dimanche 23 janvier 2011

"Dans l'ombre des studios" sur Facebook!

J'ai le plaisir de vous annoncer que la prochaine interview publiée sur Dans l'ombre des studios... sera un petit entretien avec le chanteur Jean Stout, qui fût certainement la plus grande basse studio française du milieu des années 50 à la fin des années 90... et la mythique voix chantée de Baloo dans Le Livre de la Jungle!

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mardi 18 janvier 2011

Philippe Dumat : voix et images (Partie 2/2)

Pour lire la précédente partie de l'article (partie 1/2), veuillez cliquer ici



Archives

Rares sont les artistes de sa génération qui ont tenu une comptabilité précise de ce qu’ils ont fait dans leur carrière. Aujourd'hui, avec les droits Adami sur les doublages de films et séries européens, les comédiens ont compris l'importance de conserver leurs fiches de paie, lister leur travail avec précision, etc.


Philippe, lui, avait consigné toutes ses activités artistiques dans ses agendas depuis ses débuts en 1943 et les avait ensuite retranscrites soigneusement, mois par mois, dans des carnets, jusqu’à sa mort. Il y écrivait dates, titres de films, numéros d’épisode, directeurs artistiques, lieux de tournage, remplacements lors de changement de distribution, etc. Des informations d’une grande richesse pour les voxophiles.



 

La carte de con

Signe de son auto-dérision, Philippe avait une carte Hara Kiri attestant qu’il était un véritable con. Et cette carte n’était pas signée par n’importe qui !





Rire et chansons : du rire et du rock !


En 2002, Philippe avait été sélectionné pour être la voix d’antenne de « Rire et Chansons ». Il se rappelait avec humour du casting, où des messieurs très sérieux, en costume l’écoutaient. L’un des dirigeants lui avait alors demandé, timide, « Vous pouvez me faire Gargamel ? »
Voici un montage qui garde en mémoire les séances d’enregistrements de jingles que Philippe avait fait pour la « radio du rire ».


Philippe Dumat en quelques rôles


Quels DVD faut-il regarder pour avoir un panel à peu près représentatif du talent de Philippe Dumat ?

Pièces de théâtre :

Une comédie policière qui se passe dans le milieu du théâtre :
Le troisième témoin (de Dominique Nohain) : rôle du chauffeur

Films :

Une célèbre comédie avec Louis De Funès :
Le petit baigneur (de Robert Dhéry) : rôle de l’employé un peu lourdingue de Fourchaume lors de la fête d’entreprise

L’un des tournages préférés de Philippe car il marque sa rencontre avec Gabin (avec qui il avait déjà joué dans Archimède le clochard mais dans un plus petit rôle) :
L’année sainte (de Jean Girault) : rôle du directeur de la prison

Deux beaux films à petit budget qu’il a aimé tourner avec toute une bande de copains :
L’Américain (de Marcel Bozzuffi –malheureusement jamais sorti en DVD-) et Le Voleur de Feuilles de Pierre Trabaud


Films (doublage) :

Un grand classique, et l’un des films préférés de Philippe :
Le Limier (de Joseph L. Mankiewicz) : rôle d’Andrew Wyke (Laurence Olivier)

Le premier film d’une saga mythique :
Star Wars : Un nouvel espoir (de George Lucas) : rôle d’Obiwan Kenobi (Alec Guinness)


Séries (doublage) :

Sa série préférée :
Matlock : rôle de Ben Matlock (Andy Griffith)

Son rôle le plus comique :
Papa Schultz : rôle de Papa Schultz (John Banner)

Une série mythique :
Drôles de Dames : rôle de Bosley (David Doyle)


Films d’animation (doublage) :

Le film d’animation préféré de Philippe, avec un personnage de ronchon au grand cœur qui lui ressemblait beaucoup :
Rock O Rico (de Don Bluth) : rôle du chien Patou

Idem :
Basil, détective privé (de Ron Clements) : rôle de Dawson

L’un de ses doublages les plus géniaux
Robin des Bois (de Wolfgang Reitherman) : rôle du Prince Jean


Séries d’animation (doublage) :

Les célèbres Schtroumpfs (rôle de Gargamel), La Bande à Picsou (rôle de Picsou), Les Fous du Volant (rôle de Satanas)


Radio :

Les nouvelles policières radiophoniques de Radio Nederland que vous pouvez écouter et télécharger gratuitement à cette adresse


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Philippe Dumat : voix et images (Partie 1/2)

Voici cinq ans ce mois-ci que Philippe Dumat nous a quittés. Celui dont la voix incarna l’Oncle Picsou, Gargamel, le Prince Jean et Obiwan Kenobi était un comédien excellent et un homme hors du commun, profondément bon et drôle.

Je lui ai déjà rendu hommage en plusieurs occasions. (Portrait, Hommage, Page Facebook). Cette année,  j’ai choisi d’interviewer le comédien Edgar Givry qui avait beaucoup d’admiration et d’amitié pour lui, mais aussi de vous faire une « visite guidée » de documents exceptionnels, rares ou inédits que j'ai retrouvés grâce à sa famille, et qui vous en apprendront un peu plus sur le comédien, l’homme, et sur le métier de comédien en général.

Je vous réserve pour cette année bien d’autres jolies surprises concernant Philippe.

(Interview d'Edgar Givry, recherche de documents et commentaires des documents: Rémi C. 
Remerciements à Edgar Givry pour sa disponibilité et à Babette Dumat pour sa généreuse participation à mes recherches)


Entretien avec Edgar Givry


Comment avez-vous connu Philippe ?

Edgar Givry
Philippe et moi nous nous sommes connus paradoxalement au théâtre, car c’était une époque où je faisais très peu de doublage, principalement des petits rôles.
Nous jouions dans La bonne soupe (mise en scène de Jean Meyer)  à Lyon au Théâtre des Célestins, avec toute une troupe énorme d’ailleurs car je crois qu’il y avait 33 personnages qui étaient joués par 15 acteurs. Il y avait Patrick Préjean, Olivier Lejeune, Nathalie Juvet, Roger Carel, etc. On a donc joué la pièce un mois à Lyon (en décembre 1979, ndlr), et on l’a reprise ensuite au Théâtre Marigny. Je dois dire que j’ai été très épaté par Philippe et par sa faculté d’invention.

J’ai tout de suite trouvé cet acteur tout à fait étonnant. A cette époque là, petit à petit, le doublage a commencé à m’appeler de plus en plus et on s‘est retrouvés dans des studios, notamment sur Papa Schultz (dans lequel Philippe Dumat doublait Papa Schultz et Edgar Givry doublait le sergent Carter, ndlr), que j’ai même dirigé à une certaine époque. On est devenu très amis, et je dois dire que c’est un comédien exceptionnel… Il y a une chose étonnante avec Philippe : l’un des défauts de beaucoup d’acteurs de doublage est de ne pas écouter la voix originale de l’acteur car souvent les comédiens répètent le texte français en même temps que l’image passe, puis se plantent car ils n’ont pas assez écouté l’anglais. Et lui c’est le seul que j’ai vu faire de la manière qui suit: il n’écoutait pas, il répétait tout seul, et c’était extraordinaire. Il avait ce défaut-là mais il était tellement génial, qu’à chaque fois j’étais sur le cul ! Il devait avoir quatre oreilles pour entendre tout en même temps, ça m’a toujours bluffé !

Vous l’aviez surnommé « Maréchal Grommel », un surnom comique qui lui ressemblait beaucoup !

Je l’ai surnommé Maréchal Grommel car j’avais à l’époque tendance à donner des surnoms un peu à tout le monde. Michel Gatineau (la voix de Derrick), qui lorsqu’il dirigeait disait uniquement « long, court, court » je l’avais appelé « Le capitaine au long court », Roger Rudel c’était « Kirk Doublage », un surnom un peu vache… D’ailleurs, Patrick Floersheim m’a dit « Jamais tu ne m’appelleras Michael Doublage ! » (rires).

Maréchal Grommel, c’était parce que son jeu était de grommeler et de râler tout le temps. Mais à chaque fois qu’il était sur un plateau il y avait une ambiance formidable. Je ne l’ai jamais vu colérique, s’emporter contre quelqu’un. Et pourtant, Dieu sait qu’on en a vécu quelques galères ! C’était un type formidable.

Il était d’une humilité et d’une grande gentillesse, ça ne gâtait rien ! Il a commencé à parler de sa carrière et m’a appris beaucoup de choses, notamment qu’il avait été la doublure de François Périer pendant des années… Je trouvais ça tellement dommage pour lui d’avoir toujours été dans l’ombre de François Périer, un comédien qui nous rapprochait un peu plus parce que j’ai eu le prix François Périer au cours Simon. J’ai beaucoup de tendresse pour Philippe parce qu’il était exceptionnel et qu’il n’a pas eu la carrière qu’il méritait. En même temps j’ai cru comprendre qu’il avait un trac fou. Ce sont des choses qui peuvent paralyser les gens, c’est pour ça que le doublage est une porte de sortie intéressante pour certains acteurs. Et en même temps je regrette tellement que Philippe n’ait pas fait une carrière plus en lumière…

Il me parlait souvent de ses tournées qu’il faisait pendant la guerre quand il était jeune. C’était extraordinaire de l’entendre raconter ça. Il voyageait à pied avec des malles dans tous les villages de France et c’était incroyable. Mon seul regret est que j’aurais voulu qu’il me raconte ça davantage car j’avais une idée de scénario là-dessus…


(Le comédien Edgar Givry est la voix française habituelle de John Malkovitch et de Richard Dean Anderson alias "MacGyver ". Il a joué dans plusieurs films de Francis Veber, dont Le Dîner de Cons dans le rôle de Cordier, l’ami de Pierre Brochand qui déniche Pignon dans le train.
Il a tourné l’été dernier dans le film L’élève Ducobu de Philippe De Chauveron le personnage du proviseur, et cet hiver dans un épisode de Joséphine ange gardien (rôle du directeur d’un orchestre de Massy). Par ailleurs, il double actuellement Steve Buscemi dans Boardwalk Empire, série réalisée par Martin Scorcese sur la prohibition.)


Des débuts frileux


Les débuts de Philippe Dumat au cinéma étaient plutôt laborieux. Il a enchaîné les « silhouettes » dans pas mal de films des années 50. Sur le tournage de La Passante d’Henri Calef (1951), qui se tournait sur une péniche, Philippe qui ne savait pas nager est tombé à l'eau et a failli se noyer, ne voulant pas appeler à l’aide pour ne pas déranger une prise difficile. François Timmory, journaliste de cinéma, présent sur place, rend hommage à l’humilité du figurant et titre « En voyant tourner La Passante de Henri Calef avec Henri Vidal et Maria Mauban, j’ai surtout vu la conscience professionnelle, qui, ce soir-là, s’appelait Philippe Dumat ».

Cet article est à la fois drôle et émouvant car cette histoire est « raccord » à la fois avec la personnalité modeste et discrète de Philippe, et avec son auto-dérision et sa façon de raconter des histoires.



 
Télégrammes de Branquignols


Philippe Dumat a fait partie pendant plusieurs années de la troupe des Branquignols de Robert Dhéry (avec Jean Carmet, Jean Lefebvre, Jacques Legras, etc.). Il a joué dans quelques pièces avec eux, notamment La Plume de ma tante en 1957 au Garrick Theatre de Londres.

A cette époque, il était de tradition chez les comédiens d’envoyer un télégramme à leurs confrères juste avant le début de la pièce (généralement pour une première) pour leur souhaiter bonne chance.

Télégrammes envoyés par Robert Dhéry et Colette Brosset, rentrés en France. Sur le 2ème, le message « Oublie Bernstein » est un mystère… Philippe était-il fâché avec ou s’était-il vu refuser un rôle par Henry Bernstein (auteur de pièces de théâtre et directeur du Théâtre des Ambassadeurs) ?






Un tournage musclé

En 1960, Philippe est à Meaux sur le tournage de L’imprévu d’Alberto Lattuada. Il y joue un chauffeur suspecté de meurtre. La scène se tourne sur une place où, menotté et encadré par des inspecteurs, il rentre dans un véhicule de police. Sur la place, des figurants censés hurler contre le meurtrier, mais aussi beaucoup de badauds. Un technicien de l'équipe du film fait une mauvaise blague : il fait croire aux badauds que le prisonnier est l’un des ravisseurs du fils Peugeot (une affaire qui fit grand bruit à l’époque), et la rumeur prend rapidement toute la place. Philippe manque d’être lynché par une foule déchaînée.



 Pour lire la suite de l'hommage (partie 1/2), veuillez cliquer ici


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dimanche 16 janvier 2011

Tournage d'un documentaire sur Marco Perrin

Marco Perrin est ce qu'on appelle une "gueule" du cinéma français. Ce moustachu à l'accent méridional a incarné une galerie incroyable de seconds rôles dans plus de 80 films, dont le vigile du supermarché des Valseuses (1974) de Bertrand Blier ou le maire de La soupe aux choux (1981) de Jean Girault.

En 1983, il est frappé d'hémiplégie et est contraint d'arrêter sa carrière. Il s'ensuit une longue rééducation. En 2010, alors que bon nombre de ses amis comédiens le croient disparu depuis longtemps, Marco a un jeune "fan", Jeremy, qui s'acharne à le retrouver. Son rêve: rencontrer Marco et réaliser un documentaire sur son histoire. Seulement, retrouver un comédien retiré du métier depuis presque trente ans n'est pas facile, et Jeremy n'est pas réalisateur et doit apprendre la technique, trouver le matériel, une équipe, un logement et un lieu de tournage à Paris, etc.

Ce pourrait être le synopsis d'un film et pourtant c'est une "histoire vraie" qui se joue depuis quelques mois maintenant. À ce jour, Jeremy a déjà filmé pour son documentaire les réalisateurs Bertrand Blier et Joël Seria, les comédiens Henri Tisot, Brigitte Chamarande, et bien entendu Marco Perrin!


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dimanche 9 janvier 2011

Lucie Dolène : Un sourire en chantant (Partie 4/4)

Pour lire la précédente partie de l'interview (partie 3/4), veuillez cliquer ici


Dans l'ombre des studios: Nous allons aborder maintenant la grève de 1994 et votre procès contre Disney.

C'était la première fois de ma vie que je faisais grève (rires). J’y ai beaucoup cru, on y a tous beaucoup cru. C’était au commencement de mon procès avec Walt Disney, j’étais le porte-drapeau de plein de choses, tout le monde espérait que l’issue de ce procès serait fatale pour Walt Disney et victorieuse pour moi et, en l’occurrence, que cela ferait jurisprudence pour beaucoup d’autres cas que le mien.

DLODS: A l’époque de Blanche-Neige, comment aviez-vous été payée?

Au cachet. Je ne sais pas combien, mais cela m’avait quand même demandé 8 jours d’enregistrement à peu près, donc j’avais dû toucher à peu près 3000 francs.

Procès "Blanche Neige" au journal télévisé (1er novembre 1996)

DLODS: Et comment vous est venue l’idée de cette réclamation de droits?

C’est un auteur de livres sur les films d’animation qui était venu me voir quand j’enregistrais à La Plaine St Denis, chez AB. Il avait aussi travaillé pour Disney aux Etats-Unis, et il m’a dit « Qu’est-ce que vous allez faire maintenant que vous avez donné votre voix, maintenant qu’on ressort le film en DVD, vous savez qu’en Amérique Peggy Lee (voix de Peg dans « La Belle et le Clochard », ndlr) a fait un procès qu’elle a gagné. Vous vous rendez compte l’argent qu’ils vont se faire avec votre voix !». Cela a pas mal trotté dans ma tête, et j’ai décidé de réclamer mes droits.

DLODS: Est-ce que vous avez eu des soutiens de chanteurs ou comédiens ?

Non, je n’ai eu aucun soutien. Tout le monde attendait que je gagne mais personne ne m’a dit « On va créer un petit comité de soutien », etc. D’ailleurs, cela aurait pu venir de moi, mais je n’y ai même pas pensé.

DLODS: Comment s’est déroulé le procès ?

C’est un mauvais souvenir, que je n’ai pas vraiment envie de raviver. J’ai eu un avocat qui a bien travaillé mais il est parti à la retraite au cours du procès, et la transition ne s’est pas très bien passée.

DLODS: Qu’est-ce que vous avez gagné à l’issue de ce procès ?

Rien, enfin si, j’ai gagné une certaine somme, mais avec tout ce que je devais à mon avocat je ne suis pas allée bien loin.

DLODS: Et est-ce qu’ils vous ont proposé, à l’issue du procès, de toucher des droits sur les sorties de disques et de DVD ?

Nullement. J’ai reçu uniquement une compensation sur ce qui avait déjà été édité. Et de toute façon, ils ont remplacé ma voix alors comme ça, le problème est réglé de leur côté.

DLODS: Donc le procès ne concernait pas les autres films?
Non. Ils auraient très bien pu les ressortir avec ma voix...

DLODS: A ce propos, dans « Le Livre de la Jungle », ils ont remplacé votre voix par celle de Claire Guyot. Et il y a peu, pour la sortie d’un DVD collector ils se sont trompés en mettant votre voix… et le nom de Claire Guyot au générique.

C’est dingue, je ne savais pas ! Je pourrais les embêter pour ça.

DLODS: Dans tous les cas, vous ne devez pas toucher de droit sur les diffusions comme le film est américain et ne rentre pas dans le cadre de l’Adami.

Ces droits Adami, c’est une plaisanterie. Ils nous envoient des listes, il faut cocher ce qu’on a fait. Mais on ne sait pas toujours ce qu’on a fait, on ne connaît pas les titres originaux, comment ils ont été adaptés en français, etc. Je n’ai jamais rien fait de ces listes.

DLODS: Pour quelles raisons ont-ils redoublé intégralement Blanche-Neige ? Est-ce que vous l’avez écouté ?

C’est en raison de l’histoire du procès. Mais je n’ai pas vu le DVD.

DLODS: Disney évoque de son côté un rajeunissement nécessaire des dialogues et des voix.

Mais justement, c’est le côté un petit peu intemporel et un peu désuet des dessins animés qui fait tout le charme des contes de fées. « Il était une fois » et « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », c’est ça qui est rigolo et mignon… Qu’est-ce que vous voulez rajeunir ? Après, pourquoi pas si certains y trouvent leur compte. Vous savez ça peut toujours plaire à d’autres gens aussi, donc toutes les options sont bonnes à prendre.

DLODS: Quelle place a pris le doublage dans votre carrière de comédienne et chanteuse?

Au début c’était un supplément très gratifiant, très honorifique, parce que d’avoir fait Blanche-Neige, L’arbre de Noël, Oliver !, c’étaient des choses magnifiques et cela me plaisait beaucoup. Et puis, un jour, je n’en ai plus fait car on m’a moins appelée et quand j’ai refait du doublage à partir de l’année 1986, à l’époque où mon mari est tombé très malade, ça m’a fait beaucoup de bien. Ça a été une bouffée d’oxygène extraordinaire, ça m’a redonné une raison d’exister formidable parce que je ne faisais plus grand-chose à cette époque-là. Je trouve que cette seconde période de doublage a été très bénéfique pour mon moral et ma santé. Rien n’était plus merveilleux, gratifiant, que de me lever à 6h du matin pour être à 9h à Saint-Denis, Neuilly, ou Boulogne. J’étais contente de partir, de faire une heure et demie de bagnole dans les embouteillages  (rires) ! Ravie !

DLODS: Faites-vous encore du doublage actuellement ?

Depuis un an, on ne m’appelle plus. Je n’ai dit à personne que je me retirais. On doit penser qu’il est temps que je prenne ma retraite (rires)

DLODS: Peut-être suffit-il de faire un appel du pied à certains directeurs artistiques ?

Oui mais, d’un autre côté, je me dis que pas mal de gens me connaissent et savent que je suis toujours là. C’est un petit peu frustrant. Et c’est curieux parce que, dans le doublage, on vous distribue selon votre âge, et moi, on commençait à me donner des rôles de grabataires, de grand-mères complètement folles, j’avais déjà un pied dans la tombe. Alors je veux bien qu’on ne me donne plus de jeunes premières, évidemment mais c’est la voix qui compte dans le doublage, ce n’est quand même pas le physique, non ? Du coup vous avez 70 ans et quelques poussières et on se dit « Comment on va faire ? Dans quoi va-t-on la mettre ? Il n’y a plus de grand-mère dans les séries !», donc plus rien ! Alors qu’on pourrait très bien doubler une mère, une femme de 50 ou 60 ans… Où est le problème ? Et puis d’un autre côté on se dit qu’il faut laisser la place aussi, laisser d’autres comédiennes s’exprimer.

DLODS: Et quels sont les derniers doublages que vous ayez faits?

La dernière synchro que j’ai faite était il y a plus d’un an, chez Dubbing. J’ai eu un rôle assez intéressant dans une série anglaise dans 3 ou 4 épisodes. J’ai remplacé une comédienne que j’adore, Nadine Alari, qui venait de se casser le col du fémur et c’est mon amie Anne Jolivet qui est une comédienne adorable et une grande amie, qui a parlé de moi à la directrice artistique.

DLODS: Est-ce que vous avez la nostalgie d’une certaine époque du doublage ?

Oui, j’ai la nostalgie de cette époque où on était en « classe affaires » comme je vous disais tout à l’heure, où on était bien traité, on avait le temps de peaufiner. Il y avait un climat et une courtoisie tout à fait différents. Ce n’est pas qu’on ne soit pas courtois et que les climats soient détestables à l’heure actuelle, mais il y a un tel changement surtout dans la vitesse où les choses doivent se faire, qu’évidemment on vous passe la boucle une fois et puis si on a envie de la réentendre deux ou trois fois on vous le fait, mais si ça ne passe qu’une fois et qu’on a tout de suite pigé, c’est bien. Mais en même temps, maintenant d’aller vite ça vous oblige à devenir performant et à travailler. Ce n’est pas mal non plus. Et cela doit être un signe des temps.

DLODS: Dans quel milieu vous sentez-vous le plus à l’aise et le plus en phase ? Celui des chanteurs ou celui des comédiens ?

Avec les comédiens. Parce que le milieu des chanteurs actuels, je ne le suis plus beaucoup. Je ne sais pas de quoi on parle quand on parle de « chant » à l’heure actuelle, je suis un petit peu consternée par ce que j’entends ou ce que je n’entends pas. Alors qu’avec les comédiens, il suffit de parler. Et encore, il m’arrive de voir des films français dont je perds certaines phrases, certains mots, de gens qui n’articulent pas, qui parlent vraiment comme s’ils étaient en train de chuchoter dans leur cuisine et je me dis « Est-ce que c’est une mauvaise prise de son ? ». C’est bien, le naturel, mais, à un moment donné, il y a quand même un juste milieu, c’est du spectacle, c’est de la fiction. On joue un rôle, on est en train de dire un texte, on n’est pas en train de parler : « Ah tiens j’suis allé au supermarché ce matin j’ai acheté des pâtes machin, j’ai ach’té des cerises elles étaient pourries ». On doit défendre un texte ! Alors que dans beaucoup de films français, je ne comprends pas la moitié des dialogues, et les chansons n’en parlons pas !

DLODS: Vous n’êtes pas branchée « Star Ac » (rires)?

Ne parlons pas d’horreur ! Cette année, j’ai un peu suivi La Nouvelle Star, surtout les éliminatoires. J’ai entendu des gens qui chantaient très bien et qu’on a éliminés ! Notamment un jeune chanteur de couleur, très sympathique, beau garçon, bien fait de sa personne. Mais pour eux, c’était épouvantable car il avait 33 ans ! Trop « vieux » !

DLODS: Il y a eu le contre-exemple Susan Boyle, dont vous avez du voir les images…

Oui, bien sûr (rires). Et il y avait cette andouille de journaliste de rock’n roll, Philippe Manœuvre, qui disait « On s’croirait dans les années 60 ! Oh, mais, qu’est-c’ que j’entends ! ». Et ce n’est pas le seul, j’ai entendu plusieurs jeunes filles et garçons que j’ai trouvés pas mal et qui ont été balayés ! Quand on voit ce qu’ils ont gardé !

DLODS: Il faut de tout, de toute façon ?

Mais non, il ne faut pas de tout. Il ne faut pas du n’importe quoi quand même, parce que c’est dangereux. Quand je vois une des membres du jury qui n’a pas eu une carrière particulièrement brillante et qui se permet de donner des conseils aux chanteurs, la pauvre ! Mais de quoi elle parle ! Qu’est-ce qu’elle représente, elle, comme technique vocale ? A un moment donné elle a voulu chanter du Prévert, mais elle n’a pas l’air d’avoir accroché beaucoup de monde avec ça ! Tout ça pour vous dire que je ne comprends plus vraiment la chanson française. Par contre, il y a une fille que j’admire beaucoup, qui est extraordinaire, c’est Camille. Alors ça, c’est une « show woman » extraordinaire, elle a des possibilités vocales magnifiques. Il n’y a rien à dire, c’est parfait. Franchement, à part elle, je ne sais pas qui vous citer qui m’enchante, qui m’ait épaté.

DLODS: Vous-même, avez-vous donné des cours de chant ?

Oui, j’en ai donné entre autres pour le conservatoire de Noisy, notamment à un jeune professeur qui était un peu dépassé par les événements, et manquait de confiance.

Lucie Dolène chante "Comment voulez-vous?" 
(paroles et musique Jean Constantin, du film Les 400 coups (1959))
au concert de son fils François Constantin (Théâtre de l'Européen, 21 octobre 2014)

DLODS: Quel regard portez-vous sur la carrière de vos enfants qui sont tous les trois artistes (Olivier et Virginie chanteurs, François percussionniste) ? Êtes-vous confiante pour leur avenir professionnel ?

Je porte un regard plein d’admiration et d'un peu d’anxiété parce que je les admire de se bagarrer comme ils font pour subsister et survivre dans un métier qui est de plus en plus difficile et de plus en plus déjanté. Je m’inquiète pour eux parce que ce sont de très bons musiciens et je trouve qu’ils ne sont pas assez reconnus pour ce qu’ils sont. Mais ils ont quand même le privilège de vivre, encore et toujours, de leur métier, ce qui n'est pas mal non plus ! Mais je pense que moi j’ai fait ce métier à une époque quand même très privilégiée, où les choses étaient plus limpides, plus classiques, plus conventionnelles, on va dire. Ce n’est pas parce qu’on faisait un disque qu’on devenait une star. Un disque, à mon époque, cela ne signifiait rien du tout. J’étais chez Philips pendant des années, je n’ai jamais vendu beaucoup de disques. Un disque, c’était bien quand ça venait ponctuer quelques années de succès avec des chansons qu’on avait défendues sur scène et qui avaient fait leur chemin déjà toutes seules. On nous disait « Tenez, puisque vous les chantez si bien depuis longtemps, on va en faire un disque ! » (rires). Il me semble que c’est comme ça qu’avec le recul je vois ce que j’ai vécu. Donc, c’était formidable, on faisait ses petites classes tranquillement. Moi, j’ai eu beaucoup de chance car j’ai démarré tout de suite très vite après mes deux ou trois cachets de choriste à l’ORTF. J’ai eu la chance de faire de belles rencontres et je n’ai jamais eu de second rôle. Quand Guy Lafarge m’a donné un rôle dans son opérette, c’était le premier rôle, donc c’était formidable. Et ça a été comme ça dans les deux ou trois opérettes que j’ai jouées.

DLODS: Quel regard portez-vous sur votre carrière en tant que chanteuse ? Si tout devait recommencer, est-ce que vous suivriez la même voie ?

C’est difficile à dire. Je pense que j’ai eu beaucoup de chance de faire cette petite carrière-là, tranquille. Vous savez, je ne me considère pas comme ayant fait une grande carrière, j’ai fait une carrière honnête et modeste. J’ai fait de mon mieux, mais « aurait pu mieux faire »  comme c’est écrit dans les bulletins scolaires. Au fond, les choses sont allées tellement naturellement vite et bien. Je ne me suis jamais trouvée avant la fin d’un contrat sans savoir ce que j’allais faire, j’avais toujours des choses qui s’enchaînaient normalement. Je suis allée chanter partout, grâce à l’agence formidable dans laquelle j’ai été, Tavel et Marouani. J’ai chanté en Angleterre, en Suède, en Norvège, en Italie, en Espagne, au Liban. Encore un beau souvenir, le Liban...

 (Depuis cette interview, Lucie a participé à plusieurs doublages intéressants : le court-métrage d’animation « Citrouilles et vieilles dentelles » (avec Jacques Ciron et Brigitte Lecordier), les séries « The Middle » et « Nurse Jackie », les films « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu » (rôle de la voyante) et « Very bad cops » (rôle de Mama Ramos))

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Lucie Dolène : Un sourire en chantant (Partie 3/4)

Pour lire la précédente partie de l'interview (partie 2/4), veuillez cliquer ici 

Dans l'ombre des studios: Quelle a été votre première « rencontre » avec Blanche-Neige ?

Ma première rencontre avec Blanche-Neige a eu lieu quand j’avais une dizaine d’années et que Blanche-Neige et les sept nains est sorti pour la première fois en France en 1938, ça a été un enchantement. Il faut bien reconnaître que c’est un film dont la musique est une beauté du commencement à la fin, c’est génial. Il n’y a que de belles chansons dans Blanche-Neige, aussi bien celles du prince que celles de Blanche-Neige. Il m’est même arrivé de chanter « Un chant, je n’ai qu’un seul chant » chantée par le prince dans le film, tellement c’est beau. Comme je vous l’ai expliqué, je chantais beaucoup étant petite fille. Évidemment je chantais « Un jour mon prince viendra » quand j’avais une dizaine d’années, et je l’ai interprétée à la fête de fin d’année de mon école. J’ai toujours le programme de mon école avec une Blanche-Neige dessinée dessus !

DLODS: Savez-vous qui interprétait Blanche-Neige dans le premier doublage ?

Lucienne Dugard a fait le doublage et Elyane Célis a enregistré les disques, et elle a tout raflé !  D’où la confusion. Lucienne Dugard, personne ne connaît. Il m’a été raconté, je ne sais pas si c’est vrai, une histoire assez étonnante. C’est Colette Brosset, la femme de Robert Dhéry, qui m’avait raconté ça, parce qu’on avait fait un spectacle ensemble, qu’elle chorégraphiait, L’amour masqué. Apparemment, Lucienne Dugard –c’était une visionnaire cette femme à l’époque- avait refusé qu’on lui paie un cachet, elle avait demandé un pourcentage sur la recette du film (rires). C’est extraordinaire !

(Ndlr: Quelques mois après cet entretien, des recherches effectuées par François Justamand (La Gazette du Doublage) puis Greg Philip et moi-même, ont prouvé que Lucienne Dugard n'avait fait que le disque. Le doublage de 1938 a été fait à Hollywood par Christiane Tourneur (dialogues) et Beatrice Hagen (chanteuse)).

DLODS: Est-ce que vous savez pourquoi ils ont décidé de faire ce redoublage en 62 ?

Je pense que c’était pour améliorer le son. Le côté technique de la chose je ne pourrai pas vous l’expliquer mais je pense que c’est ça. Et le fait de trouver de nouvelles voix. C’est là où je dois dire que j’ai eu vraiment de la chance.


Reportage sur le redoublage de Blanche Neige et les sept nains (1962) 
avec Lucie Dolène et le reste de la distribution

DLODS: Dans quelles circonstances avez-vous été contactée ?

On m’a appelée un matin pour me dire « Est-ce que vous voulez faire des essais pour la voix chantée de Blanche-Neige ? ». Alors, j’ai dit oui, bien sûr, et je suis allée au studio où j’ai passé un essai sur « Un jour mon prince viendra ». J’allais quitter le studio quand j’ai entendu l’ingénieur du son dans la cabine dire à son camarade « Bon, ben c’était bien, Dolène, mais on a toujours personne pour la voix parlée !». Alors je suis vite revenue dans le studio, j’ai refermé la porte derrière moi et j’ai dit « Ecoutez, faites-moi faire un essai pour la voix parlée, car je suis aussi comédienne. On ne sait jamais ! ». Ils m’ont répondu que c’était une bonne idée et on a monté une boucle de Blanche-Neige quand elle fait le ménage dans la maison des nains. Le lendemain, vers 9h du matin, on m’appelle « C’est vous, Lucie ! Monsieur Ketting, le représentant de Walt Disney, est fou de joie d’avoir trouvé la même voix pour chanter et parler, c’est génial. C’est vous qui le faites ! »

DLODS: Vous rappelez-vous les autres comédiennes ou chanteuses qui avaient passé les essais ?

Pas du tout. Je n’ai jamais su qui les avait passés. Ce que l’on m’a raconté, pour ce qui me concerne, c’est qu’une cantatrice de l’Opéra qui s’appelait Jeanine Micheau et qui était professeur au conservatoire avait présenté une ou deux de ses élèves pour Blanche-Neige. Et elle a dit à la production « Mais est-ce que vous avez contacté une jeune femme qui s’appelle Lucie Dolène qui a une très jolie voix, très fraîche, vous devriez la contacter !». J’avais trouvé cela extrêmement gentil et j’étais très flattée que Madame Jeanine Micheau qui était une cantatrice renommée, merveilleuse, et professeur au conservatoire me connaisse.

DLODS: En 1997 vous avez tourné dans Blanche Neige Lucie, un court-métrage de Pierre Huyghe à propos de ce doublage, qu’en avez-vous pensé ?

Ah, vous avez vu ça ? Je crois qu’il a eu un prix pour ce film mais je n’ai jamais vu le résultat final. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de ce garçon, et j’ai trouvé ça un petit peu cavalier car on devait se revoir, et il se devait de me revoir et il n’a jamais plus donné signe de vie, mais bon, ce sont des choses qui arrivent. 

Blanche Neige Lucie (1997) de Pierre Huyghe

DLODS: Dans le même registre que Blanche-Neige, est-ce que vous avez passé une audition pour Mary Poppins, et savez-vous ce qu’est devenue son interprète, Eliane Thibault?

Non je n’ai pas été contactée pour Mary Poppins. Et concernant Eliane Thibault, je connais son nom mais je ne l’ai jamais rencontrée.

(Ndlr: Nous l'avons retrouvée et rencontrée entre temps. Parution de l'entretien à venir...)

DLODS: A vos débuts dans le doublage, vous est-il arrivé d’être engagée comme simple choriste ?

Non, à cette époque là, j’étais toujours engagée comme soliste. Par contre, je ne vous ai pas encore dit qu’à mes tous débuts j’étais choriste à l’ORTF, et j’en ai fait des chœurs ! J’ai fait plein d’émissions et je gagnais ma vie comme ça quand j’avais 16-17 ans. J’ai fait plein de choses formidables avec des grands maîtres, de grandes émissions, comme la 9ème de Beethoven avec Serge Koussevitzky. Je me souviens de ce maître qui était si féroce avec les chanteurs !

DLODS: Est-ce que vous vous souvenez du Livre de la Jungle dans lequel vous doubliez la petite fille ?

J’avais trouvé cela adorable à faire, ça s’était très bien passé, sans problème, sans histoires.

DLODS: C’était l’une de vos premières participations sous la direction musicale de Georges Tzipine.

J’ai fait tellement de choses avec les Tzipine. J’adorais Joseph surtout. C’était un homme délicieux, qui adorait les artistes.

DLODS: Que faisait-il justement ?

Il a fait de la direction artistique, (alors que son frère Georges était directeur musical, ndlr) mais il était aussi très bon musicien, il savait de quoi il parlait, et nous avons fait avec mon fils aîné Olivier et lui le long-métrage de Snoopy. Moi je faisais la voix de Linus.

DLODS: A propos des chansons Disney, est-ce que l’enregistrement que vous faites pour le film est le même que celui qu’on retrouve ensuite en CD, car parfois, peut-être en raison de différences dans le mixage, on a l’impression qu’il s’agit d’une version légèrement différente ?

A moi cela ne m’est jamais arrivé. A une exception : en 1966 on avait refait un enregistrement de Blanche-Neige pour « Holiday on Ice » avec un homme charmant, un producteur, qui s’appelait Claude Giraud (à ne pas confondre avec le comédien Claude Giraud, ndlr), qui était un « gentleman » lui aussi. Cette année-là j’ai eu un terrible accident de voiture et j’ai reçu une très jolie lettre de la petite qui jouait Blanche-Neige dans Holiday on Ice et qui avait appris mon accident. C’était une lettre absolument adorable.

"Ode à la nuit" (du film Tintin et le Temple du soleil (1969)) chantée par Lucie Dolène

DLODS: Vous avez aussi doublé Zorrino dans le film d'animation Tintin et le Temple du Soleil . Est-ce François Rauber, le compositeur, qui vous dirigeait en personne ?

Oui, absolument. Et Jacques Brel assistait aux séances. Il avait écrit certaines chansons avec François Rauber et ce film lui tenait à cœur car à l’époque il commençait le tournage de Mon Oncle Benjamin et je me souviens qu’il avait annulé tous ses rendez-vous ce jour-là pour rester avec nous jusqu’à la fin de l’enregistrement.

DLODS: Avez-vous rencontré Hergé ?

Oui, il y avait Hergé qui était là aussi, qui assistait à l’enregistrement de Tintin et qui était la crème des hommes. Il était très content de notre travail. Quel homme délicieux, gentil. Vous savez, en général, tous les grands personnages, tous les créateurs, sont tous tellement gentils et humbles, et pleins d’humilité et de naturel. Ce sont souvent les m’as-tu vu, les gens qui n’ont pas prouvé grand-chose, qui font beaucoup d’esbroufe. C’est classique. 

DLODS: Dans les années 60 vous avez aussi participé à des post-synchro de films français.

J’ai doublé le petit garçon dans L’arbre de Noël, avec Bourvil et William Holden. Le metteur en scène, Terence Young, avait dit « Je ne veux surtout pas d’une femme qui fasse une voix de petit garçon ». On lui a proposé deux ou trois essais qui n’étaient pas concluants, et, en fin de compte, on m’a fait faire un essai sans rien lui dire. Et quand on lui a fait écouter mon essai il a dit « Ah ben vous voyez, ça c’est un petit garçon ! » (rires). Après on m’a collé dans la salle pour que je regarde le film et je suis sortie en larmes tellement c’était triste. Un très beau film. Bourvil avait tourné en anglais et il était éblouissant !

J’ai aussi chanté une chanson dans Les Mystères de Paris avec Jean Marais, j’ai doublé une petite anglaise qui jouait là-dedans une sorte de petite Cosette.

J’ai chanté aussi deux jolies chansons dans Frou Frou, un film avec Dany Robin. Elle faisait croire que c’est elle qui chantait (rires). J’avais lu des articles de presse « On a découvert la jolie voix de Dany Robin ». Ce n’est pas très fair-play. Il y a aussi un comédien qui depuis m’a vraiment déçue, c’est Gérard Lanvin. Mon fils aîné (Olivier Constantin, ndlr) a une voix magnifique et c’est lui qui double Gérard Lanvin dans Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine dans la chanson du « Chevalier blanc » (elle chantonne l’air). Et Monsieur Lanvin, depuis quelques temps, se produit dans des émissions en disant « Oui, c’est moi qui ai chanté « Je suis le chevalier blanc » ». Alors je me demande à quoi ça l’avance, qu’est-ce que ça lui rapporte de bluffer sur une chanson comme ça. J’avais beaucoup d’admiration et une certaine estime pour l’homme autant que le comédien que je trouve très bon, mais depuis ce temps-là il m’a déçue.

DLODS: De nombreuses actrices célèbres étaient doublées pour les chansons comme Catherine Deneuve et Françoise Dorléac dans les films de Jacques Demy. Dans les années 50 il y avait aussi Françoise Arnoul qui était doublée par Paulette Rollin. Vous avez dû la connaître ?

Ah oui, j’ai bien connu Paulette Rollin. Et Françoise Arnoul fait partie, avec nous deux, des « amis de Pierrot » (l’association des amis de Pierre Trabaud, ndlr).

DLODS: Je crois que vous aviez beaucoup d’affection pour Pierre Trabaud.

J’aimais beaucoup Pierre, il est là (elle désigne une photo de lui sur sa bibliothèque). Je ne me rappelle plus dans quelles circonstances je l’ai connu, mais on s’est bien connus à une époque et on s’est retrouvés un jour à ma grande surprise sur un doublage où il était chef de plateau. Il n’était pas commode comme directeur artistique, d’ailleurs. Depuis je l’ai revu de nombreuses fois. Et son épouse et lui sont venus tous les deux à Noisy quand on a donné notre spectacle en souvenir de Constantin, qui était une belle soirée, vous savez. De ces soirées qu’on ne recommence pas deux fois car il y a tout d’un coup un état de grâce, il y a des choses qui se passent. Pierre est venu me prendre par les épaules en plein spectacle en me disant « Ah, Lucie c’est formidable, c’est formidable ».

DLODS: Dans les années 60 vous avez eu surtout des rôles chantés, principalement des enfants, puis vous avez commencé à avoir des rôles « parlés » et de femmes de votre âge dans les années 70…

Oui, j’ai fait notamment Amour, gloire et beauté , Rituels, Jeune docteur, deux ou trois séries qui m’ont bien nourrie, comme on dit. Avec de jolis rôles.

DLODS: Il semble que vous en ayez beaucoup moins fait pendant une période.

Oui j’ai recommencé en 1986 à refaire un petit peu de doublage et c’était très difficile parce que ça allait très vite et il fallait s’accrocher, je restais des journées entières à écouter les autres et à lire en même temps que tout le monde pour me remettre à flot.

DLODS: Pour quelles raisons avez-vous fait cette pause ?

Parce que j’ai fait plein d’autres choses autour et qu’on ne m’en a plus proposé à un moment. Et puis ce n’était pas la même façon de travailler, je me souviens que quand on a fait « Oliver ! » par exemple on était en « première classe », on avait tout notre temps. « Lucie est-ce que vous allez bien ? Est-ce que vous voulez boire quelque chose ? Voulez-vous sortir cinq minutes pour respirer ? ». C’était l’âge d’or, c’était formidable, on avait des directeurs de plateaux qui étaient des gentlemen. Ça a complètement changé, complètement évolué et donc ça m’a fait plaisir de refaire du doublage mais ça m’a coûté beaucoup d’efforts pour m’y remettre et avoir cette vitesse de lecture pendant que la bande passe et de remonter à l’image à la fin pour ne pas dépasser. C’est très difficile le doublage, vous savez ! Vous avez dû assister à des séances, vous savez comment cela fonctionne.


"Histoire éternelle" (du film La Belle et la Bête (1991)) chantée par Lucie Dolène
(version d'époque)

DLODS: Après cette petite pause, vous avez doublé Madame Samovar dans « La Belle et la Bête » en 1991. Vous aviez passé un essai ?

Non, je ne crois pas.

DLODS: La voix originale (Angela Lansbury) est beaucoup plus âgée que votre voix, ce qu’ils ont tenté de « rectifier » en faisant redoubler vos chansons par Christiane Legrand, mais cela a attiré les foudres des fans du film.

Ils ont refait une nouvelle version ? Je ne savais pas.

DLODS: Ils ont enlevé votre voix du DVD suite au procès Disney.

Ah oui, c’est vrai que « La Belle et la Bête » est un Disney. Ils m’ont enlevée de partout. Je ne savais pas que c’était Christiane, que je connais bien. La chanson ne collait peut-être pas avec sa voix, je ne sais pas.

DLODS: En 1997, vous doublez la poule Babette dans Chicken Run . Est-ce que vous aviez enregistré avec Gérard Depardieu et Valérie Lemercier ?

Non, je ne les ai pas rencontrés, on a enregistré à part. Mais je n’avais pas grand-chose à faire.

DLODS: Et à ce propos, qu’est-ce que vous pensez des stars qui font du doublage ?

Écoutez, je pense que c’est bien, si ce qu’elles font correspond à ce qu’on leur demande et qu’au final ce soit époustouflant et bien fait… et je ne vois pas pourquoi ça ne serait pas bon ! Si ce sont des stars, il y a des raisons.

DLODS: Quand je dis « star » je veux dire aussi « people » non comédiens, des sportifs, des animateurs de télévision ou des gens issus de la télé-réalité par exemple.

Oui, ça c’est le grand malentendu. Quand Depardieu fait du doublage, je trouve ça très bien, et il y en a d’autres comme lui. Ils en font tous maintenant plus ou moins. Évidemment, quand ce sont des gens qu’on distribue comme ça, parce que ce sont des « people » comme on dit, c’est un peu injuste pour les personnes dont c’est vraiment le métier et qui ont besoin de travailler et d’en vivre. Ça c’est dur !

DLODS: Avez-vous « introduit » des personnalités de la chanson dans le doublage ?

J’étais très amie de Catherine Sauvage (pour qui Jean Constantin avait écrit « Mets deux thunes dans l’bastringue », ndlr). A la fin de sa vie, elle n’avait plus trop de travail et m’avait demandé si je pouvais essayer de la caser sur un doublage. J’en avais parlé à une directrice artistique qui m’avait répondu « Ah bon ? Catherine Sauvage ? ». Elle qui fut une si grande comédienne et chanteuse, elle aurait très bien pu en faire, mais elle n’était plus connue, c’est malheureux.

DLODS: Dans Anastasia vous doublez l’impératrice Marie, et vous avez ainsi retrouvé Angela Lansbury que vous doubliez dans La Belle et la Bête. Est-ce pour cela qu’on vous avait choisie ?

Non, pas du tout. Je ne pense pas qu’ils aient pensé à ça. Anastasia, encore une belle histoire…

DLODS: En 2003 vous avez participé au doublage du film d'animation musical Piccolo et saxo, est-ce que vous avez connu Jean Broussolle des Compagnons de la Chanson ?

Oui, il est venu dîner ici, Jean, un soir, on a passé une très belle soirée. Mais celui que j’ai bien connu, c’est André Popp (le compositeur de Piccolo et saxo, ndlr). C’était un grand ami de mon mari et j’avais fait un beau spectacle avec lui qui s’appelait Cache toi vilain dans un joli petit théâtre, dans un programme qui était produit par Jean-Christophe Averty et Jacques Florent avec le comédien Michel Roux qui était un homme adorable.


Chanson du film Oliver! (1968) chantée par Lucie Dolène (Dodger) et les choeurs

DLODS: Quel est votre plus beau souvenir de doublage ?

J’en ai eu plusieurs dont je vous ai parlé. Par contre, je crois que j’ai oublié de mentionner Oliver ! le film musical avec Oliver Reed qui jouait l’escroc. J’ai même doublé les deux garçons, Oliver et Dodger, parce que le petit Oliver avait fait ses essais avant les vacances, et quand on est rentré en octobre pour commencer le doublage, il avait mué (elle imite la mue en parlant), donc on était un peu pris de court.

DLODS: Vous arriviez à prendre deux voix différentes ?

Oui, alors quand j’avais des scènes avec les deux garçons ensemble ce n’était pas toujours évident, mais je m’en suis quand même bien tirée, ça s’est bien passé.


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