Voici cinq ans ce mois-ci que Philippe Dumat nous a quittés. Celui dont la voix incarna l’Oncle Picsou, Gargamel, le Prince Jean et Obiwan Kenobi était un comédien excellent et un homme hors du commun, profondément bon et drôle.
Je lui ai déjà rendu hommage en plusieurs occasions. (Portrait, Hommage, Page Facebook). Cette année, j’ai choisi d’interviewer le comédien Edgar Givry qui avait beaucoup d’admiration et d’amitié pour lui, mais aussi de vous faire une « visite guidée » de documents exceptionnels, rares ou inédits que j'ai retrouvés grâce à sa famille, et qui vous en apprendront un peu plus sur le comédien, l’homme, et sur le métier de comédien en général.
Je vous réserve pour cette année bien d’autres jolies surprises concernant Philippe.
(Interview d'Edgar Givry, recherche de documents et commentaires des documents: Rémi C.
Remerciements à Edgar Givry pour sa disponibilité et à Babette Dumat pour sa généreuse participation à mes recherches)
Remerciements à Edgar Givry pour sa disponibilité et à Babette Dumat pour sa généreuse participation à mes recherches)
Entretien avec Edgar Givry
Comment avez-vous connu Philippe ?
Edgar Givry |
Philippe et moi nous nous sommes connus paradoxalement au théâtre, car c’était une époque où je faisais très peu de doublage, principalement des petits rôles.
Nous jouions dans La bonne soupe (mise en scène de Jean Meyer) à Lyon au Théâtre des Célestins, avec toute une troupe énorme d’ailleurs car je crois qu’il y avait 33 personnages qui étaient joués par 15 acteurs. Il y avait Patrick Préjean, Olivier Lejeune, Nathalie Juvet, Roger Carel, etc. On a donc joué la pièce un mois à Lyon (en décembre 1979, ndlr), et on l’a reprise ensuite au Théâtre Marigny. Je dois dire que j’ai été très épaté par Philippe et par sa faculté d’invention.
J’ai tout de suite trouvé cet acteur tout à fait étonnant. A cette époque là, petit à petit, le doublage a commencé à m’appeler de plus en plus et on s‘est retrouvés dans des studios, notamment sur Papa Schultz (dans lequel Philippe Dumat doublait Papa Schultz et Edgar Givry doublait le sergent Carter, ndlr), que j’ai même dirigé à une certaine époque. On est devenu très amis, et je dois dire que c’est un comédien exceptionnel… Il y a une chose étonnante avec Philippe : l’un des défauts de beaucoup d’acteurs de doublage est de ne pas écouter la voix originale de l’acteur car souvent les comédiens répètent le texte français en même temps que l’image passe, puis se plantent car ils n’ont pas assez écouté l’anglais. Et lui c’est le seul que j’ai vu faire de la manière qui suit: il n’écoutait pas, il répétait tout seul, et c’était extraordinaire. Il avait ce défaut-là mais il était tellement génial, qu’à chaque fois j’étais sur le cul ! Il devait avoir quatre oreilles pour entendre tout en même temps, ça m’a toujours bluffé !
Vous l’aviez surnommé « Maréchal Grommel », un surnom comique qui lui ressemblait beaucoup !
Je l’ai surnommé Maréchal Grommel car j’avais à l’époque tendance à donner des surnoms un peu à tout le monde. Michel Gatineau (la voix de Derrick), qui lorsqu’il dirigeait disait uniquement « long, court, court » je l’avais appelé « Le capitaine au long court », Roger Rudel c’était « Kirk Doublage », un surnom un peu vache… D’ailleurs, Patrick Floersheim m’a dit « Jamais tu ne m’appelleras Michael Doublage ! » (rires).
Maréchal Grommel, c’était parce que son jeu était de grommeler et de râler tout le temps. Mais à chaque fois qu’il était sur un plateau il y avait une ambiance formidable. Je ne l’ai jamais vu colérique, s’emporter contre quelqu’un. Et pourtant, Dieu sait qu’on en a vécu quelques galères ! C’était un type formidable.
Il était d’une humilité et d’une grande gentillesse, ça ne gâtait rien ! Il a commencé à parler de sa carrière et m’a appris beaucoup de choses, notamment qu’il avait été la doublure de François Périer pendant des années… Je trouvais ça tellement dommage pour lui d’avoir toujours été dans l’ombre de François Périer, un comédien qui nous rapprochait un peu plus parce que j’ai eu le prix François Périer au cours Simon. J’ai beaucoup de tendresse pour Philippe parce qu’il était exceptionnel et qu’il n’a pas eu la carrière qu’il méritait. En même temps j’ai cru comprendre qu’il avait un trac fou. Ce sont des choses qui peuvent paralyser les gens, c’est pour ça que le doublage est une porte de sortie intéressante pour certains acteurs. Et en même temps je regrette tellement que Philippe n’ait pas fait une carrière plus en lumière…
Il me parlait souvent de ses tournées qu’il faisait pendant la guerre quand il était jeune. C’était extraordinaire de l’entendre raconter ça. Il voyageait à pied avec des malles dans tous les villages de France et c’était incroyable. Mon seul regret est que j’aurais voulu qu’il me raconte ça davantage car j’avais une idée de scénario là-dessus…
(Le comédien Edgar Givry est la voix française habituelle de John Malkovitch et de Richard Dean Anderson alias "MacGyver ". Il a joué dans plusieurs films de Francis Veber, dont Le Dîner de Cons dans le rôle de Cordier, l’ami de Pierre Brochand qui déniche Pignon dans le train.
Il a tourné l’été dernier dans le film L’élève Ducobu de Philippe De Chauveron le personnage du proviseur, et cet hiver dans un épisode de Joséphine ange gardien (rôle du directeur d’un orchestre de Massy). Par ailleurs, il double actuellement Steve Buscemi dans Boardwalk Empire, série réalisée par Martin Scorcese sur la prohibition.)
Des débuts frileux
Les débuts de Philippe Dumat au cinéma étaient plutôt laborieux. Il a enchaîné les « silhouettes » dans pas mal de films des années 50. Sur le tournage de La Passante d’Henri Calef (1951), qui se tournait sur une péniche, Philippe qui ne savait pas nager est tombé à l'eau et a failli se noyer, ne voulant pas appeler à l’aide pour ne pas déranger une prise difficile. François Timmory, journaliste de cinéma, présent sur place, rend hommage à l’humilité du figurant et titre « En voyant tourner La Passante de Henri Calef avec Henri Vidal et Maria Mauban, j’ai surtout vu la conscience professionnelle, qui, ce soir-là, s’appelait Philippe Dumat ».
Cet article est à la fois drôle et émouvant car cette histoire est « raccord » à la fois avec la personnalité modeste et discrète de Philippe, et avec son auto-dérision et sa façon de raconter des histoires.
Télégrammes de Branquignols
Philippe Dumat a fait partie pendant plusieurs années de la troupe des Branquignols de Robert Dhéry (avec Jean Carmet, Jean Lefebvre, Jacques Legras, etc.). Il a joué dans quelques pièces avec eux, notamment La Plume de ma tante en 1957 au Garrick Theatre de Londres.
A cette époque, il était de tradition chez les comédiens d’envoyer un télégramme à leurs confrères juste avant le début de la pièce (généralement pour une première) pour leur souhaiter bonne chance.
Télégrammes envoyés par Robert Dhéry et Colette Brosset, rentrés en France. Sur le 2ème, le message « Oublie Bernstein » est un mystère… Philippe était-il fâché avec ou s’était-il vu refuser un rôle par Henry Bernstein (auteur de pièces de théâtre et directeur du Théâtre des Ambassadeurs) ?
Un tournage musclé
En 1960, Philippe est à Meaux sur le tournage de L’imprévu d’Alberto Lattuada. Il y joue un chauffeur suspecté de meurtre. La scène se tourne sur une place où, menotté et encadré par des inspecteurs, il rentre dans un véhicule de police. Sur la place, des figurants censés hurler contre le meurtrier, mais aussi beaucoup de badauds. Un technicien de l'équipe du film fait une mauvaise blague : il fait croire aux badauds que le prisonnier est l’un des ravisseurs du fils Peugeot (une affaire qui fit grand bruit à l’époque), et la rumeur prend rapidement toute la place. Philippe manque d’être lynché par une foule déchaînée.
Pour lire la suite de l'hommage (partie 1/2), veuillez cliquer ici
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