Je découvre deux de ses chansons en mai 2017, en rendant une visite à mon amie choriste et parolière Alice Herald, et tombe sous le charme. Depuis cette date, retrouver la trace de Victoria pour l'interviewer fait partie de mes objectifs, mais ce n'est qu’en juillet 2024 que j’entreprends réellement des recherches. Mais comment retrouver une artiste dont le nom signifie « mystère » ?
Remerciements à Stéphane Korb, Danièle Korb, Marén Berg et André Georget pour leurs témoignages,
à mes fidèles complices Gilles Hané et Grégoire Philibert pour leur soutien,
à Roger Mason, Steve Waring, Pat Woods, Kathy Lowe, Claude Lemesle, Jean-Claude Briodin, Marc Rocheman, Manuel Rocheman, François Gasnault et Nicolas Cayla (piste « Centre Américain »), Pia Moustaki et Joël Favreau (piste « tournée Moustaki »), Alice Herald, Isabelle et Victoria Germain, Franca di Rienzo et Grégory Mouloudji (piste « disque ») et Bernard Saint-Paul et Laurent Balandras (piste « Hide away »), qui sans avoir pu me renseigner sur Victoria ont tous eu la gentillesse de répondre à mes requêtes,
et à Nicolas Engel, Thierry Lebon, Bruno Guermonprez, Bruno Fontaine et Georges Costa pour divers contacts.
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Hugh Riddle |
Sa mère, Joan, est la fille de Claude Johnson (1864-1926), l’un des dirigeants de Rolls-Royce et du Royal Automobile Club.
De l’enfance de Victoria et de ses éventuelles études musicales, je n’ai aucune information. Son entrée dans le milieu du disque en France, c’est Stéphane Korb, fils de Francis Lemarque, qui me la raconte : « Mes parents avaient un chalet à La Foux d’Allos, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Juste en face, il y avait un chalet qui était minuscule mais très mignon, comme une maison de poupée, qui appartenait à Monsieur et Madame Riddle. Monsieur Riddle était un homme très grand. Je travaillais, en boulot saisonnier, aux remontées mécaniques et je l’ai photographié une fois avec ses skis, je dois avoir la photo quelque part. Je ne me souviens plus trop de la mère, en revanche. »
Danièle Korb, sa sœur, s’en souvient : « Les parents de Victoria étaient très amis avec les miens. Ma mère était égyptienne, avec une éducation anglaise, donc elle parlait très bien l'anglais et ça a fait tilt entre les deux femmes ».
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Francis Lemarque |
Auteur-compositeur-interprète extrêmement populaire (« A Paris », « Marjolaine », B.O. de Playtime, etc.), Francis Lemarque, est également un producteur et éditeur musical courageux, n’hésitant pas à prendre des risques, comme lorsqu’il décide de co-produire la musique de Michel Legrand (qui considère Lemarque comme un deuxième père) des Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, ou à investir dans des groupes vocaux en avance sur leur temps, comme Les Masques et les Jumping Jacques, qui connaissent peu de succès à leur époque, mais rencontrent actuellement un vif regain d'intérêt chez les collectionneurs de disques.
Le 16 novembre 1968, Victoria enregistre au Studio Hoche-Barclay, quatre titres : « La rose et la guerre », « Tout là-bas », « Plus maintenant » et « Tu tutoies les muses ». Les deux premiers titres sortiront dans un premier 45 tours single chez CBS (Gemini 4090) sous le pseudonyme de Victoria (qui devient son nom d'artiste), les deux autres seront « réservés » ultérieurement pour le 33 tours. Les arrangements sont de Christian Chevallier. « Tout là-bas » (écrite par Alice Herald et composée par Claude Germain) est un petit bijou. La voix de Victoria et l’atmosphère évoquée par le texte et l’arrangement (dont un magnifique contrechant de cordes, "signature" de Chevallier) sont superbes. Dans « La rose et la guerre » (chanson composée par Francis Lemarque, paroles de Françoise Carel), Stéphane Korb pense que la guitare est tenue par José Souc, proche collaborateur de son père.
Victoria chante "Tout là-bas"
(ah, cet arrangement!)
Le 31 mai 1969, Victoria signe un contrat d’édition avec les Éditions Francis Lemarque pour trois chansons qu’elle a composées, « Big City Blues », « Blue Highway » et « Une guitare », qui ne seront à ma connaissance jamais enregistrées.
Les 9, 12 et 13 juin 1969, elle enregistre de nouveau 4 titres « Les amours d’Irlande » et « En un jour tout peut changer » (arrangements Christian Chevallier) et « Comment fais-tu pour siffler » et « Il y avait » (arrangements Claude Germain) au Studio Davout. Il y a au moins une douzaine de choristes, parmi lesquels (d'après mes archives) Danielle Licari (très audible sur "Les amours d'Irlande"), Alice Herald, Anne Germain, Jackye Castan et Jean Cussac. « En un jour tout peut changer » est une composition de Christian Chevallier (sur un texte de Roland Valade), on reconnaît bien le style de l’arrangeur. L’arrangement par Claude Germain de « Il y avait » (qu’il a composée, avec des paroles d’Alice Herald) est assez original, très indien, avec une belle partition de sitar (on est en pleine période des Chemins de Katmandou).
Victoria chante "Il y avait"
Les quatre morceaux sortent sous la forme de deux 45 tours singles. Victoria participe à ses premières télés françaises (émissions Au risque de vous plaire des 13/06/69 et 5/03/70, du génial réalisateur Jean-Christophe Averty), où elle chante en playback « La rose et la guerre » et « Comment fais-tu pour siffler ? » (avec pour cette dernière une jolie animation, typique d’Averty).
Victoria chante pour Jean-Christophe Averty
"Comment fais-tu pour siffler?" avec les sifflements de Francis Lemarque
Le 11 mai 1970, sous la direction de Jacques Hendrix, saxophoniste et choriste qui travaille régulièrement comme arrangeur pour Francis Lemarque (je publierai prochainement un article sur Jacques Hendrix et ses Jumping Jacques), Victoria enregistre quatre titres (dont deux signés d’un certain Léo Fabri) : « Objectif Lune », « Je reviendrai l’an prochain », « Tant qu’il y aura » et « Allongé dans un pré ». Les deux premiers feront l’objet d’un 45 tours single (qui sortira avec deux pochettes différentes), les deux autres resteront inédits.
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Lionel Rocheman |
Marén se souvient de cette époque : « J’étais jeune fille au pair à Londres quand j’ai découvert, grâce à Terry, mon petit-ami anglais d'alors, les hootenannies (scènes ouvertes folk, ndlr), dans un folk center de Leicester Square. J’ai fréquenté cet endroit, qui n’existe plus, de décembre 67 à février 68. Comme j’avais amené ma guitare en Angleterre, je n’arrêtais pas de poser à mon petit-ami des questions sur les accords de guitare, les textes de chansons, etc. Un jour, il en a eu marre et m’a proposé de chanter deux chansons au folk center. J’ai chanté une berceuse allemande et une chanson de Joan Baez, assise sur une chaise car je n’avais jamais appris à jouer de la guitare debout. Après la soirée, il m’a dit : "You've got everything to learn, but just try, it's worthwhile". Après, je suis arrivée à Paris, je ne me suis pas inscrite à l’Alliance Française mais à l'Institut Catholique, où je prenais des cours de français. J'ai demandé à mes camarades de classe s’il y avait des endroits où on pouvait chanter en amateur, comme au folk center de Londres. On m’a répondu qu’il y avait des cabarets, mais qu’il fallait être professionnel. Jusqu’au jour où une fille m’a dit qu’elle avait un copain qui allait tous les mardis au Centre Américain (boulevard Raspail). J’y suis allée, quand on ne chantait pas on payait 3 francs l’entrée, et j'ai vu ce curieux bonhomme, Lionel Rocheman, en train d'écrire dans un petit cahier. Il était ravi d’être là, d’accueillir les artistes et de les présenter au public, il avait l'art et la manière de transmettre, le contraire d'un Jacques Martin. Il m'a dit tout de suite « tu as tout à apprendre, et ça va te coûter des larmes, mais tu as quelque chose qu'on ne peut pas apprendre, tu as de la présence sur scène ». Lionel m'a pris dans sa petite troupe quelques mois plus tard et on a été ensemble pendant six ans. Il m'a énormément appris : me tenir sur une scène, chanter debout, parler à des organisateurs, à la presse, etc. bref, les ficelles du métier. Le seul truc qu’il n’a pas réussi à faire, c’est m’apprendre le solfège (rires). »
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Marén Berg |
La première télé associant Marén et Victoria est un Petit Conservatoire de la Chanson, le 20 février 1971. « J’avais chanté une chanson allemande dont j’avais retrouvé les partitions à la Bibliothèque nationale de France, car Lionel faisait un festival à Laon, donc j’avais fait des recherches de chansons médiévales. Le Petit Conservatoire de la Chanson de Mireille, je n’y suis allé qu’une fois. Je trouvais les chansons de Mireille formidables, mais j’ai détesté cette bonne femme, avec ce côté prof à la con. Elle m’a même empêché de faire une télé, en appelant le réalisateur « Non, pour moi, Marén n’est pas prête ». C’était payé 500 francs, une fortune. Je lui en ai vraiment voulu. »
On peut remarquer dans cet extrait que Victoria joue très bien de la guitare.
Petit Conservatoire de la Chanson
Marén Berg chante une chanson allemande,
Victoria chante "Me marier demain"
et Victoria et Marén Berg chantent en duo "The keeper"
(Son désynchronisé... désolé!)
En mars et avril 1971, Victoria enregistre plusieurs émissions de radio, parfois en duo avec Marén.
Le 22 avril 1971, elle enregistre en studio (certainement au studio C de Davout), « Me marier demain », « Lullaby and come afloat » et « Ni hommes, ni chevaux », avec aux manettes Jean-Paul Missey et aux arrangements… Lionel Rocheman. Cela donne lieu à la sortie d’un premier 33 tours (CBS S-64679), comprenant ces trois titres, et une partie des précédents, enregistrés depuis novembre 1968.
C’est à cette même période (mai 1971), qu’un jeune chanteur du nom de Gilbert Montagné enregistre un 45 tours dont la face A est « The Fool » (immense tube) et la face B « Hide away », chanson composée par « A. Georget » et écrite par un ou une… « V. Riddel ». Je ne sais pas quel est l’utilisateur du site Discogs qui a eu l’idée de relier ce nom (mal orthographié sur les pochettes de disques) avec le nom de Victoria, mais son intuition était bonne.
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André Georget |
Comment Victoria est-elle entrée en contact avec Adamo et a-t-elle été sollicitée pour écrire "Hide away"? Mystère...
Gilbert Montagné chante "Hide away"
(musique: André Georget, paroles: Victoria Riddle)
Victoria chante "Brunes, blondes, rousses"
L’association Legrand-Victoria n’est pas étonnante, Lemarque et Legrand sont très amis, et le demi-frère de Michel, Olivier Legrand (futur père de la chanteuse... Victoria Legrand), a même passé des vacances étant adolescent avec Victoria et Stéphane Korb, au chalet de La Foux d’Allos.
La chanson sort en 45 tours et sera occasionnellement éditée en CD dans des compilations (mais la B.O. n’a jamais été éditée en intégralité), cette fois-ci sous le nom de Victoria Riddle, ce qui permet de donner un "nom" à Victoria.
Victoria chante "Un jour, loin d'ici" (Michel Legrand / Jean-Loup Dabadie)
pour la B.O. de La poudre d'escampette
Le 8 janvier 1972, Victoria enregistre trois chansons (arrangées par Jean Musy) : « Souffle la chandelle », « Moi je sais où je vais » et « Les gypsies O », peut-être au Studio Decca.
Le même jour, le JT de 20h la présente en compagnie de Georges Moustaki et Joël Favreau. Elle répète « Moi je sais où je vais » (adaptation du traditionnel « I know when I’m going ») et semble incorporée à un programme Moustaki accueillant plusieurs artistes (à Bobino ?). Pia Moustaki et Joël Favreau n’ont pu me donner plus de renseignements.
Georges Moustaki présente Victoria et Joël Favreau
Les 10 février et 21 mars 1972, elle continue l’enregistrement de son nouvel album (Ballades d'amour des îles britanniques, arrangé par Jean Musy; et deux titres arrangés par André Liverneaux pour lesquels je ne suis pas sûr des dates d'enregistrement), notamment « Molly Malone », « Danny Boy », « La Tourterelle », « Va-t-en de ma fenêtre », « Le marché Saint-Gilles », « La petite écaillère », « Moi je sais où je vais ». Ce 33 tours (et un 45 tours qui en est issu) sort désormais sous l'étiquette Les Productions Francis Lemarque (on peut penser que Victoria a quitté CBS car les disques ne se vendaient pas assez), distribué par Discodis, et co-produit par Mouloudji, qui chante en duo avec Victoria « La petite écaillère » (Mouloudji n’est pas crédité comme chanteur sur le disque, certainement en raison d’un contrat d’exclusivité avec une autre maison de disque). La plupart des chansons sont écrites par l’écrivain Marcel Duhamel, ami de longue date (d’avant la guerre) à la fois de Francis Lemarque et de Mouloudji (Mouloudji et Duhamel faisaient partie du groupe Octobre, tandis que Lemarque était du groupe Mars). Victoria chante en playback « La petite écaillère » avec Mouloudji, et « Les gypsies O » seule, pour l’émission Tempo du 5 juillet 1972.
Mouloudji et Victoria chantent "La petite écaillère"
Victoria chante "Les gypsies O"
(Son désynchronisé... désolé!)
Juillet-août 1972, de nouvelles Épinettes et guimbardes de Rocheman sont diffusées. Je ne résiste pas à vous partager ce "Marvelous toy" (popularisé en France par Claude François sous le nom du "Jouet extraordinaire") plein de malice, merveilleusement chanté par Victoria, qui s'accompagne d'un petit banjo.
Victoria chante "The marvelous toy"
Michel Legrand et Victoria chantent au Japon "Devant le garage"
(Les Parapluies de Cherbourg)
Cette émission est a priori la dernière de Victoria. Elle arrête le métier en France courant 1973, laissant derrière elle une traîne de soupirants désespérés, comme le souligne avec humour sur son blog Jacky Scala, ancien gérant du cabaret La Scala (quartier Mouffetard), dans lequel Victoria chantait parfois. Pour quelles raisons ? Marén Berg a une explication : « En 72, Victoria a fait la première partie d’un chanteur à Bobino. Elle m’a dit juste après : j'en ai ras le bol, ce n’est pas ma voie du tout, je souhaite avoir un mari et des enfants, je vais rentrer en Angleterre et je vais me marier. A partir de là, on n'a plus entendu parler d'elle, elle a tiré un trait radical sur le métier, et je n’ai jamais eu de nouvelles. Victoria avait tous les dons et une chance insolente, celle notamment d’avoir un producteur, tout lui arrivait sur un plateau d’argent. Entre Lemarque, Legrand et Moustaki, que veux-tu de plus ? J’étais écoeurée car c'est tout ce que je souhaitais. Toutes les portes s’ouvraient devant elle, et elle aurait pu faire une grande carrière, mais elle a préféré autre chose. Certainement une question d’éducation ».
Danièle Korb nuance : « C’était une fille magnifique, qui chantait très bien, avec une très belle voix, et un accent anglais quand elle parlait français qui lui donnait un charme fou. Mais elle était peut-être un peu trop réservée pour faire ce métier. Mon père croyait beaucoup en elle, il était persuadé qu'elle allait devenir une grande chanteuse, mais ça n'a pas démarré, les disques n’ont pas bien marché. Je crois qu'elle s'est lassée assez vite, elle n’a pas eu le courage... Dans ces métiers là il faut insister pendant longtemps, je crois qu'elle n'a pas eu la "niaque" pour insister aussi longtemps. Donc elle a vite déchanté, c’était trop dur, trop de sacrifices. »
En 1973, Victoria rentre en Angleterre, épouse Peter Wigan, et a deux enfants, Patrick Wigan (en 1974) et Jane Wigan (en 1976). Depuis, ses éventuelles activités artistiques sont floues, mais elle participe en 1976 au disque Adam and the Beasts du mythique auteur-compositeur-interprète et poète Alasdair Clayre (qui avait écrit le « Lullaby and Come afloat » qu’elle avait enregistrée dans son 33 tours CBS). Très honnêtement, en écoutant le disque, il me semble entendre Victoria sur tous les titres avec solo féminin, mais la chanteuse créditée sur ces titres est Emma Kirkby (futur grand nom du chant lyrique), et Victoria n’est créditée en voix/guitare que pour le titre « Hawthorne Berries » (leurs timbres de voix sont similaires).
Victoria chante "Hawthorne Berries"
Proche du milieu de la peinture, par la deuxième activité de son père, Victoria s'est apparemment reconvertie comme encadreuse de dessins et de tableaux, avant de prendre sa retraite.
À LA RECHERCHE DE VICTORIA
Comme je l’ai précisé dans mon introduction, j’ai découvert la voix de Victoria en mai 2017. Mon amie Alice Herald, en plus de son métier de choriste, a été parolière (on lui doit la plupart des paroles du groupe Les Masques, produit par… Francis Lemarque), et c’est par une recherche Youtube, avant de lui rendre visite, que je découvre « Il y avait » de Victoria (et trois ou quatre ans plus tard « Tout là-bas ») et tombe sous le charme. Je décèle une petite pointe d’accent, Alice m’apprend que Victoria est anglaise, et qu’elle ne sait pas ce qu’elle est devenue.
En juillet 2024, je commence une sorte d’enquête pour essayer de la retrouver (en admettant qu’elle soit encore parmi nous), et au moins récolter quelques informations sur sa vie. Quand on s’intéresse à des artistes des années 50-60-70 dont certains ont quitté la scène depuis… un certain temps, retrouver leur trace relève parfois d’un véritable travail de détective. Faire ces recherches est devenu l’une de mes « spécialités », et m’a permis de retrouver et d’interviewer des comédiens ou chanteurs aux voix iconiques jamais ou rarement interviewés avant moi (Pat Woods, Eliane Thibault, Paulette Rollin, Huguette Morins, Sylviane Mathieu, etc.).
Pour Victoria, je pars sur plusieurs pistes parallèles : la piste « Centre américain », la piste « carrière dans le disque », la piste « Moustaki » et la piste « Hide away ». Je contacte une vingtaine d’artistes ou ayants-droit ayant pu la connaître. Si j’arrive à récolter quelques témoignages sur elle, en revanche personne n’a son adresse actuelle (en référence à la chanson qu'ils ont écrite pour Gilbert Montagné, André Georget souligne avec humour que pour Victoria "la chanson "hide away" porte bien son nom"), et certaines sociétés de droits ou d’éditions musicales recherchent même ses coordonnées pour lui reverser un petit pécule.
C’est finalement tout bêtement sur le répertoire des oeuvres de la SACEM que je découvre que la chanson « Hide away » est déposée au nom de Victoria Wigan. S’agit-il bien de la même Victoria ? Un site généalogique anglais m’apprend le mariage d’une Victoria Riddle avec un Peter Wigan en 1973, année où "disparaît" Victoria. Pour moi, c’est la bonne personne. Grâce à ce site généalogique, j'ai les prénoms de ses enfants, et les contacte sur les réseaux sociaux (aucun des deux ne me répond, ne serait-ce que pour m’exprimer un refus). Retrouvant leur adresse postale grâce à un site anglais équivalent à notre societe.com je réalise qu’ils vivent tous deux dans le même comté anglais. Par un annuaire (avec recherche par comté), je trouve l’adresse postale de Victoria et lui écris une lettre, sans réponse.
C’est finalement en parlant à Stéphane Korb que j’apprends le métier du père de Victoria ("pilote dans la Royal Air Force"), trouve la page Wikipedia qui lui est consacrée, découvre le prénom de la sœur de Victoria, Arabel, retrouve son téléphone dans l’annuaire et l’appelle. Quand je me présente, elle me répond « Ah, ma sœur m’a dit qu’il y a un énergumène qui essaie de la contacter ». L’ « énergumène » est quelque peu vexé par ce qualificatif assez désobligeant (sa réaction intérieure ressemble à celle du Professeur Tournesol quand on le traite de zouave), mais surtout, il apprend que Victoria n’a pas envie de parler de son passé d’artiste. Arabel a quand même la gentillesse de me proposer que je lui envoie des questions par mail, qu’elle compte lui transmettre. Malheureusement, aucune réponse depuis.
J'ai décidé malgré tout de poursuivre mes recherches et de publier quand même mon article, avec ou sans le concours de la principale intéressée. Mais j'ai bon espoir que Victoria sera touchée à sa lecture et acceptera d'apporter quelques compléments à cet hommage, que je pourrai ainsi enrichir. "En un jour, tout peut changer..."
Victoria chante "En un jour tout peut changer"
composée et arrangée par Christian Chevallier
composée et arrangée par Christian Chevallier
(Toujours active dans la chanson, éternelle partisane de l'amitié franco-allemande, Marén Berg sera en concert à La Scène du Canal le 16/11/2024. Réservation : https://www.helloasso.com/associations/observatoire-europeen-du-plurilinguisme/evenements/maren-berg-16-novembre-2024/widget-vignette-horizontale )
LA RÉPONSE DE VICTORIA
Mi-octobre 2024 (donc un mois après la publication de cet article), je reçois finalement une lettre de Victoria. Commençant par m’expliquer ses premières réticences à me répondre, Victoria me félicite pour mon article, répond à toutes les questions que j’avais envoyées à sa sœur, et m’autorise à publier ses réponses ici. Elle me fait également parvenir, à ma demande, des scans de coupures de presse et photos d’époque.
Que faire de ce nouveau « matériel » ? Il serait très tentant de réécrire complètement mon article, afin d’avoir une biographie complète et linéaire. Problème : on perdrait ce qui en fait le « sel », à savoir le côté enquête, recherche de témoignages, etc. Je choisis finalement de publier ces informations dans une troisième partie, comme une sorte de droit de réponse.
Victoria Riddle est en fait née le 29 mars 1943 à Edimbourg (Écosse), où son père est stationné à la fin de la guerre. « J’ai commencé à chanter à l’école (tenue par des religieuses), où j’ai acheté ma première guitare (je l’ai toujours) à un ami. Avec des amis, nous composions des chansons vraiment mauvaises, mais avions du plaisir à divertir nos amis. Bien que mes parents eussent de belles voix, et que la demi-sœur de ma mère était passionnée d’opéra, nous n’étions pas particulièrement une famille « musicale ». J’ai étudié le piano et la guitare à l’école. Mais j’avais du mal avec la lecture à vue, donc je n’ai pas énormément progressé. »
Après avoir quitté l’école, Victoria fait du secrétariat, conduit une Mini (« et non pas un camion » me précise Victoria, en référence à la présentation de Philippe Bouvard) pour livrer les plats préparés d’un célèbre bistro londonien. Elle chante dans des clubs de musique folk et rejoint un groupe de chanteurs folk. Elle est employée comme « troubadour » au Elizabethan Rooms, restaurant servant des banquets élisabéthains. Elle rencontre Alasdair Clayre par l’intermédiaire d’un ami.
Francophiles, les parents de Victoria passent souvent leurs vacances en France. Ils construisent à la Foux d’Allos un chalet, Le Mini, à côté d’un chalet appartenant à Francis Lemarque. « Un soir, je lui ai chanté des chansons et il m’a dit que si je voulais m’installer à Paris, il aimerait me faire enregistrer des disques et m’aider à avoir une carrière dans la chanson. Comment aurais-je pu refuser ? »
Victoria rentre à Londres et travaille « Le rose et la guerre » et « Tout là-bas ». Son voyage à Paris pour les enregistrer est retardé à cause des événements de mai 1968, les musiciens étant en grève. « La rose et la guerre » est la chanson préférée de son répertoire, et elle se souvient notamment de la présence de José Souc à la guitare dans les séances.
Pour l’album Ballades d’amour des îles britanniques, Victoria pense que c’est Claude Nougaro qui a soufflé à Francis Lemarque l’idée de faire ce disque en adaptant des chansons folkloriques anglaises en français.
Victoria chante pour Jean-Christophe Averty
"La rose et la guerre"
(Son désynchronisé... désolé!)
Pour ce qui est des cabarets, Victoria se souvient avoir débuté à L’échelle de Jacob et dans un autre à Montmartre, peut-être tenu par la même personne. « J’ai fait une tournée en Bulgarie et j’ai chanté à des conventions Tupperware dans toute la France, au Hilton de Paris, à la Tour Eiffel, et sur le paquebot De Grasse dans des croisières aux îles grecques, en Italie, en Norvège, au Spitzberg, en Islande, et deux fois aux Caraïbes. Quelles aventures ! L’un de mes meilleurs souvenirs est la tournée en Bulgarie : j’étais avec toute une troupe d’artistes, des gens du cirque venant de pays de l’autre côté du Rideau de fer. Notre car est tombé en panne et nous attendions d’être dépannés. Les paysans des champs alentour se sont joints à nous et nous avons chanté et dansé tous ensemble. Soudain, quelqu’un nous a demandé de baisser la voix, et sur un petit transistor nous avons écouté la voix du premier homme marchant sur la Lune. »
Elle chante aussi à Bobino avec Georges Moustaki, et au Théâtre des Variétés en première partie de Patachou.
Contrairement à quelques-uns des artistes folk anglophones (Steve Waring, Roger Mason, Pat Woods, etc.) vivant à Paris à son époque, Victoria, ne participe pas à des doublages anglais. Elle ne tourne pas non plus dans des films. « Dans les articles que je vous ai envoyés, c’est écrit que j’étais pressentie pour jouer dans un film de Truffaut (Les deux anglaises et le continent, 1971). Je me souviens maintenant d’avoir passé une audition pour ce film, mais je n’étais pas bonne actrice et n’ai pas été prise. »
A propos de Michel Legrand : « Mes souvenirs de Michel Legrand sont très bons. Sa femme Christine et lui ont été très gentils et serviables pendant notre tournée au Japon. Il venait d’avoir beaucoup de succès avec une série de concerts à l’Olympia, où il chantait et jouait au piano avec Caterina Valente, une célèbre chanteuse de jazz, avec une grande expérience et un grand ambitus. C’est moi qui la remplaçais pour la tournée au Japon, puis en Amérique du Sud (Argentine et Brésil). Le programme avait dû être modifié car j’avais peu d’expérience, un ambitus limité, et ne pouvais pas chanter le jazz. Je m’en étais rendu compte un soir où je chantais au Hilton de Paris, Stéphane Grappelli m’avait invitée à chanter deux ou trois chansons avec son orchestre, et ce n’était pas un succès ! Michel comprenait quelles étaient mes limites, et lui et ses musiciens étaient très encourageants. C’était un magnifique musicien et chanteur, avec une forte personnalité, très amusant, parfois caractériel, mais ce n’était pas grave. J’ai vécu des moments formidables. Je me souviens de lui jouant de la samba pendant des heures avec des musiciens locaux au Brésil. Malheureusement, j’ai eu une infection pulmonaire à la fin de la tournée et j’ai presque faille rater mon mariage ! »
Pour l’enregistrement de la B.O. de La Poudre d’Escampette : « Michel nous a fait travailler dur, les musiciens et moi, mais le résultat était super. C’est dommage que le film ne soit jamais sorti en Angleterre. J’étais fascinée de voir les ingénieurs du son travailler avec des bandes 16 pistes, coupant et collant les bandes, et ajustant le son. C’étaient de grands maîtres, tout comme les musiciens, arrangeurs et autres artistes qui ont participé à mes enregistrements. Je ne crois pas que je me rendais compte que j’étais entourée par autant de talent. »
Concernant la chanson « Hide away » de Gilbert Montagné, Victoria m’explique que c’est venu par Patrick Kent, rencontré grâce à un ami anglais. Patrick Kent devait écrire deux chansons en anglais pour Gilbert Montagné, et a finalement confié l’une d’entre elles à Victoria. Elle et sa sœur se rappellent les enregistrements à Londres : « Je me souviens d’une descente de Piccadilly en voiture, avec Gilbert (aveugle) au volant de la voiture, pendant que deux d’entre nous changions les vitesses et disions à Gilbert quand il fallait appuyer sur les pédales. C’était fou ! »
Rentrée au Royaume-Uni, Victoria prend part à l’enregistrement de l’album Adam and the Beasts d’Alasdair Clayre. « Il n’aimait pas ma façon de chanter « Lullaby and come afloat ». Je ne sais pas finalement qui la chante dans le disque ».
Après son mariage, elle continue à chanter avec un ami à elle, à des concerts caritatifs, ou pour des maisons de retraite ou au Women’s Institute. « C’était très discret, mais c’est comme ça que j’étais vraiment heureuse. Francis Lemarque m’avait dit une fois que là où je chantais le mieux, c’était quand je chantais seule avec une guitare. Mon mari et moi chantions aussi des berceuses à nos enfants, et à des amis. » Elle devient secrétaire à temps partiel, et cuisine dans l’école où travaille son mari. Plus tard, elle fait de l’encadrement de tableaux et élève des alpagas.
Le « bilan » de sa carrière artistique ? « Ma mémoire sur mes années en France est très vague, et j’ai une mauvaise mémoire des noms, bien que la lecture de de ceux que vous mentionnez dans votre article me rappellent des choses. Ce dont je me souviens le plus, c’est que tout le monde était très gentil avec moi, et encourageant, en particulier Francis Lemarque et sa femme Ginny. Le fait que je ne sois pas devenu la « vedette » qu’ils espéraient est entièrement ma faute. J’étais jeune et très naïve. Je n’avais aucune idée de ce qu’il fallait pour avoir du succès, et n’avais pas le « Feu sacré » pour réussir. Je suis désolée si je les ai déçus. C’étaient des années extraordinaires, je me suis fait de nombreux amis et j’ai voyagé à travers le monde. Mais vers la fin de mes années en France, je me suis rendu compte que ce n’était pas une vie pour moi. Je devenais malheureuse, ce qui a affecté ma santé, et j’ai décidé de rentrer en Angleterre pour vivre ce que j’estimais être une vie normale. Je suis heureux de lire que Marén Berg, qui était une bonne amie, chante toujours. Elle avait, elle, le « Feu sacré » ! ».
Victoria chante "Tu tutoies les muses"
(de Michel Legrand et Francis Lemarque, arrangements : Christian Chevallier)
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Mi-octobre 2024 (donc un mois après la publication de cet article), je reçois finalement une lettre de Victoria. Commençant par m’expliquer ses premières réticences à me répondre, Victoria me félicite pour mon article, répond à toutes les questions que j’avais envoyées à sa sœur, et m’autorise à publier ses réponses ici. Elle me fait également parvenir, à ma demande, des scans de coupures de presse et photos d’époque.
Que faire de ce nouveau « matériel » ? Il serait très tentant de réécrire complètement mon article, afin d’avoir une biographie complète et linéaire. Problème : on perdrait ce qui en fait le « sel », à savoir le côté enquête, recherche de témoignages, etc. Je choisis finalement de publier ces informations dans une troisième partie, comme une sorte de droit de réponse.
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Victoria (peinte enfant par son père Hugh Riddle) |
Après avoir quitté l’école, Victoria fait du secrétariat, conduit une Mini (« et non pas un camion » me précise Victoria, en référence à la présentation de Philippe Bouvard) pour livrer les plats préparés d’un célèbre bistro londonien. Elle chante dans des clubs de musique folk et rejoint un groupe de chanteurs folk. Elle est employée comme « troubadour » au Elizabethan Rooms, restaurant servant des banquets élisabéthains. Elle rencontre Alasdair Clayre par l’intermédiaire d’un ami.
Francophiles, les parents de Victoria passent souvent leurs vacances en France. Ils construisent à la Foux d’Allos un chalet, Le Mini, à côté d’un chalet appartenant à Francis Lemarque. « Un soir, je lui ai chanté des chansons et il m’a dit que si je voulais m’installer à Paris, il aimerait me faire enregistrer des disques et m’aider à avoir une carrière dans la chanson. Comment aurais-je pu refuser ? »
Victoria rentre à Londres et travaille « Le rose et la guerre » et « Tout là-bas ». Son voyage à Paris pour les enregistrer est retardé à cause des événements de mai 1968, les musiciens étant en grève. « La rose et la guerre » est la chanson préférée de son répertoire, et elle se souvient notamment de la présence de José Souc à la guitare dans les séances.
Pour l’album Ballades d’amour des îles britanniques, Victoria pense que c’est Claude Nougaro qui a soufflé à Francis Lemarque l’idée de faire ce disque en adaptant des chansons folkloriques anglaises en français.
Victoria chante pour Jean-Christophe Averty
"La rose et la guerre"
(Son désynchronisé... désolé!)
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Victoria sur le paquebot De Grasse |
Elle chante aussi à Bobino avec Georges Moustaki, et au Théâtre des Variétés en première partie de Patachou.
Contrairement à quelques-uns des artistes folk anglophones (Steve Waring, Roger Mason, Pat Woods, etc.) vivant à Paris à son époque, Victoria, ne participe pas à des doublages anglais. Elle ne tourne pas non plus dans des films. « Dans les articles que je vous ai envoyés, c’est écrit que j’étais pressentie pour jouer dans un film de Truffaut (Les deux anglaises et le continent, 1971). Je me souviens maintenant d’avoir passé une audition pour ce film, mais je n’étais pas bonne actrice et n’ai pas été prise. »
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Michel Legrand et Victoria |
Pour l’enregistrement de la B.O. de La Poudre d’Escampette : « Michel nous a fait travailler dur, les musiciens et moi, mais le résultat était super. C’est dommage que le film ne soit jamais sorti en Angleterre. J’étais fascinée de voir les ingénieurs du son travailler avec des bandes 16 pistes, coupant et collant les bandes, et ajustant le son. C’étaient de grands maîtres, tout comme les musiciens, arrangeurs et autres artistes qui ont participé à mes enregistrements. Je ne crois pas que je me rendais compte que j’étais entourée par autant de talent. »
Concernant la chanson « Hide away » de Gilbert Montagné, Victoria m’explique que c’est venu par Patrick Kent, rencontré grâce à un ami anglais. Patrick Kent devait écrire deux chansons en anglais pour Gilbert Montagné, et a finalement confié l’une d’entre elles à Victoria. Elle et sa sœur se rappellent les enregistrements à Londres : « Je me souviens d’une descente de Piccadilly en voiture, avec Gilbert (aveugle) au volant de la voiture, pendant que deux d’entre nous changions les vitesses et disions à Gilbert quand il fallait appuyer sur les pédales. C’était fou ! »
Rentrée au Royaume-Uni, Victoria prend part à l’enregistrement de l’album Adam and the Beasts d’Alasdair Clayre. « Il n’aimait pas ma façon de chanter « Lullaby and come afloat ». Je ne sais pas finalement qui la chante dans le disque ».
Après son mariage, elle continue à chanter avec un ami à elle, à des concerts caritatifs, ou pour des maisons de retraite ou au Women’s Institute. « C’était très discret, mais c’est comme ça que j’étais vraiment heureuse. Francis Lemarque m’avait dit une fois que là où je chantais le mieux, c’était quand je chantais seule avec une guitare. Mon mari et moi chantions aussi des berceuses à nos enfants, et à des amis. » Elle devient secrétaire à temps partiel, et cuisine dans l’école où travaille son mari. Plus tard, elle fait de l’encadrement de tableaux et élève des alpagas.
Le « bilan » de sa carrière artistique ? « Ma mémoire sur mes années en France est très vague, et j’ai une mauvaise mémoire des noms, bien que la lecture de de ceux que vous mentionnez dans votre article me rappellent des choses. Ce dont je me souviens le plus, c’est que tout le monde était très gentil avec moi, et encourageant, en particulier Francis Lemarque et sa femme Ginny. Le fait que je ne sois pas devenu la « vedette » qu’ils espéraient est entièrement ma faute. J’étais jeune et très naïve. Je n’avais aucune idée de ce qu’il fallait pour avoir du succès, et n’avais pas le « Feu sacré » pour réussir. Je suis désolée si je les ai déçus. C’étaient des années extraordinaires, je me suis fait de nombreux amis et j’ai voyagé à travers le monde. Mais vers la fin de mes années en France, je me suis rendu compte que ce n’était pas une vie pour moi. Je devenais malheureuse, ce qui a affecté ma santé, et j’ai décidé de rentrer en Angleterre pour vivre ce que j’estimais être une vie normale. Je suis heureux de lire que Marén Berg, qui était une bonne amie, chante toujours. Elle avait, elle, le « Feu sacré » ! ».
Victoria chante "Tu tutoies les muses"
(de Michel Legrand et Francis Lemarque, arrangements : Christian Chevallier)
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