Deuxième partie de mon interview d'Evelyn Selena (Première partie ici et Troisième partie ici).
Dans l’ombre des studios : Comment en êtes-vous venue au doublage ?
Dans l’ombre des studios : Comment en êtes-vous venue au doublage ?
Grâce au syndicat des acteurs, un
directeur artistique m’avait convoqué à Technisonor sur les Champs Elysées car
il cherchait une petite marocaine pour doubler un documentaire sur le jamboree,
cette grande réunion mondiale des scouts. J’ai commencé à parler comme je vous
parle maintenant et le directeur artistique m’a interrompu en me demandant de
prendre l’accent « Vous ne pouvez
pas parler comme on parle chez vous ? ». Je lui ai dit que
j’étais marocaine mais pas arabe et que je ne savais pas prendre l’accent. Il
s’est énervé, je me suis mise à pleurer et il est parti en claquant la porte.
Je reste seule en me demandant s’il faut que je parte ou que je reste, et soudain j’entends derrière moi « Ne
pleurez pas, mademoiselle, tout ce qu’il prend pour des défauts sont pour moi
des qualités. Séchez vos larmes et donnez-moi votre nom et votre numéro de
téléphone ». C’était Roland Ménard, la voix française de
Marcello
Mastroianni. Il m’a encouragée, et c’est grâce à lui que j’ai fait du doublage.
Il était comédien mais également directeur de plateau : il dirigeait à
l’époque pour C.I.C., Les Films Jacques Willemetz, etc.
Roland Ménard (c) La Gazette du Doublage |
Quand j’étais appelée sur un film
pour une ou deux phrases, ou cinq lignes, je demandais à rester parce qu’il y
avait sur le plateau des gens comme Martine Sarcey, Nadine Alari, Jean
Martinelli, Raymond Loyer, Jacqueline Ferrière, Claire Guibert, des sociétaires
du Français, etc. et pour moi c’était un enchantement, je retrouvais les voix
que j’avais mémorisées lorsque j’allais au cinéma en Afrique du nord, je ne
connaissais pas leurs noms mais je reconnaissais leurs voix, c’était là dans un
petit coin de ma tête. J’étais émerveillée de les retrouver en chair et en os
et c’est comme ça que j’ai appris le métier, que j’ai vu les petits trucs, les
ficelles qui permettaient d’être en place et de ne pas faire perdre trop de
temps à un plateau. Qu’est-ce que je
suis contente d’avoir connu ces gens-là, mon métier tout d’un coup a pris une
autre couleur, je me disais « Merde, je
suis à côté de ces types-là, j’enregistre avec eux et ça ne les dérange
pas, ils ne sont pas incommodés par mon jeu».
DLODS : Vous avez commencé à travailler dans le doublage au début
des années 60 alors que vous étiez encore au Conservatoire. Ce n’était pas trop
compliqué d’obtenir les autorisations pour travailler ?
C’était normalement interdit, mais
Roger Ferdinand, qui dirigeait le Conservatoire à ce moment-là, m’avait plutôt
à la bonne et me transmettait les convocations, il était presque devenu mon
agent (rires). « Mademoiselle
Selena vous êtes attendue à la radio avec Monsieur Pierre Billard
pour « Les Maîtres du Mystère ». Il y a aussi Monsieur Elie Fabrikant
qui vous a appelé pour un doublage », et je partais.
Ca a intrigué un élève de ma classe.
Il me demande un jour « -Pourquoi tu
es convoquée chez le directeur ? » et je réponds, naïve « -Parce que je travaille. La radio
appelle directement le directeur pour savoir s'il est possible qu’on me libère.
Le doublage aussi » « -Ah
bon, tu fais du doublage où ? » « -Au studio Francoeur. » «- Ah,
c’est marrant, j’habite à côté, je pourrais y aller en pantoufles ». Le
temps passe, et curieusement Elie Fabrikant ne m’appelle plus. Un jour, je le
croise et je lui demande «-Qu’est-ce
qu’il s’est passé ? Je sais que je n’ai pas terminé le film que je devais
faire ». Et il me dit « -Ecoutez
mademoiselle, j’ai été très gentil avec vous, très patient, je vous ai prise
avec bonheur, sans histoire, car vous étiez douée pour ça, mais je n’ai pas du
tout apprécié que vous m’envoyiez quelqu’un de votre part » « -Mais
je ne vous ai envoyé personne » « -Et ce jeune comédien qui m’a dit
« Je viens de la part d’Evelyn Selena », c’est quoi ? » «- Je
ne vous l’ai pas envoyé, je lui ai juste dit où je travaillais et avec
qui » « -En tout cas c’est une bonne recrue, mais je n’ai pas du tout
apprécié votre intervention ».
DLODS : A vos débuts, avez-vous été inspirée par des comédiens ou
comédiennes en particulier ?
Jacqueline Ferrière (c) La Gazette du Doublage |
J’avais une immense admiration et une
grande amitié pour deux couples, Jacqueline Ferrière et Raymond Loyer, et Paule
Emanuèle et Jean-Claude Michel.
Jacqueline Ferrière, j’étais en
admiration sur ce qu’elle faisait sur Ava Gardner, ça sortait merveilleusement,
alors qu’il n’y avait aucune ressemblance possible, elle était aussi blonde
qu’Ava Gardner était brune. Mais elles avaient la même stature.
C’étaient des gens qui faisaient bien
leur métier, c’était propre, net, sans compromission, sans saleté autour. Je ne
vois pas Jean-Claude appeler un studio et dire « Dites donc, vous doublez un film avec Sean Connery, c’est moi qui
devrait le faire ». Jamais. Alors que d’autres l’auraient fait… et l’ont
fait.
C’étaient des gens biens et
irréprochables sur le plan professionnel. Quand Paule parlait de Jean-Claude,
c’était mignon comme tout. Un jour, Jean-Claude et moi étions tous les deux à
la barre et je lui ai dit « Qu’est-ce que
je t’aime, toi alors » et il a fait «
Ah bon… ». Je suis contente d’avoir pu lui dire de son vivant.
C’est comme Arlette Thomas, Nadine
Alari ou Martine Sarcey, ces femmes étaient des merveilles. Martine, je l’avais
perdue de vue depuis des années, j’avais même dit à une secrétaire de la
S.O.F.I. qui engageait toujours la même comédienne pour doubler les femmes
mûres «- Dis donc, quand tu as besoin de
femmes âgées, tu n’as que celle-là à nous envoyer ? » « -Pourquoi, elle n’est pas bien
? » « -Ecoute je ne sais
pas si tu as de l’oreille mais, c’est quand même pas très bon… Martine Sarcey
et Nadine Alari, quand tu les convoques, elles ne sont pas payées à la ligne et
négocient un gré à gré ? » « -Mais
pas du tout. » « -Eh bien,
pour le même prix tu auras ce qu’il se fait de mieux».
DLODS : Puisqu’on en parle, vous êtes très attentive aux voix et
avez une très bonne mémoire des voix de vos camarades, c’est assez rare.
Quand vous faites de la musique vous
êtes exercée à tout. A un moment je reconnaissais n’importe quelle voix, que
j’associais à un physique (c’est fou le nombre de personnes qui pensaient que
j’étais blonde avant de me rencontrer !), maintenant je ne connais pas les
nouvelles voix, je trouve qu’elles se ressemblent toutes.
Avant on faisait attention à
l’harmonie des voix entre elles sur des doublages. Les deux jeunes premiers
devaient avoir de jolies voix, il fallait que ce soit harmonieux en général. Là
maintenant vous êtes ici dans ma cuisine, vous écoutez la télé dans la pièce
d’à côté, vous ne savez pas qui parle, si c’est le rôle principal, la copine,
la voisine, etc.
DLODS : Le doublage actuel semble en effet plus « sobre »
ou « aseptisé », moins théâtral qu'à une certaine époque.
Même des gens que je ne portais pas
dans mon coeur car ils ne me portaient pas dans le leur, comme Pierre Trabaud,
je leur trouvais un charme, quelque chose de bouleversant, d’émouvant.
Roger Carel, que j’adore, apportait
de la poésie, de la vie, de l’humour. Quand il prêtait sa voix à son robot
doré, Z6PO, dans Star Wars, c’était
incroyable, j’avais envie d’adopter R2D2 rien que pour que Roger vienne lui
faire des remarques avec sa voix (rires).
Christophe Lemoine |
Chez les jeunes c’est plutôt
ennuyeux, il n’y a pas grand monde pour prendre la relève, à part peut-être
Christophe Lemoine, qui a une vraie personnalité et apporte beaucoup d’invention
dans son jeu mais aussi dans sa vie. Quand il était beaucoup plus jeune et
doublait les petits garçons, c’était la terreur des ingénieurs du son. Il
s’asseyait à côté d’eux quand ils installaient leurs potentiomètres et il les
bougeait : « -Qu’est-ce que
t’as fait, là ? » « -J’ai rien fait ». Et il repartait comme
si de rien n’était (rires).
DLODS : Quel type d’«emplois» aviez-vous à vos
débuts au doublage ?
C’est drôle, mais tant que j’avais
les cheveux longs avec des nattes je doublais les petites indiennes. Puis au
théâtre on m’a demandé de les couper, j’ai coupé mes cheveux au niveau des
épaules et j’ai commencé à doubler les petites jeunes filles américaines,
puis je me suis coupé les cheveux encore plus courts. Vous aviez entendu parler
des distributions de doublage « au physique », vous n’aviez pas
entendu parler des distributions « à la coiffure », j’en suis
sûre ? (rires).
J’ai donc commencé à doubler pour le
cinéma des rôles de gentilles jeunes femmes, comme Jane Fonda. La première fois
que je l’ai doublée, c’était dans Maison
de poupée (1973) pour Richard Heinz. Richard Heinz (dirigeant du studio
Lingua-Synchrone, ndlr) m’a donné des chances extraordinaires, il ne me
connaissait pas du tout, il a simplement bavardé avec moi, m’a demandé si je
savais prendre l’accent espagnol : « Oui,
je viens de jouer une bonne espagnole dans une pièce de Dominique Nohain ».
Quelques jours après il m’appelait pour doubler l’un des rôles principaux
féminins (Karin Dor, rôle de Juanita de Cordoba) avec accent espagnol dans L’étau (1969) d’Alfred Hitchcock.
J’étais bien entourée, quelle distribution !
DLODS : L’adaptation était d’Isabelle Kloucowsky…
Qui était à l’époque mon
imprésario !
DLODS : Vous rappelez-vous si, à l’instar des autres acteurs
français qui jouaient dans ce film (Claude Jade, Philippe Noiret, Michel
Piccoli…) Dany Robin se doublait elle-même?
Richard Heinz |
Oui, elle se doublait elle-même. Pour
en revenir à Richard Heinz, il m’a peu de temps après donné à doubler dans Une bonne planque (1972) Sophia Loren, qui
était belle comme le jour, d’une maladresse touchante. Un jour le film passe à
la télévision, je vais au studio Mermoz (où étaient doublés dans un studio les grands
films Lingua-Synchrone, et dans l’autre une partie des séries de la S.O.F.I.,
ndlr) et je rencontre Serge Sauvion qui me fait « -Ah je suis bien content de te voir, toi qui reconnais toutes
les voix, est-ce que tu as vu le film hier avec Sophia Loren ? » « -Oui »
« -Est-ce que tu peux me dire qui double Sophia Loren ?» « -Ah
bon, tu n’as pas reconnu qui faisait sa voix? » « -Ah, c’était
formidable, une spontanéité une fraîcheur… » « -Tant mieux, merci ! »
« -Pourquoi tu me dis « merci » ? » « -Parce que
c’était moi » « -Génial ma
cocotte, je ne t’avais pas reconnue ». C’est resté un signe, à partir
du moment où on ne vous reconnaît pas, où on se demande qui c’est, c’est déjà
gagné, vous êtes rentrée dans un autre personnage et vous ne faites pas toujours
la même chose.
Richard m’a aussi donné un personnage
difficile dans Ludwig ou le Crépuscule
des Dieux (1972) de Visconti. Je doublais une espèce de comédienne, Lila
Von Buliowski (jouée par Adriana Asti), complètement hystérique, venue pour se
faire sauter. C’était très difficile car j’avais des pudeurs, et j’ai reçu des
tas de compliments pour ce doublage. Il y avait une brochette de comédiens de
théâtre extraordinaires, des gens de la Comédie-Française, c’étaient des
cadors. William Sabatier était magnifique sur Trevor Howard (Wagner). Pour Romy
Schneider il y a eu des tentatives avec plusieurs comédiennes, jusqu’à ce
qu’elle vienne se doubler elle-même.
DLODS : Avez-vous souvenir d’autres rôles importants à cette
époque-là ?
Oui, Le jour du fléau (1975) sur Karen Black, un doublage dirigé par
Jean Lagache, et Airport (1970) sur Jacqueline Bisset.
DLODS : Vous parliez tout à l’heure de Sophia Loren. Dans les
doublages de films italiens on retrouvait souvent la même équipe (Helena
Manson, vous-même, etc.), est-ce que cela demandait une technique
particulière ?
Ce n’était pas le même tempérament,
la même manière de jouer que sur les films américains. Les comportements
italiens sont beaucoup plus violents et extériorisés, méditerranéens. J’aimais
beaucoup les doubler, ça correspondait à mon tempérament.
Il y a aussi une histoire de
« familles » de studios : une bonne partie des doublages de
films italiens se faisaient chez Jacques Willemetz ; Helena Manson qui
n’était pas du tout méditerranéenne travaillait beaucoup pour lui, donc on la
retrouvait forcément dans ces doublages-là.
DLODS : Puisqu’on parle de « familles », on vous a
souvent retrouvée à l’époque dans les doublages de la S.N.D. (films Fox,
dirigés par Michel Gast, Jenny Gerard et Jean Droze).
Oui mais au début chez eux je n’avais pas forcément des rôles intéressants. Dans les comédiennes d’à peu près mon âge
Perrette Pradier et Michelle Bardollet étaient plutôt « installées »,
tout comme, un peu plus âgées, Arlette Thomas ou Claire Guibert. Ils étaient
rassurés d’avoir des comédiennes comme elles, avec qui ils avaient beaucoup
travaillé.
Dans Comment se débarrasser de son patron (1980) avec Perrette Pradier
et Michelle Bardollet c’est moi qui faisais la nunuche (Jane Fonda), alors que
dès que Jane Fonda jouait une grande amoureuse on donnait ça à Perrette Pradier.
A propos de Michelle Bardollet, elle
m’a accueillie à mes débuts avec une certaine frilosité, mais ça s’est arrangé
quand elle a vu que j’étais en admiration devant son travail. Elle avait tout
compris du doublage, faisait ça les doigts dans le nez. Sur Barbra
Streisand, c’était une réussite totale, une évidence.
DLODS : Dans les grandes doyennes qui travaillaient beaucoup à la
S.N.D., je sais que vous aviez une tendresse particulière pour Lita Recio et
Marie Francey…
Ah, Lita Recio. La voir doubler des
perroquets est peut-être l’une des choses les plus ridicules que j’ai jamais
vue dans ma vie, mais elle était incroyable, quelle personnalité. Elle entretenait
un certain mystère sur son âge -Jean Droze disait « Oh ! Ne dis pas son âge, elle va tomber en poussière »- et
restait très coquette. Un jour, j’entre en studio et la vois avec « Le
Monde » dans les mains. C’est écrit tout petit, même avec une bonne vue
vous avez besoin de lunettes. J’arrive et je lui dis « -Bonjour Lita » « -Bonjour », et elle ne se retourne pas pour me
faire la bise. «- Ne fais pas semblant de
lire Le Monde » « -Mais je ne fais pas semblant, ma grande.» « -Sans lunettes ?
» « -Oui, parce que je me suis fait opérer ». Et je la vois un jour à
Dubbing à l’heure du déjeuner, maquillée comme un camion volé, la coiffure
bouclée, un joli tailleur «- Mais dis
donc qu’est-ce que t’es belle » «-Ecoute chérie, je suis invitée à déjeuner par
un monsieur. Il est loin d’avoir mon âge, mais c’est quand même un homme donc
je dois lui faire honneur » « -Tu as
raison, tu es très belle ».
Marie Francey avait été une très
belle femme, et elle était toujours rayonnante, maquillée : les yeux, les
cils, le trait d’eye-liner, les pommettes…
Elle me téléphonait pendant des
heures, parfois je la laissais parler pendant que je faisais ma vaisselle et
quand je reprenais le téléphone elle parlait toujours (rires).
DLODS : Pour la S.N.D. vous avez doublé Carrie Fisher (Princesse
Leïa) dans l’ancienne trilogie Star Wars.
Quels souvenirs gardez-vous de ce doublage ?
C’était épique, le film hurlait dans
tous les sens. Nous l’avons doublé, sous la direction alternée de Michel Gast
et Jean Droze, dans un immense studio rue des Portes à Clignancourt, avec un
ingénieur du son, Pierre Davanture, qui était un magicien. Il avait une petite
console, on mettrait ça dans un film les gens diraient « Mais qu’est-ce que c’est que ce machin- là ?», une
taille ridicule comparée aux grandes consoles pour l’enregistrement des musiques
qu’on voit dans certains auditoriums à Dubbing Brothers, où les ingénieurs du
son ont besoin d’un fauteuil à roulettes pour aller d’un bout à l’autre ;
et pourtant, le son qui en sort n’est pas aussi fabuleux que celui de Pierre
Davanture.
DLODS : Pensiez-vous au moment de doubler La Guerre des Etoiles (1977) que le film recevrait un tel
succès ?
Non, pas du tout. Et pour tout vous
dire, je n’aimais pas ça du tout, la science-fiction ne m’intéressait pas. Par contre j’ai aimé Le Retour du Jedi (1983), dans lequel il y avait ces petits
bonhommes qui ressemblaient à des ours en peluche qui couinaient, j’ai trouvé
qu’il y avait beaucoup de poésie dans ces petits personnages et ça m’a touchée.
Ce que je n’aimais pas c’étaient ces grosses machines qui ressemblaient à des
grosses araignées ou de grosses sauterelles, qui avançaient en faisant un bruit
infernal. Je ne trouvais pas ça intéressant. Dark Vador me faisait peur, je
n’aimais pas les personnages qui ne montraient pas leurs yeux, leur visage.
Mais bon, je m’y suis faite (rires).
DLODS : Comment trouviez-vous Carrie Fisher ?
Je l’avais trouvée très marrante avec
ses nattes en forme d’écouteurs de téléphone dans le premier film, elle était
drôle, et dans le style qu’on attendait, un peu désuet. Ensuite elle est
devenue plus coquette, plus mignonne, moins « standardiste ». J’ai
aimé Le Retour du Jedi, j’ai trouvé
qu’il y avait de l’imagination, un délire romantique.
La Guerre des Etoiles (1977) avec les voix de Pierre Hatet (Général Motti), Evelyn Selena (Leïa)
et Henri Virlojeux (Grand Moff Tarkin)
DLODS : Pourquoi ne l’avez-vous pas doublée récemment dans les
épisodes VII et VIII ?
On m’a téléphoné pour me demander si
j’avais déjà doublé Carrie Fisher. J’ai dit oui, plusieurs fois, dans la
trilogie Star Wars et pour certains
téléfilms à la S.O.F.I ou chez Steimer (Jean-Pierre Steimer, gérant de Synchro
Mondiale / Synchro Vidéo, ndlr). « Il y a plusieurs années qui se sont
écoulées, il faut que tu viennes faire des essais. ». Leïa n’avait
presque aucun dialogue dans le film, et on me demandait de me déplacer pour
passer des essais sur un personnage aussi peu loquace. Je leur ai dit que je ne
voulais pas faire des essais. Ma voix a changé, tout comme celle de Carrie
Fisher, mais mon jeu n’a pas changé, et je crois même au contraire qu’il s’est
amélioré. Comme j’ai refusé de passer les essais, j’ai été remplacée par
Béatrice Delfe. Mais si j’avais passé l’essai, ils m’auraient certainement évincée
dans tous les cas, comme ils ont apparemment écarté Dominique Collignon-Maurin
(Luke Skywalker) sur le suivant. Tous les gens de Dubbing Brothers s’arrachent
les cheveux à cause de Disney.
DLODS : Si je vous dis : « J’avais
une ferme en Afrique… »
« I had a farm in Africa… » (rires). C’est un très grand souvenir. Je ne sais pas
combien d’essais j’ai passés avant de doubler Meryl Streep dans Out of Africa (1985). La directrice de
plateau, Jacqueline Porel, ne donnait pas au client le nom des acteurs qui
passaient les essais, on était numérotés. J’ai d’abord été numérotée quatre,
puis, cinq, etc. et à chaque tour d’auditions c’est moi qui était choisie.
Jusqu’au jour où ils se sont fixés en disant « C’est embêtant parce qu’à chaque fois c’est elle qui sort, donc
il n’y a pas de doute, mais on ne la
connaît pas, qui est cette fille ? ». Jacqueline leur a expliqué
que j’avais fait le conservatoire, joué à la Comédie Française, etc. et elle
leur a dit « Je vais faire le film avec elle, mais si le résultat ne vous
plaît pas je vous promets que nous le referons gratuitement avec la comédienne
de votre choix. »
DLODS : C’était très classe…
Jacqueline Porel |
C’était classe, généreux, preuve
d’une grande confiance en moi et en elle… et ça m’a fichu la pression (rires),
je n’ai pas dormi les deux ou trois nuits qui ont précédé le premier jour des
enregistrements.
J’arrive le matin, je savais qu’il y
aurait Claude Giraud donc j’étais en confiance car on s’entendait
merveilleusement bien. Il y avait un
monsieur qui était là, très british, bien habillé, cheveux gominés, etc. qui me
suivait du coin de l’œil, et ça m’impressionnait car je ne savais pas qui
c’était. On enregistre la première scène, on écoute, Jacqueline me donne ses
indications, ses directives, et à un moment donné la technique nous lâche et je
prends pour plaisanter un accent en disant « Je
me demande ce que je suis venue faire dans cette histoire ». Et là le
monsieur s’anime soudain et me dit « Vous
avez pris un accent, vous pouvez le refaire en faisant un essai sur une
boucle ? ». Jacqueline était complètement dépassée. Je fais un
essai avec ce petit accent. « Vous
pouvez le tenir tout au long du film
sans le pousser ou le rétracter ?». Je ne savais pas quoi répondre, je
marchais sur la pointe des pieds, car je voyais Jacqueline qui se mangeait les
joues, c’était mauvais signe (rires).
Ce monsieur, qui était en fait
Philippe Bacon, représentant français d’U.I.P. (Universal-Paramount), a assisté
à deux ou trois boucles –notamment la scène où Karen arrive en Afrique et où elle
rencontre Finch Hatton au moment de l’arrêt du train-, il m’a dit « Continuez comme ça » et il
est parti.
Pendant tout le doublage, le téléphone
n’arrêtait pas de sonner, Sydney Pollack appelait Jacqueline, il lui disait
beaucoup de choses sur moi qui ne m’ont pas été dites. Le dernier jour on
enregistrait toutes les voix-off « I
had a farm in Africa, etc. » et moi je venais de perdre un grand ami
qui venait de mourir, j’étais en larmes au moment où on enterre Finch Hatton et
que Karen fait son discours. Jacqueline me dit, « J’ai reçu un coup de fil de Sydney Pollack il est ravi de
ton travail, il y a juste la fin où tu sanglotes alors qu’elle verse une larme
à droite, une larme à gauche. C’est un peu trop, c’est une femme qui arrivait à
dominer ses émotions », on a refait la scène et Jacqueline m’a dit
qu’elle mélangerait les deux prises car il y avait dans la première des choses
d’une émotion spontanée qu’on ne pouvait pas retrouver dans la seconde.
Peu de temps après je reçois un coup
de téléphone de Philippe Bacon « J’ai
vu le film, je suis émerveillé par votre travail. Si vous voulez voir le
résultat avant que le film ne sorte, je peux organiser une projection dans nos
locaux ».
Je suis allée assister à cette
projection privée avec une amie qui s’intéressait à mon travail. La projection
commence, « J’avais une ferme en
Afrique, etc. » et à un moment mon amie me demande «- Quand est-ce que tu parles ? »
« -Ca fait depuis quinze minutes qu’on entend ma voix !» « -
Quoi ? C’est toi qui fait la vieille ? » (rires).
Et en sortant de là, Philippe Bacon
me dit : « J’en ai parlé à
Sydney Pollack qui était tellement content qu’il m’a dit « vous direz à la
comédienne qui double Meryl Streep que s’il existait des oscars du doublage je
serais heureux de le lui en remettre un en mains propres » ». C’est l’un des plus beaux compliments que
j’ai reçus dans ma vie. Chaque fois que je vois le film, je ne rougis pas de
mon travail.
DLODS : Nous avons reconnu la plupart des voix de ce doublage, par
contre je me demande par qui étaient doublés les comédiens de couleur ?
Certains se doublaient eux-mêmes,
c’était le cas du comédien qui jouait le rôle de Farah (Malick Bowens).
DLODS : Même si vous avez continué à la doubler en parallèle dans
d’autres films, Meryl Streep a assez rapidement eu une nouvelle voix :
Frédérique Tirmont.
Oui, je pense que le changement s’est
fait à une période où je ne travaillais plus pour P.M./L’Européenne de Doublage. Frédérique a doublé Meryl Streep dans La mort vous va si bien (1992), puis elle s’est mise à doubler la
plupart des actrices que je double : Jaclyn Smith, Helen Mirren, etc.
Parfois pour ne pas me prendre on
disait « On a pris unetelle car tu
comprends, il lui arrive ça dans sa vie en ce moment, etc. ». C’était
d’une grande hypocrisie. Je suis passée dans cette profession pour quelqu’un
qui n’avait pas de problème ni matériel ni psychologique tout ça parce que je laissais mes problèmes
personnels hors du studio. Je n’avais pas à imposer ça à des gens qui ne
connaissent rien de moi. Comme ça embêtait tout le monde que je ne dévoile rien
de ma vie privée, ils inventaient.
DLODS : Certains directeurs artistiques vous ont de nouveau
distribué sur Meryl Streep ces dernières années…
Je l’ai doublée dans Confidences (à ma psy) (2005), qui n’était
pas un film réussi. Ma voix commençait déjà à faire des siennes, mais Béatrice
Delfe m’avait dit qu’elle tenait à ce que je le fasse, car comme elle avait été
l’assistante de Jacqueline sur Out of
Africa, elle me considérait comme la seule voix de Meryl Streep. Plus tard,
elle a pris Frédérique Tirmont pour doubler Meryl Streep sur un autre film, je
lui ai dit « -Alors, je ne suis plus
la seule Meryl Streep pour toi ? » «- Tu as vu Meryl
Streep ? Elle a fait un lifting. » « -Donc quand on fait un
lifting, la voix aussi rajeunit ? Il faudra que je lui demande le nom de son
chirurgien !».
En raison de problèmes de santé, ma
voix a certes changé, et je suis fatiguée par ce métier, mais la flamme est
toujours là, alors que d’autres comédiennes sont comme des arbres morts dont il
ne reste plus que l’écorce.
Meryl Streep en rabbin dans Angels in America (2003) |
Meryl Streep, je l’ai aussi doublée
dans une série formidable, Angels in
America (2003). Emmanuel Jacomy m’avait convoquée en essayant de me faire
croire qu’il me considérait comme la seule voix possible de Meryl Streep, je ne
comprenais pas, surtout que c’était fait à Dubbing Brothers où on me remplaçait
systématiquement. En arrivant sur le plateau j’ai compris pourquoi : Emma
Thompson jouait dans la série et était doublée par Frédérique Tirmont, et
évidemment Frédérique ne pouvait pas doubler les deux.
Mery Streep était extraordinaire dans
cette série, elle jouait plusieurs rôles dont un rabbin de quatre-vingt-cinq ans,
avec l’accent yiddish, je me suis régalée et Emmanuel Jacomy m’a dit qu’il
avait été soufflé par mon travail, lui qui m’avait connue sur les Docteur Quinn.
DLODS : Jacqueline Porel vous a confié plus tard une autre grande
actrice : Glenn Close. Aviez-vous passé des essais ?
Oui, j’ai passé des essais. J’ai
d’ailleurs passé des essais pendant toute ma carrière, on ne m’a jamais déroulé
le tapis rouge. Je l’ai d’abord doublée dans Liaison fatale (1987) avec Patrick Floersheim (Michael Douglas). Juste
avant que vous arriviez, j’entendais une alerte enlèvement à la télévision,
avec la voix de Patrick. Ca m’a émue, j’ai trouvé étonnant qu’ils n’aient pas
remplacé sa voix après son décès.
DLODS : Dans Les Liaisons
Dangereuses (1988), en tant que spectateur j’ai trouvé le choix de voix pour
John Malkovich assez déroutant.
Personne ne sait ce qu’il s’est passé
dans la tête de Jacqueline, peut-être a-t-elle été sensible au charme de ce
comédien ? Pour Malkovich, tout Paris avait passé les essais sauf Edgar
Givry, qui aurait sûrement été bien sur ce rôle, et Guy Chapelier. Guy m’avait
appelé en larmes tout un après-midi pour me demander de convaincre Jacqueline
de lui faire passer un essai. C’est vrai qu’il m’arrivait de dire à Jacqueline « As-tu pensé à untel pour doubler tel
acteur ? » mais ça venait spontanément. J’ai parlé de Guy à
Jacqueline, qui a refusé.
DLODS : Quelques années plus tard, vous avez doublé de nouveau le
rôle de la Marquise de Merteuil, mais cette fois-ci dans Valmont (1986) de Milos Forman, sur l’actrice Annette Bening,
était-ce une coïncidence ?
Je ne me souviens plus si j’avais
doublé Annette Beining avant, je pense que c’était la première fois. C’était
encore dirigé par Jacqueline. Plus tard je l’ai doublée chez Gérard Cohen dans Bugsy (1991).
DSODS : Jacqueline Porel a également eu l’idée de vous distribuer
sur Jessica Lange dans Tootsie
(1982).
C’étaient mes débuts avec Jacqueline.
Elle m’a d’abord dirigée sur Jessica Lange dans Que le spectacle commence (1979) où elle jouait la mort avec une
voix très douce, rassurante, presque lénifiante. Puis Jacqueline m’a de nouveau
fait passer des essais dans Tootsie
(1982). Elle m’a dit « Ta voix va
très bien dessus car elle est un peu nunuche, et quand elle se mettra en colère
ça ira très bien aussi ».
DLODS : Dustin Hoffman a eu beaucoup de mal en France à trouver une
voix « régulière ». Dans Tootsie,
il était doublé par Jean-Pierre Cassel…
Jean-Pierre Cassel |
Jacqueline avait pensé à Jean-Pierre
Cassel qu’elle aimait beaucoup ; peut-être qu’elle voulait aussi faire plaisir au client en lui
offrant une star. Elle lui a fait passer des essais, et Cassel arrivait à
prendre une voix de tête sans que ça fasse homo, alors que les autres jouaient
les homos, ce qui n’était pas utile.
Comme on dit en Afrique du Nord, il
avait une « petite tête » (il n’avait pas la grosse tête), il était
délicieux, charmant, humble devant son métier. Quand je me trompais, je me
mettais dans un état pas possible, me confondais en excuses et il me disait « Il ne faut pas s’énerver, on refait
et c’est tout. » n’importe qui d’autre aurait dit « Bon, c’est fini, maintenant chacun sa piste. »
On déjeunait ensemble dans une
gargote pourrie, proche de la S.P.S., car dans le quartier il fallait aller
loin avant de trouver un resto digne de ce nom. Ca ne le dérangeait pas et il
était adorable, il nous parlait de son fils Vincent…
Tootsie (1982) avec les voix d'Evelyn Selena (Jessica Lange)
et Jean-Pierre Cassel (Dustin Hoffman)
DLODS : Vous avez également doublé la grande Helen Mirren…
La toute première fois que je l’ai
doublée c’était dans Excalibur (1981)
pour Jenny Gerard et Michel Gast, puis dans Soleil
de nuit (1985) pour Jacqueline Porel, et ainsi de suite.
DLODS : Vous souvenez-vous du doublage de The Queen (2006), film pour lequel elle a reçu un Oscar ?
C’était Béatrice Delfe qui dirigeait,
j’ai enregistré le rôle pratiquement seule, à part quelques scènes avec un
sociétaire de la Comédie-Française. Je me rappelle que j’avais été ravie du
rythme donné pour le texte au moment de la bande-annonce, et au moment de
doubler le film, je n’ai pas compris car les phrases avaient été modifiées et je me suis heurtée à un texte
beaucoup trop chargé. Alors qu’elle est très calme à l’image, prend son temps
pour parler, fait des respirations entre les mots, le débit que je devais
employer relevait plutôt de la mitraillette. L’adaptateur, Jean-Pierre Carasso,
qui écrivait d’habitude divinement bien, avait mis beaucoup trop de mots sur la
bande rythmo.
DLODS : Ce genre de mésaventures a dû vous arriver plusieurs
fois ?
Oui, dans Murphy Brown (où je doublais Candice Bergen), par exemple, le texte
était extrêmement chargé. Je ne suis pas bilingue, mais j’entends ce que je
devrais dire ou pas. Il y a un instinct qui vous pousse. On sait qu’il faut
trois mots français pour dire un mot en anglais, là j’arrivais à en caser un et
demi, mais ce n’était pas facile. Un qui m’impressionne toujours c’est Patrick
Poivey, jamais je n’arriverai à parler aussi lentement, il vous fait tout
passer avec une espèce de certitude, c’est magnifique. C’est Jean Gabin
physiquement et vocalement.
Cela m’est également arrivé il y a quelques temps sur une série allemande : je dis au
directeur artistique «-Ce n’est pas
possible, regarde l’image et écoute mon débit, tu vas voir que je parle à toute
vitesse, alors qu’à l’image elle est calme, elle parle doucement, elle s’énerve
rarement. Ce n’est pas possible de susurrer avec ce débit-là. ». Le
directeur artistique était embêté, j’ai regardé une fois la boucle à blanc,
sans le son de la V.O., avec juste le texte et l’image, j’ai dit « On y va ! » et j’ai refait
la séquence entière sans me tromper en arrangeant le texte au fur et à mesure.
Tout était en place, et dans le bon rythme, détendu. Quand j’ai fini, le
directeur artistique me
fait un compliment, et demande quelque chose à sa collaboratrice qui descend avec des
papiers. Etonnée, je lui demande :
« -Qu’est-ce que tu fais ? » «-Comme tu as enlevé des mots, j’ai
corrigé le script et recalculé le lignage ». Il avait revu le lignage
à la baisse ! J’étais effondrée : « Salaud,
vu le travail que j’ai fait, tu aurais dû au contraire m’en compter plus ! »
(rires).
DLODS : Vous avez aussi eu la chance de prêter votre voix à Ingrid
Bergman dans le redoublage de Casablanca
(1942).
Il y avait eu un premier doublage
après la guerre, mais il était très abîmé, la conservation des films doublés
n’était pas aussi bonne que maintenant. Il manquait des scènes, des tas de
trucs, et j’ai été très surprise et heureuse d’être appelée pour doubler ça, et
félicitée après coup. C’était chez Steimer, à mes débuts où je ne faisais pas
beaucoup de grands rôles. Je ne me souviens plus qui dirigeait ; ce
n’était certainement pas Jacques Thébault, comme il doublait Humphrey Bogart.
DLODS : On parlait tout à l’heure de cinéma italien, vous avez également
doublé des actrices espagnoles comme Marisa Paredes (Huma Rojo) dans Tout sur ma mère (1999) de Pedro Almodovar….
Marisa Paredes |
Le jour où je passe les essais,
Jean-Marc Pannetier, qui dirigeait ce doublage, me dit être inquiet. Il n’avait
pas trouvé « la » voix pour Agrado. J’ai proposé Catherine Sola, qu’il
ne connaissait pas.
Catherine, qui est décédée depuis, était
une très belle fille d’origine espagnole, avec de grands yeux verts. Quand on
l’entendait on ne savait pas si c’était un homme ou une femme. J’aimais
beaucoup cette fille, je trouvais qu’elle avait un naturel, une émotion réelle,
elle me donnait des frissons dans des scènes émouvantes. Elle a été choisie par
Jean-Marc, et dans ce rôle elle a été étonnante : il s’agit d’un homme qui
subit toutes ces opérations pour devenir une femme et qui est finalement
reconnu comme rien du tout, personne n’en veut, ni les hommes ni les femmes,
une vie de chiotte. Catherine a été très touchée par ça, et a mis ce qu’elle
ressentait, elle était formidable.
Suite de l'interview ici (Troisième partie).
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Ava GarDner. :)
RépondreSupprimerOups! Corrigé, merci ;-)
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