleur et une inévitable pointe de nostalgie.
Franca di Rienzo : Au petit matin
DLODS : Je voudrais que nous évoquions maintenant quelques enregistrements solistes faits en parallèle ou après Les Troubadours, à commencer par la comédie musicale La Révolution française (1973).
C’est certainement Claude-Michel Schönberg ou Alain Boublil qui m’a contacté pour enregistrer « Au petit matin », la chanson de Marie-Antoinette, pour l’album, au studio Pathé-Marconi de Boulogne. Christian m'a accompagnée à l’enregistrement, mais souvent c'était moi qui l'accompagnais dans ses séances à lui. L’orchestre était dirigé par Jean-Claude Petit. Il fait répéter l’orchestre, et je réalise qu’on ne m’a jamais demandé dans quel ton je pouvais chanter. Je panique. Si ça avait été quelques années auparavant je me serais mise à pleurer. Je me dis que je ne vais jamais y arriver, je ne chante jamais aussi aigu, j’ai une voix plus grave. Finalement, je me dis qu’il n’y a rien d’autre à faire, donc autant y aller. Et j’y suis arrivée, même si je sais très bien quand je réécoute exceptionnellement cette chanson, qu’il y a un moment où je passe du médium à l’aigu, que j’aurais abordé autrement si j’avais pris un jour des cours de chant. J’avais un petit accent italien, et pas autrichien. Jean-Claude Petit était très content, Christian était fier de moi, et moi j’étais très soulagée.
DLODS : A la suite de l’album studio, le spectacle se monte au Palais des Sports, et vous êtes appelée pour jouer le rôle sur scène. Quels souvenirs gardez-vous de ces représentations ? Comment avez-vous pu mettre votre trac maladif de côté ?
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Franca di Rienzo dans La Révolution Française |
Franca di Rienzo : Hier, deux enfants
(doublage français de Robin des bois)
Je ne sais pas comment j’ai été contactée pour Robin des bois, la séance était tranquille, j'aurais bien continué longtemps à faire ça, mais je n’ai pas eu d’autres propositions. On m’en parle souvent, notamment dans ma chorale, « C’est toi qui chantes ça ! » (rires). Ça ne me déplaît pas de la réécouter.
DLODS : J’ai un attachement particulier pour Robin des Bois, qui est l’un des deux premiers Disney que j’ai vus étant enfant. Quand on est enfant, on comprend parfois les paroles différemment, et c’est très compliqué, des années plus tard d’entendre autre chose que ce qu’on a en mémoire. Les retranscriptions des paroles indiquent « Deux cœurs neufs à leur printemps » mais j’entends toujours « Deux cœurs ne fallait au printemps ».
En l’écoutant avec vous, j’ai un doute, mais c’est certainement « Deux cœurs neufs à leur printemps », j’ai peut-être un peu « boulé » pour chanter la phrase.
DLODS : Au générique vous êtes créditée sous votre nom d’épouse, auquel on a oublié un « l ».
On fait souvent cette erreur. Quand ma petite-fille Colline est née, ses parents ont choisi de l’orthographier avec deux « l », pour que ce soit comme Chevallier.
Franca di Rienzo : Amore va
(B.O. du film Les Passagers)
De temps en temps, on se souvenait de ma petite voix individuelle en dehors du groupe et on se disait « Pourquoi pas Franca? ». Je ne me souviens pas du tout de la chanson, mais je me rappelle être allée un soir enregistrer une chanson pour Claude Bolling, donc ça devait être celle-ci. C’est très italien, il se souvenait que j’étais italienne pour me demander de chanter ça.
DLODS : En 1978, vous avez enregistré un album avec Don Burke, Top of the 12.
L'éditeur de Donovan et de Roger Miller devait, pour garder les droits, justifier d'un enregistrement. Il a proposé à Christian de le faire, et Christian nous a demandé à Don et moi de chanter. J'adore chanter en anglais, c'est une langue dans laquelle il est plus facile de chanter. Ça swing, et il y a une façon d'étirer les sons qu'on peut se permettre en anglais. Maintenant, même en français on y arrive, on chante différemment.
DLODS : Vous avez été voix soliste d’accompagnement pour plusieurs artistes, comme Simone Langlois, ou Gilbert Laffaille…
Gilbert Laffaille a beaucoup travaillé avec Christian, et quand il y avait besoin d'une petite voix, j'étais là.
DLODS : Également un chanteur que je ne connais pas, Jean-Paul François…
Jean-Paul François était un instituteur, il a fait deux disques très jolis avec Christian. Il est mort d'un infarctus, très jeune. Ses disques sont très peu connus mais on les réécoute parce qu'il y a une qualité de texte, de musique, et un très joli timbre de voix.
DLODS : Vous avez également accompagné l’illusionniste israélien Uri Geller, connu pour tordre à distance des cuillères.
J'aime beaucoup ce que j'ai chanté pour ce disque. Dans le disque, il parle plus qu'il ne chante. Uri Geller était un peu ésotérique, il laissait croire qu'il venait d'ailleurs, comme s'il était un extraterrestre. Majax l’avait « démystifié » dans une émission de télévision.
DLODS : Il existe une cassette Mouloudji et Franca chantent six chansons.
Christian a fait un disque magnifique avec Mouloudji, Inconnus… Inconnues… Christian était le roi des samplers, il mettait un tel soin avec ses échantillonneurs qu'on aurait vraiment dit des orchestres, il a fait un disque comme ça et Mouloudji a voulu une voix qui ponctue quelques chansons, c'est tout, ça n’allait pas plus loin, je mettais ma petite voix de temps en temps pour apporter une couleur différente. Quand on me demandait d'ajouter quelque chose, je le faisais toujours avec plaisir, « même pas peur » (rires). J’ai une anecdote : dans notre petite maison de Savigny, dans les combles, Christian avait fait son studio d'enregistrement, il l'avait construit de ses mains, insonorisé lui-même, etc. Mouloudji contacte Christian, décide de faire un disque accompagné par les échantillonneurs. Là où nous habitions, c'était un petit village avec des maisons aux murs mitoyens. Notre maison était mitoyenne avec une famille pas très sympa. Lui était un ancien inspecteur des impôts d’Alger. J’étais accueillante, leur proposait de venir boire un pot, mais eux pas du tout. Mouloudji vient pour enregistrer, se gare. Il avait une voiture dans laquelle il y avait de tout, étant donné qu'il voyageait beaucoup. La rue n'était pas très large donc on se garait où on pouvait. Mouloudji se gare au mauvais endroit. Scandale, à haute voix. On sonne chez nous. Je m'excuse... « Je ne veux rien savoir ». Ils insultent Mouloudji. Catastrophe, le lendemain, Mouloudji revient et se remet presque au même endroit. Scandale total. Le type resonne, ignoble et crie avec une voix très forte, qu’on a entendue dans tout le quartier « Mouloudji croit peut-être avoir des privilèges, mais nous en France on a des droits ! ». Et Moulou, dont la mère était kabyle, lui répond : « Excusez-moi, Monsieur, je suis un peu distrait, mais ce n’est pas grave ». On aimait tendrement Mouloudji, c’était un homme tellement doux, intelligent, fin, comédien et écrivain de talent, et cette voix, cette personnalité, même à la fin quand il chevrotait un peu trop. C'est une des rencontres les plus extraordinaires que j’ai faites.
DLODS : En 1979, vous faites partie de l’enregistrement d’un conte pour enfants avec Georges Moustaki, La belle histoire de l'enfant qui possède tout.
Je pense que c’est Moustaki qui a parlé du projet à Christian. On l’a enregistré dans le studio de Christian, et comme il fallait un enfant, David a accepté de dire quelques phrases. L’œuvre était commandée par des moines bouddhistes, donc on les a vus arriver pendant les enregistrements, avec des colliers en jasmin. Je n’ai pas beaucoup chanté dans le disque, mais j’ai fait la cuisine pour l’équipe. Je leur cuisinais des pâtes, comme ils étaient végétariens. Ils acceptaient de manger des légumes, mais ils leur demandaient pardon. Ils venaient avec des petits fromages. Je ne vous dis pas le soir le ménage qu'il fallait faire. Vous vous imaginez l'inspecteur des impôts à côté (rires).
Franca di Rienzo : Dors mon bébé
DLODS : Restons dans l’enfance : vous avez chanté des disques de berceuses pour Adès.
A la fin des Troubadours, nous avons fait le disque de Noël avec un monsieur qui travaillait pour Unidisc, qui dépendait du groupe qui détenait notamment Astrapi et Okapi. Ce monsieur, Serge Letort, écrivait des textes de chansons pour enfants. Il nous a montré des textes qu’on a trouvés très jolis, poétiques, pas mièvres, ça a tout de suite inspiré Christian qui a fait des musiques dessus. On a enregistré dans le deuxième studio de Christian, on était plus dans les combles, Christian avait acheté un local dans notre résidence, un vrai studio, dans lequel Moustaki notamment est venu faire un disque. On a fait deux disques de 24 berceuses à chaque fois, et ces berceuses bercent toujours beaucoup d'enfants encore aujourd'hui et apparemment ça les calme beaucoup, ce qui me fait très plaisir. On a fait ça avec beaucoup de simplicité, comme si j'étais à côté d'un enfant pour l'endormir, on chantait une ou deux fois seulement. Christian les aimait beaucoup et moi je les aime toujours.
DLODS : Et puis, à un moment, vous avez arrêté de chanter.
Quand j'ai arrêté de chanter, que le groupe s'est dissous, je me suis demandé ce que j'allais faire de ma vie. Mon fils était en âge de préparer le bac, il avait toujours eu une maman qui partait et revenait, et je ne voulais pas être sur son dos. Et quand on a fait un métier qu'on aime, se dire qu’on va tranquillement rester au foyer, c’est compliqué. J’avais arrêté tôt mes études, alors pourquoi ne pas tenter quelque chose ? Je savais qu'il y avait quelque chose qui pouvait remplacer le bac classique, l'examen spécial d'entrée à l'université, je me suis inscrite par correspondance et je l'ai préparé. C’était le programme de français de terminale, histoire-géo et deux langues, anglais et italien. Je suis allée à la fac de Créteil pour passer cet examen et je l’ai eu. Je me suis inscrite à la fac de lettres et langues à la Sorbonne en première année avec des jeunes gens de l'âge de David, qui passait le bac en même temps. J’avais 48 ans. J'ai adoré mes études., que j’avais choisies. C’était une fac d'italien, mais il y avait d'autres matières comme la littérature. Je suis allée jusqu'à la licence, puis un décollement de rétine m'a empêché de continuer, mes problèmes aux yeux ont commencé là et ce n'est pas fini. J’ai commencé à donner des cours particuliers. J'ai été prof suppléant dans un lycée dans un beau quartier, le même que celui où j'avais été nurse. C’était une classe de seconde avec des enfants de diplomates, pourris-gâtés, peu sympathiques, et j'ai retrouvé tout mon trac. Christian m'a dit « Ce n'est pas possible, tu te lèves la nuit pour refaire tes cours », donc j'ai décidé au bout d'un an d'arrêter et j'ai repris l'année d'après dans le cadre de la formation permanente, pour enseigner l’italien à des adultes. Ils savaient pourquoi ils étaient là, que ce soit pour leur travail ou pour leur plaisir. J'ai retrouvé le plaisir de donner et de recevoir, comme le chant.
DLODS : On parlait tout à l'heure de votre fils David. Il est, je crois, musicien.
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David Chevallier (Photo: R. Carémel) |
DLODS : Est-ce que vos petits-enfants ont « repris le flambeau » ?
Pendant quelques années, il y a eu la flûte traversière pour Colline et le trombone pour Noé. Mais ils ont arrêté. Colline, elle, a fait du théâtre et de la danse tout le long de sa scolarité jusqu’au bac, puis trois ans dans une école de cinéma. Elle est en période de réflexion quant à la suite… le métier devient tellement difficile ! Reste le plus jeune, Mathurin, qui, du haut de ses neuf ans, en est à sa troisième année de viole de gambe. L’avenir nous dira s’il en fera son métier ou simplement une façon d’enrichir sa vie par la musique.
DLODS : Après le décès de votre mari (en 2008), vous avez éprouvé le besoin de chanter de nouveau, et vous avez intégré une chorale amateure qui chante des œuvres classiques dans votre ville, Rouen.
Lorsque je me suis retrouvée seule, c'était très dur à tout point de vue, j'ai cherché à faire quelque chose qui me demande de l'attention, qui soit une difficulté pour moi, qui m'engage. J'ai cherché une chorale, on m'a dit « Venez mardi », je n'ai pas passé d’audition, on m'a donné une partition au milieu de quarante personnes, les oreilles ouvertes comme je ne vous dis pas et voilà. Je savais qu'il y avait des fichiers de travail. J'ai commencé en janvier 2009, à force d'écouter en ayant la partition sous les yeux, on fait des progrès. J'ai toujours une petite voix, donc comme on est nombreux, je mets une petite pierre. Ce n'est pas la seule chose qui m'a sauvée, mais ça m'a beaucoup aidée. Lorsque Christian m'écrivait des choses un peu difficiles alors que j'avais de telles facilités en général je lui disais « Mais c'est trop difficile, Christian ». Maintenant, je peux le dire : je chante des choses difficiles (rires) !
Lors de notre venue à Rouen, j’ai suggéré à mon amie Rachel Pignot (voix chantée, entre autres, de Blanche Neige dans le doublage de 2001 de Blanche Neige et les sept nains) de venir avec sa guitare. Elle a fait à Franca la surprise de lui chanter « Hier, deux enfants » de Robin des bois. Petite vidéo souvenir de ce doux moment, que je partage avec l’autorisation de Rachel et de Franca.
(Avec, entre autres, un entretien avec Christian Chevallier)
J'avais rêvé... Une amitié en musique d'Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg en conversation avec Rémy Batteault (Éditions du Rocher, 2024)
"Jean-Claude Briodin: Entretien avec un Troubadour" par Rémi Carémel (Dans l'ombre des studios, 2020)
https://danslombredesstudios.blogspot.com/2020/03/jean-claude-briodin-entretien-avec-un_7.html
"Décès de Don Burke" par Rémi Carémel (Dans l'ombre des studios, 2019)
https://danslombredesstudios.blogspot.com/2019/03/deces-de-don-burke-1939-2019.html
"Fiches voxographiques Disney, 7ème partie: De Robin des Bois à Winnie l'ourson" par Rémi Carémel (Dans l'ombre des studios, 2018)
https://danslombredesstudios.blogspot.com/2018/04/fiches-voxographiques-disney-7eme.html
La page Facebook des Troubadours
https://www.facebook.com/GroupeLesTroubadours
À ce jour, Les Troubadours n'ont jamais connu de réédition CD ou digitale digne de ce nom (à part une compilation CD illégale (sortie chez Magic Records), prétendument remasterisation alors qu'il s'agit de repiquages de vinyles, d'assez médiocre qualité). Espérons qu'une maison de disque leur rendra un jour justice.
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