J’ai appris avec une très grande tristesse
la disparition de William Sabatier hier soir à Limoges, à l’âge de 95 ans. Immense
comédien, il était l’un des derniers « survivants » de la création
française de Rhinocéros d’Eugène
Ionesco et de Casque d’or de Jacques
Becker. Au doublage, il avait prêté sa voix à Marlon Brando, Richard Harris,
Trevor Howard (sublime Richard Wagner dans Ludwig
ou le Crépuscule des Dieux), et occasionnellement à Gene Hackman, John
Wayne, etc. William était aussi un ami proche, drôle et érudit.
William
Sabatier naît le 22 mai 1923 à Gentilly, d’un père ouvrier et d’une mère
commerçante.
C’est
pendant la guerre, où il interrompt ses études, qu’il découvre le théâtre
amateur et rencontre dans un train en 1942 le grand amour de sa vie,
Marie-Aimée (« Michou »). Ils se marient en 1946 contre l’avis de la
principale cliente du salon de coiffure de Michou, qui est aussi l’une de ses
amies… Edith Piaf : « Il est
beau ton gars, couchez ensemble mais ne vous mariez pas, ce serait une bêtise ! ».
Météorologiste
dans l’armée de l’air (aux côtés d’un certain Robert Lamoureux), mais toujours
piqué par le virus de la comédie, William s’inscrit au cours de M. De Ruys, qui le
prépare à la scène d’Horace pour l’entrée au Conservatoire. Il fait partie des
trente reçus (sur quatre-cents candidats, nombre élevé en raison de la reprise
d’activité après-guerre) et intègre la classe de Georges Le Roy auprès de Jean
Le Poulain, Bernard Noël, etc. avec dans les autres classes Jeanne Moreau,
Robert Hirsch, Louis Velle, etc.
En 1948, il rate
le concours de sortie (ne recevant qu’un accessit en tragédie), mais Georges Le
Roy le recommande à Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault qui viennent de
faire scission avec la Comédie-Française pour créer leur propre compagnie.
La Compagnie
Renaud-Barrault devient rapidement une référence aussi importante que la
Comédie-Française ou le TNP de Jean Vilar, les plus grands comédiens (Maria
Casarès, Pierre Brasseur, Jean Desailly, etc.) s’y retrouvent, et les plus
beaux textes y sont joués, que ce soit des grands classiques ou des créations contemporaines (de Claudel,
Ionesco, etc.), avec des musiques de scène composées par les jeunes Pierre
Boulez et Maurice Jarre, au Théâtre Marigny, à l’Odéon, ou lors de grandes
tournées à l’étranger (Amérique du Sud, Liban, U.R.S.S.).
De 1948 à
1968 (où les événements de mai ont provoqué des tensions dans la troupe et le
départ de plusieurs membres, dont William), William Sabatier fait partie de la
plupart des distributions de la Compagnie, dont la création française de Rhinocéros (1960) d’Eugène Ionesco où il joue
Monsieur Jean.
Bien qu’également
à l’aise dans le registre comique, son physique impressionnant et sa voix
puissante l’amènent à jouer beaucoup d’empereurs et généraux dans les grandes
tragédies.
William
aimait raconter avec humour cette fois où Jean-Louis Barrault lui avait proposé
de jouer Borgia dans la création de Malatesta
de Montherlant. Fier qu’on lui ait proposé un tel rôle, il déchante vite en
découvrant le texte, seulement quelques répliques pour le cardinal Borgia. « Le soir même je croise Pierre Bertin
qui me dit :
-Alors, tu es content, tu vas jouer Borgia ?
-Excusez-moi Pierre, mais c’est une
panouille…
-Mais tu sais qu’il est devenu Pape ? »
Chose rare
au théâtre, il est sollicité dans trois productions différentes pour jouer un
même rôle, le Maréchal Lefebvre dans Madame
Sans-Gêne, aux côtés de Madeleine Renaud, Sophie Desmarets et enfin
Jacqueline Maillan (pour les besoins de l’émission Au théâtre ce soir).
Il arrêtera
le théâtre à la fin des années 80, après avoir joué dans deux spectacles de son
ami Robert Hossein (L’affaire du courrier
de Lyon et La Liberté ou la Mort).
En
parallèle, il fait ses débuts au cinéma dans le rôle de Roland Belle-Gueule,
souteneur de Casque d’or dans Casque d’or
(1952) de Jacques Becker. Son premier métier de météorologiste lui permet, par temps nuageux, de "sauver" le tournage d'une scène extérieure, si bien que Jacques Becker plaisante avant chaque prise "Demandez à Sabatier si on peut tourner".
Simone Signoret (héroïne de Casque d'or) et Yves Montand l’adoptent alors dans leur bande, William jouera plus tard avec Montand dans Des clowns par milliers (1963, Théâtre du Gymnase) ou bien encore dans Compartiment tueurs (1965) de Costa-Gavras.
Simone Signoret (héroïne de Casque d'or) et Yves Montand l’adoptent alors dans leur bande, William jouera plus tard avec Montand dans Des clowns par milliers (1963, Théâtre du Gymnase) ou bien encore dans Compartiment tueurs (1965) de Costa-Gavras.
Au cinéma,
on le voit également en avocat du fils de Philippe Noiret dans L’horloger de Saint-Paul (1973) et dans
d’autres films, mais la carrière de William sera bien plus prolifique à la
télévision, où il incarne de nombreux rôles historiques comme Napoléon (dans
plusieurs téléfilms tournés en direct, qu’on appelait alors « dramatiques »),
Savary dans la série Schulmeister, espion
de l’empereur, Cadoudal dans Les
Compagnons de Jéhu (où Behars, l’incroyable imprésario de William, avait
dit au réalisateur qui prévoyait une scène de galop « Sabatier, c’est
un centaure ! » alors que William n’était jamais monté à cheval),
Jean Jaurès dans Emile Zola ou la
conscience humaine, Charles le Téméraire dans Quentin Durward, etc.
Ces dons de
comédien lui permettent de tenter un autre volet, important dans sa carrière :
le doublage, où il retrouve beaucoup de ses amis du théâtre, dont son meilleur
ami, Marc Cassot. Après un essai plutôt raté à la S.P.S., William commence le
doublage dans les années 50, notamment pour Gérald Devriès (films M.G.M.) qui
dirigeait encore les comédiens « à l’image », sans bande rythmo.
C’est un peu
plus tard, dans les années 60, que grâce à Richard Heinz (gérant et directeur
artistique de la société de doublage Lingua-Synchrone), il obtient ses plus beaux rôles :
Marlon Brando (La Poursuite Impitoyable
(1966), Reflets dans un œil d’or (1967),
Apocalypse Now (1979)), Richard
Harris (Un homme nommé cheval (1970)),
Gene Hackman (L’épouvantail (1973)),
Trevor Howard (Ludwig ou le crépuscule
des Dieux (1972)), Anthony Quayle (Les
Canons de Navarone (1961)), Rod Steiger (Le Sergent (1968)), Charles Durning (Un après-midi de chien (1975)), Christopher Plummer (La Chute de l’Empire Romain (1964)),
etc.
Pour d’autres
sociétés de doublage, il double occasionnellement John Wayne (La Conquête de l’Ouest (1962)), Toshirô
Mifune (Soleil Rouge (1970) :
Terence Young lui avait offert un cigare et une bouteille du whisky pour que sa
voix prenne des graves), Alberto Sordi (Un
bourgeois tout petit petit (1977)), Anthony Quinn (Les Indomptés (1991)), Clive Revill (Avanti ! (1972)), Gabriele Ferzetti (Au service secret de sa majesté (1969)), David Huddleston (The Big Lebowski (1998)), Glenn Ford (Paris brûle-t-il ? (1966)), Karl
Malden (Patton (1970)), Martin Balsam
(Des clowns par milliers (1965)),
Orson Welles (La Lettre du Kremlin
(1970)), etc.
Pour la
télévision, Donald Pleasence dans le célèbre épisode de Columbo « Quand le vin est tiré », Fred Dalton Thompson
dans New York Police Judiciaire, Howard
Keel dans Dallas, John Thaw dans Inspecteur Morse, etc.
William
aimait raconter comment, embêté que son fils Jean-Michel refuse tout le temps
de manger sa soupe, il avait demandé à Guy Piérauld de l’appeler en se faisant
passer pour Kiri le clown…
Toujours
parfait dans tous ses rôles (que ce soit au théâtre, au cinéma, à la télévision
ou au doublage), William avait dû lever le pied au début des années 2000 car il
se déplaçait de plus en plus difficilement en raison de problèmes de dos. Son dernier cachet date de juillet 2008, pour
le doublage de la série Les Tudor.
Après la
disparition de son épouse fin 2011, il avait quitté Paris pour rejoindre son
fils Jean-Michel à Limoges. Dans sa résidence pour seniors, il continuait à peindre (activité qui comptait pour lui autant (sinon
plus) que le théâtre) et recevait de temps en temps de jeunes élèves du
conservatoire de Limoges pour les faire répéter. En septembre 2016, il avait été nommé Chevalier des Arts et Lettres par le Ministère de la Culture.
William est
parti hier soir rejoindre son grand amour, Michou… A titre personnel, je perds
un ami très cher. Lui et son épouse ont beaucoup compté pour moi lors de mes
premiers stages à Paris, où ne connaissant alors pas grand monde dans la
capitale, je retrouvais en dînant chez eux deux fois par mois une forme de
cocon familial. Sa gentillesse et son humour, plein d’auto-dérision, vont nous
manquer, et j’ai une pensée toute particulière pour Jean-Michel et ses enfants.
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William Sabatier lors de notre première rencontre (en 2006)
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