dimanche 4 septembre 2011

Eliane Thibault : Supercalifragilisticexpialidocious ! (Partie 3/3)

Pour lire la précédente partie de l'interview (partie 2/3), veuillez cliquer ici


Dans l'ombre des studios : Avez-vous doublé Julie Andrews en d’autres occasions ?


Je l’ai doublée dans Darling Lili (1970) en voix parlée et chantée et dans Millie (1967).

DLODS : Pourquoi ne l’avez –vous pas doublée dans La Mélodie du Bonheur ?

Georges et Joseph Tzipine qu’on appelait dans le métier les Frères Karamazov m’ont appelée, m’ont fait venir chez eux et j’ai passé une audition. Et c’était fait, c’est moi qui devais le faire. Et en parlant ils m’ont dit « -Mais est-ce que vous avez déjà fait du doublage ?» et je leur ai répondu « -Oui, je croyais que vous m’aviez appelée à cause de ça, je viens de faire Mary Poppins ». « -Ah, c’est vous qui avez fait Mary Poppins au studio Leredde ? », j’ai dit oui et ils m’ont répondu «- Ah, alors on est très en froid avec eux, on ne vous prend pas » et voilà, ça s’est arrêté comme ça. Et ils ont pris Mathé Altéry. Alors avec Mathé Altery ma maison de disques a eu des problèmes parce que quand on l’interviewait elle disait « Oui j’ai fait Mary Poppins et La Mélodie du Bonheur ». Alors une fois, deux fois, trois fois, et elle a eu la lettre recommandée de la maison de disques qui lui demandait un rectificatif. Alors après elle disait en interview « Oui, rendons à César ce qui est à César, je n’ai fait que La Mélodie du Bonheur » (sur un ton sec). Alors vous savez moi j’ai un bon tempérament, j’en ris de tout ça. On habitait le même quartier à l’époque, dans le XVIIème arrondissement et on s’est retrouvées un jour chez le même pharmacien, l’une derrière l’autre. Moi j’ai fait un sourire, elle a tourné la tête et ne m’a pas regardée, alors voilà… C’est idiot, hein ? Car moi aussi j’aurai pu lui faire la tête puisqu’elle n’a pas fait Mary Poppins mais moi je n’ai pas fait le doublage de La Mélodie du Bonheur, j’en ai juste fait un disque. Eh bien non, tant pis…

DLODS : C’est curieux car en effet on remarque que les Tzipine n’ont pas travaillé pour la SPS du début à la fin des années 60, alors qu’ils ont travaillé pour elle avant et bien après…

Oui c’est pour ça qu’ils devaient être très en froid avec André Theurer (directeur musical pour la SPS dans les années 60, ndlr).

DLODS : Et vous connaissiez les Tzipine avant de venir à cette audition?

Non, et je me demande comment ils m’ont appelée, comment ils m’ont connue… Moi je pensais que c’était à cause de Mary Poppins. Eh bien pas du tout parce qu’ils ne savaient pas que c’était moi, donc je ne sais pas.

DLODS : Avec les frères Tzipine vous avez fait le doublage chanté d’Angela Lansbury dans L’Apprentie Sorcière

On avait demandé à Mony Dalmès de la Comédie-Française de faire le doublage de ce film, ils voulaient que ce soit la même voix, parlée et chantée. En général, on enregistre le texte d’abord et les chansons après, et là après avoir fait le texte, en arrivant au chant elle n’en était pas capable. Alors les frères Tzipine m’ont appelée et c’est moi qui ai fait le chant. Et je les ai fait mariner et je me suis fait bien payer, car comme ils ne m’avaient pas demandé pour tout, dialogues et chant, je n’étais pas contente. Et ils ont gardé le texte de Mony Dalmès qui était très bien.

"L'âge de vos beaux rêves" (du film L'apprentie sorcière (1971)) chantée par Eliane Thibault

DLODS : Ce doublage est un petit peu perturbant car Angela Lansbury a un physique assez « sévère » qui est bien mis en valeur par la voix de Mony Dalmès, et quand vous lui donnez votre voix pour les chansons on entend de suite la fraîcheur de la voix de Mary Poppins…

C’est vrai que c’est peut-être un peu gênant… D’ailleurs on me l’avait dit. « On ne vous a pas appelée parce qu’on vous a trouvée trop jeune ». Alors ils ont appelé Mony Dalmès qui a une voix très fraîche aussi.

DLODS : Dans L’Apprentie Sorcière, votre partenaire était le chanteur Francis Linel…

Il était gentil mais très protecteur, voulant donner des leçons… Il ne savait pas que c’était moi qui avais fait Mary Poppins et donc il vint vers moi et me dit « Vous savez, il ne faut pas avoir peur… ». Alors je ne sais plus qui était là lui dit « Tu sais, elle n’a pas peur, c’est elle qui a fait Mary Poppins, le texte et le chant » (rires).

DLODS : En dehors de Mary Poppins, Darling Lili, Millie, Un violon sur le toit et L’Apprentie Sorcière, avez-vous souvenir d’autres doublages ?

J’ai doublé Chitty Chitty Bang Bang, Le forum en folie et Roma, et des choses dont je ne me souviens pas du titre. Je mélange un peu tout, car à part Mary Poppins, je n’ai jamais vu en salle les films que j’ai doublés ! D’ailleurs je déteste voir des films doublés (rires), c’est vrai, je n’aime pas ça du tout. J’aime bien avoir les vraies voix, c’est comme ça !

DLODS : A part André Theurer et Georges Tzipine, avez-vous travaillé pour d’autres directeurs musicaux ?

Non, je crois que j’ai surtout travaillé avec André Theurer pour la musique et Serge Nadaud pour les textes. Presque tout ce que j’ai fait c’était avec eux deux. Enfin, je crois ! Parce que vous en savez plus que moi sur beaucoup de choses (rires) !

DLODS : Après 1972, on perd complètement votre trace… Pourquoi avez-vous décidé d’arrêter votre carrière si tôt ?

Guy Lafarge
Un violon sur le toit a été la dernière chose que j’ai faite. J’avais quarante ans ou quelque chose comme ça quand ça s’est arrêté. Je n’avais pas un physique de mère, mais n’avais plus un physique de jeune première. J’ai été sollicitée pour jouer Les p’tites Michu à la télévision. On m’avait proposé le rôle de la fille et j’ai dit non car elles ont dix sept ans, et à l’époque j’en avais trente huit ou pas loin. Je me disais « à la télé, il faut être jeune », et j’ai été bête, car au final c’est une chanteuse plus âgée que moi qui l’a fait. Et puis petit à petit ça s’est arrêté. Et je n’ai pas cherché à reprendre car je vivais un grand amour avec Guy Lafarge qui a duré trente huit ans, jusqu’à sa mort. Et l’éloignement des tournées n’était pas évident.
Donc vous voyez ça a été assez court, je n’ai pas fait une carrière énorme. Je me suis arrêtée jeune. J’ai fait passer les sentiments avant !

DLODS : Vous auriez quand même pu continuer à faire du doublage à Paris…

Oui, mais André Theurer et Georges Tzipine ont rapidement pris leur retraite et je n’ai pas été contactée par les nouvelles équipes.

DLODS : Vous tenez-vous au courant de l’actualité musicale ?

Je me suis tenu au courant assez longtemps, maintenant c’est fini. Et puis les chansons, je n’aime pas du tout ce qui y est yéyé, rock et tout ça. J’aime beaucoup le jazz et l’opéra, que je préfère de loin à l’opérette. Après il y a quand même quelques chanteurs que j’aime bien comme Michel Sardou ou Jean Ferrat qui vient de mourir et que j’aimais beaucoup. Des chanteurs à voix, parce qu’autrement…

DLODS : Et allez-vous régulièrement voir des spectacles ?

Non, plus maintenant. Je suis beaucoup sortie, j’ai beaucoup voyagé aussi parce que forcément Guy Lafarge était président de la SDRM (Société pour l’administration des Droits de Reproduction Mécanique) et travaillait aussi à la Sacem. Il a composé beaucoup d’opérettes et de chansons. « La Seine », c’est de lui. « Elle coule, coule, coule, dès qu’elle entre dans Paris, elle s’enroule, roule, roule, etc. » (elle chante). Cette chanson se joue dans le monde entier. Maintenant que je suis seule, je n’aime plus sortir le soir. Si je sors, il faut qu’on vienne me chercher en voiture, et qu’on me ramène jusque devant la porte. Je suis une froussarde! Alors, je sors beaucoup dans la journée. Restaurant avec des amis, cinéma, exposition, et je rentre tôt! Vous verrez, vous avez le temps, quand on vieillit on ne donne plus la même importance aux choses. La sagesse qui vient, sans doute!

DLODS : Si un directeur artistique vous proposait de passer des essais sur Julie Andrews ou une autre actrice dans un nouveau film, est-ce que vous accepteriez de faire un petit « come-back » ?

Non, je vais bientôt avoir quatre-vingts ans, je suis paresseuse (rires) !


Voxographie d’Eliane Thibault

Eliane Thibault est née le 5 octobre 1931 à Paris.

Mary Poppins (1965) – voix parlée et chantée de Julie Andrews (Mary Poppins)
Le forum en folie (1966) - voix parlée et chantée d'Annette Andre (Phylia)
Millie (1967) – voix de Julie Andrews (Millie Dillmount)
Chitty Chitty Bang Bang (1968) – voix parlée et chantée de Sally Ann Howes (Truly Scrumptious)
Darling Lili (1970) – voix de Julie Andrews (Darling Lili)
Un violon sur le toit (1971) – voix parlée et chantée de Ruth Madoc (Fruma Sarah)
L’Apprentie Sorcière (1972) – voix chantée d’ Angela Lansbury (Eglantine Price)

Bonus 


Petit bonjour d'Eliane Thibault à "Dans l'ombre des studios":


Voix d'Eliane Thibault dans Le forum en folie (1966):


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Eliane Thibault : Supercalifragilisticexpialidocious ! (Partie 2/3)

Pour lire la précédente partie de l'interview (partie 1/3), veuillez cliquer ici


Dans l'ombre des studios : Avez-vous fait du théâtre au cours de votre carrière?


Oui j’en ai fait, mais j’étais encore au conservatoire. C’était aux Sociétés Savantes, dans une énorme salle. Il y avait beaucoup d’écoles qui venaient, alors je ne vous dis pas le chahut (rires) ! Et puis j’en ai fait aussi avec la même troupe, une troupe de jeunes qui s’était mis ensemble pour jouer des classiques, et nous avons joué au Théâtre de Verdure du Jardin des Tuileries. Alors là j’ai vraiment joué tout le répertoire ou presque…

DLODS : Et depuis, vous n’avez pas été tentée de remonter sur les planches ?

Non, on ne le m’a pas demandé. Vous savez c’est très compartimenté en France, quand vous êtes en opérette vous faites de l’opérette, etc. C’est terrible ça, d’ailleurs… Mais même encore maintenant. Quand vous avez un emploi on ne vous prend pas dans un autre, c’est dommage ! On n’y peut rien !

DLODS : Avez-vous fait du cinéma ?

J’ai joué dans un film de Georges Péclet qui s’appelait Les Gaités de l’Escadrille (1958). Ah ça, c’était vraiment un beau navet (rires). Avec seulement des petits noms, vous savez : Bussières, Gabriello…
J’ai une anecdote qui peut vous amuser. C’était un film sur l’aviation. A un moment donné je devais prendre un avion très rapidement parce qu’il y avait un problème important et c’était Sim qui devait faire marcher l’avion. Alors lui il était déjà dans le coucou à deux places et moi je devais arriver à toute allure. Seulement j’arrive en courant, et à quelques mètres de l’avion, je tombe par terre, habillée en aviatrice, avec le parachute derrière. Alors Georges Péclet me demande ce qui se passe, je lui dis «- Je ne peux pas avancer à cause du vent », « -Bon allez, on recommence ! ». On l’a fait deux ou trois fois et au même endroit, « pouf ». J’étais très légère. Alors Péclet dit « On peut faire ça cent fois, ça va recommencer. Sim, au lieu d’être déjà dans l’avion, tu vas venir avec elle, et vous allez monter ensemble dans l’avion », ce qui fait qu’on a dû faire deux mètres de plus et on est tombés tous les deux par terre. Qu’est-ce qu’on a pu rire ! Finalement on l’a tourné avec l’hélice arrêtée, et là ça marchait.

DLODS : Et avez-vous participé à des émissions télévisées à l’époque ?

Oui, au moment de Mon p’tit pote avec Roger Nicolas on a fait pas mal d’émissions, comme La Nuit du Cinéma. C’est là, dans une espèce de palais à Paris que je monte pour me faire maquiller et je croise dans l’escalier Annie Cordy. Quand elle m’a vue, elle s’est arrêtée et m’a fait « -Ah ! » et je lui ai dit « -Moi j’ai l’habitude ! Au restaurant, partout on me prend pour vous et on me demande de signer. Au Midem c’était terrible on ne pouvait plus faire un repas tranquille où on me disait «- Annie Cordy, vous voulez bien me signer ça ? »». Et elle me répond « -Vous signez, au moins ? » «- Ah non je ne vais pas faire des faux » « -Ah je vous en supplie, signez, sinon on va trouver que je suis bêcheuse » donc après quand on me demandait un autographe je signais Annie Cordy (rires).

DLODS : C’est vrai que vous avez le même regard !

C’est fou… Jeunes on se ressemblait beaucoup ! On était coiffées pareil aussi, sans le savoir.
Les yeux, oui. Mais elle a un nez un peu plus gros que le mien ! Déjà moi, je le trouvais trop gros le mien mais mon père n’a jamais voulu que je me fasse opérer…

DLODS : Comment avez-vous été approchée pour doubler Mary Poppins ?

J’étais dans une maison de disques, DECCA RCA. Quand ils ont cherché quelqu’un pour doubler Mary Poppins, les studios Disney se sont adressés à toutes les maisons de disques de Paris et ont demandé des jeunes -j’étais jeune à l’époque !- qui pourraient éventuellement doubler Mary Poppins. Je n’avais jamais fait de doublage et ça ne me disait rien d’en faire, je ne sais pas pourquoi. Ma maison de disques a insisté et je me suis dit « S’il fait beau demain j’irai. S’il pleut je n’irai pas ». Je me réveille le matin en espérant qu’il pleuvrait, il y avait un soleil magnifique, alors j’y suis allée, rue Leredde. On était je ne sais combien. Je crois bien que tout Paris y est passé, même Sylvie Vartan. Tout le monde passait des auditions pour Mary Poppins.

DLODS : Est-ce que vous avez passé une audition distinctement pour la voix parlée et la voix chantée?

Oui j’ai fait les deux.

DLODS : Comment s’est déroulée l’audition ?

J’ai chanté ce qu’ils me demandaient, et puis nous sommes passés à l’air « Pour nourrir les p’tits oiseaux ». Dans cette chanson, il y a un son très grave, qui n’était pas un problème pour moi, l’aigu étant plus problématique que le grave. Donc j’ai fait cette note tout à fait normalement, et là les deux techniciens dans leur petite cabine sont sortis en disant « celle-là, elle l’a ! » (rires). Et je pense que c’est à cause de ça que j’ai été prise. Et puis il y a quand même aussi le fait que j’avais le même timbre que Julie Andrews. C’est Philippe Bouvard qui a remarqué ça. Dans l’une de ses émissions, il a pris la petite chanson « Le morceau de sucre » et il l’a mise en alternance en anglais et en français, on ne sentait pas de différence de timbre de voix. Il s’en était rendu compte.

Eliane Thibault en 1965, interviewée à propos de Mary Poppins


DLODS : Comment avez-vous trouvé le film et le personnage de Mary Poppins ?

Adorable, charmant. Ce n’était pas une sorcière, c’était une fée ! (rires)

DLODS : Comment se faisait le doublage des chansons ? Avez-vous assimilé rapidement la technique ?

Il y avait une portée qui défilait, avec le texte en dessous. Et autant le texte, on ne savait rien à l’avance, mais pour la musique on répétait beaucoup. Mais je pense que quand on est musicien, on est aidé même pour le texte. Quand vous écoutez bien l’anglais, vous sentez qu’il y a un rythme, alors vous dites les paroles françaises dans le rythme de l’anglais. Moi je n’en avais jamais fait, et j’ai compris du premier coup. Ils n’en revenaient pas, et moi non plus d’ailleurs ! D’ailleurs à un moment les deux techniciens pour le texte sont sortis et m’ont dit «- Soyez gentille d’aller un peu moins vite… » «- Pourquoi ? » « -Vous, vous êtes payée au forfait, mais nous nous sommes payés à l’heure, donc nous avons intérêt à ce que ça dure ! » (rires). Alors il faut se mettre bien avec tout le monde dans ce métier. Du coup, de temps en temps je me trompais. Et hop, on recommence ! (rires). C’est un métier, il faut penser à tout !

 DLODS : C’est une technique qui n’est pas facile. Certains grands acteurs ont essayé d’en faire et n’ont pas réussi.

Je me souviens de Lucette Raillat, qui chantait « La môme aux boutons », la chanson de Bourvil. C’était une jeune femme, drôle, comique. Et dans un doublage que j’ai fait, on l’a appelée pour un rôle, et elle en a été incapable. Ca n’a jamais été synchrone. C’est curieux ! On essayait tous de l’aider et il n’y avait rien à faire. Trop de personnalité, peut-être. Parce qu’il faut laisser de côté sa personnalité pour faire du doublage.

DLODS : Pour en revenir à Mary Poppins, vous souvenez-vous des chansons du film ?

Oui, surtout « Supercalifragilisticexpialidocious »… Les enfants s’en souviennent. Et les parents autour de moi me disaient « On en a marre d’entendre ta voix à la télé », ils écoutaient ça en boucle (rires). En vacances dans les Pyrénées d’où je suis originaire, les petites cousines m’amenaient tout le temps des copines à elle quand j’étais en pleine conversation. Je ne m’étonnais même plus, je me retournais et je chantais « Supercalifragilisticexpialidocious » (elle chantonne), je sortais un petit couplet et je reprenais la conversation. Elles venaient pour ça (rires) ! Ah, ça a beaucoup marqué les enfants !

DLODS : Vous pouvez me le faire (rires)?

Mais je viens de vous le faire (rires). Ce qui était difficile, c’est qu’à un moment donné dans le film elle disait ce mot là à l’envers. Alors, une fois, deux fois, trois fois… je n’y arrivais pas ! Et je dis à l’équipe « Ecoutez, vous me le marquez sur un papier, et puis je travaille ce soir, et demain matin, vous branchez et ça sera la première chose que je ferai en arrivant». Alors je l’ai fait du premier coup, mais dans le taxi, je n’y arrivais pas à l’envers… C’était difficile!

DLODS : Avez-vous eu des difficultés sur d’autres chansons ?

Quand elle chante « Le morceau de sucre », à un moment donné il y a une vocalise dans la glace qui lui répond. Alors je me faisais du soucis pour ça, je me disais cette vocalise est aigue, moi je n’ai pas cet aigu. Je leur ai dit « Il n’y a pas de problème car avec ma sœur on a la même voix, s’il le faut elle viendra faire la vocalise dans la glace ». Ils m’ont dit « Ce n’est pas la peine, Julie Andrews non plus n’a pas la voix aigue, c’est quelqu’un d’autre qui a fait cette vocalise dans la version originale », donc ils ont gardé la vocalise qui se trouvait sur la bande orchestrale. C’est vrai que Julie Andrews a une voix assez grave comme moi. Je donne l’impression d’aigu, mais je chante plutôt grave.



DLODS : Quels souvenirs gardez-vous de vos partenaires ?

La direction musicale était d’André Theurer et il me semble que les dialogues étaient dirigés par Serge Nadaud. Michel Roux doublait mon partenaire (Bert). Il était très gentil, mais il travaillait tellement ce garçon, que quand ce n’était pas à lui, il dormait ! Je ne sais pas comment il faisait… Il disait « - Bon, ben à tout à l’heure ! » cinq minutes, pan, il dormait. On lui tapait sur l’épaule « -C’est à toi ! » et il revenait. Mais autrement il était très gentil.

DLODS : Et Monsieur et Madame Banks ?

Tous les comédiens ont fait la voix parlée et la voix chantée de leurs personnages. La mère était doublée par une charmante comédienne, avec une voix acidulée (Nicole Riche, ndlr). Pour ce qui est du comédien qui doublait le père (Roger Tréville, ndlr) d’habitude je dis toujours du bien de tout le monde mais là il était d’une prétention, d’une suffisance. Je n’ai pas eu d’histoires avec lui, mais il en a eu avec presque tout le monde. C’était incroyable ! Il était très bien, mais il était pontifiant. Je n’aime pas les gens comme ça…

DLODS : Quelqu’un a relevé le nom de Guy Marly dans l’ancien générique. Doublait-il l’Oncle ?

Richard Francoeur
Non ce n’est pas lui, car Guy Marly était un copain, j’ai fait pas mal d’opérettes avec lui. L’Oncle était doublé par un comédien qui était très capable de chanter. C’est drôle car les voix et les physiques sont un peu les mêmes. C’était un rondouillard qui avait un gros nez, mais je ne me souviens plus de son nom. Il doit être mort aussi. Je vois déjà l’âge que j’ai, et il était plus âgé que moi. (Il s’agissait en fait de Richard Francoeur, ndlr). Les noms ne sont pas marqués sur le DVD ?

DLODS : Non, le doublage n’est pas noté dans le générique du DVD.

Quand le film est sorti en 1964, à la fin il y avait écrit en gros mon nom et celui de Michel Roux et ensuite les voix françaises défilaient. Mais après ils l’ont supprimé.



"Pour nourrir les p'tits oiseaux" (version disque) par Eliane Thibault

DLODS : Savez-vous pourquoi Disney n’a jamais sorti de disque avec les chansons en français ?

Je ne le sais pas. J’ai fait un disque de Mary Poppins, mais c’est en dehors du doublage, c’est ma maison de disques Decca qui me l’a fait faire. Je me souviens de la séance de photos, c’est moi qui avais confectionné le chapeau (rires). Et ce n’est pas tout à fait les mêmes paroles. Parce que pour des problèmes de synchronisme on est obligé de dire certains mots qui ne sont pas toujours très jolis, donc pour le disque on a corrigé cela.

DLODS : Dommage, car pour beaucoup d’autres films, comme Le Livre de la Jungle, on peut trouver le CD avec les chansons françaises.

On m’avait demandé pour Le Livre de la Jungle ! C’était pendant que j’étais en tournée avec Un violon sur le toit.

DLODS : C’est Lucie Dolène qui a finalement fait la voix de la petite fille.

Voilà ! J’étais en province et je leur ai téléphoné pour leur dire que je ne pouvais pas venir.
Je n’ai jamais rencontré Lucie Dolène, mais je sais qu’elle a chanté La belle Arabelle, que j’ai chantée moi aussi mais en province. Je devais l’interpréter aussi à Paris mais j’étais prise sur Mon p’tit pote qui est restée longtemps à l’affiche.

DLODS : Après la sortie de Mary Poppins, avez-vous rencontré Julie Andrews ? Est-ce qu’il y a eu des événements particuliers pour la sortie?

Non, je ne l’ai pas rencontrée. Par contre, j’ai été invitée à La Terrasse Martini, sur les Champs Elysées avec toute l’équipe du doublage, et Walt Disney était tellement content de mon doublage qu’il m’a envoyé le parapluie et le sac de Mary Poppins. Donc j’ai été en France la première à avoir un parapluie automatique !


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Eliane Thibault : Supercalifragilisticexpialidocious ! (Partie 1/3)


Entretien réalisé par Rémi C. le 06/11/10

La voix d’Eliane Thibault reste indissociable du personnage de Mary Poppins qu’elle a doublé il y a maintenant quarante six ans. Même en faisant abstraction du personnage et des souvenirs qui y sont attachés, on tombe sous le charme de cette voix à la fois fraîche, sérieuse et drôle. Un mélange étonnant. Ecoutez la voix d’Eliane Thibault et un doux sourire se dessine sur votre visage. On lui dit qu’elle a un « sourire dans la voix ». C’est peut-être ça, son « truc ».

Cela faisait quelques années que j’essayais de retrouver sa trace, feuilletant les annuaires, laissant des annonces sur internet, interrogeant les choristes de sa génération. Et il avait fallu me rendre à l’évidence : depuis 1972, personne ne savait ce qu’elle était devenue. C’est finalement par un sacré coup de chance que nos routes se sont croisées.

Je tiens à remercier chaleureusement Jocelyne Lacaille et Jack Ledru sans qui cette rencontre n’aurait peut-être jamais eu lieu, et Eliane Thibault pour son charmant accueil.


Dans l’ombre des studios : Vous faites partie d’une grande famille de chanteurs lyriques…

Oui, mon père Jean Claverie était basse à l’Opéra de Paris. Il chantait Mephisto, et tous les Wotan. Ma cousine, Martine Claverie était dans les chœurs de l’Opéra de Paris. (Elle me montre une photo). Lui c’est mon oncle, le frère de mon père. Il chantait à l’Opéra-Comique, des basses bouffes. Ma soeur Michèle Claverie a fait une carrière dans l’opéra et dans l’opéra comique, elle a chanté de grands rôles ! Juliette de Romeo et Juliette, Rosine du Barbier de Séville, etc. Et son mari Claude Calès est chanteur lui aussi.

DLODS : Avant de venir chez vous j’ai écouté des enregistrements de votre sœur, dont le magnifique chant indien de l’opérette Rose-Marie

… que ma mère, Marguerite Thibault, a créée pour la première fois ! Ma mère faisait de l’opérette, mais malheureusement, elle a été paralysée après ma naissance et celle de ma sœur et a été obligée d’arrêter une brillante carrière.



Michèle Claverie, soeur d'Eliane Thibault chante "Chant Indien" de l'opérette Rose-Marie

DLODS : Vous avez la même voix que votre soeur!

On a exactement le même timbre, mais elle a une voix beaucoup plus étendue. Elle monte jusqu’au contre-ré, contre-fa, contre-mi… Elle a une voix magnifique! Et depuis l’enfance ! Elle chantait Les Clochettes de Lakmé à cinq ans, et les gens croyaient que c’était une femme qui chantait ! Elle était un petit génie ! On a fait des disques ensemble, des disques religieux. On chantait en duo, elle la voix aigue et moi la voix grave et ça faisait exactement les deux mêmes timbres. C’était très drôle parce que maman aussi avait la même voix, un peu plus grave que la mienne, alors au téléphone ça donnait «- Non c’est sa mère », «-Non, c’est sa fille », «- Non, c’est sa sœur » (rires)!

DLODS : Depuis vos débuts dans les années cinquante, vous avez quasiment gardé la même voix…

Mais c’est ce qui vieillit le moins !

DLODS : Peut-être mais la voix se transforme avec l’âge, et il me semble que les différences se remarquent d’autant plus sur les « jeunes premiers » et « jeunes premières » que sur les comiques ou personnages de caractère. Et vous, vous avez gardé une fraîcheur rare…

A cause de cette fraîcheur, il paraît que j’ai du « rire dans la voix ». C’est peut-être pour ça que j’ai fait beaucoup de disques pour les enfants. Je ne les ai même plus, car évidemment la famille m’a dépouillée ! A chaque fois qu’il y avait un enfant, hop ! J’ai fait une série de disques très mignonne sur les régions de France qui s’appelait Le Petit Train de la Télé. Jacques Fabbri faisait le conducteur du train, et moi j’étais Soufflette, la locomotive qui faisait marcher le train. Alors toutes ces explications, c’était très intéressant ! D’ailleurs, on avait eu un prix pour ce disque! Et je parlais comme cha, je choufflais. Je racontais la Provence, la Bourgogne, et tout ce qu’on y trouvait. C’était une belle idée.

DLODS : Quelle est votre formation ?

J’ai d’abord appris le chant avec mon père. Et puis j’ai fait deux années au Cours Simon, en comédie. Parce que je ne voulais pas chanter. Peut-être parce que j’entendais trop chanter à la maison ! Je voulais être comédienne. J’aurais bien aimé rentrer au Français, d’ailleurs. Mon répertoire c’était les soubrettes de Marivaux, et ça me plaisait beaucoup, mais Simon n’a pas arrêté de me tanner en me disant « Tu as un physique d’opérette, avec ta famille tu dois avoir un brin de voix ! Donc tu devrais chanter, tu percerais beaucoup plus vite ». Alors finalement je me suis présentée au Conservatoire, dans la classe d’opérette, et j’ai été reçue. Et je n’ai jamais passé le concours, parce que pendant le conservatoire, j’ai été contactée pour passer une audition. Il y avait quelque chose à chanter, ça s’appelait Les vieillards amoureux, au Théâtre de Poche. Je m’en souviens, j’étais toute jeune ! C’est là que je me suis appelée Eliane Thibault, pour laisser le nom de Claverie à ma sœur qui avait une voix d’opéra.

DLODS : Comment s’est passée l’audition ?

Quelqu’un dans la salle, Guy Lafarge, m’a dit « On cherche quelqu’un comme vous à l’Européen pour Mon p’tit pote, une opérette de Jack Ledru». Alors j’ai passé les auditions, et j’ai été prise. Donc j’ai fait à peine un an et demi de conservatoire… et Mon p’tit pote s’est joué cinq ans !


Eliane Thibault chante un air de Mon p'tit pote en 1957

DLODS : Parlez-moi un peu de votre personnage de Mon p’tit pote

Jack Ledru
Il s’agissait d’une petite pompiste amoureuse de Roger Nicolas. A un moment je me souviens qu’il se présentait déguisé avec un accent étranger, il était très drôle. J’avais pour rivale Cora Camoin, qui jouait une vamp. C’était une très jolie opérette, un peu policière. La musique de Jack Ledru était ravissante.

DLODS : J’ai lu que vous avez joué dans une opérette avec Fernandel.

C’était un enregistrement sonore, on a eu des prix d’ailleurs. J’ai fait Ignace avec lui, et puis Mamz’elle Nitouche. Il était adorable, Fernandel… C’était un être vraiment charmant, attachant. Et puis cette faconde !

DLODS : C’était un grand personnage ?

Ah oui … Et quand on a fait l’une de ces deux opérettes, on avait rendez-vous dans le bureau de Guy Lafarge qui était directeur artistique chez Decca/RCA pour se rencontrer et en parler. Je venais tout juste de perdre mon père, que j’aimais énormément. Et puis est arrivée la personne qui s’occupait des pochettes dans la maison, elle est entrée et elle me prend dans ses bras en me disant « Oh ma p’tite Eliane, je sais ce qui vous est arrivé » et naturellement je tombe en sanglots. Guy a de suite dit à Fernandel, qui était un peu ennuyé « Elle vient de perdre son papa »…et il s’est mis à pleurer lui aussi. Parce qu’il était très proche de sa fille, Josette… Beaucoup de cœur cet homme-là.

DLODS : Quel est votre plus beau souvenir d’opérette?

C’est quand même Mon p’tit pote. C’étaient mes débuts, avec une troupe très soudée. Et ça a duré cinq ans. Et puis après bien évidemment se sont enchaînées des représentations en province et un peu de répertoire, des comédies musicales, des choses comme ça. Alors là vous passez huit ou dix jours ensemble et on ne se voit plus. Parfois on retombe sur les mêmes mais pas tous ensemble, donc ce n’est pas pareil. J’ai un beau souvenir aussi de la tournée de Un violon sur le toit.

DLODS : Avec Ivan Rebroff ?

Voilà. Ca a été joué deux ans, dont un an en tournée.

DLODS : Et vous chantiez en français ? Car Ivan Rebroff chantait dans toutes les langues.

Oui, et il les parlait aussi. Il avait un père russe et une mère allemande. Il parlait très bien français et italien. C’était quelqu’un d’adorable, pas du tout vedette, charmant.

DLODS : Il semblait pourtant très possédé par ses personnages lors de ses apparitions télévisées, presque fou…

Oui il jouait un peu un personnage, mais dans la vie avec les gens qu’il connaissait bien il n’était pas du tout comme ça. Et alors, quel appétit ! Avant d’entrer en scène il ouvrait des boîtes de sardines, il les égouttait à peine, les prenait par la queue et les gobait comme un phoque. Toute la boîte y passait. « Encore une autre ! », et il recommençait. C’était fou !

DLODS : Quel rôle interprétiez-vous ?

Je faisais Fruma Sarah, le grand fantôme.

DLODS : Il y a eu aussi une adaptation cinématographique d’Un violon sur le toit

Oui c’est vrai, j’en ai fait le doublage. Je trouve que le film était très bon, parce qu’il y avait vraiment le cimetière, les feuilles mortes qui s’en vont. On peut faire les choses beaucoup mieux qu’au théâtre évidemment. 


Eliane Thibault double le fantôme de Fruma Sarah , personnage qu'elle a interprété sur scène aux côtés d'Ivan Rebroff

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