mardi 1 mars 2022

Décès de Dominique Paturel (1931-2022)

C'est avec une profonde tristesse que j'ai appris cet après-midi par son épouse Marie la disparition hier soir (28 février 2022) à Saint-Brieuc de notre ami Dominique Paturel, merveilleux comédien. 


Né le 3 avril 1931 au Havre d'une famille de notables aux origines havraises et bretonnes, Dominique se passionne au collège pour le théâtre et entre à Paris au Centre d'art dramatique (rue Blanche) où il suit une formation complète de comédien (qui comprend des cours d'escrime, dont on comprendra l'importance dans la suite de sa carrière).

Par son talent, mais aussi une bonne étoile qui lui fait faire les bons choix et lui fait rencontrer les bonnes personnes au bon moment, Dominique fait ses débuts au théâtre dans la troupe du plus grand metteur en scène de l'époque, Jean Vilar, où il côtoie sur scène les plus grands, et devient même ami et traducteur de Duke Ellington (venu spécialement des États-Unis composer pour Turcaret une musique de scène inspirée des inflexions de voix de la troupe. Avoir une voix qui sert d'inspiration à Duke Ellington, n'est-ce pas "la" classe?).

Petite parenthèse avec son service militaire en Algérie. Dominique assure l'organisation de spectacles de music-hall pour l'armée, participe aux émissions radiophoniques de Radio Alger (il y rencontre un certain Jacques Loussier. Impressionné par une improvisation de Bach qu'il vient de lui jouer sur un piano d'une salle de répétition, Dominique a l'idée de le présenter à un ami à lui, producteur chez Decca, qui fait signer aussitôt à Loussier sur un coin de table... le contrat de Play Bach), présente le premier direct d'Alger le 27 septembre 1958: c'est a priori sa première télévision, associée en plus à une performance technique (un avion survole la ville pour assurer la retransmission) Dominique a du mal à se déplacer dans ce marché algérois avec on l'imagine une machinerie assez lourde qui le suit, mais il est malgré tout plein d'entrain (les images d'archives que j'avais retrouvées et qu'il n'avait jamais vues l'avaient fait beaucoup rire).

Première télévision en direct d'Alger (27/09/1958)


C'est aussi à cette occasion qu'il rencontre Pierre Sabbagh, lui donne l'idée de retransmettre une pièce de théâtre en public, ce qui donnera quelques années après Au théâtre ce soir. Cette petite "parenthèse" algérienne était importante dans la vie de Dominique, qui faisait partie d'une association de comédiens vétérans, et ne manquait pas d'être présent aux commémorations de comédiens et techniciens du spectacle morts au combat.

Sa vie sur les planches se poursuit au T.N.P. de Vilar puis dans la prestigieuse Compagnie Renaud-Barrault, mais aussi au boulevard.
Dominique alterne les lieux et les genres, du classique au contemporain, en passant par le théâtre de divertissement; des théâtres parisiens, tournées internationales, centres dramatiques régionaux, en passant par l'accompagnement de petites compagnies amateurs (dans les Côtes d'Armor) ou des lectures gratuites dans des conservatoires (à Antony ces dernières années, avec ses vieux amis de cours Michel Paulin et Jacqueline Lhorca (veuve de Serge)).
A la fois bel homme et pétillant d'humour, il est aussi à l'aise pour jouer les jeunes premiers que les "valets de comédie".

La télévision ne tarde pas à s'intéresser à lui. Avec Michel Le Royer (disparu trois jours avant lui), il forme le duo de héros du feuilleton Le Chevalier de Maison Rouge (1963). La série, regardée dans presque tous les foyers français, est un immense succès, et Dominique devient un grande figure populaire du jour au lendemain, et un habitué des feuilletons de capes et d'épée, comme Lagardère (1967), D'Artagnan (1969), etc.
Sans compter les innombrables participations à des séries, téléfilms, sketchs (notamment avec ses amis et complices Roger Pierre et Jean-Marc Thibault), émissions de théâtre télévisées (une dizaine d'Au théâtre ce soir), etc.

Au cinéma, sa carrière est un peu plus discrète, il l'expliquait selon lui par son succès à la télévision (les producteurs raisonnant ainsi: pourquoi les gens paieraient pour voir des acteurs qu'ils peuvent voir gratuitement à la télévision?).

En doublage, il prête sa voix à la fois élégante et pleine d'humour à Michael Caine (dans une quinzaine de films dont Le Limier), Terrence Hill (dans la plupart des Terrence Hill & Bud Spencer), Robert Wagner (Pour l'amour du risque), Dean Jones (la saga des Coccinelle), Lee Majors (L'homme qui valait trois milliards), Roy Thinnes (Les Envahisseurs) et ponctuellement à Anthony Hopkins (Elephant Man), Omar Sharif (La Nuit des Généraux), Hardy Krüger (Barry Lyndon), etc. 
Pour doubler George Peppard (Hannibal dans Agence tous risques), il se mordille le doigt pour simuler le mâchouillement du cigare au moment de prononcer "J'adore quand un plan se déroule sans accros". 
Évidemment, de tous, le rôle le plus connu est peut-être celui de Larry Hagman (J.R. Ewing dans Dallas). Dominique prenait un très grand plaisir à doubler cet odieux personnage, qui avait marqué le public à tel point que quand il montait sur une scène de théâtre on entendait chuchoter dans le public des "C'est J.R.!"

Mais pour votre serviteur, Dominique était tout simplement "le" héros de son enfance en ayant prêté sa voix au Robin des Bois de Walt Disney (1973). Dominique gardait d'excellents souvenirs de toute cette bande de joyeux copains qu'il retrouvait à la S.P.S. Il avait doublé relativement peu d'autres films d'animation, mais gardait une certaine fierté d'avoir doublé Les Fabuleuses Aventures du légendaire Baron de Münchhausen (1978) et enregistré le générique avec Michel Legrand.

Il y a parfois des doublages moins glorieux. Je lui retrouve un extrait de doublage de film pornographique des années 70 très prisé des amateurs de nanards comiques: "Je me souviens très bien de cette séance. On m'avait appelé pour ce doublage sans me dire ce que ce serait. Depuis ce jour, j'ai toujours demandé quel était le film que j'allais doubler avant de me déplacer (rires)."

Son activité était aussi très prolifique au disque (on lui doit notamment la narration des disques Star Wars) et à la radio (Les Maîtres du Mystère, dont le speaker annonçant les voix "par ordre d'entrée en ondes" était souvent, m'avait-il dit, son ami Jean Gastaut).

J'ai rencontré Dominique lorsque j'étais bénévole au Salon des Séries et du Doublage, puis l'avais convié à monter sur scène avec Paule Emanuèle lors de ma soirée Dans l'ombre des studios fête son non-anniversaire au Vingtième Théâtre (avril 2016). A partir de sa venue à cette soirée nous sommes devenus très amis et vus très régulièrement pendant un peu plus de trois ans, avant qu'il ne s'éloigne de Paris pour retrouver ses terres bretonnes.

Jean-Claude Casadesus, votre serviteur,
Jean-Jacques Debout et Dominique Paturel
(PHONO Museum, avril 2019)
Pour l'anecdote, je me souviens d'un concert de Jean-Jacques Debout au PHONO Museum où j'avais emmené Dominique et Marie. (Dominique était ravi de retrouver Jean-Jacques Debout qu'il avait connu à l'époque où ce dernier faisait du cabaret et passait juste avant Hubert Deschamps. Dominique jouait tous les soirs une pièce avec Hubert, véhiculait son copain (trop alcoolisé pour avoir une voiture) à son cabaret après la pièce, arrivait au moment du passage de Jean-Jacques et restait avec Jean-Jacques voir le numéro de Hubert).
Cinq minutes avant le début du concert, Jean-Jacques Debout apprend par mon ami Jalal (conservateur du PHONO Museum) que Dominique va assister au spectacle, s'absente, et retarde un peu le début du concert. Pendant la soirée, Jean-Jacques Debout dit au public qu'il a un vieil ami dans la salle, Dominique Paturel, et qu'apprenant sa venue il a réécrit une chanson pour lui ("Pauvre Georges-André" de Charles Trénet). Il demande au public de chanter ensemble le refrain "Dominique Paturel, comédien exceptionnel". Pendant toute la chanson, complètement délirante, Dominique est en larmes de rires, de joie et d'émotion.


Jean-Jacques Debout au PHONO Museum (avril 2019)

En septembre 2020, il était exceptionnellement revenu à Paris pour enregistrer cette très belle émission dont j'avais soufflé l'idée à France Musique et arrangé l'organisation:
https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/etonnez-moi-benoit/le-comedien-dominique-paturel-grande-figure-de-la-television-l-une-des-voix-les-plus-connues-du-cinema-3532589

Dominique avait tous les talents, et il était l'élégance, l'humour, la gentillesse et le charme incarnés. Veuf de la comédienne Nelly Benedetti, Dominique s'était remarié il y a quelques années avec sa compagne, Marie. Je pense très affectueusement à elle, ainsi qu'à toute la famille de Dominique.

Ses obsèques auront lieu vendredi à 14h30 à Pordic, village qui lui était très cher.



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4 commentaires:

  1. Merci Rémi, Merci du fond du coeur 🙏

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  2. Je venais de le revoir dans 2 pieces de theatre 😍 charmant et une voix très agréable. J'espère que la télévision redifusera un maximum de souvenirs pour satisfaire notre génération qui l'aimait tant

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  3. Grand monsieur et d'une grande gentillesse. Technicien de maintenance dans des studios de doublage, je le croisais assez souvent. En général, l'équipe était au complet et l'enregistrement se faisait avec tous les personnages de l'épisode. Et un jour, je l'ai vu tout seul dans le studio, je crois que ce devait être sur Dallas. Il n'avait pas pu faire l'enregistrement avec le groupe, il était en tournée en Belgique je crois. Et là, je l'ai vu enchainer les scènes les unes après les autres, sans reprendre et sans revenir en arrière, c'était bon à la première prise! A l'époque on enregistrait sur de la bande perforée et montage et correction étaient quasiment impossible et il valait mieux que la prise soit parfaite. Moment magique et inoubliable.

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