samedi 10 mars 2018

Evelyn Selena : Rencontre avec une drôle de dame (Partie 3/3)

Troisième partie de mon interview d'Evelyn Selena (Première partie ici et Deuxième partie ici).


Dans l'ombre des studios : Au doublage, on vous a aussi souvent retrouvée sur des grands rôles de séries, principalement pour un studio bien connu des voxophiles, qui s’appelait la S.O.F.I…

J’ai rencontré par hasard Pierre Salva (patron de la S.O.F.I., père de Michel Salva qui a ensuite pris sa succession, ndlr) dans un café, il m’a demandé « Comment ça se fait que vous soyez là tous les soirs ? », il a dû penser que j’étais une entraîneuse (rires). Je lui réponds « Parce que je travaille en face, je joue au théâtre ». Il m’a alors dit qu’il cherchait des voix nouvelles et j’ai commencé à vraiment travailler au doublage grâce à la S.O.F.I. On me donnait de petits rôles à chaque fois différents, pour voir comment je réagissais. Certains comédiens ont joué le même rôle toute leur vie au doublage, on leur a donné une profession, « Si c’est un médecin légiste, on va prendre René Beriard » (rires). Ca n’a pas été mon cas.  J’avais une voix tellement claire, fraîche, il me mettait sur des personnages parfois un peu trop lourds pour moi, je m’en accommodais en essayant de baisser un peu ma voix, mais je n’atteignais pas les graves que je voulais à l’époque. C’est comme ça que j’ai commencé à gravir les échelons dans le monde de la série.

DLODS : Plus tard pour la S.O.F.I., vous avez doublé Jaclyn Smith (Kelly) dans la série Drôles de Dames.

C’était très sympa, un beau souvenir. Le jour des essais j’étais aphone, pas un son ne sortait de ma gorge, j’ai téléphoné au bureau avec le peu de voix que j’avais, on m’a dit « Viens quand même ». En arrivant, quand Michel Salva m’a vue dans cet état-là, il m’a dispensée d’essais et j’ai été acceptée de suite. Perrette et Béatrice ont passé les essais, et le client (Jacqueline Joubert) a mis un moment avant de décider qui doublerait qui. Le choix est finalement devenu celui que vous connaissez aujourd’hui, et heureusement car quand vous entendez Béatrice sur Farah Fawcett, c’est une telle réussite… Quand ça passe à la télévision, je réécoute, je trouve qu’il y a un peps extraordinaire, nous sommes toutes sur le coup, il y a une joie de vivre qui ressort de ces enregistrements et qu’on ne retrouve plus nulle part.

Evelyn Selena, Perrette Pradier, Béatrice Delfe, Jean Berger, Philippe Dumat 
et d'autres comédiens sur le doublage de Drôles de Dames (1977)

DLODS : Qui dirigeait la série ?

Pierre et Michel Salva et Jacques Torrens au début. Puis à partir de 1985, toute une vague de comédiens devenus directeurs artistiques à la S.O.F.I.: Francis Lax, Gérard Dessalles, Philippe Ogouz, Maurice Sarfati, Bernard Tiphaine, etc.

DLODS : Avez-vous gardé des liens proches avec ces « drôles de dames » ?

Je travaille de temps en temps avec Béatrice Delfe, qui est restée une amie. A ses débuts, c’était un exemple de droiture, d’exigence, de courage. Elle était plus jeune que moi, mais elle osait faire des choses auxquelles je ne pensais même pas.

Perrette Pradier n’est plus là. A l’époque, c’était elle la star dans tous les studios : chez Michel Salva (S.O.F.I.), Michel Gast, Jenny Gerard et Jean Droze (S.N.D./P.M./L’Européenne de Doublage), Gérard Cohen (Record Films), etc. Elle travaillait comme une folle, arrivait souvent en premier choix, Béatrice en deuxième et moi en troisième.

DLODS : Dans Drôles de Dames, il y avait aussi Philippe Dumat (Bosley)…

Je l’ai d’abord connu en jouant à ses côtés dans une pièce de Dominique Nohain, il jouait un inspecteur de police. On s’était retrouvé à Villefranche-sur-mer, sur le port, on faisait des photos ensemble. Lui et moi avons immédiatement sympathisé. J’aimais son humour, sa tournure d’esprit, son talent pour raconter des histoires débiles pour le plaisir de nous faire mourir de rire. C’était vraiment quelqu’un de bien. On a énormément travaillé ensemble, il avait une bouche en caoutchouc mousse, il arrivait à « remplir » quand il manquait des mots sur la rythmo.
Dans Docteur Quinn, femme médecin où je doublais Jane Seymour, lorsque Michel Gudin a arrêté de doubler Orson Bean (Loren) et a été remplacé par Raymond Baillet, j’ai été ravie que Philippe prenne le relais (à partir du début de la troisième saison, ndlr).

DLODS : Parmi les personnages célèbres que vous avez doublés, Sue Ellen (Linda Gray) dans Dallas. Quels souvenirs gardez-vous de ce doublage ?

Linda Gray (Sue Ellen)
Au début c’était très sérieux, on se réunissait tous les quinze jours dans le café du trottoir d’en face, rue Mermoz. Michel Salva, qui dirigeait la série, disait « J’ai regardé ce qu’on a fait hier. Dominique, je n’ai rien à te dire, tu es dedans, formidable. Philippe, fais attention, Bobby c’est pas un faux-cul, c’est quelqu’un qui est droit, c’est le contraire de son frère. » Donc il donnait des indications à tout le monde. Arrive mon tour « -Toi, tu vas arrêter de pleurer » «-Oui, mais elle pleure tout le temps », « -Tu laisses l’image. Tu as une émotion, tu as un sanglot, mais je ne veux pas entendre de larmes dans ta voix ». Il avait raison.
Après c’est allé à vau-l’eau car il a laissé la direction à des comédiens pas prêts ni formés à diriger. Chacun faisait à sa façon, pas toujours dans la bonne direction.

DLODS : Le suivi des voix dans les doublages réalisés à la S.O.F.I. était très aléatoire, on s’en rend compte notamment sur des dessins animés, avec des personnages réguliers parfois doublés par trois ou quatre comédiens différents.

C’étaient les secrétaires de la S.O.F.I. qui établissaient les distributions pour les rôles secondaires, sans qu’il y ait aucun suivi. Parfois une secrétaire me demandait « Evelyn, il y a un personnage qui revient, gros, moustachu, par qui il était doublé ? », j’étais devenue l’encyclopédie du doublage de Dallas (rires).
William Sabatier doublait dans Dallas Howard Keel, un acteur que j’adorais pour l’avoir vu dans des films hawaïens (au Maroc on nous passait tous les films hawaïens, avec des comédiennes maquillées comme des camions volés, et des fleurs sur la tête comme Hedy Lamarr, ça nous faisait rêver). Puis dans la série le personnage joué par Howard Keel disparaît, et ils prévoient de mettre William Sabatier sur un autre Howard, Howard Duff, avec les cheveux grisonnants alors que Howard Keel avait les cheveux blanc. J’ai posé la question mais personne ne s'était rendu compte de rien, ils n’ont pas la mémoire des visages, ni l’oreille musicale.

Par ailleurs, sur les plans de travail il y avait les noms des récurrents, et parfois sur certains rôles c’était noté « Michel Salva », ce qui voulait dire « Débrouillez-vous sur le plateau ». Alors quand il y avait Francis Lax sur le plateau, il le faisait en disant que personne n’allait le reconnaître. Je lui disais « Tu rigoles ? Tu fais tout pour qu’on te reconnaisse, avec ton « n’est-ce pas ? » que tu cases tout le temps. Il sert à quoi ce « n’est-ce pas » ? » « -Ca sert ! » (rires).

DLODS : Pourquoi les directeurs de plateau n’étaient-ils pas plus impliqués ?

C’est lié à la création de la Cinq en 1985. Il y a eu un afflux énorme de nouvelles séries en France, et le travail est devenu gigantesque pour les studios de doublage: on travaillait le dimanche, le soir jusqu’à minuit, les jours fériés, etc. et on manquait de comédiens et de directeurs artistiques. Du coup, il y a eu toute une vague de ringards qui a commencé à travailler à ce moment-là (on prenait n’importe qui, même des maîtres-nageurs, profs de sport, etc.), et de nombreux comédiens (comme Philippe Ogouz, Jean-Claude Montalban, Pierre Trabaud, etc.) sont devenus directeurs de plateau à la S.O.F.I. Certains sont restés sympas, comme Francis Lax, et d’autres ont pris la grosse tête.

Une fois, dans un téléfilm ou je doublais Jaclyn Smith qui arrive comme ambassadrice dans un pays de l’Est, Dominique Paturel devait me dire « Je m’appelle Mike Slade, je suis votre subordonné, si vous avez besoin de quoi que ce soit je suis là. Entre nous, mes amis m’appellent Mike ». Pour le remettre à sa place, lui faire comprendre que je n’étais pas son ami, je devais lui répondre « -Très bien, bonsoir Monsieur Slade ». Et le chef de plateau voulait que je dise « Bonsoir, Monsieur Mike », ce qui ne voulait rien dire (on ne dit pas « Madame Evelyn »), et changeait complètement le sens. Je lui ai dit que je refusais de le faire, car on m’aurait fait revenir pour un retake qui m’aurait coûté de l’argent en déplacement, alors que lui aurait été sur un autre plateau pendant ce temps-là en train de gagner de l’argent. Il s’est mis en colère « Toi, l’étrangère, va faire du doublage à Tombouctou et fiche-moi la paix!».

Une autre fois, ce chef de plateau a dit à Bernard Lescrauwaet, ingénieur du son aux auditoriums de Mermoz qui avait une oreille musicale étonnante et des doigts de fée : « Voilà ce qu’on va faire aujourd’hui, tu passes la boucle une fois, on enregistre et on ne réécoute pas ». Bernard, qui était très zen, est devenu écarlate, il n’a pas répondu. « -T’as entendu, je te parle » « -Je m’en vais » « -Pourquoi ? » « -Jusqu’à maintenant j’ai essayé de faire du bon travail, j’ai eu des grands metteurs en scène sur le plateau, des grands réalisateurs français, personne ne m’a demandé une connerie pareille, ce n’est pas maintenant avec toi que je vais commencer à faire de la merde, alors je me tire ».

Un autre de ces directeurs artistiques (qui était venu nous « expliquer nos personnages » sur Drôles de Dames alors que ça faisait cinq ans qu’on doublait la série) a eu une fois, sur un film allemand, plus de retakes que de lignage.

DLODS : Pour en revenir à Dallas, c’était une série tellement populaire, que vous avez parfois reçu du public des réactions assez… inattendues.

On m’a dit un jour, en me jugeant de la tête au pied « Je peux vous poser une question, Madame ? Quand on est mariée à un homme comme J.R. qui vous donne tout ce que vous voulez, vous croyez que c’est bien de le tromper ? ». Une autre fois : « Madame, quand on a un petit enfant, on ne le laisse pas tout seul dans son lit. Ce n’est pas un jardin que vous avez, c’est un parc. Les chevaux ils sont dehors, ça oui. Mais votre bébé, jamais il ne voit le jour. »
C’était vrai car on ne voyait jamais cet enfant dehors, ni même à table pour l’apéritif, dans son landau.
Un jour je vais chez une copine qui tenait une boutique de vêtements. Elle me demande « -Alors, tu viens de Dallas, qu’est-ce qu’il se passe ? » «- Alors là ça tourne à la rigolade » « -Ah bon pourquoi ? » « -Parce qu’elle s’est tapée le père et maintenant il y a le fils qui est là, il est amoureux d’elle, malheureusement il a eu un accident d’avion alors il roule dans une petite charrette ». J’étais morte de rire, et une cliente me dit avec la gorge nouée « Je ne vois pas ce qui vous fait rire, Madame, franchement. » Je regarde ma copine en me demandant ce que j’ai dit de mal. La femme se met à pleurer. « Mon gendre c’est ce qui lui est arrivé. Et la belle-mère, ça ne l’a pas empêché d’avoir le cancer du sein. »
Les gens s’identifiaient à tout ça, à la famille Ewing et il ne fallait pas en dire du mal, pas critiquer, car ils retrouvaient leur propre histoire.

Dominique Paturel et Evelyn Selena rencontrent Larry Hagman et Linda Gray 
dans l'émission Champs Elysées (1986)

DLODS : Vous avez eu l’occasion de rencontrer Linda Gray sur le plateau de l’émission Champs-Elysées de Michel Drucker, avez-vous pu rencontrer d’autres actrices que vous avez doublées ?

Non, la seule actrice que j’ai rencontrée était Linda Gray, que j’ai vue pendant un court moment sur le plateau de Drucker avec Larry Hagman et Dominique Paturel, je ne l’ai même pas vue en dehors. Quand je suis sortie de ma loge, j’ai vu Michel Drucker assis dans une immense loge où il se faisait démaquiller.  « -Excusez-moi, où sont descendus Larry Hagman et Linda Gray ? » « -Pour quoi faire ? » «- Pour les remercier de leur gentillesse, les Américains sont des gens à part, ils vous parlent comme s’ils vous connaissaient depuis des années, j’aurais aimé dire des gentillesses à Linda Gray » « -Qui êtes-vous ? » « -Comment ça, qui je suis ? Evelyn Selena. Je suis la voix de Linda Gray, vous m’avez interviewée il y a quelques minutes à peine, sur votre plateau en direct ». Il ne me regardait que dans son miroir, ne voulant pas se retourner : «-Si vous n’avez rien d’autre à faire ce soir on organise une fête à l’hôtel » « -Paturel est invité ? » « -Oui » « -Vous êtes très gentil mais comme les autres ont reçu un bristol… ». Je suis partie, et ne suis pas allée à la soirée.

DLODS : En 2012, donc bien des années après l’arrêt de la série, Dallas est revenue avec une nouvelle saison…

Ca m’a fait de la peine de voir ces gens qui étaient si brillants dans la première mouture devenir aussi ravagés. Larry Hagman était brillant à l’époque et là il n’avait plus sa voix ni son regard, il avait perdu beaucoup de poids, ses cheveux. Linda Gray avait déjà été traficotée à l’époque, mais on ne le voyait pas ; là avec les injections tout est ressorti, on a vu tout ce qui avait été fait avant. Il ne restait que ses tics : le mordillement des lèvres, le balancier de hanches quand elle marchait, etc. La fiancée de Bobby ressemblait à un mannequin en plastique qu’on voit dans les vitrines. Je me suis dit « à quoi ça sert, tout ça ? ».
Quant au décor, il était à l'époque très kitch et peut-être signe de mauvais goût, mais on voyait que ça venait de baraques friquées. Là dans la dernière saison quand j’ai vu le décor j’ai dit à Barbara Tissier « Mais ils ont tourné ça à Ikea ? » (rires).

DLODS : Vous avez quand même eu du plaisir à retrouver Dominique Paturel…

Oui, car c’est un bonheur de travailler avec lui. Je déteste les gens qui le remplacent, je ne le supporte pas. Je ne sais pas qui double Michael Caine en ce moment, mais c’est décevant.
Il faut arrêter de prendre les gens pour des cons, le public n’est peut-être pas comédien mais il a de l’oreille. Mon immeuble est grand, et certains savent que je fais du doublage, quelque fois quand un film sortait, on venait m’engueuler « Pourquoi vous n’avez pas doublé « Sur la route de Madison », vous étiez où ? Il est mauvais, ce doublage… ». Une fois je demande dans un magasin « C’est à quel étage, les canapés ? » et là le vendeur me regarde, tétanisé : « Vous n’êtes pas la voix du Docteur Quinn ? » (rires).

DLODS : Cela doit vous épater qu’il y ait de vrais passionnés de doublage.

Oui, je trouve formidable qu’il y ait des gens comme vous ou David Gential qui soient passionnés, convaincus, entêtés, et qui fassent toutes ces recherches bénévolement. Quand David a commencé à contacter des comédiennes, une grande partie l’a envoyée valdinguer. Qu’est-ce que ça fait de perdre un peu temps pour enrichir la passion de quelqu’un ? Qu’on ne dise pas après ça que je suis méchante. Ou alors, il ne faut pas me demander mon avis quand on n’est pas sûr que je donne la réponse attendue.

DLODS : Je sais que vous gardez un bon souvenir de la mini-série franco-irlandaise Les Roses de Dublin (1981), où vous doubliez Bernice Toolan…

Le réalisateur, Lazare Iglesis, voulait un vrai enfant de dix ans pour doubler celui qui jouait mon fils car il en avait marre d’entendre des femmes trop âgées doubler des enfants. Il a fait venir de vrais enfants, et c’était encore plus inécoutable car ce n'étaient pas des comédiens.
Au moment de passer mon essai, Jean Droze me dit « Tu ne connais pas quelqu’un qui pourrait doubler ton fils ? », je lui réponds « -Jackie Berger » « -Je lui en ai déjà parlé mais il n’en veut pas, c’est une fille » et là le réalisateur me dit « -De qui parlez-vous, tous les deux ? » « -De Jackie Berger. Vous devriez la faire auditionner en tournant le dos et en vous laissant guider par sa voix, vous verrez, sur les garçons de 12-13 ans maximum c’est troublant, j’y crois dur comme fer ». J’ai insisté et, avec le soutien de Jean Droze, il a accepté.
Je crois que Jackie fonctionne comme moi, c’est une battante, elle a donné le maximum, et a été prise.
Elle a fait un travail magnifique sur ce petit garçon qui était tellement craquant à l’image, avec des scènes difficiles et bouleversantes. En voix d’enfants c’était la meilleure, elle avait fait une vraie composition de personnage, qu’elle a su garder et adapter. Pendant des années, Francette Vernillat a fait de très jolies choses, mais la voix s’altère au fil des ans.

DLODS : On peut vous entendre aussi dans quelques films d’animation Disney comme Alice au Pays des merveilles (la sœur d’Alice, redoublage de 1974), Pinocchio (la Fée bleue, redoublage de 1975) ou La Belle et le Clochard (Peg, redoublage de 1989)…

J’ai beaucoup aimé La Belle et le Clochard. Patrick Poivey fait partie de ceux que j’aime, qui ont du talent, qui apportent quelque chose d’original. Dans ce film, je ne chantais pas. Je ne comprends pas qu’on ne fasse pas passer des essais aux comédiens sur les chansons, et qu’on prenne souvent des choristes avec des voix très différentes de la voix parlée. Les Claude Bertrand, Philippe Dumat, Roger Carel chantaient bien, et ils étaient souvent remplacés. Dans Les Aristochats, quand Michèle André chante, il y a un phrasé musical d’une justesse incroyable.

DLODS : Vous êtes justement tombée sur un contre-exemple, car c’est une choriste, mon amie Anne Germain, qui chante à la place de Michèle André dans Les Aristochats

Dans ce cas bravo à cette choriste, le raccord était parfait et je me suis fait avoir.

DLODS : Aimiez-vous doubler des dessins animés ?

Pas vraiment, car je n’arrivais pas à modifier ma voix. Sachant que j’ai un tempérament vif dans la vie, on me donnait des hystériques qui beuglaient comme des folles, alors je perdais ma voix, et certains directeurs artistiques s’en fichaient. Il y en a quand même un qui m’amusait, c’était Clémentine, où pour doubler une chienne de la haute société, très snob, j’avais fait une imitation de Jacqueline Porel, avec ce côté « J’ai été élevée par une nurse anglaise et j’ai fait mes études aux Etats-Unis ». Un jour Jacqueline m’appelle : « -Je perds la mémoire, je viens de voir un dessin animé que je ne me souvenais même pas avoir fait, et pourtant c’est ma voix » «- Non, c’est moi, Jacqueline, j’ai voulu te rendre hommage en t’imitant » « -Mais c’est pas possible ! ». Elle était vexée comme un pou (rires).

DLODS : Parmi les hystériques en question, j’ai un petit faible pour votre Milady de Winter dans Albert le cinquième mousquetaire (1994).

L’enregistrement s’est fait dans des conditions particulières. La chaîne voulait des grands noms du théâtre et de la télé donc ils ont pris (en plus de Gérard Hernandez, Francis Lax, etc.) Roland Giraud, Corinne Le Poulain, Christian Alers, Michel Le Royer… et une comédienne connue qui était adorable, pleine d’émotion au cinéma, mais avait une voix étouffée qui ne collait pas avec celle de cette cinglée de Milady, qui est censée hurler sans arrêt. Le studio n’a pas eu le courage de le lui dire, donc ils m’ont demandé de venir tous les soirs pour refaire le travail qu’elle venait de faire dans la journée.
Plus tard ils ont dit à cette comédienne que le dessinateur avait enlevé le personnage de la série. J’aurais préféré qu’ils lui disent la vérité, qu’elle ne pouvait pas abîmer sa voix.
Evidemment c’est retombé sur moi, car quand je me suis mise à enregistrer avec les autres, Roland Giraud ne comprenait pas ce que je faisais là. Gérard Hernandez leur a expliqué la situation, il m’a défendu. Les gens se sont rendus à l’évidence, je n’étais pas une usurpatrice.
Suite à ce doublage, le producteur, Christophe Izard, m’a envoyé un courrier de remerciements et de félicitations.

DLODS : Dans l’équipe il y avait également Serge Lhorca, qui prêtait sa voix à Porthos…

Ah, Serge Lhorca… Je n’ai jamais entendu quelqu’un qui parlait aussi juste, avec autant de sensibilité, c’était une splendeur. Il était dans son monde, il ne comprenait pas l’anglais, l’allemand encore moins. Il parlait espagnol, c’était sa langue. Quand on lui passait la boucle en V.O. il n’écoutait pas : « Ca sert à quoi ? Je ne comprends pas ce qu’il dit » et devant la rythmo il lisait le texte avec un naturel, comme si c’était lui qui avait écrit le texte et qu’il savait ce qui s’était passé avant, ce qui allait venir après, etc. Je ne l’ai jamais vu déjeuner, je lui disais à chaque fois « -Allez, Serge, viens avec nous, on va se retrouver tous ensemble ça va être sympa » «- Non, je vais aller faire ma promenade… », il allait faire une heure de marche et il revenait. Son fils, Denis Llorca, est devenu metteur en scène.

DLODS : Puisqu’on parle de compréhension de l’anglais, je crois savoir que vous appréciez beaucoup Michel Mella…

Michel Mella
J’aime beaucoup Michel Mella, c’est un garçon extraordinaire, plein de pudeurs dans la vie, mais avec un cœur gros comme une maison, d’une générosité pas possible, et quand il joue la comédie il a un naturel -je ne sais pas d’où ça vient- que je lui envie, cette façon de dire les choses de manière quotidienne, c’est magnifique. Je ne sais pas pourquoi il n’est pas employé davantage. Je pense qu’il est trop doué (notamment parce qu’il est complètement bilingue, donc il entend quand il y a des approximations dans l’adaptation), et aujourd’hui il faut prendre des gens qui ferment leur gueule.

DLODS : Avez-vous essayé de faire de la direction artistique ?

Cela ne m’a jamais tenté. Par contre je m’étais dit qu’il faudrait que j’apprenne pour le cas où –cette prévision s’est réalisée, je dois être sorcière !- il m’arrivait quelque chose, que je travaille beaucoup moins et que j’aie besoin d’une porte de sortie. Jacques Barclay m’a dit  « Je n’ai rien à t’apprendre sur la direction d’acteurs car tu es une très bonne comédienne, par contre il faudrait que tu apprennes comment faire un plan de travail et tout ce qui est technique une fois que tu as le film en main ».
J’en ai parlé à Jacqueline Porel, elle a préparé une rame de papier, on aurait dit qu’il y en avait pour cinquante personnes avec cinquante pages chacun. « -Qu’est-ce qu’on fait, Jacqueline ? » «-Tu veux apprendre à diriger ? » « -Oh tu sais, il n’y a rien d’urgent » « -Ah bon, c’est comme tu veux » « -Puisqu’on y est on va le faire », et là elle a gardé le silence, m’a regardé fixement et m’a dit « On ne fait rien, on va déjeuner ». On n’en a jamais reparlé, j’ai su qu’elle avait été beaucoup plus patiente pour apprendre le métier à d’autres comédiens. Parfois il faut laisser tomber et ne pas insister.

DLODS : Avez-vous des regrets dans votre carrière ?

Il y a eu beaucoup d’actes manqués dans ma carrière. J’aurais aimé faire plus de théâtre, de cinéma, et un peu plus de télé comme tout le monde, malheureusement cela n’a pas été possible. Le cinéma, je ne connaissais personne. Le théâtre ce n’était même pas la peine de se présenter, il fallait avoir un nom susceptible de faire venir les spectateurs, être une « tête d’affiche », les gens ne se déplaçaient que pour des personnalités.
Pour ce qui est de la télévision, on parle beaucoup de harcèlement sexuel en ce moment, mais c’était ça tout le temps.
Un jour, un réalisateur médiocre me propose un rôle important dans une mini-série : « -Vous avez un permis de conduire ? » « -Non. » « -Ce n’est pas grave, je peux l’obtenir dans les deux jours, c’est une formalité. Vous savez nager ? » « -Oui. ».
Dans le scénario, il fallait que je parte en voiture sur une route en lacets de Nice à Menton, d’un côté c’était la montagne, de l’autre c’était le précipice… avec le caméraman arrimé sur le capot de la voiture ! Dans ces conditions je devais arriver jusqu’au bord de mer, prendre un canot qui explosait au large, nager jusqu’au rivage, poursuivie par un hors-bord qui ne me rattrapait pas tellement je nageais vite. Je lui dis : « -Même aux jeux olympiques, on ne réussirait pas ce prodige… » « -C’est le miracle du cinéma ! ». Tout était réglé, et là il m’invite à déjeuner pour reparler du rôle. En montant l’étage pour accéder au restaurant il soulève ma robe « -Vous êtes malade ou quoi ?» « -Comment voulez-vous que je vous dirige si je ne vous connais pas bibliquement ?» « -S’il fallait que je couche avec tous les réalisateurs de le la télé pour avoir un rôle je n’en finirais pas !».
Une autre fois, alors que j’étais encore au conservatoire, j’apprends qu’on monte pour la télé On ne badine pas avec l’amour, que je connaissais bien car je l’avais répété pour mon entrée au conservatoire et Georges Chamarat avait été adorable et m’avait distribué quand il avait monté le spectacle. Je vais voir le metteur en scène de la télévision avec un paquet de photos, il les bat comme on bat un jeu de cartes et me dit : « -Et à poil, vous n’avez rien ? » « -Pour le rôle de Camille ? » «-Pour le rôle de Camille… ou un autre » «- Non, j’y penserai peut-être, mais je n’ai encore jamais vu de filles à poil à la télévision ». Finalement, il a pris sa femme, qui n’avait ni l’âge ni le physique du rôle. Quelle chance je peux avoir, moi, là-dedans ? Si vous n’avez pas un appui sérieux qui dit au réalisateur « Allons, tu ne vas pas prendre ta femme pour ce rôle-là, elle pourrait jouer la mère supérieure mais pas Camille… », c’est foutu.
Une autre fois, l'un des plus grands réalisateurs de la télévision m’avait appelée pour un essai. Il y avait une foule devant sa porte, on aurait dit que c’était la guerre et qu’on allait distribuer des morceaux de pain. Alors que j’étais l’une des dernières arrivées, il me fait entrer, et me fait attendre pendant plusieurs heures sans me faire passer d’audition, pour finalement m’avouer : « -Je suis obligé de faire semblant de faire passer des auditions mais on m’a conseillé telle comédienne, car elle est imposée par untel. Mais je vais t’inviter à dîner, je suis sûre que tu n’es jamais montée dans une Mercedes 190 SL » « -Je n’en ai rien à foutre, je veux partir ! ». Il m’a proposé de me raccompagner et j’ai refusé, alors que le quartier des Buttes-Chaumont était dangereux à l’époque, à part les studios de télévision il n’y avait rien, pas d’habitations, et pas de station de taxi.

J’ai tourné un téléfilm, Celui qui n’y croyait pas (1965) pour Jean-Paul Carrère, un monsieur très élégant, très « Jacques Barclay ». Quelques temps après ce tournage, il me convoque pour me dire « -Je cherche un couple de comédiens pour tourner dans une adaptation des « Hauts de Hurlevent », vous avez le tempérament de Catherine, est-ce que ça vous intéresse ? » « -Oh oui, depuis que j’ai vu ce film j’ai toujours rêvé de jouer Catherine, c’est une battante, une fonceuse. » « -J’ai pensé à un comédien pour Heathcliff, mais je ne suis pas sûr de moi, il fait trop bûcheron. Voyez-vous quelqu’un qui ait ce gabarit là tout en étant élégant ? ». Et je lui parle de mon ami Claude Titre, qu’il ne connaissait pas, et lui donne ses coordonnées.
Je venais régulièrement de Nogent-sur-Marne à Paris pour parler avec lui de l’avancée du projet, mais il hésitait encore à me choisir :  « -Vous êtes tellement brune que ça me fait peur !» « -Merle Oberon aussi était brune dans le film… » «-Oui, mais c’était une erreur. » «-Je ne suis pas de votre avis, il ressort physiquement ce qu’elle a intérieurement, elle devient hystérique pour défendre celui qu’elle aime. »
Je n’en entends plus parler, et un jour je vois que ça passe à la télévision. Il avait pris Geneviève Casile, qui est sublime. Et devinez quoi, alors qu’il me reprochait d’être brune, il avait mis à Geneviève Casile, qui est blonde… une perruque brune ! Et Claude Titre jouait Heathcliff, comme il est superstitieux il ne m’avait pas dit qu’il avait participé au tournage, et ne m’a jamais cru quand je lui ai dit que c’était grâce à moi qu’il avait été choisi, il ne s’imaginait pas que je puisse influencer un metteur en scène.
Tout a été tourné en studio, quand les gens marchaient ça faisait « boum » « boum » car tout était en bois. Au début du film, ça commence dans la lande irlandaise avec le vent qui souffle. Heathcliff marche difficilement avec un vent de face, s’arrête devant la maison et quelqu’un vient lui ouvrir en tenant une bougie. Dans le film avec Laurence Olivier, la bougie était protégée du vent par une cage en verre, alors que dans le téléfilm français il n’y avait aucune protection, et la bougie ne bougeait pas, imperturbable. C’était la cata (rires).

DLODS : Que pensez-vous du doublage aujourd’hui ?

Je trouve qu’il y a un manque d’implication, de rigueur, de professionnalisme, d’intérêt au métier, et de lucidité face à la chance immense que nous avons, chance qui est d’autant plus grande pour des comédiens qui débutent, que maintenant qu’il y a internet, des bases de données, etc. vous avez parfois la possibilité de garder à vie –hélas parfois- un comédien que vous doublez. Les directeurs de plateau ont le pouvoir. Alors que peu ont l’oreille musicale, on les croit comme si c’était le bon dieu qui parlait.

Je me souviens encore de cette séance dans les années 90, peu de temps après la grève, Michel Roux est convoqué à 14h et arrive à 12h50, il se pose dans le studio et ferme les yeux : «- Vous dormez ? » «- Non, je ne dors pas ». Je n’avais jamais osé le tutoyer, je n’avais pas souvent travaillé avec lui, à part des petites choses dans Amicalement vôtre ou La Légende des Strauss où je débutais et où il avait toujours été très bienveillant.
Après avoir entendu la première boucle, où les jeunes qui étaient là ne savaient pas ce qu’il se passait dans le film et n’avaient pas l’air intéressés par ce qu’ils faisaient, le directeur artistique leur dit « Amour, joie, bonheur, (son slogan), première boucle, one take. C’est-y pas merveilleux ? ». Il n’avait donné aucune indication, deux ou trois scènes se passent comme ça avec les autres, et puis tout d’un coup arrive notre tour à Michel et à moi. Michel Roux doublait Tony Curtis et moi je ne sais plus qui. A l’image, Tony Curtis arrive en nage et en colère. On fait une première prise, Michel ne bouge pas d’un poil, toujours très statique devant un micro, et fait quelque chose de parfait.  Et là le directeur artistique, pour montrer qu’il est un grand metteur en scène de théâtre, un auteur dramatique et directeur de plateau avisé lui dit : « -Michel, je voulais vous demander : vous avez vu sa jugulaire ? » «- Non, pourquoi? » « - Je pense que si vous l’aviez vue vous ne l’auriez pas jouée comme ça. Quand on a la jugulaire gonflée comme ça, ça veut dire qu’on est très très très en colère » «- Ah» « -Bon, on la refait». On refait la scène et là il lui dit « Eh bien voilà, il suffisait simplement de vous parler de sa jugulaire ». Il n’arrêtait pas de dire des conneries. Michel, imperturbable s’assoit, et me dit pendant le changement de bobine : « Ca a bien changé, le doublage !» (rires).

DLODS : Vous avez quand même participé à quelques beaux doublages, et dans de bonnes conditions, ces derniers temps ?

Virginie Méry
Oui, les derniers se sont bien passés : Le Crime de l’Orient-Express (Judi Dench) pour Michel Derain avec qui je travaille souvent, deux Glenn Close (un pour Olivia Luccioni, que j’ai connue toute petite et un pour Franck Louis qui connaît merveilleusement son sujet), Sandy Wexler (Jane Seymour) pour Isabelle Leprince que je ne connaissais pas.
Et dans quelques jours je vais doubler Helen Mirren dans un film d’horreur, sous la direction de Virginie Méry. J’aime travailler avec Virginie, elle est dynamique, vous pousse à vous dépasser. Je l’ai découverte il y a longtemps comme comédienne chez Alter Ego (société de doublage d’Hervé Icovic, ndlr) pour un film que je doublais avec Patrick Floersheim. Elle doublait une petite jeune fille avec une émotion à fleur de peau : en un plan séquence elle témoignait au tribunal contre son père qui avait violé ses petites sœurs et elle, et finissait par tout raconter avec une espèce de courage, qui sortait comme un vomissement, tout en restant très pudique. Virginie venait de s’enquiller trois scènes sans bavure, sans cafouillage, avec toutes les nuances, et quand elle a fini sa boucle, tout le monde faisait un silence de mort sur le plateau, on était scotché.
Et là j’entends la directrice artistique qui lui dit « -On va la refaire… » «-Ah bon ? » « -Oui, la labiale n’était pas en place », j’étais au fond du studio, et ça a été plus fort que moi, je n’ai pas pu m’empêcher de crier un « Oh non ! » de désespoir. Parce que la labiale n’était pas en place, la directrice de plateau allait foutre en l’air ce travail plein d’émotion, de pudeur, tout y était. Tout ça pour demander à Virginie de refaire de façon mécanique une scène qui méritait d’être gardée telle quelle.

Je regrette qu’on me fasse souvent enregistrer seule, mais il paraît que je « terrifie » certains comédiens. De toute façon, on me regarde de travers dans tous les cas, donc autant dire ce que je pense. En tout cas, sur le dernier Unter Verdacht que j’ai doublé pour Claudio Ventura, je me suis détestée, c’était d’une tristesse à mourir, on sentait que j’étais seule et que je ne parlais à personne. J’ai dit à Claudio que pour le prochain épisode (la comédienne dit à chaque fois qu’elle arrête, et ne peut s’empêcher de continuer), si aucun comédien n’est là pour enregistrer avec moi je quitterai le plateau.

DLODS : Vous accordez aussi beaucoup d’importance à la technique.

Chez les ingénieurs du son, j’adore Emmanuel Mertens, c’est une merveille, digne de Pierre Davanture avec qui j’avais fait La Guerre des Etoiles. Il a une poésie, un amour du travail bien fait, il est avec vous (les comédiens et le directeur artistique), il joue, participe, c’est comme ça que je comprends le métier, ce n’est pas chacun dans son coin, où tu te fais engueuler « -Hé, pourquoi tu parles à l’ingénieur du son ! » «-Pour savoir si ma voix passe… » «-Tu n’as qu’à le demander à moi ! ».
J’ai également un souvenir fantastique de Benoît Jolly, qui était ingénieur du son chez Dubbing Brothers, puis qui a travaillé en solitaire comme monteur à Epinay. Je travaillais pour la première fois avec lui à Dubbing, et au moment de finir, je vais lui dire « -Au revoir et merci » « -C’est normal, j’ai fait mon métier » « -Tant mieux si vous considérez la chose comme ça, mais j’avais la voix dans un triste état, j’avais l’impression d’entendre une roulette dès que j’ouvrais la bouche, et vous avez fait du très bon boulot… » « -Je ne vous connaissais pas, Evelyn. A présent qu’on ne s’avise pas de dire devant moi du mal de vous sinon je lui casse la gueule ; j’ai travaillé avec une vraie professionnelle ».  Sur le chemin du retour, je me retenais pour ne pas partir en sanglots. Il a fallu attendre que ce soient des gens avec qui je travaille pour la première fois pour qu’elles me disent des gentillesses, contrairement à certains avec qui j’ai fait toute ma carrière…

DLODS : On parlait il y a quelques instants de votre regret de ne pas avoir un peu plus joué au théâtre, au cinéma ou à la télévision. Parmi toutes les comédiennes que vous avez doublées, est-ce que vous vous êtes sentie plus « proche » de l’une d’entre elles en terme de personnalité, à tel point que vous auriez presque pu jouer le rôle à sa place si vous en aviez eu l’occasion ?

Glenn Close
Celle dans laquelle je suis rentrée le plus facilement c’était Jaclyn Smith, c’était gentil mais il n’y avait pas grand-chose à prouver.
Les autres, ça serait prétentieux de ma part de dire qu’elles me correspondaient et que j’aurais pu jouer leur rôle. C’est pour ça que j’aime ce métier. Elles étaient tellement sublimes comme Glenn Close, Meryl Streep dans Out of Africa (à ses débuts dans Kramer contre Kramer, doublée par Annie Sinigalia, je la trouvais formidable, et je l’ai moins aimée dans d’autres films qui ont suivi, où elle reprenait les « tics » de ses débuts), ou la géniale Helen Mirren. Mais toutes ces comédiennes que j’ai doublées m’ont permis d’être moi, différente. Etre un jour une pute, une aristo, une intello, une cinglée… De Brigitte Nielsen qui braille comme une folle à Helen Mirren ou Glenn Close, toutes en nuances. Je n’ai jamais eu le même rôle, c’était toujours différent, il fallait trouver au fond de soi cette chose qui correspondait au personnage qui était en face de nous. Cette chance on ne la donne pas aux comédiens, surtout en France, où au théâtre on ne m’a distribuée que dans des rôles de « filles du soleil ». Aux Etats-Unis, les comédiens se déplacent, un jour ils jouent un gangster, le lendemain un ministre de l’intérieur, alors qu’en France, une fois que vous avez été remarquée dans un rôle vous ne pouvez plus en bouger. Et vous ne pouvez pas être à la fois comédienne, chanteuse et danseuse, c’est suspect...


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Evelyn Selena : Rencontre avec une drôle de dame (Partie 2/3)


Deuxième partie de mon interview d'Evelyn Selena (Première partie ici et Troisième partie ici).

Dans l’ombre des studios : Comment en êtes-vous venue au doublage ?

Grâce au syndicat des acteurs, un directeur artistique m’avait convoqué à Technisonor sur les Champs Elysées car il cherchait une petite marocaine pour doubler un documentaire sur le jamboree, cette grande réunion mondiale des scouts. J’ai commencé à parler comme je vous parle maintenant et le directeur artistique m’a interrompu en me demandant de prendre l’accent « Vous ne pouvez pas parler comme on parle chez vous ? ». Je lui ai dit que j’étais marocaine mais pas arabe et que je ne savais pas prendre l’accent. Il s’est énervé, je me suis mise à pleurer et il est parti en claquant la porte. Je reste seule en me demandant s’il faut que je parte ou que je reste, et soudain j’entends derrière moi « Ne pleurez pas, mademoiselle, tout ce qu’il prend pour des défauts sont pour moi des qualités. Séchez vos larmes et donnez-moi votre nom et votre numéro de téléphone ». C’était Roland Ménard, la voix française de
Roland Ménard
(c) La Gazette du Doublage
Marcello Mastroianni. Il m’a encouragée, et c’est grâce à lui que j’ai fait du doublage. Il était comédien mais également directeur de plateau : il dirigeait à l’époque pour C.I.C., Les Films Jacques Willemetz, etc.
Quand j’étais appelée sur un film pour une ou deux phrases, ou cinq lignes, je demandais à rester parce qu’il y avait sur le plateau des gens comme Martine Sarcey, Nadine Alari, Jean Martinelli, Raymond Loyer, Jacqueline Ferrière, Claire Guibert, des sociétaires du Français, etc. et pour moi c’était un enchantement, je retrouvais les voix que j’avais mémorisées lorsque j’allais au cinéma en Afrique du nord, je ne connaissais pas leurs noms mais je reconnaissais leurs voix, c’était là dans un petit coin de ma tête. J’étais émerveillée de les retrouver en chair et en os et c’est comme ça que j’ai appris le métier, que j’ai vu les petits trucs, les ficelles qui permettaient d’être en place et de ne pas faire perdre trop de temps à un plateau. Qu’est-ce que je suis contente d’avoir connu ces gens-là, mon métier tout d’un coup a pris une autre couleur, je me disais « Merde, je suis à côté de ces types-là,  j’enregistre avec eux et ça ne les dérange pas, ils ne sont pas incommodés par mon jeu».

DLODS : Vous avez commencé à travailler dans le doublage au début des années 60 alors que vous étiez encore au Conservatoire. Ce n’était pas trop compliqué d’obtenir les autorisations pour travailler ?

C’était normalement interdit, mais Roger Ferdinand, qui dirigeait le Conservatoire à ce moment-là, m’avait plutôt à la bonne et me transmettait les convocations, il était presque devenu mon agent (rires). « Mademoiselle Selena vous êtes attendue à la radio avec Monsieur Pierre Billard pour « Les Maîtres du Mystère ». Il y a aussi Monsieur Elie Fabrikant qui vous a appelé pour un doublage  », et je partais.
Ca a intrigué un élève de ma classe. Il me demande un jour « -Pourquoi tu es convoquée chez le directeur ? » et je réponds, naïve « -Parce que je travaille. La radio appelle directement le directeur pour savoir s'il est possible qu’on me libère. Le doublage aussi » « -Ah bon, tu fais du doublage où ? » « -Au studio Francoeur. » «- Ah, c’est marrant, j’habite à côté, je pourrais y aller en pantoufles ». Le temps passe, et curieusement Elie Fabrikant ne m’appelle plus. Un jour, je le croise et je lui demande «-Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Je sais que je n’ai pas terminé le film que je devais faire ». Et il me dit « -Ecoutez mademoiselle, j’ai été très gentil avec vous, très patient, je vous ai prise avec bonheur, sans histoire, car vous étiez douée pour ça, mais je n’ai pas du tout apprécié que vous m’envoyiez quelqu’un de votre part » « -Mais je ne vous ai envoyé personne » « -Et ce jeune comédien qui m’a dit « Je viens de la part d’Evelyn Selena », c’est quoi ? » «- Je ne vous l’ai pas envoyé, je lui ai juste dit où je travaillais et avec qui » « -En tout cas c’est une bonne recrue, mais je n’ai pas du tout apprécié votre intervention ».

DLODS : A vos débuts, avez-vous été inspirée par des comédiens ou comédiennes en particulier ?

Jacqueline Ferrière
(c) La Gazette du Doublage
J’avais une immense admiration et une grande amitié pour deux couples, Jacqueline Ferrière et Raymond Loyer, et Paule Emanuèle et Jean-Claude Michel.
Jacqueline Ferrière, j’étais en admiration sur ce qu’elle faisait sur Ava Gardner, ça sortait merveilleusement, alors qu’il n’y avait aucune ressemblance possible, elle était aussi blonde qu’Ava Gardner était brune. Mais elles avaient la même stature.
C’étaient des gens qui faisaient bien leur métier, c’était propre, net, sans compromission, sans saleté autour. Je ne vois pas Jean-Claude appeler un studio et dire « Dites donc, vous doublez un film avec Sean Connery, c’est moi qui devrait le faire ». Jamais. Alors que d’autres l’auraient fait… et l’ont fait.
C’étaient des gens biens et irréprochables sur le plan professionnel. Quand Paule parlait de Jean-Claude, c’était mignon comme tout. Un jour, Jean-Claude et moi étions tous les deux à la barre et je lui ai dit « Qu’est-ce que je t’aime, toi alors » et il a fait « Ah bon… ». Je suis contente d’avoir pu lui dire de son vivant.
C’est comme Arlette Thomas, Nadine Alari ou Martine Sarcey, ces femmes étaient des merveilles. Martine, je l’avais perdue de vue depuis des années, j’avais même dit à une secrétaire de la S.O.F.I. qui engageait toujours la même comédienne pour doubler les femmes mûres «- Dis donc, quand tu as besoin de femmes âgées, tu n’as que celle-là à nous envoyer ? » « -Pourquoi, elle n’est pas bien ? » « -Ecoute je ne sais pas si tu as de l’oreille mais, c’est quand même pas très bon… Martine Sarcey et Nadine Alari, quand tu les convoques, elles ne sont pas payées à la ligne et négocient un gré à gré ? » « -Mais pas du tout. » « -Eh bien, pour le même prix tu auras ce qu’il se fait de mieux».

DLODS : Puisqu’on en parle, vous êtes très attentive aux voix et avez une très bonne mémoire des voix de vos camarades, c’est assez rare.

Quand vous faites de la musique vous êtes exercée à tout. A un moment je reconnaissais n’importe quelle voix, que j’associais à un physique (c’est fou le nombre de personnes qui pensaient que j’étais blonde avant de me rencontrer !), maintenant je ne connais pas les nouvelles voix, je trouve qu’elles se ressemblent toutes.
Avant on faisait attention à l’harmonie des voix entre elles sur des doublages. Les deux jeunes premiers devaient avoir de jolies voix, il fallait que ce soit harmonieux en général. Là maintenant vous êtes ici dans ma cuisine, vous écoutez la télé dans la pièce d’à côté, vous ne savez pas qui parle, si c’est le rôle principal, la copine, la voisine, etc.

DLODS : Le doublage actuel semble en effet plus « sobre » ou « aseptisé », moins théâtral qu'à une certaine époque.

Même des gens que je ne portais pas dans mon coeur car ils ne me portaient pas dans le leur, comme Pierre Trabaud, je leur trouvais un charme, quelque chose de bouleversant, d’émouvant.
Roger Carel, que j’adore, apportait de la poésie, de la vie, de l’humour. Quand il prêtait sa voix à son robot doré, Z6PO, dans Star Wars, c’était incroyable, j’avais envie d’adopter R2D2 rien que pour que Roger vienne lui faire des remarques avec sa voix (rires).
Christophe Lemoine
Chez les jeunes c’est plutôt ennuyeux, il n’y a pas grand monde pour prendre la relève, à part peut-être Christophe Lemoine, qui a une vraie personnalité et apporte beaucoup d’invention dans son jeu mais aussi dans sa vie. Quand il était beaucoup plus jeune et doublait les petits garçons, c’était la terreur des ingénieurs du son. Il s’asseyait à côté d’eux quand ils installaient leurs potentiomètres et il les bougeait : « -Qu’est-ce que t’as fait, là ? » « -J’ai rien fait ». Et il repartait comme si de rien n’était (rires).

DLODS : Quel type d’«emplois» aviez-vous à vos débuts au doublage ?

C’est drôle, mais tant que j’avais les cheveux longs avec des nattes je doublais les petites indiennes. Puis au théâtre on m’a demandé de les couper, j’ai coupé mes cheveux au niveau des épaules et j’ai commencé à doubler les petites jeunes filles américaines, puis je me suis coupé les cheveux encore plus courts. Vous aviez entendu parler des distributions de doublage « au physique », vous n’aviez pas entendu parler des distributions « à la coiffure », j’en suis sûre ? (rires).
J’ai donc commencé à doubler pour le cinéma des rôles de gentilles jeunes femmes, comme Jane Fonda. La première fois que je l’ai doublée, c’était dans Maison de poupée (1973) pour Richard Heinz. Richard Heinz (dirigeant du studio Lingua-Synchrone, ndlr) m’a donné des chances extraordinaires, il ne me connaissait pas du tout, il a simplement bavardé avec moi, m’a demandé si je savais prendre l’accent espagnol : « Oui, je viens de jouer une bonne espagnole dans une pièce de Dominique Nohain ». Quelques jours après il m’appelait pour doubler l’un des rôles principaux féminins (Karin Dor, rôle de Juanita de Cordoba) avec accent espagnol dans L’étau (1969) d’Alfred Hitchcock. J’étais bien entourée, quelle distribution !

DLODS : L’adaptation était d’Isabelle Kloucowsky…

Qui était à l’époque mon imprésario !

DLODS : Vous rappelez-vous si, à l’instar des autres acteurs français qui jouaient dans ce film (Claude Jade, Philippe Noiret, Michel Piccoli…) Dany Robin se doublait elle-même?

Richard Heinz
Oui, elle se doublait elle-même. Pour en revenir à Richard Heinz, il m’a peu de temps après donné à doubler dans Une bonne planque (1972) Sophia Loren, qui était belle comme le jour, d’une maladresse touchante. Un jour le film passe à la télévision, je vais au studio Mermoz (où étaient doublés dans un studio les grands films Lingua-Synchrone, et dans l’autre une partie des séries de la S.O.F.I., ndlr) et je rencontre Serge Sauvion qui me fait « -Ah je suis bien content de te voir, toi qui reconnais toutes les voix, est-ce que tu as vu le film hier avec Sophia Loren ? » « -Oui » « -Est-ce que tu peux me dire qui double Sophia Loren ?» « -Ah bon, tu n’as pas reconnu qui faisait sa voix? » « -Ah, c’était formidable, une spontanéité une fraîcheur… » « -Tant mieux, merci ! » « -Pourquoi tu me dis « merci » ? » « -Parce que c’était moi »  « -Génial ma cocotte, je ne t’avais pas reconnue ». C’est resté un signe, à partir du moment où on ne vous reconnaît pas, où on se demande qui c’est, c’est déjà gagné, vous êtes rentrée dans un autre personnage et vous ne faites pas toujours la même chose.
Richard m’a aussi donné un personnage difficile dans Ludwig ou le Crépuscule des Dieux (1972) de Visconti. Je doublais une espèce de comédienne, Lila Von Buliowski (jouée par Adriana Asti), complètement hystérique, venue pour se faire sauter. C’était très difficile car j’avais des pudeurs, et j’ai reçu des tas de compliments pour ce doublage. Il y avait une brochette de comédiens de théâtre extraordinaires, des gens de la Comédie-Française, c’étaient des cadors. William Sabatier était magnifique sur Trevor Howard (Wagner). Pour Romy Schneider il y a eu des tentatives avec plusieurs comédiennes, jusqu’à ce qu’elle vienne se doubler elle-même.

DLODS : Avez-vous souvenir d’autres rôles importants à cette époque-là ?

Oui, Le jour du fléau (1975) sur Karen Black, un doublage dirigé par Jean Lagache, et Airport (1970) sur Jacqueline Bisset.

DLODS : Vous parliez tout à l’heure de Sophia Loren. Dans les doublages de films italiens on retrouvait souvent la même équipe (Helena Manson, vous-même, etc.), est-ce que cela demandait une technique particulière ?

Ce n’était pas le même tempérament, la même manière de jouer que sur les films américains. Les comportements italiens sont beaucoup plus violents et extériorisés, méditerranéens. J’aimais beaucoup les doubler, ça correspondait à mon tempérament.
Il y a aussi une histoire de « familles » de studios : une bonne partie des doublages de films italiens se faisaient chez Jacques Willemetz ; Helena Manson qui n’était pas du tout méditerranéenne travaillait beaucoup pour lui, donc on la retrouvait forcément dans ces doublages-là.

DLODS : Puisqu’on parle de « familles », on vous a souvent retrouvée à l’époque dans les doublages de la S.N.D. (films Fox, dirigés par Michel Gast, Jenny Gerard et Jean Droze).

Oui mais au début chez eux je n’avais pas forcément des rôles intéressants. Dans les comédiennes d’à peu près mon âge Perrette Pradier et Michelle Bardollet étaient plutôt « installées », tout comme, un peu plus âgées, Arlette Thomas ou Claire Guibert. Ils étaient rassurés d’avoir des comédiennes comme elles, avec qui ils avaient beaucoup travaillé.
Dans Comment se débarrasser de son patron (1980) avec Perrette Pradier et Michelle Bardollet c’est moi qui faisais la nunuche (Jane Fonda), alors que dès que Jane Fonda jouait une grande amoureuse on donnait ça à Perrette Pradier.
A propos de Michelle Bardollet, elle m’a accueillie à mes débuts avec une certaine frilosité, mais ça s’est arrangé quand elle a vu que j’étais en admiration devant son travail. Elle avait tout compris du doublage, faisait ça les doigts dans le nez. Sur Barbra Streisand, c’était une réussite totale, une évidence.

DLODS : Dans les grandes doyennes qui travaillaient beaucoup à la S.N.D., je sais que vous aviez une tendresse particulière pour Lita Recio et Marie Francey…

Ah, Lita Recio. La voir doubler des perroquets est peut-être l’une des choses les plus ridicules que j’ai jamais vue dans ma vie, mais elle était incroyable, quelle personnalité. Elle entretenait un certain mystère sur son âge -Jean Droze disait « Oh ! Ne dis pas son âge, elle va tomber en poussière »- et restait très coquette. Un jour, j’entre en studio et la vois avec « Le Monde » dans les mains. C’est écrit tout petit, même avec une bonne vue vous avez besoin de lunettes. J’arrive et je lui dis « -Bonjour Lita » « -Bonjour », et elle ne se retourne pas pour me faire la bise. «- Ne fais pas semblant de lire Le Monde » « -Mais je ne fais pas semblant, ma grande.» « -Sans lunettes ? » « -Oui, parce que je me suis fait opérer ». Et je la vois un jour à Dubbing à l’heure du déjeuner, maquillée comme un camion volé, la coiffure bouclée, un joli tailleur «- Mais dis donc qu’est-ce que t’es belle » «-Ecoute chérie, je suis invitée à déjeuner par un monsieur. Il est loin d’avoir mon âge, mais c’est quand même un homme donc je dois lui faire honneur  » « -Tu as raison, tu es très belle ».

Marie Francey avait été une très belle femme, et elle était toujours rayonnante, maquillée : les yeux, les cils, le trait d’eye-liner, les pommettes…
Elle me téléphonait pendant des heures, parfois je la laissais parler pendant que je faisais ma vaisselle et quand je reprenais le téléphone elle parlait toujours (rires).

DLODS : Pour la S.N.D. vous avez doublé Carrie Fisher (Princesse Leïa) dans l’ancienne trilogie Star Wars. Quels souvenirs gardez-vous de ce doublage ?

C’était épique, le film hurlait dans tous les sens. Nous l’avons doublé, sous la direction alternée de Michel Gast et Jean Droze, dans un immense studio rue des Portes à Clignancourt, avec un ingénieur du son, Pierre Davanture, qui était un magicien. Il avait une petite console, on mettrait ça dans un film les gens diraient « Mais qu’est-ce que c’est que ce machin- là ?», une taille ridicule comparée aux grandes consoles pour l’enregistrement des musiques qu’on voit dans certains auditoriums à Dubbing Brothers, où les ingénieurs du son ont besoin d’un fauteuil à roulettes pour aller d’un bout à l’autre ; et pourtant, le son qui en sort n’est pas aussi fabuleux que celui de Pierre Davanture.

DLODS : Pensiez-vous au moment de doubler La Guerre des Etoiles (1977) que le film recevrait un tel succès ?

Non, pas du tout. Et pour tout vous dire, je n’aimais pas ça du tout, la science-fiction ne m’intéressait pas. Par contre j’ai aimé Le Retour du Jedi (1983), dans lequel il y avait ces petits bonhommes qui ressemblaient à des ours en peluche qui couinaient, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de poésie dans ces petits personnages et ça m’a touchée. Ce que je n’aimais pas c’étaient ces grosses machines qui ressemblaient à des grosses araignées ou de grosses sauterelles, qui avançaient en faisant un bruit infernal. Je ne trouvais pas ça intéressant. Dark Vador me faisait peur, je n’aimais pas les personnages qui ne montraient pas leurs yeux, leur visage. Mais bon, je m’y suis faite (rires).

DLODS : Comment trouviez-vous Carrie Fisher ?

Je l’avais trouvée très marrante avec ses nattes en forme d’écouteurs de téléphone dans le premier film, elle était drôle, et dans le style qu’on attendait, un peu désuet. Ensuite elle est devenue plus coquette, plus mignonne, moins « standardiste ». J’ai aimé Le Retour du Jedi, j’ai trouvé qu’il y avait de l’imagination, un délire romantique.

La Guerre des Etoiles (1977) avec les voix de Pierre Hatet (Général Motti), Evelyn Selena (Leïa) 
et Henri Virlojeux (Grand Moff Tarkin)

DLODS : Pourquoi ne l’avez-vous pas doublée récemment dans les épisodes VII et VIII ?

On m’a téléphoné pour me demander si j’avais déjà doublé Carrie Fisher. J’ai dit oui, plusieurs fois, dans la trilogie Star Wars et pour certains téléfilms à la S.O.F.I ou chez Steimer (Jean-Pierre Steimer, gérant de Synchro Mondiale / Synchro Vidéo, ndlr).  « Il y a plusieurs années qui se sont écoulées, il faut que tu viennes faire des essais. ». Leïa n’avait presque aucun dialogue dans le film, et on me demandait de me déplacer pour passer des essais sur un personnage aussi peu loquace. Je leur ai dit que je ne voulais pas faire des essais. Ma voix a changé, tout comme celle de Carrie Fisher, mais mon jeu n’a pas changé, et je crois même au contraire qu’il s’est amélioré. Comme j’ai refusé de passer les essais, j’ai été remplacée par Béatrice Delfe. Mais si j’avais passé l’essai, ils m’auraient certainement évincée dans tous les cas, comme ils ont apparemment écarté Dominique Collignon-Maurin (Luke Skywalker) sur le suivant. Tous les gens de Dubbing Brothers s’arrachent les cheveux à cause de Disney. 

DLODS : Si je vous dis : « J’avais une ferme en Afrique… »

« I had a farm in Africa… » (rires). C’est un très grand souvenir. Je ne sais pas combien d’essais j’ai passés avant de doubler Meryl Streep dans Out of Africa (1985). La directrice de plateau, Jacqueline Porel, ne donnait pas au client le nom des acteurs qui passaient les essais, on était numérotés. J’ai d’abord été numérotée quatre, puis, cinq, etc. et à chaque tour d’auditions c’est moi qui était choisie. Jusqu’au jour où ils se sont fixés en disant « C’est embêtant parce qu’à chaque fois c’est elle qui sort, donc il n’y a pas de doute, mais on ne  la connaît pas, qui est cette fille ? ». Jacqueline leur a expliqué que j’avais fait le conservatoire, joué à la Comédie Française, etc. et elle leur a dit  « Je vais faire le film avec elle, mais si le résultat ne vous plaît pas je vous promets que nous le referons gratuitement avec la comédienne de votre choix. »

DLODS : C’était très classe…

Jacqueline Porel
C’était classe, généreux, preuve d’une grande confiance en moi et en elle… et ça m’a fichu la pression (rires), je n’ai pas dormi les deux ou trois nuits qui ont précédé le premier jour des enregistrements.
J’arrive le matin, je savais qu’il y aurait Claude Giraud donc j’étais en confiance car on s’entendait merveilleusement bien. Il y avait un monsieur qui était là, très british, bien habillé, cheveux gominés, etc. qui me suivait du coin de l’œil, et ça m’impressionnait car je ne savais pas qui c’était. On enregistre la première scène, on écoute, Jacqueline me donne ses indications, ses directives, et à un moment donné la technique nous lâche et je prends pour plaisanter un accent en disant « Je me demande ce que je suis venue faire dans cette histoire ». Et là le monsieur s’anime soudain et me dit « Vous avez pris un accent, vous pouvez le refaire en faisant un essai sur une boucle ? ». Jacqueline était complètement dépassée. Je fais un essai avec ce petit accent. « Vous pouvez le tenir tout au long du  film sans le pousser ou le rétracter ?». Je ne savais pas quoi répondre, je marchais sur la pointe des pieds, car je voyais Jacqueline qui se mangeait les joues, c’était mauvais signe (rires).
Ce monsieur, qui était en fait Philippe Bacon, représentant français d’U.I.P. (Universal-Paramount), a assisté à deux ou trois boucles –notamment la scène où Karen arrive en Afrique et où elle rencontre Finch Hatton au moment de l’arrêt du train-, il m’a dit « Continuez comme ça » et il est parti.
Pendant tout le doublage, le téléphone n’arrêtait pas de sonner, Sydney Pollack appelait Jacqueline, il lui disait beaucoup de choses sur moi qui ne m’ont pas été dites. Le dernier jour on enregistrait toutes les voix-off « I had a farm in Africa, etc. » et moi je venais de perdre un grand ami qui venait de mourir, j’étais en larmes au moment où on enterre Finch Hatton et que Karen fait son discours. Jacqueline me dit, « J’ai reçu un coup de fil de Sydney Pollack il est ravi de ton travail, il y a juste la fin où tu sanglotes alors qu’elle verse une larme à droite, une larme à gauche. C’est un peu trop, c’est une femme qui arrivait à dominer ses émotions », on a refait la scène et Jacqueline m’a dit qu’elle mélangerait les deux prises car il y avait dans la première des choses d’une émotion spontanée qu’on ne pouvait pas retrouver dans la seconde.

Out of Africa (1985) avec la voix d'Evelyn Selena (Meryl Streep)

Peu de temps après je reçois un coup de téléphone de Philippe Bacon « J’ai vu le film, je suis émerveillé par votre travail. Si vous voulez voir le résultat avant que le film ne sorte, je peux organiser une projection dans nos locaux ».
Je suis allée assister à cette projection privée avec une amie qui s’intéressait à mon travail. La projection commence, « J’avais une ferme en Afrique, etc. » et à un moment mon amie me demande «- Quand est-ce que tu parles ? » « -Ca fait depuis quinze minutes qu’on entend ma voix !» « - Quoi ? C’est toi qui fait la vieille ? » (rires).
Et en sortant de là, Philippe Bacon me dit : « J’en ai parlé à Sydney Pollack qui était tellement content qu’il m’a dit « vous direz à la comédienne qui double Meryl Streep que s’il existait des oscars du doublage je serais heureux de le lui en remettre un en mains propres » ».  C’est l’un des plus beaux compliments que j’ai reçus dans ma vie. Chaque fois que je vois le film, je ne rougis pas de mon travail.

DLODS : Nous avons reconnu la plupart des voix de ce doublage, par contre je me demande par qui étaient doublés les comédiens de couleur ?

Certains se doublaient eux-mêmes, c’était le cas du comédien qui jouait le rôle de Farah (Malick Bowens).

DLODS : Même si vous avez continué à la doubler en parallèle dans d’autres films, Meryl Streep a assez rapidement eu une nouvelle voix : Frédérique Tirmont.

Oui, je pense que le changement s’est fait à une période où je ne travaillais plus pour P.M./L’Européenne de Doublage. Frédérique a doublé Meryl Streep dans La mort vous va si bien (1992), puis elle s’est mise à doubler la plupart des actrices que je double : Jaclyn Smith, Helen Mirren, etc.
Parfois pour ne pas me prendre on disait « On a pris unetelle car tu comprends, il lui arrive ça dans sa vie en ce moment, etc. ». C’était d’une grande hypocrisie. Je suis passée dans cette profession pour quelqu’un qui n’avait pas de problème ni matériel ni psychologique tout ça parce que je laissais mes problèmes personnels hors du studio. Je n’avais pas à imposer ça à des gens qui ne connaissent rien de moi. Comme ça embêtait tout le monde que je ne dévoile rien de ma vie privée, ils inventaient.

DLODS : Certains directeurs artistiques vous ont de nouveau distribué sur Meryl Streep ces dernières années…

Je l’ai doublée dans Confidences (à ma psy) (2005), qui n’était pas un film réussi. Ma voix commençait déjà à faire des siennes, mais Béatrice Delfe m’avait dit qu’elle tenait à ce que je le fasse, car comme elle avait été l’assistante de Jacqueline sur Out of Africa, elle me considérait comme la seule voix de Meryl Streep. Plus tard, elle a pris Frédérique Tirmont pour doubler Meryl Streep sur un autre film, je lui ai dit « -Alors, je ne suis plus la seule Meryl Streep pour toi ? » «- Tu as vu Meryl Streep ? Elle a fait un lifting. » « -Donc quand on fait un lifting, la voix aussi rajeunit ? Il faudra que je lui demande le nom de son chirurgien !».
En raison de problèmes de santé, ma voix a certes changé, et je suis fatiguée par ce métier, mais la flamme est toujours là, alors que d’autres comédiennes sont comme des arbres morts dont il ne reste plus que l’écorce.

Meryl Streep en rabbin dans
Angels in America (2003)
Meryl Streep, je l’ai aussi doublée dans une série formidable, Angels in America (2003). Emmanuel Jacomy m’avait convoquée en essayant de me faire croire qu’il me considérait comme la seule voix possible de Meryl Streep, je ne comprenais pas, surtout que c’était fait à Dubbing Brothers où on me remplaçait systématiquement. En arrivant sur le plateau j’ai compris pourquoi : Emma Thompson jouait dans la série et était doublée par Frédérique Tirmont, et évidemment Frédérique ne pouvait pas doubler les deux.
Mery Streep était extraordinaire dans cette série, elle jouait plusieurs rôles dont un rabbin de quatre-vingt-cinq ans, avec l’accent yiddish, je me suis régalée et Emmanuel Jacomy m’a dit qu’il avait été soufflé par mon travail, lui qui m’avait connue sur les Docteur Quinn.

DLODS : Jacqueline Porel vous a confié plus tard une autre grande actrice : Glenn Close. Aviez-vous passé des essais ?

Oui, j’ai passé des essais. J’ai d’ailleurs passé des essais pendant toute ma carrière, on ne m’a jamais déroulé le tapis rouge. Je l’ai d’abord doublée dans Liaison fatale (1987) avec Patrick Floersheim (Michael Douglas). Juste avant que vous arriviez, j’entendais une alerte enlèvement à la télévision, avec la voix de Patrick. Ca m’a émue, j’ai trouvé étonnant qu’ils n’aient pas remplacé sa voix après son décès.

DLODS : Dans Les Liaisons Dangereuses (1988), en tant que spectateur j’ai trouvé le choix de voix pour John Malkovich assez déroutant.

Personne ne sait ce qu’il s’est passé dans la tête de Jacqueline, peut-être a-t-elle été sensible au charme de ce comédien ? Pour Malkovich, tout Paris avait passé les essais sauf Edgar Givry, qui aurait sûrement été bien sur ce rôle, et Guy Chapelier. Guy m’avait appelé en larmes tout un après-midi pour me demander de convaincre Jacqueline de lui faire passer un essai. C’est vrai qu’il m’arrivait de dire à Jacqueline « As-tu pensé à untel pour doubler tel acteur ? » mais ça venait spontanément. J’ai parlé de Guy à Jacqueline, qui a refusé.


Les Liaisons Dangereuses (1988) avec les voix d'Evelyn Selena (Glenn Close) 
et Isabelle Ganz (Uma Thurman)

DLODS : Quelques années plus tard, vous avez doublé de nouveau le rôle de la Marquise de Merteuil, mais cette fois-ci dans Valmont (1986) de Milos Forman, sur l’actrice Annette Bening, était-ce une coïncidence ?

Je ne me souviens plus si j’avais doublé Annette Beining avant, je pense que c’était la première fois. C’était encore dirigé par Jacqueline. Plus tard je l’ai doublée chez Gérard Cohen dans Bugsy (1991).

DSODS : Jacqueline Porel a également eu l’idée de vous distribuer sur Jessica Lange dans Tootsie (1982).

C’étaient mes débuts avec Jacqueline. Elle m’a d’abord dirigée sur Jessica Lange dans Que le spectacle commence (1979) où elle jouait la mort avec une voix très douce, rassurante, presque lénifiante. Puis Jacqueline m’a de nouveau fait passer des essais dans Tootsie (1982). Elle m’a dit « Ta voix va très bien dessus car elle est un peu nunuche, et quand elle se mettra en colère ça ira très bien aussi ».

DLODS : Dustin Hoffman a eu beaucoup de mal en France à trouver une voix « régulière ». Dans Tootsie, il était doublé par Jean-Pierre Cassel…

Jean-Pierre Cassel
Jacqueline avait pensé à Jean-Pierre Cassel qu’elle aimait beaucoup ; peut-être qu’elle voulait aussi faire plaisir au client en lui offrant une star. Elle lui a fait passer des essais, et Cassel arrivait à prendre une voix de tête sans que ça fasse homo, alors que les autres jouaient les homos, ce qui n’était pas utile.
Comme on dit en Afrique du Nord, il avait une « petite tête » (il n’avait pas la grosse tête), il était délicieux, charmant, humble devant son métier. Quand je me trompais, je me mettais dans un état pas possible, me confondais en excuses et il me disait « Il ne faut pas s’énerver, on refait et c’est tout. » n’importe qui d’autre aurait dit « Bon, c’est fini, maintenant chacun sa piste. »
On déjeunait ensemble dans une gargote pourrie, proche de la S.P.S., car dans le quartier il fallait aller loin avant de trouver un resto digne de ce nom. Ca ne le dérangeait pas et il était adorable, il nous parlait de son fils Vincent…

Tootsie (1982) avec les voix d'Evelyn Selena (Jessica Lange) 
et Jean-Pierre Cassel (Dustin Hoffman)

DLODS : Vous avez également doublé la grande Helen Mirren…

La toute première fois que je l’ai doublée c’était dans Excalibur (1981) pour Jenny Gerard et Michel Gast, puis dans Soleil de nuit (1985) pour Jacqueline Porel, et ainsi de suite.

DLODS : Vous souvenez-vous du doublage de The Queen (2006), film pour lequel elle a reçu un Oscar ?

C’était Béatrice Delfe qui dirigeait, j’ai enregistré le rôle pratiquement seule, à part quelques scènes avec un sociétaire de la Comédie-Française. Je me rappelle que j’avais été ravie du rythme donné pour le texte au moment de la bande-annonce, et au moment de doubler le film, je n’ai pas compris car les phrases avaient été modifiées et je me suis heurtée à un texte beaucoup trop chargé. Alors qu’elle est très calme à l’image, prend son temps pour parler, fait des respirations entre les mots, le débit que je devais employer relevait plutôt de la mitraillette. L’adaptateur, Jean-Pierre Carasso, qui écrivait d’habitude divinement bien, avait mis beaucoup trop de mots sur la bande rythmo.

DLODS : Ce genre de mésaventures a dû vous arriver plusieurs fois ?

Oui, dans Murphy Brown (où je doublais Candice Bergen), par exemple, le texte était extrêmement chargé. Je ne suis pas bilingue, mais j’entends ce que je devrais dire ou pas. Il y a un instinct qui vous pousse. On sait qu’il faut trois mots français pour dire un mot en anglais, là j’arrivais à en caser un et demi, mais ce n’était pas facile. Un qui m’impressionne toujours c’est Patrick Poivey, jamais je n’arriverai à parler aussi lentement, il vous fait tout passer avec une espèce de certitude, c’est magnifique. C’est Jean Gabin physiquement et vocalement.

Cela m’est également arrivé il y a quelques temps sur une série allemande : je dis au directeur artistique «-Ce n’est pas possible, regarde l’image et écoute mon débit, tu vas voir que je parle à toute vitesse, alors qu’à l’image elle est calme, elle parle doucement, elle s’énerve rarement. Ce n’est pas possible de susurrer avec ce débit-là. ». Le directeur artistique était embêté, j’ai regardé une fois la boucle à blanc, sans le son de la V.O., avec juste le texte et l’image, j’ai dit « On y va ! » et j’ai refait la séquence entière sans me tromper en arrangeant le texte au fur et à mesure. Tout était en place, et dans le bon rythme, détendu. Quand j’ai fini, le directeur artistique me fait un compliment, et demande quelque chose à sa collaboratrice qui descend avec des papiers. Etonnée, je lui demande : « -Qu’est-ce que tu fais ? » «-Comme tu as enlevé des mots, j’ai corrigé le script et recalculé le lignage ». Il avait revu le lignage à la baisse ! J’étais effondrée : « Salaud, vu le travail que j’ai fait, tu aurais dû au contraire m’en compter plus ! » (rires).

DLODS : Vous avez aussi eu la chance de prêter votre voix à Ingrid Bergman dans le redoublage de Casablanca (1942).

Il y avait eu un premier doublage après la guerre, mais il était très abîmé, la conservation des films doublés n’était pas aussi bonne que maintenant. Il manquait des scènes, des tas de trucs, et j’ai été très surprise et heureuse d’être appelée pour doubler ça, et félicitée après coup. C’était chez Steimer, à mes débuts où je ne faisais pas beaucoup de grands rôles. Je ne me souviens plus qui dirigeait ; ce n’était certainement pas Jacques Thébault, comme il doublait Humphrey Bogart.

DLODS : On parlait tout à l’heure de cinéma italien, vous avez également doublé des actrices espagnoles comme Marisa Paredes (Huma Rojo) dans Tout sur ma mère (1999) de Pedro Almodovar….

Marisa Paredes
Le jour où je passe les essais, Jean-Marc Pannetier, qui dirigeait ce doublage, me dit être inquiet. Il n’avait pas trouvé « la » voix pour Agrado. J’ai proposé Catherine Sola, qu’il ne connaissait pas.
Catherine, qui est décédée depuis, était une très belle fille d’origine espagnole, avec de grands yeux verts. Quand on l’entendait on ne savait pas si c’était un homme ou une femme. J’aimais beaucoup cette fille, je trouvais qu’elle avait un naturel, une émotion réelle, elle me donnait des frissons dans des scènes émouvantes. Elle a été choisie par Jean-Marc, et dans ce rôle elle a été étonnante : il s’agit d’un homme qui subit toutes ces opérations pour devenir une femme et qui est finalement reconnu comme rien du tout, personne n’en veut, ni les hommes ni les femmes, une vie de chiotte. Catherine a été très touchée par ça, et a mis ce qu’elle ressentait, elle était formidable.

Suite de l'interview ici (Troisième partie).

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