dimanche 21 janvier 2024

Hommage à Gene Merlino (1928-2024)

J’ai appris avec tristesse cette semaine, par plusieurs de ses amis, la disparition le 8 janvier 2024 de Gene Merlino à Camarillo (Californie, États-Unis). Le légendaire choriste américain avait 95 ans. En 2022, j’avais eu la chance de pouvoir entrer en contact avec lui, par l’intermédiaire de son fils John, pour lui poser des questions sur la version anglaise des Demoiselles de Rochefort (1966) à laquelle il avait participé.


Gene Merlino naît le 5 avril 1928 à San Francisco, dans une famille d'origine italienne. Diplômé, il quitte l’université à 22 ans pour rejoindre divers big bands d’abord comme saxophoniste, puis comme chanteur d’orchestre. Il quitte San Francisco pour Los Angeles, chante notamment pour la télévision dans le Ray Anthony Show pendant la saison 1956-1957, lui offrant une visibilité nationale.


Gene Merlino chante "This could be the night"
avec l'orchestre de Ray Anthony (c. 1956)


Gene Merlino et Cher
(archives Gene Merlino)
Pour la télévision, il participe à de très nombreux shows de variétés: The Red Skelton Show, The Pearl Bailey Show, The Judy Garland Show, The Carol Burnett Show, The Julie Andrews Hour, The Sonny & Cher Comedy Hour, etc.

Avec un bel ambitus (chantant tantôt ténor, tantôt baryton-basse), un timbre chaud et de beaux talents d’interprète, Gene Merlino rejoint l’équipe de choristes en place à Los Angeles (membres de la fameuse Wrecking Crew) pour les enregistrements de chansons, musiques de film, groupes vocaux, etc. et devient l’une des figures les plus importantes dans ce métier.
Pour la chanson, il accompagne Frank Sinatra, les Carpenters, Sarah Vaughan, Elvis Presley, etc.


Gene Merlino, John Bahler, Mitch Gordon et Jackie Ward
accompagnent les Carpenters dans "I can dream, can't I?" (1975)


The Anita Kerr Singers
(archives Lincoln Briney)
Il fait partie de la plupart des grands groupes vocaux américains des années 60 aux années 80, comme le quatuor vocal The Mellomen (à partir de 1966), The Ray Conniff Singers, Paul Johnson Voices, The Johnny Mann Singers, The Ron Hicklin Singers, The Ralph Carmichael Singers, etc. Les plus importants de sa carrière sont peut-être le quatuor vocal les Anita Kerr Singers et les L.A. Voices, deux groupes avec lesquels il reçoit plusieurs Grammy Awards.


The Anita Kerr Singers (Anita Kerr, Jackie Ward, Gene Merlino, Bob Tebow) chantent
"A house is not a home" (1969) de Burt Bacharach et Hal David


Elvis Presley et les Mellomen
(B. Cole, G. Merlino, B. Lee et T. Ravenscroft)
Pour le cinéma, il joue avec Elvis Presley dans Filles et show-business (1969) et il est la voix chantée de John Kerr dans Thé et Sympathie (1956) et de Franco Nero dans Camelot (1967). Comme il me l’avait révélé (je vous invite à lire cet article), Gene Merlino est également la voix chantée de Guillaume Lancien dans la version anglaise des Demoiselles de Rochefort (1966), enregistrée à Hollywood sous la direction de Michel Legrand et Jacques Demy.


Gene Merlino parle des films Filles et show-business et Camelot
pour le documentaire Secret voices of Hollywood


Il participe à des centaines de séances de chœurs de musiques de film depuis les années 60 pour Henry Mancini (Hatari !, La grande course autour du monde), Burt Bacharach (Horizons lointains), etc. en passant par les années 80 pour Alan Menken (La petite sirène), Georges Delerue (Au fil de la vie avec Bette Midler), jusqu’aux années 2000 (notamment avec la Hollywood Film Chorale de notre amie Sally Stevens) pour Alan Silvestri (Van Helsing), James Newton Howard (Peter Pan), Don Davis (The Matrix Revolutions), etc. Pour la télévision, il chante en soliste dans plusieurs épisodes des Simpson.


Gene Merlino chante "South of the border" dans un épisode des Simpson


Sous pseudonymes (Gene Marshall, etc.), il enregistre pour différentes entreprises spécialisées plus de 10.000 « song poems », ces textes de chansons écrits et envoyés par des paroliers amateurs qui payaient une certaine somme pour qu’ils soient mis en musique et enregistrés, à la façon de maquettes. Cette histoire a donné lieu à un documentaire : Off the Charts : The Song Poems Story (2003).

Gene Merlino a l’une des plus grandes longévités de ce métier (se retirant vers 2010, après 60 ans de carrière). Son humour et sa gentillesse en font un aîné bienveillant et encourageant pour plusieurs générations de choristes. C’est un géant du studio qui nous quitte. Mes plus affectueuses pensées à son fils John et à mes amis et contacts qui ont été ses plus proches camarades de micro (Sally Stevens, Jackie Ward, Bob Tebow, Ron Hicklin).


Supersax & L.A. Voices (Sue Raney, Melissa Mackay, John Bähler, Gene Merlino et Med Flory)
chantent "Embraceable you" (1983)


Les Anita Kerr Singers (Anita Kerr, Jackie Ward, Gene Merlino, Bob Tebow)
 font une leçon d'harmonisation pour la télévision hollandaise



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dimanche 14 janvier 2024

Hommage à Laurence Badie (1928-2024)


Nous avons appris avec tristesse la disparition à 95 ans de la comédienne Laurence Badie jeudi 11 janvier 2024.
Le 16 décembre 2017, quelques semaines après l'avoir rencontrée au Salon des Séries et du Doublage où elle "emportait" le public par son humour et sa spontanéité, mon camarade Gilles Hané et moi avions eu la chance d’être reçus chez cette figure emblématique du théâtre, de la télévision, du cinéma, du doublage et du disque. Avec beaucoup de générosité, elle était revenue pour nous sur sa carrière.



« Ma vie, c’est la comédie ». Laurence Badie naît le 15 juin 1928 à Boulogne-Billancourt. Sa mère est danseuse classique à l’Opéra, et c’est tout naturellement que Laurence prend des cours de danse pendant ses années au lycée Victor Duruy (où elle est camarade en classe de seconde d'une certaine… Paule Emanuèle). « Je faisais ce que je pouvais avec mes pauvres jambelettes. Pas nullasse, mais presque. J'étais promise à un avenir sombre dans la danse classique (rires) ». Pendant les interviews, Laurence s’amuse parfois à parler en espagnol. A-t-elle des origines ibériques ? « On peut lire sur internet que mon nom complet est Badie-Lopes, Lopes étant un nom associé à ma famille, mais mon vrai nom, celui sur mes papiers, est Badie tout court. En revanche, j'ai été élevée par une nounou espagnole, donc à 5 ans je parlais couramment le français et l'espagnol. Quand on apprend tout petit, on n'oublie jamais. Ma nounou est restée à mes côtés jusqu'à mes 18 ans ».

Odette Joyeux
Par la découverte du théâtre et du cinéma, elle souhaite devenir comédienne : « On m’a dit « c’est une connerie », alors pour écouter ce qu’on m’a dit je suis entrée à HEC où j’ai été virée au bout d’un an, à ma plus grande joie ». Laurence suit des cours de diction dans des cours privés. Sa tante connaît très bien Odette Joyeux, qui vient d’écrire une pièce, Le château du carrefour. « Dans cette pièce il y avait des rôles pour des jeunes hommes et jeunes femmes, alors j’ai demandé à ma tante de me pistonner ». Laurence rencontre Odette Joyeux, qui la prend dans sa pièce, mise en scène par Marcel Herrand au Théâtre des Mathurins. « J’avais un petit rôle qui me plaisait bien, j’étais assez intimidée au début, puis très culottée et déchaînée lors des dernières représentations. Ça ne devait pas être terrible au début, mais c’est en regardant les autres qu’on apprend à jouer ».
L’un des rôles principaux est tenu par Lise Topart, sœur du comédien Jean Topart. « Elle avait beaucoup de talent. Malheureusement, peu de temps après la pièce, elle a été tuée dans un accident d’avion ».
Elle enchaîne avec une audition au Studio des Champs-Elysées : « Je me trompe dans les trois premiers mots et dis « merde ». Dans la salle, il y a Georges Wilson. Il dit « Il faut prendre celle qui a dit merde ». La pièce s’appelait Le village des miracles, je l’ai jouée un moment ».
En allant voir une pièce de théâtre, Laurence croise Bernard Blier, qui lui propose un rôle. « Je me rends le lendemain dans une salle de répétition rue de Courcelles, il y a là Geneviève Page, très chic, et ce salopard de Bernard Blier qui me dit « Vous n’avez pas lu la pièce ? » « Non… » et me traite avec le plus grand des mépris. Le lendemain, je reviens et il me dit « Mais qu’est-ce que vous venez faire ? Vous êtes renvoyée », je suis rentrée chez ma mère en pleurant ».
Des années plus tard, devenue une figure connue du théâtre de boulevard, Laurence a une occasion de se « venger » de Bernard Blier. « Un jour, Jean-Michel Rouzière, directeur du Théâtre du Palais-Royal m’appelle pour me dire « J’ai une pièce pour toi avec Bernard Blier ». Je lui réponds « J’ai déjà un contrat signé, je ne peux pas la jouer, cependant je veux bien faire la lecture de la pièce car ça me plairait de lui jeter la brochure à la gueule. » Rouzière m’engage à faire la lecture, il accepte de me faire revoir ce con. Et le jour de la lecture, Bernard Blier, qui avait été si infâme avec moi dix ans auparavant, arrive, délicieux, souriant comme si j’étais le bon dieu. « Comment allez-vous, Laurence ? ». C’était foutu, je n’ai rien pu dire, j’ai été très polie (rires) ».

Jean Vilar
Quatre jours après l’audition ratée avec Bernard Blier, Laurence reçoit un coup de fil de Jean Vilar, qui avait entendu parler d’elle par Georges Wilson. « J’ai cru que c'était une blague. Le lendemain j'arrive à Chaillot, et Vilar m’engage au TNP ». Laurence y reste une dizaine d’années. « J’ai vu jouer les plus grands, et le TNP est devenu une famille, il y avait une vraie camaraderie entre nous tous, ce sont des souvenirs grandioses. Gérard Philipe, Maria Casarès, Daniel Sorano, Philippe Noiret, Jean-Pierre Darras, Christiane Minazzoli (dont je suis restée très proche jusqu'à son décès), Julien Guiomar, Pierre Hatet, etc. J'avais des rôles plus ou moins grands. J’ai joué à Chaillot, en Avignon et dans des tournées magnifiques ».
Au TNP, les musiques de scène sont à l'époque composées par le grand Maurice Jarre. « Nous sommes tombés amoureux, Maurice a cassé son mariage pour moi. Puis il a eu l’Oscar pour la musique de Lawrence d’Arabie et c’est là qu’on s’est séparés, au moment où il a eu du succès. Il aurait fallu que je reste avec lui (rires). On ne s’est jamais vraiment quittés, on s’est toujours aimés et après que je me sois mariée avec mon mari, François (le 30/12/1969, ndlr), Maurice lui a dit qu’il le trouvait très sympathique et l’aimait beaucoup. C’était très harmonieux entre nous trois ».
Maurice Jarre et Roger Pillaudin adaptent en comédie musicale pour le TNP Loin de Rueil de Raymond Queneau, dans laquelle Laurence a l'un des rôles principaux.
Maurice Jarre
« (Elle chante : ) « On va on vient sur cette terre, de ville en ville, de port en port, de l'est à l'ouest, du sud au nord, on se demande pour quoi faire ». Il y avait plein de jolies chansons comme ça, je ne les ai jamais oubliées. Mon rôle était magnifique, j’ai fait un tabac à la première. Le lendemain, Vilar m'appelle : « Je n'aurais jamais cru ça de toi, c'est formidable, il ne faut pas que tu restes avec nous, il faut que tu fasses du boulevard ». Vilar avait raison, je n’avais rien à faire dans les classiques, je jouais des petits rôles de fofolles un peu à part, il me fallait autre chose, le boulevard me collait beaucoup mieux. Je lui ai dit « Envoyez-moi voir des gens » (rires) et il m'a écrit des lettres de recommandation extraordinaires ».


Adaptation TV de Loin de Rueil (1961) avec Laurence Badie


Laurence commence alors une longue carrière dans le théâtre de boulevard, en débutant notamment par des comédies de Marc Camoletti. Parmi ses plus beaux succès au théâtre, la pièce Oscar (1971) de Claude Magnier, mise en scène par Pierre Mondy, avec dans le rôle principal Louis de Funès. Le rôle de Bernadette lui colle à la peau encore bien des années après, puisque quelques jours après notre entrevue, une interview télé de Laurence est prévue sur ce sujet. « La pièce avait été créée des années plus tôt (en 1958, ndlr) avec notamment Dominique Page dans le rôle de Bernadette et Jean-Paul Belmondo, mais avait moins bien marché. Notre version a eu un énorme succès, c’était bourré tous les soirs. Nous avons joué six mois, puis fait une coupure, et repris avec quelques changements de distribution : Annick Alane remplaçant Maria Pacôme qui n’avait pas de bons rapports avec Louis de Funès -je les aimais tous les deux, je ne me suis pas mêlée de ça- et Olivier de Funès remplaçant Gérard Lartigau ».
A propos de Louis de Funès : « Il était très agréable et très sympathique, je me suis très bien entendue avec lui. Dans une scène, il était couché devant Mario David -un bon copain- et moi, et nous faisait des grimaces que personne ne voyait à part nous, alors on riait et après la pièce il nous demandait « Qu’est-ce que vous aviez à rire comme ça ? ». »
Le mari de Laurence, François, qui nous rejoint, se souvient : « Maria Pacôme n’a pas aimé réaliser que le public venait principalement pour voir Louis de Funès. Il faut dire que Louis de Funès se dépensait complètement dans la pièce. Je me souviens l’avoir vu des coulisses sortir de scène, enlever sa veste dont la doublure était à moitié trempée tellement il avait transpiré, et changer de veste. Il m’avait demandé de le raccompagner en voiture plusieurs soirs, car il avait la trouille de voir du monde. Une fois il s’était retrouvé seul dans un wagon où tout le monde le regardait et il s’était dit « Plus jamais ça » ».


Louis de Funès, Laurence Badie et Mario David dans Oscar (1971)


Laurence Badie devient une grande figure du théâtre de divertissement. Toujours remarquable car singulière, d'où sa longévité. De son départ du TNP au début des années 60 jusqu’en 2016, elle n’arrête pas, adoptée par plusieurs générations d’auteurs, notamment Pierre Palmade (Si c’était à refaire, en remplacement de Régine), Laurent Ruquier, Isabelle Mergault, Virginie Lemoine, etc. « La chienne qui est là dans le salon, c’est la chienne de Mergault. Quand j’arrivais au théâtre, elle venait comme une folle vers moi et entrait dans ma loge. Un jour, Isabelle me dit « Cette chienne t’adore, moi elle ne peut plus me voir, alors je te la donne ». J’adore les animaux. J’emmène toujours mes chiens en tournée ».
Cette vie de tournée lui plaît. « Cela ne me dérangerait pas d’en faire d’autres, mais ça dépend avec qui. Je garde un très mauvais souvenir de l'avant-dernière tournée que j'ai faite, à part de Corinne Le Poulain que j’aimais beaucoup, j'attendais que ça finisse ».
Elle joue également dans des opérettes et comédies musicales comme Pic et Pioche (1967) de Darry Cowl au Théâtre des Nouveautés avec Annie Cordy. « C’est un amour, Annie. Elle m’a emmenée en avion faire une balade en Bretagne et une thalasso chez Louison Bobet à Quiberon. Lorsque mon mari et moi avons fait notre voyage de noce à Megève en janvier 1970, on s’est retrouvé par hasard dans le même hôtel qu’Annie Cordy et son mari Bruno ». « Tu parles d’un voyage de noces » s’amuse François.



Laurence Badie et Jacques Balutin chantent "Ah c'que j'ai chaud"
(extrait de l'opérette Hourra papa (1984))


Et le cinéma, dans tout ça ? Beaucoup de seconds ou troisièmes rôles. « Je n'ai jamais eu la folie des grandeurs, je voulais continuer comme ça, tant mal que bien. Je n'étais pas une arriviste. J'étais bien à ma place. Mon grand film, c’est Jeux interdits (1952). L’ex d’un cousin était maintenant avec Claude Autant-Lara, je lui ai demandé de me présenter à René Clément, qui m’a engagé. C’est un très bon souvenir. Personne ne pensait qu’on aurait le grand prix de la critique. On tournait à la montagne avec Suzanne Courtal qui jouait la maman et Georges Poujouly, très touchant, adorable, qui avait une maman un peu handicapée. Brigitte Fossey était un peu plus gosse de riche ».
Quelques années après, Laurence Badie joue la serveuse dans La Traversée de Paris (1956) de Claude Autant-Lara. « Bourvil était très gentil. Je tremblais à l’idée de voir Jean Gabin, car il était terrible avec les gens qui l’emmerdaient, mais quand il était gentil il était formidable, et avec moi il a été adorable. Il criait « Avantage à la petite ! » ».

Laurence Badie tourne aussi pour le grand Vincente Minnelli dans La vie passionnée de Vincent Van Gogh (1956) avec Kirk Douglas. « Mon agent, Isabelle Kloucowsky, avait un amant américain et grâce à elle je suis allée aux États-Unis. Mais la rencontre avec Minnelli s’est faite à Paris, il m’a promis le rôle et m’a dit qu’on tournerait dans le midi de la France. Puis je n'ai plus eu de nouvelles, quand j’appelais ils me disaient « Wait, wait », j’insistais « What about the midi (sic)? Do you need me or not ? » et ils m’ont finalement demandé de venir à Hollywood. Je ne connaissais personne mais je me débrouillais en anglais. Je m'ennuyais à mourir. En plus j'étais amoureuse de Maurice Jarre, qui me manquait. C'était affreux. Un jour on me dit « C'est à vous ». Tout ce que je devais dire c'était « Vincent is dead », Vincent est mort. J'ai fini par le dire trois fois. En me disant au revoir, ils m'ont dit « On n'a jamais vu quelqu'un venir ici et s'ennuyer autant que vous, alors on vous offre trois jours à New York dans un grand hôtel » et j'ai passé trois jours merveilleux dans un palace et je suis rentrée au TNP. Finalement, il se sont aperçus qu'on voyait trop qu’il y avait des fausses fleurs dans le décor, elles n'étaient pas d'époque, et ils ont préféré couper la scène. Enfin c’est ce qu’ils m’ont dit, peut-être qu’ils m'ont trouvée à chier, mais je ne pense pas ».
Quand on lui fait remarquer qu’elle est peut-être passée à côté d’une carrière hollywoodienne : « A l'époque ça m'ennuyait. Maintenant ça m'affolerait, je signerais tout de suite. »
Laurence Badie joue également dans deux films d’Alain Resnais (« Un homme délicieux, que j’ai connu quand il venait au TNP. Il était également ami de Maurice Jarre »), La guerre est finie (1965) et Mon oncle d’Amérique (1980).
Elle joue aussi dans Les volets clos (1972) de Jean-Claude Brialy. « Il y avait une très belle distribution, notamment Marie Bell qui était extraordinaire. On a tourné dans le midi. J’avais connu Jean-Claude Brialy quand il était venu me féliciter dans ma loge quand je jouais Loin de Rueil au TNP».

Pour la télévision, Laurence Badie tourne dans de nombreuses séries populaires : Vive la vie, Allô police, Les Globe-totters, Les enquêtes du Commissaire Maigret, et plus récemment Le miel et les abeilles ou bien Scènes de ménages.
Parmi ses meilleurs souvenirs, le rôle de la mère dans Le monde enchanté d'Isabelle (1973) réalisée par Youri. « Michael Lonsdale a quitté la série en cours de route, je suis restée avec Jean Topart, très gentil garçon. Pour Youri, un garçon très discret, que j'aimais beaucoup, j’ai également tourné avec Michael Lonsdale dans Le jubilé de Tchekov, on a eu le prix de la critique. C’était une pièce plutôt triste et le rôle n’était pas dans mon emploi habituel. Michael Lonsdale était très sympathique mais il m'avait dit qu'il ne supportait pas qu'on tourne et qu'on lui dise « à ce moment tu fais ça » alors que je n’arrêtais pas de lui dire « Là tu vas à droite, etc. ». Il a dû se dire : « Celle-là quelle horreur, plus jamais! » (rires) ».
Elle joue dans de nombreuses pièces filmées et dans de nombreux dramatiques pour Claude Barma, Marcel Bluwal, etc. « J’ai joué Les Boulingrin avec Jacqueline Maillan, qui était charmante. C’était ma voisine, elle habitait au Trocadéro. Elle et De Funès acceptaient qu’on fasse nos effets, etc. il y avait un bon esprit de troupe ».
Elle joue dans Julie de Chaverny ou la double méprise (1967) l’un des rôles principaux avec Françoise Dorléac, dont c’est le dernier rôle télévisé. « Nous avons tourné chez une dame très chic, près de l’autoroute du sud. Françoise était extraordinaire, meilleure que Catherine. Elle était quelqu'un d'unique, je l'aimais beaucoup. J'ai appris sa mort par ma voisine, qui avait appris la nouvelle à la radio ».
Parmi les projets les plus étonnants, un Cendrillon avec Claude François : « Avec Arlette Didier on faisait les deux méchantes sœurs ».
Elle participe également à un projet assez unique de l’ORTF, Commedia (épisode Le Réveil de Rose), des dramatiques entièrement improvisés. « J’aimais bien improviser! Je serais prête à refaire de l’impro. On se laisse aller, et tout d’un coup on invente quelque chose qui désarçonne l’autre. »

"Bonne cliente" pour les jeux télévisés et radiophoniques (Les Jeux de 20 heures, L'Académie des Neuf, Les Grosses Têtes, etc.), elle garantit un bon moment par sa présence et sa bonne humeur. Sa voix et son image sont également beaucoup utilisées pour la publicité.


Publicité pour Braisor avec Laurence Badie


Le dessin hommage de David Gilson 
(Publié avec son autorisation)

C’est par la grande Lita Recio que Laurence Badie débute dans le doublage : « Je connaissais Lita car ma grand-mère connaissait très bien son frère. Lita était quelqu’un d’exceptionnel, même si sa vie était un peu gâchée par des parasites qui profitaient pas mal d’elle, y compris d’une partie de son appartement de la rue Ordener. Je lui ai dit que j'aimerais bien faire de la synchro, elle m'a emmenée dans des studios, et m’a présentée à Gérard et Martine Cohen (Record Film) ». Parmi les premiers rôles de Laurence Badie au doublage : Estelle Parsons (Blanche) dans Bonnie & Clyde (1967) : « Je doublais la belle-sœur de Bonnie qui devient aveugle et paniquée. Un rôle dramatique. »
Mais c’est dans les dessins animés que Laurence et sa voix haut perchée se déchaînent : Vera, la rouquine de Scooby-Doo à laquelle elle donne une vraie personnalité (elle refait pour nous: « Y a encore un indice ! »), Casper dans Casper le gentil fantôme (« Je l’ai souvent doublé, j’aimais bien »), la narratrice des séries d’animation Joë, la serveuse dans Kuzco l’empereur mégalo, Mme Placard dans Atlantide, l’empire perdu, Tchaou dans Tchaou et Grodo, etc. « J’ai travaillé avec plein de gens formidables que j'aimais beaucoup (Roger Carel, Philippe Dumat, etc.) mais n’ai pas forcément gardé d'amitiés liées au doublage. C'est un métier où on voit les gens seulement quand on travaille avec, on les voit peu en dehors ».
En dehors du doublage, Laurence Badie marque l’enfance de beaucoup d'entre nous par sa participation à de très nombreux livres-disques, notamment pour Adès / Le petit ménestrel. « J’ai connu Lucien Adès par Maurice Jarre, qui avait composé pas mal de musiques pour sa maison de disques ». La Belle au Bois dormant (seul film d'animation Disney dont le livre-disque n'a connu qu'une seule version), La belle histoire de la princesse Natte d'or, Valentine la baleine qui voulait chanter à l’opéra, Au clair de lune, Bécassine, Les contes du chat perché, etc.


Laurence Badie conte La belle histoire de la princesse Natte d'or (1970)


Elle fait en outre une petite carrière dans la chanson, enregistrant notamment les improbables « Pour qui c’est-y ? C’est pour les hommes » et « Pourquoi qu’un dimanche c’est toujours trop court alors qu’un lundi oh là là qu’c’est long à tirer » écrites par Michel Rivgauche et Christian Sarrel. La première bénéficie même d'un cover dans la collection Pop Hit Parade chante (Musidisc). Lorsque nous lui parlons de ces chansons, Laurence les chante par cœur, provoquant un grand moment d’hilarité. Je ne peux pas résister de vous partager le document audio de ce grand moment :


Laurence Badie chante, interviewée par Rémi Carémel et Gilles Hané (16/12/2017)
(Remerciements à Amélie W. pour le nettoyage du fichier audio)


A 89 ans au moment de notre interview, elle partage sa vie entre l’appartement qu’elle loue dans le XVIème et sa maison de Plougoulm en Bretagne. « Ça fait longtemps que je vis dans cet immeuble. Au début j'étais avec Maurice Jarre, au 1er étage. Puis j'ai changé de mari et changé d'étage (rires). J'aimerais quitter ce quartier, où il n'y a que des bureaux, et retourner aux Ternes, où je vivais dans ma jeunesse. »
Elle se sent un peu oubliée du métier : « Vous croyez que j'existe encore dans la tête des gens ? Le public, oui. Les professionnels, non, ça a changé. J'ai débuté avec des gens magnifiques comme Gérard Philipe. C'était la chance… »
Laurence conclut : « C'est terrible quand on voit disparaître une génération entière. De mon côté, je ne crains pas du tout de mourir. J’ai un espoir immense que nous allons nous retrouver ailleurs tous les quatre et rencontrer Victor Hugo, Mozart, etc. ».


Publicité radio Bonduelle pour Europe 1 avec Laurence Badie
(Remerciements à Yan Mercoeur)



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