mercredi 25 janvier 2017

Hommage à Paulette Rollin

Une bien triste nouvelle, j'ai appris par sa famille le décès de mon amie Paulette Rollin ce matin à l'âge de 96 ans. Elle était la voix chantée de Cendrillon dans le premier doublage du mythique film d'animation Disney, et l'une des plus belles chanteuses des années 50. Avec mon confrère et ami Gilles Hané, nous l'avions interviewée par téléphone fin 2012, puis nous lui avions rendu visite au cours de l'été 2014 dans sa maison de repos du côté de Royan.

Nous sommes en 2012. En faisant des recherches sur internet sur Paulette Rollin (dont on ne trouve aucune photo ou trace d'activité depuis le début des années 60) je trouve, grâce à Google Images, le profil Facebook d'une coquette octo- ou nonagénaire ressemblant à ce que pourrait être Paulette aujourd'hui si elle était encore parmi nous. Comme le nom de sa ville est précisé, je trouve ses coordonnées dans l'annuaire et l'appelle au culot. Par chance, il s'agit bien de "notre" Paulette, qui a alors 92 ans, et répond à mes questions avec beaucoup d'humour.

"Vous avez vu? Sur internet, ils demandent notre date de naissance partout. Parfois je mets 1940, 1950... Mais c'est ridicule de tricher, car quand on est vieille, on est vieille! (rires)". Paulette Rollin naît le 23 mars 1920. "Mon père, Louis Rollin, était un très bon chanteur et comique. Il a fait beaucoup de films de l’époque, en noir et blanc bien sûr."
A ce moment, Louis Rollin a pour danseuse Bagatelle, dont la jeune fille, Jackie, dix-huit ans, les accompagne en tournée. Paulette, qui n'en a que dix-sept, et elle deviennent très amies.
"Mon père qui était un chaud lapin, est parti avec Jackie sans se soucier de son âge. A son retour à Paris, la mère de Jackie lui a ordonné de ne plus voir mon père, et l'a menacée de l'envoyer en maison de correction -ça se faisait encore à l'époque! Jackie s’est jetée de la fenêtre du sixième étage, a atterri sur une verrière, et a gardé toute sa vie des séquelles physiques de cette tentative de suicide". Jackie prendra, en souvenir de Louis Rollin, le nom de scène de Jackie Rollin puis, à la mort de son mari Fernand Sardou, le nom de Jackie Sardou.

Mannequin dans une grande maison de couture (Madame Grès), Paulette chante pour le plaisir mais ne pense pas forcément à faire carrière. "J’étais mariée à un monsieur qui possédait un bar américain rue Vignon, à la Madeleine. Tous les mannequins venaient y déjeuner à midi. Des Américains m'apportaient régulièrement des disques et des partitions, que je reprenais au piano, et j'apprenais l'anglais avec eux. Un jour, ils m'ont embarqué au club du Ranelagh où jouait l'orchestre de jazz d'Hubert Rostaing. C'était un clarinettiste extraordinaire, meilleur encore que Benny Goodman. Il était beaucoup plus chaud dans l'aigu. Hubert Rostaing cherchait une chanteuse d'orchestre, mes amis lui ont parlé de moi et il m'a engagée. J'ai divorcé de mon mari, et j'ai suivi Hubert pendant sept ans comme chanteuse vedette... et dans sa vie . De magnifiques tournées au Brésil, au Liban, en Israël, etc. Et des enregistrements de disques. Quand on enregistrait, c'était en direct. Maintenant il faut je ne sais pas combien de prises pour faire un disque, c’est incroyable… A chaque fois que je finissais de chanter on me disait « On va essayer de faire un double au cas où mais on ne s’en servira pas car la prise est très bonne » et les musiciens m’applaudissaient, alors là je n’étais pas peu fière !"

Repérée pour des doublages de film, elle prête sa voix aux chansons de la harpe enchantée dans Coquin de printemps (1950) et à celles de Cendrillon (doublée pour les dialogues par Paule Marsay) dans Cendrillon (1950). "A ce moment, la France était en grève. Disney a retardé le doublage car ils voulaient vraiment avoir ma voix pour Cendrillon. Ce film est superbe. Je me souviens de la scène où Cendrillon lave le sol alors que le chat salit tout au fur et à mesure, et qu'elle chante "Chante, doux rossignol". J'avais enregistré en re-recording toutes les autres voix de Cendrillon, à la tierce, la quinte, etc. J’ai fait aussi la voix chantée de l’une des souris, c’est là où je me suis amusée le plus. C’était avec le mari de Micheline Dax, Jacques Bodoin. Qu’est-ce que c’était joli, ces souris. On enregistrait avec un rythme normal puis c’était ensuite passé en vitesse accélérée". Quand je lui demande si elle a reçu à l'époque un cadeau de Disney comme d'autres en ont reçu plus tard dans les années 60: "Non, ils m’ont payé mon cachet et c’est tout. C’était vraiment mal payé à l’époque."
Le film sera redoublé au début des années 90.


Paulette Rollin chante "Chante, doux rossignol" de Cendrillon (1950)

Eddie Barclay la félicite pour Cendrillon; "Dans le bar de mon premier mari j’avais pour pianistes Eddie Barclay et Louis de Funès. J'étais leur patronne (rires). Louis était vendeur dans un magasin de chaussures. Eddie et lui aimaient la musique mais jouaient plutôt d'oreille. Et puis Eddie a commencé à monter sa maison de disques. Grâce à Cendrillon, il m'a fait signer un contrat."

Paulette Rollin enregistre alors, dans les années 50, beaucoup de disques chez Mercury et Barclay. Sa belle voix chaude est très moderne pour l'époque, car sans "effets de voix".
"Moi je chantais de façon naturelle, comme beaucoup d’italiens, car mon père était napolitain. Je n'étais pas très travailleuse. Quand on allait dans une ville je chantais sans avoir répété. J’ai retrouvé des critiques notamment une qui dit « voilà une chanteuse qui sait chanter ». Ca me fait plaisir. Il fait froid alors je me réchauffe un peu (rires)."


Paulette Rollin chante "Prenez l'amour qui vient" (1958)

Elle fait partie des premières interprètes de Charles Aznavour, enregistre des duos avec Eddie Constantine, et reçoit un Grand Prix de la Chanson à Deauville, le même jour qu'Annie Cordy.
Quand on évoque notre amie Lucie Dolène: "Son mari, Jean Constantin, était venu chez moi à Paris et m’avait fait écouter « Mon manège à moi » qu'il était en train de composer. Je lui ai dit que ce n'était pas mon style. Et finalement, c'est Edith Piaf qui l'a chantée".

Paulette enregistre "Le loup, la biche et le chevalier" (plus connue sous le nom d'"Une chanson douce"). "J'ai été interviewé récemment pour une radio locale. On m'a fait une surprise en me faisant parler en direct par téléphone avec Maurice Pon qui a écrit « Une chanson douce » et d’autres chansons que j’ai enregistrées. Il a plusieurs belles villas. Il a bien gagné sa vie grâce à ses succès. Moi ça ne m’a jamais intéressé l’argent, c’est bête hein ? Je suis toujours bien où je me trouve !"


Paulette Rollin chante "Une chanson douce"

Parmi ses chansons préférées: « Où vont les étoiles ? » et « Tous les matins quand je m’éveille ». Tous ces titres sont réédités chez Marianne Mélodie. "C’est meilleur comme ça. Avant, en analogique, c’était affreux. Le numérique a amélioré le son de ces anciens disques, même si ça n'égale pas la qualité des enregistrements qu’on fait aujourd’hui."

Paulette Rollin se spécialise aussi dans les chansons pour enfants (elle enregistre entre autres plusieurs livres-disques pour Disney), les chants de Noël, etc. "Je reçois des mails comme ça : "il n’y a pas un Noël où on ne passe pas vos disques chez nous". C’est gentil !"

Elle joue dans le film La Fille de l'ambassadeur (1956) le rôle d'une chanteuse de cabaret (faisant danser sur "L'âme des poètes" Olivia de Havilland), et continue le doublage de chansons: Danielle Godet dans Nous irons à Monte-Carlo (1951), Lana Turner dans Voyage au-delà des vivants (1954), Julie Newmar dans Les Sept femmes de Barbe-Rousse (1954), etc.

Puis après une tentative de duo avec la chanteuse Denise Varene (sous les pseudonymes de "Betty et Suzy"), la vague yéyé met un terme à sa carrière. "Je n’étais plus dans le coup avec mes chansonnettes. Maintenant elles chantent, elles dansent, elles font tout. On ne comprend pas toujours ce qu’elles disent mais enfin, ça c’est autre chose !"

Elle se reconvertit en tenant une discothèque à Eze dans une somptueuse propriété. "J’avais une cinquantaine d’années, je dansais tous les rocks avec les italiens qui venaient tous les samedis soirs. J'étais heureuse dans le sud de la France. Je faisais de la gymnastique avec le Prince Albert qui devait avoir une quinzaine d’années."

Les dernières années de sa vie, Paulette se retire auprès de sa fille, d'abord dans le Var puis à Saujon, dans la région de Royan, où elle avait chanté au casino pendant sa jeunesse. « A Saujon il y a plein de centenaires. Ce doit être une bonne ville pour vivre une retraite tranquille ».

Femme indépendante et ouverte d'esprit depuis toujours, à 90 ans passés elle est sensible à l'écologie, défend le droit au mariage pour tous, et s'inscrit toute seule sur Facebook. "Je reçois une notification, "trois hommes ont flashé sur votre photo", c'est super drôle!"

Son rire et son franc-parler vont nous manquer. Je pense bien affectueusement à sa fille, Chantal, et à toute sa famille.

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