dimanche 23 décembre 2018

Danielle Licari et Jackye Castan : Rhapsodie pour deux voix (Partie 3/3)

Pour lire, la précédente partie de l'article (Partie 2), cliquez ici.
(Partie 1/3: Enfance et débuts de Danielle Licari et Jackye Castan, Partie 2/3: Les Fizz et les grandes années studio, Partie 3/3: Le Concerto pour une voix et l'après-Barclay)



Concerto pour une voix… et un piano

Saint-Preux
En 1969, alors que Danielle est toujours très sollicitée comme choriste, un événement va la faire passer de l’ombre à la lumière : « J’étais dans le studio A du studio Davout avec deux autres filles pour faire des chœurs. Dans le studio B, juste à côté, Saint-Preux, essayait d’enregistrer « Le Concerto pour une voix » avec un instrumentiste. Ca ne collait pas, alors le technicien désespéré lui a dit « dans l’audi d’à côté, il y a Danielle Licari ». Le technicien est venu me chercher, m’a présenté à Saint-Preux que je ne connaissais pas. On m’a donné la partition, il n’y avait aucune parole d’écrite puisque c’était fait pour être joué par un instrument, donc j’ai fait des onomatopées, en deux prises c’était bon. J’ai signé une feuille de présence de choriste, sans me rendre compte du succès futur. »

En effet, le disque, sorti en décembre 1969 chez AZ et Festival, provoque un ras-de-marée.
Grâce à Roland Vincent (compositeur pour qui elle avait notamment chanté les chœurs de Chez Laurette (Michel Delpech)), Danielle signe chez Eddie Barclay, qui lui propose alors de lui faire réenregistrer le concerto chez Barclay (avec un nouvel arrangement, signé Pierre Porte) afin qu’elle puisse profiter financièrement de son succès et se lancer dans une vraie carrière soliste.


Danielle Licari: Concerto pour une voix

Dans la lignée du Concerto pour une voix, la plupart des chansons qu’elle enregistre pendant sa carrière soliste chez Barclay sont constituées des paroles les plus universelles qui soient : des onomatopées (parmi les rares exceptions : « Tout autour de la Terre » de Roland Vincent et « Je balance » sur une musique de Jackye et des paroles de Charles Level). Comment constituait-elle son programme ?
Jackye au piano
« Avec le directeur artistique Jean Claudel et Jackye, on discutait de ce que j’allais enregistrer. Je cherchais dans mes souvenirs classiques des mélodies qui me plaisaient et que je pouvais chanter sans texte, à la manière d’un instrument. J’avais le choix final, on ne pouvait pas m’imposer un titre, car il fallait que je sois bien dedans. Avec Jackye, je répétais, car il y avait beaucoup de mises en place. Et on voyait ensuite dans quel ordre mettre les morceaux dans le disque : alterner les airs tristes et gais, etc. c’était tout un travail car comme il n’y avait pas de texte il ne fallait pas lasser les gens. »
Des classiques (Concerto pour piano et orchestre de Tchaïkovsky, etc.), mais aussi des créations originales, des airs de musiques de film ou de folklore. Quand on lui demande pourquoi elle ne s’est pas « attaquée » à la musique brésilienne : « J’aimais beaucoup mais je ne pense pas que ça aurait marché ; les gens n’avaient peut-être pas l’oreille pour. »

Au fil des sorties des disques, Danielle fait quelques « promos » à la télévision, mais toujours grâce à l’invitation d’autres artistes comme Sacha Distel, Jacques Martin ou un certain… Louis de Funès.
« Avec plusieurs amies choristes (Anne Germain, Christiane Cour, Françoise Walle, etc.) nous avons joué les bonnes sœurs qui chantent avec Louis de Funès dans « Le Gendarme et les Extra-terrestres » (1979). Je me souviens qu’il faisait tellement froid que nous avions gardé nos pantalons sous nos robes. Louis de Funès, qui était un homme intéressant, m’avait demandé après ça de chanter dans une émission de Drucker.»

Scène des Gendarmes et les Extra-terrestres (solistes: A. Germain, C. Cour, F. Walle et D. Licari)
suivie de "Rhapsodie pour deux voix" (musique : Jackye Castan)

Soirée d'Eddie Barclay avec Danielle
Le succès en France des disques de Danielle reste assez limité. « Le concerto tout le monde connaissait, quand c’est passé en radio la première fois ça a fait un succès terrible. Mais pour ce qui est du reste, à part Serge Reggiani qui a voulu que je sois vedette anglaise dans son programme à l’Alhambra, ça n’a pas pris. »
En revanche, Barclay distribue ses disques notamment au Japon et au Canada où le succès est énorme. « Barclay s’est vraiment bougé, ils ont fait ce qu’il fallait, et grâce à Marouani je suis partie en tournée. »
Jackye se souvient de ce premier concert canadien: « On a fait le choix des morceaux, répété toutes les deux et décidé de prendre, en plus de Danielle au chant et moi au piano, six musiciens (dont Pierre Defaye au violon) et un couple de danseurs. Sans se le dire, chacune de nous pensait « on va se prendre une gamelle » ; on est arrivé à la salle des Beaux-Arts à Montréal… et on a fait un triomphe. Les gens étaient debout, alors que nous n’avions rien prévu pour les rappels. Ça fait partie des plus grandes émotions de ma vie. Et on a continué sur cette lancée dans tout le Canada. Je me souviens d’une interview pour la radio canadienne, le journaliste dit à Danielle « Beaucoup de gens avant de s’endormir fument un joint et écoutent vos disques ! » (rires) ».
Danielle reste très attachée à son public canadien : « Il m’est resté très longtemps fidèle, et c’est grâce à des labels canadiens que j’ai pu sortir mes derniers disques, Lonely Shepherd (1984) et Danielle Licari chante les plus grands (1995) ».

Danielle fera une tournée au Brésil et plusieurs tournées au Canada ou au Japon, où elle apprendra phonétiquement des phrases en japonais pour parler au public et présenter ses chansons. « Je voulais expliquer ce que ces chansons, qui n’avaient pas de texte, représentaient pour moi. J’avais demandé à Barclay s’ils pouvaient trouver une traductrice afin de m’écrire  mes textes de présentation en japonais. On m’a donné un texte mais on m’a fait remarquer après un concert que c’était écrit comme si c’était un homme qui parlait, ce n’était pas assez féminin, dans la langue japonaise il y a une vraie différence de langage si c’est un homme ou une femme qui parle. Du coup une autre traductrice a refait le travail, et c’était beaucoup mieux. »
A propos du public japonais : « Le public était extraordinaire. Quand au Japon on finissait de chanter, il y avait un espace d’une seconde de silence puis c’était un flot d’applaudissements. Les gens attendaient que la dernière note soit jouée pour se manifester afin de ne pas gêner les artistes, je n’avais jamais vu ça. Et à Hiroshima, des gens qui étaient venus me voir en loge pleuraient, je leur faisais des dédicaces sur le dos, les bras, etc. Ils étaient très sensibles et impressionnés. C’est un souvenir incroyable. »

Vocalement, tenir un tel récital relève de l’exploit. « Je faisais des concerts de deux heures : une heure, quinze minutes d’entracte et de nouveau une heure. Beaucoup de choses que j’ai enregistrées étaient très difficiles pour la respiration, comme il n’y a pas de mots. Sur scène il fallait que ce soit le plus parfait possible, malgré le trac. Mais ça s’est toujours très bien passé. »
Jackye surenchérit : « Monter les contre-uts, faire deux heures de vocalises et une ou deux chansons avec texte (dont l’air des Parapluies de Cherbourg), il fallait le faire. Elle a une voix en béton. Jusqu’à présent, personne n’a pu faire ça en solo sur scène».
Et quand la santé n'est pas au rendez-vous, la scène produit des miracles inexpliqués, comme s'en souvient Danielle: « Quand on est sur scène, ce n’est pas du tout comme dans la vie normale. Je me souviens d'un retour de croisière, j’étais très enrhumée, je me mouchais sans arrêt, à tel point qu'en prévision j'avais mis une boîte de mouchoirs dans le piano. Pendant les deux heures du concert, je ne n’ai pas eu besoin de me moucher une seule fois. Je rentre en coulisses et là ça recommence. C’est une sensation bizarre...»

Danielle Licari : Licari Sound (1980)
Musique de Jackye Castan

Pour avoir un programme de chansons « sur mesure », Danielle peut compter sur Jackye comme compositrice, pianiste et arrangeuse. « Je composais déjà un peu, mais par amour pour Danielle je me suis mise à prendre des cours d’harmonie avec Julien Falk (grand professeur d’harmonie, et beau-père de notre amie choriste Alice Herald) et André Hodeir, afin de m’enrichir musicalement. Je n'ai certes pas composé "Le Concerto pour une voix" mais je lui ai quand même composé quelques airs qui ont bien marché ("Rhapsodie pour deux voix", "Licari Sound", "Planet 2000" (paroles d'Eddy Marnay), etc.) et elle a pu faire sa carrière avec une épaule sur qui s’appuyer.»
Le morceau "Licari Sound" offre à Danielle la possibilité de montrer un concentré de ce qu’elle fait de mieux.

Jackye Castan dirigeant une
séance d'orchestre (studio Hoche)
Jackye se souvient de sa première séance de chef d’orchestre : « La première fois où j’ai dirigé un orchestre, c’étaient quarante musiciens, au studio Hoche (Barclay). Quelle émotion, j’en tremble encore ! Connaissant la triste mentalité des musiciens et la misogynie régnant à l’époque, ce n’était pas gagné d’avance. Choriste ça passait, pianiste ça passait, mais chef d’orchestre, non, ça ne passait pas. Je sentais déjà des regards ironiques et hostiles. Pour couronner le tout, le morceau que j’allais diriger était de ma composition et de mon orchestration, « Sagittarius » pour Danielle. J’allais m’enfoncer comme dans un sous-bois, accompagnée d’une multitude de notes, en espérant voir enfin le jour ! Les fausses notes pour me « tester » n’ont pas tardé à fuser, heureusement j’ai l’oreille absolue donc je les ai calmés, et Roger Berthier a mis bon ordre à tout ça. C’était ça le calvaire des femmes au quotidien : toujours avoir besoin d’un homme pour se défendre. » 
Jackye garde un autre souvenir, assez étrange, de cette « première fois » : « Quand on dirige un orchestre, on entend instantanément les premiers pupitres (comme les violons), mais le son des instruments qui sont au fond (les contrebasses, etc.) nous arrive avec un très léger retard, ce décalage est très perturbant, et si on ne fait pas attention, on ralentit. Cela m’a fait faire un cauchemar pendant plusieurs années : je suis sur un bateau, j’entends les premiers pupitres, et avant que n’arrive le reste de l’accord il se passe un laps de temps que je n’arrive pas à contrôler, la proue du bateau n’arrive pas à se soulever pour m’envoyer le reste des notes ! »
                
Jackye est rapidement sollicitée comme arrangeuse pour des artistes autres que Danielle: « J’ai longtemps travaillé pour Pierre Porte, qui m’a fait confiance et je l’en remercie. Je faisais ses orchestrations pour plusieurs émissions de variétés dont il dirigeait l'orchestre comme les émissions de Jacques Martin : Taratata, Musique and Music, etc. » On la voit aussi régulièrement comme pianiste dans ces émissions.

Thierry Le Luron
Elle est aussi arrangeuse pour un spectacle de Thierry Le Luron : « On m’avait demandé de venir chez Thierry Le Luron pour tester les tonalités de ses chansons afin d’écrire ses arrangements. Je gare ma voiture dans la cour de son hôtel particulier à Saint-Germain-des-Prés. Il n’était pas réveillé et je l’ai attendu pendant deux heures, avant qu’il ne se lève, la voix complètement en vrac, ce qui n’était pas pratique pour tester les tonalités (rires). Après ça, je suis repartie en métro, et en rentrant Danielle me dit « Où est la voiture ? ». Comme je suis un peu tête-en-l’air, et que j’avais été énervée et perturbée de l’avoir attendu pendant autant de temps, j’avais oublié ma voiture chez lui ! (rires) »

Jackye compose les génériques et musiques de plusieurs émissions de Gérard Majax, comme La Caverne d’Abracadabra : « J’ai connu Gérard lors de la fameuse tournée avec Michel Delpech et Mireille Mathieu. J’aimais bien la magie, et Gérard était très sympa. Il m’a demandée de l’accompagner au piano dans une émission de télé. J’étais en cabine avec mon piano et n’avais pas de scénario, ni aucune musique écrite, tout était dans l’improvisation, suivant ce que Gérard faisait devant moi. Je soulignais ce qu’il faisait par des musiques, je faisais parfois des impros jazzy, bossa nova, etc. comme au temps du cinéma muet. Le problème de l’improvisation, c’est que quand il a fallu déclarer à la SACEM mes musiques afin de toucher quelques sous, il a fallu que je réécoute toutes les émissions et relève, en dictée musicale, tout ce que j’avais improvisé. L’horreur ! (rires) J’étais épuisée. »
Elle arrange en outre en 1978 la musique du film Hôtel de la plage composée par Mort Shuman.

Gilbert Bécaud et ses choristes
(C. Chauvet, J. Stout, A. Rippe,
C. Garret, B. Houdy et J. Castan)
Pendant cette période, Jackye continue les séances de chœurs en studio, concerts et télévision (notamment pour Gilbert Bécaud). Danielle continue à en faire également en studio (musiques de film, variétés, doublages, etc.), mais en revanche ne peut plus apparaître comme simple choriste lors de concerts ou émissions de télévision. Elle trouve la parade en portant occasionnellement une perruque brune (émission Podium 70, concerts de Jerry Lewis à l’Olympia (1976), etc.).


Charles Aznavour et Danielle Licari: Mon émouvant amour (1980)

Ce statut de célébrité lui permet d’être plus souvent créditée sur les pochettes de disques lorsqu’elle fait une voix d’accompagnement, et d’être présentée au public par les artistes qu’elle accompagne en tournée, comme Charles Aznavour en 1980 : « J’ai fait une tournée avec lui aux Etats-Unis et en Italie, nous chantions deux chansons en duo, « Mon émouvant amour » et « Ave Maria », mais j’étais en guest star, on me présentait. Une fois j’ai eu un très bel article à New-York.»
Charles Aznavour et Danielle Licari
De son côté, Jackye est pianiste sur cette tournée : « Charles, en interprétant, se baladait beaucoup rythmiquement. L’erreur que faisaient beaucoup de ses nouveaux musiciens était d’essayer de le suivre alors qu’il fallait tenir le rythme car il savait où il allait et retombait toujours sur ses pattes. Evidemment, les nouveaux étaient toujours un peu surpris. Je me souviendrai toujours d’un grand guitariste, qui venait d’arriver dans la tournée. Lors de sa première répétition avec nous, il s’arrête et dit : « Excusez-moi, vous pourriez chanter un peu plus en mesure ? ». Charles a cru à un gag. »
Danielle se souvient d'un concert en Belgique: « Il y avait dans la première partie Jean-Paul Dréau (compositeur du "Coup de soleil" pour Richard Cocciante). Malheureusement, le son tombe en panne. Jean-Paul s’assied en bord de scène, et chante sans micro, sa voix portait bien. Une fois sa chanson terminée, pour détendre l'atmosphère, il dit « Je vais vous raconter une histoire: vous savez pourquoi les pets sentent mauvais ? Pour que les sourds en profitent » et là le public, qui venait voir Charles Aznavour, n'a pas rigolé, ça a jeté un grand froid, un bide incroyable. Jackye a rapidement enchaîné au piano.» 
C'est aussi au cours de cette tournée que Jackye expérimente l'un des premiers synthétiseurs: « Lorsque je suis arrivée dans l'équipe de musiciens de Charles, je n’étais pas du tout habituée aux synthés. Ils étaient d’une complexité terrible. Lors d'un gala, il arrive une chanson où je devais jouer l’intro avec un son piccolo. Manque de chance pour moi, la lumière tombe sur le synthé, je n’y vois rien, je me trompe de bouton et je joue avec un son atroce, façon moteur de bateau. J’étais dans un état épouvantable. Charles se retourne, et continue, imperturbable. Il n’en avait rien à faire, il aurait pu jouer sans orchestre, il se suffisait à lui-même. C'étaient ses chansons, elles faisaient partie intégrante de son individu. Et contrairement à ce que certains pensent, sa gestuelle n'était jamais la même en fonction des chansons. Lui et Gilbert Bécaud étaient des grands, des monuments.»  


L’après-Barclay

En 1978, Eddie Barclay vend les parts de sa maison de disque. « Pour Danielle, ça n’a pas été trop important car elle a pu avoir des contrats grâce à une amie, Marie-Christine Porte, qui travaillait au Japon et dans d'autres pays étrangers. Par contre, il y a eu un soucis avec les séances de chœurs. Installées confortablement dans notre métier avec notre savoir (lire vite) nous n’avons pas vu arriver le danger. De nouveaux choristes sont arrivés, beaucoup plus jeunes, ne sachant peut-être pas lire la musique, mais avec un son nouveau (Alain Chamfort, Daniel Balavoine, les frères Costa, les Fléchettes (groupe de quatre filles)). Les chefs d’orchestre se sont jetés sur ces nouveaux éléments. Il faut dire que certains avaient besoin d’un sang nouveau. Mais leur façon d’écrire les orchestrations n’a pas évolué pour autant. Ainsi va la vie… »

Danielle avec ses élèves
(Christophe Lambert et Richard Anconina)
Danielle se met à donner des cours particuliers de chant : « On avait arrêté les tournées –la dernière c’était pour Charles Aznavour aux Etats-Unis- et je donnais des cours à la maison pour Douchka, le Trio Esperança, Christophe Lambert et Richard Anconina (pour le film Paroles et musique (1984) d’Elie Chouraqui), etc.. Un jour, une jeune femme m’a demandée de la faire travailler car elle voulait intégrer une école qui était en train d’être créée par la SACEM. »
Cette école, c’est le Studio des Variétés. Danielle en parle à Jackye, qui va se renseigner auprès de la SACEM : « Je suis allée voir ce qu’il se passait, je leur ai demandé « Vous avez pensé à un pianiste répétiteur ? », j’ai lu comme un grand point d’interrogation dans leur regard (rires), avec tous les chanteurs qu’ils allaient former ils n’avaient même pas pensé à un pianiste accompagnateur. J’ai finalement postulé comme pianiste, devant un jury constitué notamment de Jean-Claude Petit, Pascal Sevran, etc. et j’ai été prise. »

Jackye entre donc comme pianiste répétitrice (bientôt rejointe par Gérard Gambus) et professeur de solfège, puis grâce au directeur du Studio des Variétés (Jean-Claude Ghanassia), fait entrer Danielle comme professeur de chant variétés (Christiane Legrand assurant les cours de chant jazz, et Nicole Falien le chant lyrique).

« Il y avait des gens biens dans l’équipe, comme Guy Bontempelli ou Bob Socquet. Bob était directeur artistique dans des maisons de disques, c’était lui qui avait eu l’idée de génie de réunir Alain Souchon et Laurent Voulzy. »

Dans leur enseignement au Studio des Variétés, le monde des chœurs n’est jamais loin : « Comme les élèves étaient parfois ennuyés par le solfège, j’avais eu une idée. Je prenais un disque, un Ray Charles par exemple, où il n’y avait pas de chœurs, et j’écrivais des chœurs. Tout le monde chantait autour du disque, c’était sympa, même si on y a passé du temps ; la plupart ne lisaient pas la musique donc il fallait leur apprendre voix par voix. »

Parmi leurs élèves, Marie-Charlotte Leclaire et Renaud Marx (deux comédiens que les voxophiles connaissent bien, l’une prêtant sa voix à Minnie et l’autre à John Travolta), Jacques Haurogné, Pierre Sayah, ou bien encore le fils de Bernard Fresson, qui les impressionne. « Plusieurs ont fait le métier, mais assez peu ont « percé ». Il y avait des jeunes qui y croyaient vraiment, écrivaient leurs textes, etc. et d’autres qui venaient un peu en dilettante. »
Danielle : « C’était dans notre petit circuit, ils n’étaient pas mis en lumière comme à la Star Academy, et n’étaient peut-être pas assez épaulés. »

En 1995, Danielle enregistre le dernier CD de sa carrière, Danielle Licari chante les plus grands, grâce à un ami de Jackye et elle, le guitariste Serge Eymard. Jackye tient à saluer son travail: « A l'époque, les croisières Paquet offraient une croisière à des artistes en contrepartie d'une prestation de leur part, en général un ou deux mini-concerts. Dans la même croisière que nous, il y avait nos amis Gérard Majax et Jean Roucas. En ce qui me concerne je devais jouer deux mini-concerts en trio jazz. Au cours des répétitions, nous avons rencontré Serge Eymard, guitariste très talentueux et très gentil. Rapidement à Paris, il s'est fait une place dans les séances d'enregistrement. Nous avons fait des tournées avec lui: Japon, Canada, etc. En 1990, Serge et moi avons fait un CD orchestral pour des publicités. C'était une idée de moi à la con, car ça n'a même pas rapporté un centime. J'avais composé les musiques et écrit quelques orchestrations, et sachant après coup tout le temps que Serge avait passé en studio, j'avais la honte. Et pourtant, quelques années plus tard, nous avons recommencé en faisant faire à Danielle son dernier CD dans le studio de Serge. A 58 ans, Danielle montrait que sa voix était toujours puissante et belle. Il y a beaucoup de beaux titres qu'on peut retrouver sur Youtube: Et maintenant, La Mer, Honesty, etc. Et vu le nombre d'internautes qui ont vu les vidéos, c'est formidable, et pour Danielle c'est que du bonheur. A l'unisson, nous te disons: merci Serge! »

Jackye et Danielle en octobre 2018
(Photo : Midi Libre)
En 2000, elles quittent Boulogne-Billancourt et s’installent dans un village à 12 kilomètres de Montpellier et 2 kilomètres de la mer :« Nous y avons fait venir la mère de Danielle, toute heureuse d’être auprès de sa fille. Comme nous venions auparavant tous les étés et certaines vacances dans le coin, nous y avions acheté un mazet dans la garrigue avec 5000 mètres carrés de terrain.
Tous les dimanches, rendez-vous au mazet avec mes copains musiciens, qui avaient eu la gentillesse de me garder une place au Jazz Club de Montpellier. Apéro, grillades, paëlla. Quand on avait fini, on faisait le bœuf. Le piano et la guitare étaient branchés sur groupe électrogène. Vu la chaleur et le reste, on faisait la sieste. Nos mamans n’ont jamais souffert de l’absence de petits-enfants étant donné qu’elles sont devenues nos enfants, elles nous suivaient partout. La mienne est décédée en 2003 à 87 ans, et celle de Danielle en 2004 à 103 ans. Ce fut très très dur, nous avons continué notre route sans elles. Puis au fil du temps, le jazz club a perdu des notes et des sons. Ainsi va la vie… Danielle a arrêté de chanter, quant à moi je continue de jouer du piano de temps à autre.
Roland Vincent
Nous avons la chance d’avoir retrouvé d’anciens amis au hasard de la vie, ils habitent Avignon. Roland Vincent, compositeur, et Cécile sa femme, éditrice de musique. Cécile et Danielle sont devenues très amies, elles se téléphonent pratiquement tous les jours. Quant à Roland et moi on s’échange quelques accords bien pourris, histoire de voir si nous avons toujours l’oreille absolue. Et puis on parle de l’âge d’or des séances d’enregistrement, et de nos souvenirs communs. La vie tranquille et simple. Malgré de très gros problèmes de santé que Danielle a surmontés avec une force inouïe, cela n’a pas altéré sa joie de vivre. Elle écoute beaucoup de musique sur Youtube, dans tous les styles. »


Danielle Licari : Tout autour de la Terre
(musique: Roland Vincent, paroles: Claudine Daubisy)

Si Danielle n'est pas du genre à se réécouter, à revoir des images d'elle, etc., Jackye tient à préciser : « Danielle est très discrète, mais je ne vous remercierai jamais assez de nous avoir envoyé des DVD d’archives, car ça c’est un bonheur. Elle était très émue que vous ayez fait tout ce travail, c’est un accompagnement musical et affectif extraordinaire. Et nous transmettre des mots de collègues, fans ou anciens élèves du Studio des Variétés nous fait toujours très plaisir. Merci, très cher Rémi!»

Ce qui frappe les personnes qui, comme moi, ont eu le bonheur de les rencontrer, c’est leur grande complicité, le tout avec beaucoup d’humour, d’admiration et de tendresse. « S’il y a des couples qui s’ennuient ce n’est pas nous, au bout de cinquante ans on a toujours des choses à se raconter. Nous avons eu la chance de croiser la route de grandes célébrités comme Ginger Rogers, la Reine d'Angleterre, Tom Jones, Jerry Lewis, Sammy Davis Jr, Liza Minnelli, Mannix, les Black Panthers, etc. On a rencontré aussi des gens formidables qu'on a aimés et qui nous ont aimés... »


INFOS ET BONUS


Danielle Licari, voix chantée de Thalie Fruges (Jenny) dans le téléfilm musical Perrault 70 (1970)
Musique de Christian Gaubert


Générique alternatif de Cendrillon chanté par Danielle Licari
(Redoublage partiel de 1978, inédit)


Vous pouvez vous procurer une compilation de Danielle Licari (avec ses plus grands succès, dont plusieurs compositions de Jackye Castan) sur le site de Marianne Mélodie : https://www.mariannemelodie.fr/fr/cd-chansons-lyrique/variete-francaise-annees-70/danielle-licari/7529340.html

Une page est consacrée à Jackye Castan (et Danielle Licari est évoquée par plusieurs arrangeurs) dans l’excellent livre de mon confrère et ami Serge Elhaïk qui vient de paraître : Les arrangeurs de la chanson française (2.160 pages, éditions Textuel).




Partie 1/3: Enfance et débuts de Danielle Licari et Jackye Castan, Partie 2/3: Les Fizz et les grandes années studio, Partie 3/3: Le Concerto pour une voix et l'après-Barclay

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6 commentaires:

  1. merci et bravo pour ce site et ses déclinaisons!

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  2. Un gros bisous à vous deux Danielle et Jackie. Un excellent souvenir des heures passées ensemble au Studio des Variétés. Amicalement. Jean Jacques Boulet

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  3. Quel belle voix et âme je voudrais bien rencontrer Danielle Licari. Je sais qu elle est venu régulièrement sur l île de Noirmoutier chez son amie Agnès.

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  4. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  5. Cette publication en 3 volets ferait un splendide documentaire en 3 parties, car c'est la bande son de toutes les personnes de 50 à 70 ans...voys imaginez? Avec de belles images d'archives, votre beau texte lu en voux off? Un rêve...

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  6. quand je pense que le jour ou j'ai commencer a travailler chez elle, je n'avais aucune idée de qui était cette dame !

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