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Dans l'ombre des studios: Nous allons aborder maintenant la grève de 1994 et votre procès contre Disney.
DLODS: A l’époque de Blanche-Neige, comment aviez-vous été payée?
Au cachet. Je ne sais pas combien, mais cela m’avait quand même demandé 8 jours d’enregistrement à peu près, donc j’avais dû toucher à peu près 3000 francs.
Procès "Blanche Neige" au journal télévisé (1er novembre 1996)
DLODS: Et comment vous est venue l’idée de cette réclamation de droits?
C’est un auteur de livres sur les films d’animation qui était venu me voir quand j’enregistrais à La Plaine St Denis, chez AB. Il avait aussi travaillé pour Disney aux Etats-Unis, et il m’a dit « Qu’est-ce que vous allez faire maintenant que vous avez donné votre voix, maintenant qu’on ressort le film en DVD, vous savez qu’en Amérique Peggy Lee (voix de Peg dans « La Belle et le Clochard », ndlr) a fait un procès qu’elle a gagné. Vous vous rendez compte l’argent qu’ils vont se faire avec votre voix !». Cela a pas mal trotté dans ma tête, et j’ai décidé de réclamer mes droits.
DLODS: Est-ce que vous avez eu des soutiens de chanteurs ou comédiens ?
Non, je n’ai eu aucun soutien. Tout le monde attendait que je gagne mais personne ne m’a dit « On va créer un petit comité de soutien », etc. D’ailleurs, cela aurait pu venir de moi, mais je n’y ai même pas pensé.
DLODS: Comment s’est déroulé le procès ?
C’est un mauvais souvenir, que je n’ai pas vraiment envie de raviver. J’ai eu un avocat qui a bien travaillé mais il est parti à la retraite au cours du procès, et la transition ne s’est pas très bien passée.
DLODS: Qu’est-ce que vous avez gagné à l’issue de ce procès ?
Rien, enfin si, j’ai gagné une certaine somme, mais avec tout ce que je devais à mon avocat je ne suis pas allée bien loin.
DLODS: Et est-ce qu’ils vous ont proposé, à l’issue du procès, de toucher des droits sur les sorties de disques et de DVD ?
Nullement. J’ai reçu uniquement une compensation sur ce qui avait déjà été édité. Et de toute façon, ils ont remplacé ma voix alors comme ça, le problème est réglé de leur côté.
DLODS: Donc le procès ne concernait pas les autres films?
Non. Ils auraient très bien pu les ressortir avec ma voix...
DLODS: A ce propos, dans « Le Livre de la Jungle », ils ont remplacé votre voix par celle de Claire Guyot. Et il y a peu, pour la sortie d’un DVD collector ils se sont trompés en mettant votre voix… et le nom de Claire Guyot au générique.
C’est dingue, je ne savais pas ! Je pourrais les embêter pour ça.
DLODS: Dans tous les cas, vous ne devez pas toucher de droit sur les diffusions comme le film est américain et ne rentre pas dans le cadre de l’Adami.
Ces droits Adami, c’est une plaisanterie. Ils nous envoient des listes, il faut cocher ce qu’on a fait. Mais on ne sait pas toujours ce qu’on a fait, on ne connaît pas les titres originaux, comment ils ont été adaptés en français, etc. Je n’ai jamais rien fait de ces listes.
DLODS: Pour quelles raisons ont-ils redoublé intégralement Blanche-Neige ? Est-ce que vous l’avez écouté ?
C’est en raison de l’histoire du procès. Mais je n’ai pas vu le DVD.
DLODS: Disney évoque de son côté un rajeunissement nécessaire des dialogues et des voix.
Mais justement, c’est le côté un petit peu intemporel et un peu désuet des dessins animés qui fait tout le charme des contes de fées. « Il était une fois » et « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », c’est ça qui est rigolo et mignon… Qu’est-ce que vous voulez rajeunir ? Après, pourquoi pas si certains y trouvent leur compte. Vous savez ça peut toujours plaire à d’autres gens aussi, donc toutes les options sont bonnes à prendre.
DLODS: Quelle place a pris le doublage dans votre carrière de comédienne et chanteuse?
Au début c’était un supplément très gratifiant, très honorifique, parce que d’avoir fait Blanche-Neige, L’arbre de Noël, Oliver !, c’étaient des choses magnifiques et cela me plaisait beaucoup. Et puis, un jour, je n’en ai plus fait car on m’a moins appelée et quand j’ai refait du doublage à partir de l’année 1986, à l’époque où mon mari est tombé très malade, ça m’a fait beaucoup de bien. Ça a été une bouffée d’oxygène extraordinaire, ça m’a redonné une raison d’exister formidable parce que je ne faisais plus grand-chose à cette époque-là. Je trouve que cette seconde période de doublage a été très bénéfique pour mon moral et ma santé. Rien n’était plus merveilleux, gratifiant, que de me lever à 6h du matin pour être à 9h à Saint-Denis, Neuilly, ou Boulogne. J’étais contente de partir, de faire une heure et demie de bagnole dans les embouteillages (rires) ! Ravie !
DLODS: Faites-vous encore du doublage actuellement ?
Depuis un an, on ne m’appelle plus. Je n’ai dit à personne que je me retirais. On doit penser qu’il est temps que je prenne ma retraite (rires)
DLODS: Peut-être suffit-il de faire un appel du pied à certains directeurs artistiques ?
Oui mais, d’un autre côté, je me dis que pas mal de gens me connaissent et savent que je suis toujours là. C’est un petit peu frustrant. Et c’est curieux parce que, dans le doublage, on vous distribue selon votre âge, et moi, on commençait à me donner des rôles de grabataires, de grand-mères complètement folles, j’avais déjà un pied dans la tombe. Alors je veux bien qu’on ne me donne plus de jeunes premières, évidemment mais c’est la voix qui compte dans le doublage, ce n’est quand même pas le physique, non ? Du coup vous avez 70 ans et quelques poussières et on se dit « Comment on va faire ? Dans quoi va-t-on la mettre ? Il n’y a plus de grand-mère dans les séries !», donc plus rien ! Alors qu’on pourrait très bien doubler une mère, une femme de 50 ou 60 ans… Où est le problème ? Et puis d’un autre côté on se dit qu’il faut laisser la place aussi, laisser d’autres comédiennes s’exprimer.
DLODS: Et quels sont les derniers doublages que vous ayez faits?
La dernière synchro que j’ai faite était il y a plus d’un an, chez Dubbing. J’ai eu un rôle assez intéressant dans une série anglaise dans 3 ou 4 épisodes. J’ai remplacé une comédienne que j’adore, Nadine Alari, qui venait de se casser le col du fémur et c’est mon amie Anne Jolivet qui est une comédienne adorable et une grande amie, qui a parlé de moi à la directrice artistique.
DLODS: Est-ce que vous avez la nostalgie d’une certaine époque du doublage ?
Oui, j’ai la nostalgie de cette époque où on était en « classe affaires » comme je vous disais tout à l’heure, où on était bien traité, on avait le temps de peaufiner. Il y avait un climat et une courtoisie tout à fait différents. Ce n’est pas qu’on ne soit pas courtois et que les climats soient détestables à l’heure actuelle, mais il y a un tel changement surtout dans la vitesse où les choses doivent se faire, qu’évidemment on vous passe la boucle une fois et puis si on a envie de la réentendre deux ou trois fois on vous le fait, mais si ça ne passe qu’une fois et qu’on a tout de suite pigé, c’est bien. Mais en même temps, maintenant d’aller vite ça vous oblige à devenir performant et à travailler. Ce n’est pas mal non plus. Et cela doit être un signe des temps.
DLODS: Dans quel milieu vous sentez-vous le plus à l’aise et le plus en phase ? Celui des chanteurs ou celui des comédiens ?
Avec les comédiens. Parce que le milieu des chanteurs actuels, je ne le suis plus beaucoup. Je ne sais pas de quoi on parle quand on parle de « chant » à l’heure actuelle, je suis un petit peu consternée par ce que j’entends ou ce que je n’entends pas. Alors qu’avec les comédiens, il suffit de parler. Et encore, il m’arrive de voir des films français dont je perds certaines phrases, certains mots, de gens qui n’articulent pas, qui parlent vraiment comme s’ils étaient en train de chuchoter dans leur cuisine et je me dis « Est-ce que c’est une mauvaise prise de son ? ». C’est bien, le naturel, mais, à un moment donné, il y a quand même un juste milieu, c’est du spectacle, c’est de la fiction. On joue un rôle, on est en train de dire un texte, on n’est pas en train de parler : « Ah tiens j’suis allé au supermarché ce matin j’ai acheté des pâtes machin, j’ai ach’té des cerises elles étaient pourries ». On doit défendre un texte ! Alors que dans beaucoup de films français, je ne comprends pas la moitié des dialogues, et les chansons n’en parlons pas !
DLODS: Vous n’êtes pas branchée « Star Ac » (rires)?
Ne parlons pas d’horreur ! Cette année, j’ai un peu suivi La Nouvelle Star, surtout les éliminatoires. J’ai entendu des gens qui chantaient très bien et qu’on a éliminés ! Notamment un jeune chanteur de couleur, très sympathique, beau garçon, bien fait de sa personne. Mais pour eux, c’était épouvantable car il avait 33 ans ! Trop « vieux » !
DLODS: Il y a eu le contre-exemple Susan Boyle, dont vous avez du voir les images…
Oui, bien sûr (rires). Et il y avait cette andouille de journaliste de rock’n roll, Philippe Manœuvre, qui disait « On s’croirait dans les années 60 ! Oh, mais, qu’est-c’ que j’entends ! ». Et ce n’est pas le seul, j’ai entendu plusieurs jeunes filles et garçons que j’ai trouvés pas mal et qui ont été balayés ! Quand on voit ce qu’ils ont gardé !
DLODS: Il faut de tout, de toute façon ?
Mais non, il ne faut pas de tout. Il ne faut pas du n’importe quoi quand même, parce que c’est dangereux. Quand je vois une des membres du jury qui n’a pas eu une carrière particulièrement brillante et qui se permet de donner des conseils aux chanteurs, la pauvre ! Mais de quoi elle parle ! Qu’est-ce qu’elle représente, elle, comme technique vocale ? A un moment donné elle a voulu chanter du Prévert, mais elle n’a pas l’air d’avoir accroché beaucoup de monde avec ça ! Tout ça pour vous dire que je ne comprends plus vraiment la chanson française. Par contre, il y a une fille que j’admire beaucoup, qui est extraordinaire, c’est Camille. Alors ça, c’est une « show woman » extraordinaire, elle a des possibilités vocales magnifiques. Il n’y a rien à dire, c’est parfait. Franchement, à part elle, je ne sais pas qui vous citer qui m’enchante, qui m’ait épaté.
DLODS: Vous-même, avez-vous donné des cours de chant ?
Oui, j’en ai donné entre autres pour le conservatoire de Noisy, notamment à un jeune professeur qui était un peu dépassé par les événements, et manquait de confiance.
Lucie Dolène chante "Comment voulez-vous?"
(paroles et musique Jean Constantin, du film Les 400 coups (1959))
au concert de son fils François Constantin (Théâtre de l'Européen, 21 octobre 2014)
DLODS: Quel regard portez-vous sur la carrière de vos enfants qui sont tous les trois artistes (Olivier et Virginie chanteurs, François percussionniste) ? Êtes-vous confiante pour leur avenir professionnel ?
Je porte un regard plein d’admiration et d'un peu d’anxiété parce que je les admire de se bagarrer comme ils font pour subsister et survivre dans un métier qui est de plus en plus difficile et de plus en plus déjanté. Je m’inquiète pour eux parce que ce sont de très bons musiciens et je trouve qu’ils ne sont pas assez reconnus pour ce qu’ils sont. Mais ils ont quand même le privilège de vivre, encore et toujours, de leur métier, ce qui n'est pas mal non plus ! Mais je pense que moi j’ai fait ce métier à une époque quand même très privilégiée, où les choses étaient plus limpides, plus classiques, plus conventionnelles, on va dire. Ce n’est pas parce qu’on faisait un disque qu’on devenait une star. Un disque, à mon époque, cela ne signifiait rien du tout. J’étais chez Philips pendant des années, je n’ai jamais vendu beaucoup de disques. Un disque, c’était bien quand ça venait ponctuer quelques années de succès avec des chansons qu’on avait défendues sur scène et qui avaient fait leur chemin déjà toutes seules. On nous disait « Tenez, puisque vous les chantez si bien depuis longtemps, on va en faire un disque ! » (rires). Il me semble que c’est comme ça qu’avec le recul je vois ce que j’ai vécu. Donc, c’était formidable, on faisait ses petites classes tranquillement. Moi, j’ai eu beaucoup de chance car j’ai démarré tout de suite très vite après mes deux ou trois cachets de choriste à l’ORTF. J’ai eu la chance de faire de belles rencontres et je n’ai jamais eu de second rôle. Quand Guy Lafarge m’a donné un rôle dans son opérette, c’était le premier rôle, donc c’était formidable. Et ça a été comme ça dans les deux ou trois opérettes que j’ai jouées.
DLODS: Quel regard portez-vous sur votre carrière en tant que chanteuse ? Si tout devait recommencer, est-ce que vous suivriez la même voie ?
C’est difficile à dire. Je pense que j’ai eu beaucoup de chance de faire cette petite carrière-là, tranquille. Vous savez, je ne me considère pas comme ayant fait une grande carrière, j’ai fait une carrière honnête et modeste. J’ai fait de mon mieux, mais « aurait pu mieux faire » comme c’est écrit dans les bulletins scolaires. Au fond, les choses sont allées tellement naturellement vite et bien. Je ne me suis jamais trouvée avant la fin d’un contrat sans savoir ce que j’allais faire, j’avais toujours des choses qui s’enchaînaient normalement. Je suis allée chanter partout, grâce à l’agence formidable dans laquelle j’ai été, Tavel et Marouani. J’ai chanté en Angleterre, en Suède, en Norvège, en Italie, en Espagne, au Liban. Encore un beau souvenir, le Liban...
(Depuis cette interview, Lucie a participé à plusieurs doublages intéressants : le court-métrage d’animation « Citrouilles et vieilles dentelles » (avec Jacques Ciron et Brigitte Lecordier), les séries « The Middle » et « Nurse Jackie », les films « Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu » (rôle de la voyante) et « Very bad cops » (rôle de Mama Ramos))
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Merci pour cette intw très complète!
RépondreSupprimerMadama Dolène m'a l'air d'une personne très charmante et très humble.
C.
Merci infiniment pour cette interview très enrichissante. Lucie Dolène sera toujours, pour les inconditionnels de Disney, LA voix de Madame Samovar.^^
RépondreSupprimerBonne continuation.
Contente de lire Lucy que j'ai eu bcp de plaisir à rencontrer et qui m'a fait le cadeau de donner sa voix à 3 personnages de mon court métrage... dont Blanche-Neige !!!
RépondreSupprimerMerci à vous...
RépondreSupprimerQuant à Juliette, j'attends avec impatience la sortie de votre « Citrouilles et vieilles dentelles ».
Bien cordialement
Merci pour cette interview.
RépondreSupprimerMme Dolène est "adorable" !
Merci. Peut-on encore trouver le Blanche Neige avec la voix de Lucie?
RépondreSupprimerNon pas en DVD... La voix de Lucie se trouve dans les anciennes VHS et les anciens disques
RépondreSupprimerC'est la Grande Classe...
RépondreSupprimerJe découvre cette excellente interview. Mon père, dans les années 50, avait un disque de vieilles chansons folkloriques très joliment interprétées sur une face par Jean-Christophe et Denise Benoît (le frère et la soeur) et sur l'autre par Lucie Dolène. J'étais petite et j'aimais beaucoup. En 1957, nous avons eu la télévision et j'y ai vu Lucie jouer et chanter dans l'opérette "Marions maman". Je m'en souviens bien. C'était bien enlevé, amusant ( même je ne comprenais pas tout ! ) et j'étais contente de pouvoir mettre un visage (charmant) sur cette jolie voix du disque. J'ai découvert Jean Constantin à la même époque, "super" lui aussi, mais j'ai longtemps ignoré que c'était son mari !
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