mardi 16 mars 2021

Hommage à Sylvie Feit (1949-2021)

Nous avons appris avec une très grande tristesse la disparition de la comédienne Sylvie Feit, mercredi 3 mars 2021 à Cannes. Très active au théâtre et passionnée par son art, Sylvie était également l’une des plus belles voix du doublage français, et une militante très impliquée pour la cause des artistes interprètes.
Un après-midi de juillet 2017, mon ami Gilles Hané et moi-même l’avions retrouvée pour un café-entretien, qui a duré près de trois heures. Par manque de temps, je n’avais pas encore retranscrit cette interview et ne pensais jamais que Sylvie, avec qui j’ai eu depuis le bonheur de partager plusieurs sorties spectacles et autres bons moments, nous quitterait si tôt.

(Remerciements à Béatrice Delfe, Bernard et Raphaël Bétrémieux, Bernard Métraux, David Gential et Gilles Hané)



Tandis qu’attablés dans un café bruyant, nous commençons à évoquer quelques noms de comédiens, pour certains disparus depuis longtemps, Sylvie Feit sourit : « Ça me fait plaisir de parler de toutes ces personnes avec vous. D’habitude je n’ose pas, ça fait vieux combattant. Je suis un dinosaure. »
Sylvie Feit naît le 29 juillet 1949 à Argenteuil. « Ma vie est un destin. Je suis née dans une famille avec beaucoup d’amour, mais qui était très pauvre. Mon père était mécanicien dans un petit garage. Nous vivions à cinq dans une pièce. »

A l’âge de cinq ans, Sylvie rêve de devenir danseuse étoile.
« Chez moi, il n’y avait ni radio, ni téléviseur, et nous ne sortions pas au spectacle ou au cinéma. Je n’avais jamais vu un ballet, alors comment cela m’est-il venu ? Je crois que c’est en allant chez une copine de classe qui vivait dans l’un des rares immeubles un peu chic d’Argenteuil, immeuble dans lequel mon mari et moi avons par la suite acheté notre premier appartement. Il y avait chez elle une photo ou une affiche de danseuse en tutu, et ça m’a fascinée ».
Sylvie danseuse
Sylvie mène la vie dure à ses parents, leur demandant tous les jours de l’inscrire à un cours de danse classique. Un couple de champions du monde de danse de salon vient justement d’ouvrir une école de danse, avec une classe classique. « Ma mère est allée voir ce professeur pour lui demander de me prendre à l’essai pendant un cours, en espérant que je m’en désintéresse au bout de quelques minutes. Et quand elle est venue me récupérer après le cours, le professeur a dit à ma mère que j’étais douée, et que comme nous n’avions pas d’argent il acceptait de ne pas me faire payer les cours ». Un ballet se forme et enchaîne les petits galas (Rotary, etc.) pour lesquels la mère de Sylvie coud les costumes. Très douée, Sylvie s’y épanouit complètement.

« Un jour, nous dansons pour les attractions de la Samaritaine, il y a là un magicien très connu et je discute avec sa fille et assistante. C’était un ange avec des paillettes, qui avait le même âge que moi : dix ans. Elle me raconte qu’elle va dans une école gratuite pour les enfants du spectacle. Et là, un nouveau combat avec mes parents s’annonce (rires) ».

Après que la mère de Sylvie se soit renseignée, Sylvie intègre l’École des enfants du spectacle (fondée par le comédien Raymond Rognoni), qui propose aux enfants des cours de théâtre, danse et musique le matin, des cours « normaux » l’après-midi, et la possibilité de préparer le concours d’entrée à l’Opéra.
« C’était gratuit, mais il fallait quand même aller à Paris seule, payer le métro. Levée à 6h, cours artistiques à 8h, école de 13h à 17h, puis cours de danse le soir, et retour à Argenteuil ».
L'École des Enfants du Spectacle
 aujourd'hui

A l’école, Sylvie se retrouve en même temps que les enfants Boda (fratrie de six enfants artistes ; deux d’entre eux, Benjamin et Elisabeth, ont doublé les enfants Banks dans Mary Poppins), les sœurs Dominique ("Mino") et Véronique Mucret (danseuses, d’origine antillaise), Catherine Demongeot (future « Zazie dans le métro »), Patrick Lemaître (futur compositeur, et trésorier de la SACEM), Gérard Palaprat (premier amoureux de Sylvie, qui deviendra célèbre dix ans après en chantant « Pour la fin du monde » et « Fais-moi un signe » composés par... Patrick Lemaître), François Leccia et Sylviane Margollé (comédiens et futures « grandes voix » du doublage). Cette dernière prend une place à part dans la vie de Sylvie. « Sylviane Margollé était comme ma sœur. A l’École des enfants du spectacle, c’était la star, elle avait joué la fille de Belmondo dans « Un singe en hiver », Cosette pour la télévision, et avait même tourné une petite française dans une série américaine, qui traitait du débarquement en Normandie. Nous n’avons pas été très longtemps en classe ensemble, mais nous sommes restées très amies. Elle trouvait que j’étais une « grande personne » car je me mettais du vernis en douce (rires). »

A l’école, Sylvie suit des cours de théâtre et reçoit des accessits. La plupart des metteurs en scène de théâtre et réalisateurs pour le cinéma ou la télévision font à l’époque leur choix d’enfants parmi ceux de l’École des enfants du spectacle. Sylvie joue dans plusieurs séries, pour le film Les Vierges (1963) de Jean-Pierre Mocky, et est choisie à douze ans par Jean Mercure pour jouer un rôle important dans la pièce Le Paria (1963) aux côtés de Gaby Morlay, Daniel Gélin et Jean-Roger Caussimon, l’un de ses meilleurs souvenirs.
« C’était un grand démarrage. A côté de ça, je me rendais compte que ça devenait compliqué financièrement pour mes parents de me payer les cours pour entrer au ballet de l’Opéra. J’adorais le théâtre et les tournages, et en plus je gagnais un peu d’argent. Je me suis donc imposé le choix de poursuivre la comédie et d’abandonner ma carrière de danseuse, même si j’ai continué à danser pour le plaisir avec un ballet, la compagnie de Cluny »
Sylvie dans Le Paria
.

Gaby Morlay va jouer un rôle décisif dans le parcours de Sylvie. Tout d’abord, au théâtre, après les représentations, Sylvie croise souvent la meilleure amie de Gaby Morlay, Nicole. Quelques temps après, Sylvie croise la Nicole en question à des obsèques familiales et se rend compte qu’elles font partie de la même famille. Cette cousine est mariée au bruiteur de Lingua-Synchrone (la société de doublage de Richard Heinz, à une époque où les bruitages étaient faits en même temps que le doublage). « Il m’a invitée à une séance dirigée par Richard Heinz. Je n’allais jamais au cinéma, donc je ne savais pas ce que c’était, je suis même allée voir derrière l’écran pour voir s’il y avait des gens qui parlaient (rires). Richard m’a fait passer un essai, qu’il a trouvé très bien, en croyant que j’en avais déjà fait. Les enfants comprennent vite. Puis il m’a appelée pour doubler une fille dans « Les Anges aux poings serrés » (1967) avec Sidney Poitier. Parmi les premières comédiennes que j’ai rencontrées au doublage, Claire Guibert, qui était une femme d’une élégance et d’une gentillesse ! J’étais très impressionnée, elle m’a pris ma main en me disant « Tout va très bien » avec son si joli regard et sa voix magnifique. J’aimais aussi énormément Martine Sarcey, qui était gentille, élégante, avec des convictions et du caractère ».

Par ailleurs, Gaby Morlay conseille à Sylvie de prendre des cours de théâtre plus professionnels. « Gaby m’a envoyée chez Teddy Bilis, qui donnait des cours à la Mairie du Xème. J’y ai rencontré Denis Llorca (fils de Serge Lhorca) qui est devenu comme un frère jumeau. Nous voulions tous les deux jouer la tragédie, moi Médée et lui Caligula 
». Pendant deux ans et demi, Sylvie reste chez Teddy Bilis tout en continuant les tournages et l’École des enfants du spectacle. Son professeur lui conseille de suivre les cours de Raymond Girard. Elle a quinze ans, Denis Llorca et elle se retrouvent en cours avec Jacques Frantz, Jean Barney et Bernard Menez, et passent le concours d’entrée au Conservatoire ensemble. « On était en-dessous de l’âge autorisé pour intégrer le Conservatoire, mais on a été pris grâce à une dérogation, comme auditeurs pendant trois mois, avant d’entrer au Conservatoire comme élèves. J’avais seize ans et demi ».
Sylvie se retrouve dans la classe de Robert Manuel, tandis que Denis Llorca entre dans celle de Fernand Ledoux. « J’adorais Fernand Ledoux mais il ne m’a pas pris dans sa classe, à mon grand regret ». Elle sympathise avec Catherine Salviat (fille de Robert Manuel et future sociétaire de la Comédie-Française), avec qui elle prend des cours de théâtre espagnol et part pour un mois de tournée à jouer du Garcia Lorca en espagnol. « Il y a quelques temps, Catherine a acheté une vieille malle du Conservatoire dans laquelle il y avait des dossiers et elle a retrouvé ma fiche. Elle me l‘a remise après une représentation ».

Magali Noël

Au bout d’un an, Sylvie reçoit simultanément des engagements pour trois projets, un au théâtre, un à la télévision et un au cinéma. « On ne pouvait pas prendre une année sabbatique au Conservatoire. Je suis allée pleurer dans le bureau de Roger Ferdinand, le directeur de l’époque, qui était un vrai papa gâteau pour les élèves. Il a été magnifique et m’a accordé mon année sabbatique ». Parmi ces trois projets, Jacques Charon l’engage pour une tournée de cinq mois de La Dame de chez Maxim (de Feydeau) avec la Comédie-Française (que Sylvie ne souhaitait pas intégrer). « Il y avait Denise Gence, Jacques Dumesnil, Jean-Jacques, Maurice Risch et Magali Noël qui revenait de tourner avec Fellini, et était avec moi un amour de femme, elle m’a pris sous son aile 
».

En même temps, pour la télévision, elle joue une championne de natation dans le feuilleton Nanou, avec dans la distribution Paula Dehelly, que Sylvie retrouvera souvent au doublage plus tard (notamment dans les Arabesque), et qui invitera régulièrement Béatrice Delfe et elle à des goûters petits gâteaux-champagne chez elle. Pendant le tournage de Nanou, l'agent de Sylvie l'envoie passer une audition pour jouer sous la direction de Jean Renoir dans Le petit théâtre de Jean Renoir (1970) avec Fernand Sardou. « Jean Renoir je ne savais pas qui c’était, je trouvais que c’était un vieux monsieur, mais comme mes parents étaient très impressionnés à l’idée que je le rencontre, je me disais que ça devait être important. J'ai réussi mon audition, mais malheureusement, Fernand Sardou ayant fait un infarctus pendant le tournage, le plan de travail a été modifié et on m’a demandé de venir en urgence dans le midi tourner mes scènes. Il me restait deux jours de tournage avec « Nanou », et le réalisateur de "Nanou" a refusé de modifier son plan de travail. Je l’ai su plus tard, mais Paula Dehelly, qui avait un cœur en or et un sacré tempérament, l’a traité plus bas que terre. Quant à moi, en colère de son arrogance, j’ai fait par vengeance quelque chose qui n’était pas du tout professionnel : je me suis coupé les cheveux le matin du dernier jour de tournage! Comme ma coupe de cheveux n’était pas raccord avec celle du reste de l’épisode, ils m’ont mis un bonnet de bain pendant toute la journée».


Françoise Laurent (Nanou, à gauche) et Sylvie Feit (Katty, à droite) et l'entraînement sévère de Paula Dehelly (l'entraîneuse) dans le feuilleton Nanou

Pendant cette année 1968, Sylvie tourne également un film franco-hispano-tunisien, Le Dernier Mercenaire (titre original : Gallos de Pelea). « C’était un film de série Z, je jouais la petite-amie d’un rebelle tunisien. Le metteur en scène espagnol est tombé (platoniquement) amoureux de moi, et m’a fait tourner pendant deux mois et demi au lieu d’un mois. A l’époque il n’y avait pas de portable, je ne pouvais pas prévenir mes parents. Mon agent, Claude Briac, qui était le Artmédia de l’époque, les rassurait en leur disant qu’il réécrivait mes scènes, et que du coup le tournage prenait plus de temps ».

Sylvie rentre à Paris… en mai 1968. « J’ai découvert la politique et démissionné avec pertes et fracas du Conservatoire. « Tous des traîtres ! » ». Elle se lance alors pleinement dans le théâtre et le doublage. Parmi ses premiers grands souvenirs de synchro, quelques années après Les anges aux poings serrés, toujours pour Richard Heinz (société de doublage Lingua-Synchrone, qui doublait la plupart des films distribués par Columbia Pictures) : Cinq pièces faciles (1970) avec Jack Nicholson. « Richard Heinz adorait diriger les acteurs. C’était un prince, un homme gentil, élégant, cultivé, et très protecteur envers les jeunes. Il nous invitait toujours à déjeuner chez Germain, rue Mermoz. Je l’adorais, et je le faisais rire car lui était très policé, avec une femme anglaise qui s’appelait Cherie alors que moi j’étais très nature, fille de banlieue. Il était venu à mon mariage. Il faisait du travail d’artisan, il ne vendait pas des sardines. Des gens comme Jacques Barclay et lui prenaient le temps : huit boucles par demi-journée, deux heures pour déjeuner. On ne pouvait pas revenir en arrière, donc quand on se trompait, on refaisait la boucle tous ensemble. »

Farrah Fawcett et Lee Majors dans
L'homme qui valait trois milliards
Sylvie commence à travailler énormément, outre Richard Heinz, pour Gérard Cohen (Record Film), Roger Rudel (S.P.S.), Jacques Willemetz (Les Films Jacques Willemetz) et Jacques Deschamps et Jacques Thébault (Synchro Mondiale / Interfilms). « Jacques Deschamps me considérait comme un « mec », j’étais un peu le fils qu’il aurait voulu avoir.
Quant à Jacques Willemetz, je n’ai eu quasiment que des rôles importants chez lui, c’est dans ce studio que Béatrice Delfe et moi nous sommes connues, et que nous avons plus tard repéré Patrick Poivey et l’avons lancé dans le doublage. A nos débuts, Béatrice et moi étions convoquées sur les mêmes essais. J’ai par exemple doublé, sous la direction de Jean-Henri Chambois (Synchro Mondiale) plusieurs guests dont Farrah Fawcett dans « L’homme qui valait trois milliards » avant que Béatrice ne la double dans « Drôles de Dames ». Béatrice et moi avons eu plus tard un emploi bien défini, elle la brune mystérieuse et rigoriste et moi la blonde insupportable qui se fait violer ou torturer. C’est ce schéma-là dans « Officier et Gentleman » (1982) (Béatrice double Debra Winger et Sylvie double Lisa Blount) et « Octopussy » (1983) (Béatrice double Maud Adams et Sylvie double Kristina Wayborn) »
.

Béatrice Delfe se souvient de sa rencontre avec Sylvie Feit : « J’avais tourné « Le Paria » de Claude Carliez en 1968-1969 avec Jean Marais et Horst Frank. Je suis allée me post-synchroniser chez Richard Heinz, qui a aimé mon travail et m’a proposé de faire du doublage. J’ai été formée au doublage par Richard, et j’ai rencontré très rapidement Sylvie chez Willemetz. Ce qu’elle dit à propos de nos emplois est vrai. On nous distribuait souvent sur deux bonnes copines. Dans « Officier et Gentleman », chez Heinz, nous enregistrions avec François Leccia -Sylvie l’avait connu à l’École des enfants du spectacle, il était adorable et on l’aimait beaucoup- et Joël Martineau. On avait aussi doublé toutes les deux « Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin» (1986) sous la direction de Jean-Claude Michel.
Je me souviens aussi du doublage du film d’horreur « La dernière maison sur la gauche » (1972). Certaines scènes étaient assez insoutenables, le film avait d’ailleurs été censuré dans certains pays. Comme Sylvie était enceinte, je lui ai proposé de sortir du studio et d’enregistrer ses cris à sa place dans les scènes d’horreur. Ce film d’horreur, nous l’avons doublé chez Jacques Willemetz, c’est là où nous avons le plus travaillé ensemble et où nous avons eu nos plus grands fous rires, Sylvie et moi. C’était la belle époque. Jacques était particulier, il disait beaucoup de bêtises et refaisait complètement le film. Il avait des indications de jeu comme «Tu peux crier sans parler fort ? » ou « Sur-articule mou ! ». Quand il se mettait en colère, on claquait la porte du studio. Un jour, Bernard Murat lui a dit « Ne me re-convoque plus jamais ! » et il lui a répondu « Je te re-convoquerai si je veux ! » (rires) et il l’a re-convoqué illico presto.
Il y a eu une époque, vers 1976, où c’était la mode des pornos -pornos soft, mais quand même du porno-, on les doublait chez Willemetz, Record Film, CELTEC, etc. Une fois, on arrive à 9h30 du matin en studio et Sylvie, voyant ce qu’on va doubler, dit « Je crois que je vais manger une petite tarte pour me donner du courage » (rires) et elle va au bar commander une tarte. »


Parmi les actrices que Sylvie double à cette époque, la belle Geneviève Bujold dans Obsession (1976) et Morts suspectes (1978). « On m’a dit que c’était Geneviève Bujold elle-même qui m’avait choisie pour « Morts suspectes ». On était très proche physiquement. Marion Loran l’a également doublée une fois où je n’étais pas libre ».

Pour Bo Derek, la "rencontre" se fait autrement. Sylvie croise dans les studios de La Garenne (où s’enregistrent les doublages S.I.S. et Sonorinter (Didier Breitburd)) Fyana Narwa, canadienne anglophone, à l’accent anglais très prononcé, qui fut assistante de plusieurs patrons de doublage. Elle lui dit qu’elle fait passer des essais pour une nouvelle star blonde magnifique et lui demande des idées : « Comme elle connaissait bien son métier, je me suis dit que si elle ne pensait pas à moi c’est qu’elle avait ses raisons. Je lui propose toutes les jolies voix enjôleuses de l’époque : Evelyn Selena, etc. Puis nous nous recroisons plusieurs fois, et à chaque fois Fyana me dit « Ma chérie, c’est infernal, ils me renvoient tous mes essais à la gueule ». »
Fyana Narwa demande à Sylvie comme un service personnel de passer les essais, pour mettre en valeur d’autres choix qui lui paraissaient plus pertinents. « Jacques De Lane Lea, nouveau patron de la S.I.S., m’a vue arriver, je pense que je jouais la pièce 
« S.O.S.» à l’époque et pesais 45 kg, quand je disais que je doublais Ornella Mutti, on me prenait pour une mythomane. Le lendemain, Fyana m’appelle : « Tu es choisie ! Tu es my chef d’œuvre !». Des années après, on s’est croisées à une manifestation pour les intermittents et elle s’est exclamée « Tu es là, my chef d’œuvre !» (rires). »
Le jeu de Bo Derek étant assez limité, le doublage est parfois compliqué. « Dans « Elle » de Blake Edwards, je souffrais, et Pierre Arditi, avec qui j’avais déjà travaillé sur « L’homme de l’Atlantide », se moquait de moi. Mais le pire était pour « Tarzan, l’homme singe » où là le directeur artistique m’a demandé d’être mauvaise et de ne pas chercher à l’améliorer, c’est un très mauvais souvenir. L’histoire a une suite : un jour, Martine Cohen (Record Film), que j’aimais beaucoup me dit « On a un film avec Bo Derek qui arrive, mais la comédienne que j’ai entendue dans « Tarzan », je ne sais pas qui c’est mais c’est catastrophique, il va falloir que je trouve quelqu’un d’autre. » Je lui ai dit « Tu vas être très déçue mais la comédienne… c’est moi. Mais je suis contente que tu ne m’aies pas reconnue ! ».»

Le directeur artistique qui avait dirigé Sylvie dans Tarzan, l’homme singe la convoque un jour pour doubler Karen Allen (que Sylvie avait déjà doublée par le passé) dans Terminus (1987) de Pierre-William Glenn, avec Johnny Hallyday. La première projection avait fait un tel flop que le film avait été complètement remonté et devait être entièrement post-synchronisé dans un studio au Perray-en-Yvelines.
« Je n’avais pas compris que je devais enregistrer en même temps que Johnny. Il arrive en retard avec toute une cour qui lui tend des chewing-gums, ne comprend pas les indications du directeur artistique (le réalisateur, lui, n’était pas présent sur le plateau), et ça devient très compliqué. A un moment, j’ai une scène typique de celles que je sais le mieux faire, où je me fais torturer, violer, etc. Johnny est sur le cul et me demande « Comment vous avez fait ça ? » « Je joue, tout simplement ». A partir de là, il m’a demandé que je le dirige dans ses scènes, le directeur artistique s’est fait discret, et nous avons eu une relation professionnelle très jolie pendant trois jours, où il arrivait seul et à l’heure. »

Sylvie double aussi Sally Field dans Jamais sans ma fille (1991). « C’était Sylviane Margollé qui l’avait doublée au début de sa carrière. Après l’École des enfants du spectacle, Sylviane et moi nous sommes un peu perdues de vue, nous avons fait notre vie, puis on s’est retrouvées à la synchro et nous ne nous sommes plus quittées jusque sa mort. On s’est demandé comment on avait vécu l’une sans l’autre. Après, elle a vécu aux Etats-Unis, j’y allais souvent, et elle venait en France, nos maris étaient tous deux batteurs dans des groupes de rock donc nous nous entendions bien. Elle est décédée en 2005 suite à une opération chirurgicale qui devait être bégnine. L’histoire incroyable est qu’elle est morte quand je jouais Madame Thénardier (Théâtre XIII et théâtre de Vaison-la-Romaine), alors que quand je l’ai connue elle jouait Cosette. Au téléphone elle me disait « Tu ne pourras jamais jouer Thénardier, tu es un cœur d’artichaut, tu n’es pas assez méchante !»».

Avant que l’actrice ne se double elle-même en français, Sylvie double régulièrement Ornella Muti. « Mon préféré, c’était « Wait until spring, Bandini » (1989) ». Un jour, lors d’un dîner à Cannes, un client lui dit se désoler qu’elle n’ait pas pu doubler Ornella Muti dans un film : « La société de doublage nous a dit que vous n’étiez pas libre ». Sylvie était bien libre, mais cette histoire est symptomatique de certaines sociétés ayant une écurie de comédiens « maison » qu’elles casent à tout prix, quitte à mentir sur la disponibilité des voix habituelles. Autre anecdote : « Pendant la grève de 1994, j’ai été interviewée par Arthur qui m’a demandé si je pouvais « lui faire la voix d’Ornella Mutti ». J’étais un peu consternée par sa question, mais j’ai compris ce qu’il voulait, j’ai fait un « ha » très évaporé ».

En série, Sylvie enregistre la série Playboy à Dubbing Brothers sous la direction de Jacques Deschamps avec François Leccia, Emmanuelle Bondeville, Pauline Larrieu, Joël Martineau, etc. « On a gagné énormément d’argent car on était payé royalement et on faisait ça rapidement. L’ingé-son de Dubbing Brothers enregistrait tout ce qu’on disait entre les prises et un jour il avait fait un bêtisier, mais malheureusement il avait laissé une phrase de Deschamps qui nous disait « On va trop vite, vous êtes trop bons » et les patrons n’ont retenu que ça de notre boulot (rires). Ils nous disaient « vous nous avez volés » (rires) ».

Parmi les autres actrices régulièrement ou occasionnellement doublées par Sylvie : Britt Ekland (L’homme au pistolet d’or (1974)), Teri Garr (Rencontres du troisième type (1977)), Melinda Dillon (F.I.S.T. (1978)), Mia Farrow (L’Ouragan (1979)), Belinda Montgomery (série L’homme de l’Atlantide (1979)), Jamie Lee Curtis (Fog (1980)), Frances Conroy (Broken Flowers (2005)), etc. « Je me souviens aussi d’un film qui s’appelait « Piranhas ». Je venais de tourner avec Pierre Santini à Argenteuil une série dans laquelle il jouait un juge, et on s’est retrouvé juste après dans ce doublage ».

Claude Bertand (Roger Moore), Jacques Thebault (Christopher Lee) et Sylvie Feit (Britt Ekland) dans 
L'homme au pistolet d'or (1974)

En dessins animés, Sylvie double notamment la douce amie Joan et divers autres personnages féminins dans Capitaine Flam, à la SOFI, aux côtés de Philippe Ogouz. « On se connaissait tous par cœur à la SOFI, il y avait beaucoup de talent, avec des comédiens comme Arditi, Hernandez, Carel, Pradier, Selena, etc. Quand Evelyn parle de « cocheurs de boucles » en évoquant les directeurs artistiques qui dirigeaient là-bas, il faut préciser que les comédiens étaient tellement talentueux que les directeurs artistiques n’avaient souvent pas grand-chose à dire. Ca marchait bien, mais on a commencé à se rebeller sur les textes qui étaient de plus en plus mal écrits. Et puis il y a eu des guerres d’ego, une course entre les directeurs de plateau qui faisaient des paris en disant « Moi, ce film, je te le fais en trois jours », « Eh bien moi, qui suis plus fort que toi, je te le fais en deux jours et demi », ce qui fait que les temps d’enregistrement se sont réduits de plus en plus. Les directeurs artistiques, qui aussi écrivaient et s’attribuaient parfois le rôle principal, ont été responsables de cette baisse de qualité ».

Sylvie dirige aussi ponctuellement des doublages, notamment pour CELTEC ou bien encore pour la société de Jean-Pierre Dorat.

Béatrice Delfe
Dans les grandes années d’activité de Sylvie, Béatrice et elle travaillent beaucoup. «Il n’y avait pas vraiment de concurrence, car nous étions sur des emplois différents, qui évoluaient avec nos âges, je n’étais par exemple pas sur le même créneau que Francine Lainé. Avant nous, les voix à la mode étaient Perrette Pradier et Evelyn Selena, puis Danielle Volle et Tanya Torrens, puis Béatrice et moi. Et quand Catherine Lafond et Maïk Darah sont arrivées, nous les avons encouragées. Maintenant, ce sont des filles comme Laura Blanc et Laura Préjean. Je trouve les voix actuelles moins timbrées qu’auparavant, et j’ai beaucoup plus de mal à les identifier.»
Un jour, Sylvie entend une comédienne se plaindre « De toute façon, avec Delfe, Pradier et Selena, y a rien à faire, elles bouffent tout le marché ! ». Ne s’étant jamais sentie en compétition, et bouleversée par ce qu’elle vient d’entendre, Sylvie décide de créer un groupe de solidarité féminine vers 1979, avec notamment les trois "Drôles de Dames" (Béatrice Delfe, Perrette Pradier, Evelyn Selena), Sylviane Margollé, Dominique Macavoy, Marion Loran, Marion Game, Francine Lainé (que Sylvie adorait), Jacqueline Porel, rejointes plus tard par Jacqueline Cohen, Paule Emanuèle et d’autres. « Le jour de notre première réunion, je leur ai dit « L’une d’entre vous, qui est présente ici, a dit ça l’autre jour, et ça m’a bouleversée. Vous êtes toutes très talentueuses et sympas, nous devons être solidaires les unes des autres, discuter ensemble ». On a fait ce groupe pendant des années, surnommé par les hommes « le groupe des salopes » parce qu’évidemment ils se demandaient de quoi on parlait, car tout ce qui se disait dans nos réunions touchait à nos vies intimes, nos vies de femmes, et on n’en parlait pas à l’extérieur. Alors on mentait, car comme on s’était rendues compte en discutant que nous avions eu des amants en commun, on leur disait « On ne parle que de vous et on vous met des notes ». Perrette était la reine pour leur instiller des inquiétudes, elle leur disait « On ne t’a pas mis une bonne note hier » (rires). C’était une aventure magnifique, qui n’existe plus. »
Béatrice se souvient également de ces réunions : « C’était bien arrosé, on s’échangeait nos vêtements, on se faisait des ventes aux enchères. Dans le groupe, il y avait Perrette, qui m’avait remplacée sur Farrah Fawcett sur un téléfilm que je ne pouvais pas doubler, vivant alors un drame personnel. Perrette avait signé en mon nom et demandé qu’on m’envoie le chèque. C’était formidable. Quand, il y a quelques jours, Sylvie est décédée, je les ai toutes appelées pour leur apprendre la nouvelle. Elles sont tristes de voir partir notre petite benjamine. Seule Martine Maximin, dans notre groupe, est plus jeune. Sylvie l’a connue à la Compagnie Je Tu Il. Sylvie et elle s’aimaient beaucoup, et c’est moi qui l’ai mise au doublage. »


En parallèle du doublage, Sylvie continue le théâtre, où elle retrouve une partie de ses amies du doublage. Le metteur en scène Bernard Bétrémieux, mari de Béatrice Delfe, crée en 1981 la Compagnie Je Tu Il, qui présente principalement des spectacles éducatifs et des films à destination des enfants et adolescents. Sylvie fait partie de nombreuses aventures avec cette compagnie, aux côtés de Béatrice, Bernard Métraux, Martine Maximin et Didier Riey (compositeur):
S. Feit, D. Riey et B. Métraux
« Dans « S.O.S. », pièce de prévention contre la drogue, je jouais une jeune adolescente, leader d’un groupe de rock, dont personne ne se rendait compte qu’elle sombrait dans la drogue. Mon personnage volait de l’argent pour acheter sa drogue, les mômes dans le public ne le supportaient pas et je me prenais des boulons dans la tête. C’était le début où on parlait de ça ; on a fait tout un travail avec la police, les médecins, les services sociaux. Mon rôle était difficile, et les parents m’envoyaient des courriers en s’identifiant à leurs enfants toxicomanes « Vous avez peut-être connu mon fils, etc. ».
Je jouais une ado sur scène, mais j’avais 38 ans, et deux enfants. Un jour, deux ados sont venus me complimenter après le spectacle, en me disant que je jouais trop bien de la guitare, etc. et se sont rendus compte que je n’avais pas 16 ans. L’un dit « Mais vous êtes vieille !» « Vous me donnez quel âge ? » «Vous ne serez pas fâchée si je vous le dis? » « Non » « Au moins 23 ans !» (rires) »
.
Béatrice s’en souvient de son côté : « On avait commencé par « Défense d’en parler » qui était un spectacle formidable sur la sexualité, à destination des enfants de 6 à 12 ans. C’était un spectacle interactif, on prenait les enfants avec nous sur scène et les parents étaient dans les gradins. On ne prenait jamais d’adultes seuls, pour éviter le voyeurisme. C’était une adaptation de mon mari d’un spectacle allemand que j’avais traduit, étant germaniste. On abordait tous les sujets de sexualité « Qu’est-ce que c’est qu’un garçon, une fille, etc. » et les enfants posaient toutes les questions qu’ils voulaient. Il y avait une énorme poupée pour montrer l’accouchement, je faisais la maman et Sylvie le bébé. Quand Sylvie arrivait, tout le monde se précipitait sur elle, c’était un spectacle magique. La presse venait, et les journalistes étaient obligés de venir avec un enfant. Ca a été formidable. Après on a continué avec « C’est quoi l’amour ?» sur la sexualité des adolescents, au Théâtre de la Plaine (dans le XIVème).C’était avant le sida, si on l’avait fait après il y aurait eu des scènes qu’on aurait présentées autrement. Sylvie disait que j’avais un gros cul, tapait sur son cul et je lui répondais, on parlait de masturbation, etc. Les jeunes ne nous chahutaient pas, ils étaient fascinés. Et dans « S.O.S . », sur la toxicomanie, elle était magnifique. On en a fait un film. Sylvie a également tourné pour nous dans « Histoires d’en parler». »

Hommage à Sylvie
(Participations de Sylvie aux spectacles et films de la Compagnie Je Tu Il. Montage réalisé par Raphaël Bétrémieux pour Dans l'ombre des studios. Archives : Compagnie Je Tu Il / Bernard Bétrémieux et Béatrice Delfe)


Sylvie se retrouve aussi dans des pièces de café-théâtre écrites ou mises en scène par Gérard Hernandez (Areu = Mc2) ou Francis Lax, et elle est mise en scène par Michèle Montel (célèbre voix de Diana Rigg dans la série Chapeau melon et bottes de cuir) dans Les portes claquent avec Gérard Darmon et Gérard Hernandez. « Michèle Montel était une femme impressionnante et énergique, qui savait ce qu’elle voulait. »

Lita Recio
Sylvie fait également toute une tournée théâtrale (une pièce de Labiche et des poèmes d’Eluard, etc.) en Afrique (dix pays, en 1974) avec Lita Recio, Pierre Leproux, Arlette Thomas et Joseph Falcucci.
« Lita était une pétroleuse, bonne vivante, très marrante. Elle aimait boire, manger, et les hommes. Elle avait déjà 70 ans, et voulait nous suivre tout le temps quand la nuit avec Joseph on faisait le mur pour aller dans des endroits un peu borderline sur le plan de la sécurité ou de l’hygiène… ce qui nous obligeait à faire le mur encore plus discrètement. Le lendemain elle nous disait « Mais je ne suis pas vieille ! ». Alors on faisait des parties de gin rami avec elle pour lui faire plaisir, car elle adorait ça. »

Autre souvenir, le Gala de l’Union des Artistes en 1978. « Suite à un pari stupide, Gérard Hernandez nous avait mis en scène. Evelyn Selena était habillée en chanteuse de saloon et chantait « I’m a poor lonesome cowboy » accompagnée à la guitare par Jerry, le futur mari de Sylviane Margollé, américain, qui ne parlait pas un mot de français. Anie Ballestra, Sylviane Margollé, Béatrice Delfe et moi étions déguisées en Dalton, et Perrette Pradier était déguisée en Ma Dalton. On se bagarrait avec les cascadeurs de Claude Carliez ».
La séquence a été diffusée complètement remontée avec une grosse coupe, une bande son orchestrale ajoutée, etc. Si l’intérêt artistique du numéro est limité, le plaisir de retrouver réunies sur scène ces six grandes voix du doublage est grand, avec même un petit clin d’œil amusant : quelques années après l’avoir interprétée « en chair et en os », Perrette Pradier deviendra la voix de Ma Dalton dans les dessins animés Lucky Luke. Autre coïncidence, celui qui a eu l’idée de réunir les six comédiennes n’est autre que le comédien Jean Berger, voix de Charlie dans la série Drôles de dames. Béatrice s’en souvient : « Chaque année, le Gala de l’Union, demandait aux jeunes comédiennes de faire les hôtesses et placer les spectateurs. Avec Sylvie, on l’a fait l’année précédente, et en voyant un numéro un peu tarte, on s’est dit « Pourquoi pas nous ? ». Jean Berger, qui nous aimait beaucoup, a organisé ça, relayé par Guy Marly, qui était l’organisateur de la soirée. Sylvie et moi faisions les acrobaties, et Anie et Sylviane s’étaient entraînées au fouet. Par ordre de sortie, à la fin du numéro, on peut reconnaître dans la vidéo Anie, Sylviane, Sylvie (blonde), moi, Perrette et Evelyn. On était plutôt pas mal, je trouve ! ».

Numéro du Gala de l'Union des Artistes (1978)
avec Anie Ballestra, Sylviane Margollé, Sylvie Feit, Béatrice Delfe, Perrette Pradier et Evelyn Selena


Sylvie (à droite)
sur les barricades
en mai 68
Sylvie Feit, c’est aussi un militantisme passionné pour les droits des interprètes. Elle crée au S.F.A. (syndicat des acteurs, dépendant de la C.G.T.) une section doublage avec Bernard Murat, Béatrice Delfe, et le soutien de quelques anciens comme Jacques Deschamps, Jacques Thébault et Georges Atlas, qui voulaient du sang neuf pour relancer la machine syndicale. Ils sont rejoints par Daniel Gall et Jimmy Shuman, « le seul américain cégétiste de la terre entière » plaisante Sylvie.
Elle participe à plusieurs grèves, et mène avec Daniel Gall et d’autres la grande grève du doublage de 1994, en présidant 75 assemblées générales. « Les patrons de sociétés de doublage vendaient notre travail sans demander de contrepartie pour les acteurs. Or, nos droits d’interprète ne peuvent pas être vendus. Nous les avons menacés de nombreuses fois d’une grève, sans être entendus. Les patrons ont dit qu’ils allaient rester neutres, et ont finalement dénoncé notre convention collective et monté les techniciens contre nous ».
Au milieu de ce séisme, où les comportements de certains (lettres de dénonciation, arrangements financiers, etc.) ne font pas honneur à la nature humaine, Sylvie reste droite dans ses bottes et fidèle à ses convictions. « J’étais certainement excessive et peut-être manipulée par la C.G.T. et le Parti Communiste, etc. comme le prétendaient certains, mais j’étais honnête, et dans ma conscience d’obtenir une reconnaissance de nos droits ».
Sylvie, grève de 1994

Un soir, Sylvie est invitée sur le plateau du journal de FR3 pour parler de la grève. Face à la diffusion d’une interview d’un patron de doublage connu pour ses multiples faillites organisées et déclarant qu'il risque d'être 
« ruiné par la grève », Sylvie réagit en disant « qu'il remontera une autre société, comme cela se fait depuis trente ans ». Erreur fatale, comme elle l'admet elle-même. Dès le lendemain, elle apprend que ce patron, président du conglomérat de doubleurs, a demandé sa tête, et qu’elle est en tête d’une liste noire de 150 comédiens. En 1995, à la sortie de la grève qui est un demi-échec (la convention DADR permet aux comédiens de recevoir un complément sur leur cachet correspondant à un rachat de droits, mais ils ne touchent rien sur les diffusions), Sylvie passe de 200 cachets par an à zéro, moment où elle arrête également sa compagnie théâtrale et son activité syndicale.
« Je ne voulais pas pleurer pour aller enregistrer deux lignes. Ceux qui, comme Daniel Gall, ont essayé de continuer à travailler alors qu’ils étaient sur liste noire, ça leur a détruit leur moral et leur santé. L’INA ouvrait des stages de doublage pour les comédiens, j’ai postulé comme formatrice et j’ai été prise. Je suis également entrée à l’ADAMI. J’ai été remplacée sur la plupart des actrices que je doublais.»
A l’ADAMI, Sylvie s’investit énormément pour les artistes, crée les Talents ADAMI Cannes qui récompensent de jeunes comédiens. Elle continue également de soutenir les jeunes metteurs en scène, en participant à un nombre incalculable de lectures théâtrales et d’ateliers, et en allant voir les spectacles des autres. Au Festival d’Avignon, ses comptes-rendus de spectacles permettent chaque année de partager ses coups de cœur et soutenir de petites compagnies.
A propos de l’engagement de Sylvie, Béatrice témoigne : « Au syndicat, nous étions les deux « soldates » de Bernard Murat –encore un Bernard dans nos vies ! On a bien défendu le secteur du doublage, gagné des grèves et préservé le prix de la ligne. Puis nous avons fait celle de 1994 avec Daniel Gall, qui a fait un travail énorme, et Jimmy Shuman. Sylvie a été d’un courage extraordinaire, mais parfois excessif, qui lui a coûté cher. Elle avait gardé la fougue de sa jeunesse, comme quand elle avait démissionné du Conservatoire. A l’ADAMI, elle ne lâchait rien mais était devenue plus raisonnable et plus diplomate. »

Elle continue très ponctuellement le doublage (une dizaine de cachets par an). « Je viens d’enregistrer chez VF Productions (Yann Le Madic) rue Lincoln une guest russe dans la série « The Americans ». Et je vais faire, pour le dessin animé « Ariol » (une famille d’ânes), la chanson de la grand-mère d’Ariol avec Patrick Préjean qui interprète le grand-père paternel et Christine Delaroche. On doit enregistrer le générique, qui sera dirigé par Luq Hamett. C’est de la création de voix, ils réalisent le dessin animé à partir de nos enregistrements ».

Taquinée par ses amis à propos du « repos forcé » que le confinement imposait à cette insatiable spectatrice, celui-ci a malheureusement été de trop courte durée pour Sylvie. D’une brève maladie, qu’elle a affrontée avec courage et discrétion, elle s’est éteinte le 3 mars 2021 à Cannes, où elle avait rejoint son fils, David. Nous pensons très affectueusement à lui ainsi qu’à tous ses proches. Sylvie va énormément nous manquer.



Sylvie Feit (Syria) et Philippe Ogouz (Capitaine Flam) dans Capitaine Flam


Suivez toute l'actualité de "Dans l'ombre des studios" en cliquant sur "j'aime" sur la page Facebook.