Chanteuse soliste et
choriste, ondiste, chef de chœurs, Janine de Waleyne est certainement l’une des figures
les plus marquantes des studios d’enregistrement des années 60-70. Celle qui
fut la « Juanita Banana » d’Henri Salvador, et chanta tant de
magnifiques duos avec Jacques Brel, Léo Ferré, Boby Lapointe ou encore
Baden-Powell est décédée en 1987 dans la plus grande indifférence médiatique.
Reconstituer le fil de sa vie et de sa carrière d’interprète prolifique mais
peu souvent créditée sur les pochettes de disques fut un travail de longue
haleine, et n’aurait été possible sans les recherches parallèles d’Alaric Perrolier
(amateur éclairé de l’œuvre de Léo Ferré), la participation du fils de Janine,
Clément Bailly, percussionniste aujourd’hui expatrié au Laos, et les témoignages
de bon nombre d’amis choristes. Qu’ils en soient ici remerciés.
Jeanine Marcelle Duparcq de Waleyne naît le 2 mai 1921 à
Paris (10ème). Issue d’une famille de musiciens et d’artistes (elle
est parente du compositeur Henri Duparc ainsi que de Théodore Dubois, auteur d’un
célèbre traité d’harmonie), elle suit depuis la plus tendre enfance des études
musicales sous la houlette de sa mère, Madeleine Duparcq de Waleyne, pianiste
concertiste, élève de Maurice Ravel et amie de Marguerite Long ainsi qu’au
Conservatoire National de Paris.
A l’âge de huit ans, elle devient championne internationale
de danses rythmiques, et intègre vers l’âge de seize ans un quatuor d’ondes
Martenot (certainement celui de Ginette Martenot), l’un des tous premiers
instruments électroniques de l'histoire de la musique. Elle fait partie des Jeunesses musicales de
France, section folklore, joue même des ondes Martenot avec un bagad breton
dans les années trente, et collecte avec sa mère des chansons et des costumes traditionnels
de toutes les régions de France. Ces documents lui permettront plus tard de collaborer
à l’écriture du livre Costumes de notre
terroir de Charles Brun (1945). Janine de Waleyne participe à des tournées
en France et en Europe avec le groupe folklorique fondé par sa mère, ainsi qu’à
l’inauguration du Musée national des arts et traditions populaires (1937).
Janine vers 1939 (Remerciements à Matej Hanauer) |
En 1954, sur une idée d’Eddie Barclay, la chanteuse
américaine Blossom Dearie forme un groupe vocal de jazz moderne, les Blue Stars
of France. Pour cela, elle s’entoure de plusieurs chanteurs ou musiciens
chanteurs, parmi lesquels Christiane Legrand et Janine de Waleyne. Une première
en France. Janine n’enregistre que le premier disque et, fâchée avec Christiane Legrand, ne sera jamais associée à la
création des groupes vocaux de jazz qui vont se former par la suite (les Double
Six, les Swingle Singers, etc.), dans lesquels la soeur de Michel Legrand a une place
de premier plan.
Fin des années 50, les chanteurs de variétés sont alors
principalement accompagnés par des choristes lyriques, provenant en grande
partie de l’Opéra-Comique, comme le chœur Marguerite Murcier, qui accompagne
sur scène et en studio Edith Piaf, Luis Mariano, etc. Janine de Waleyne
pressent qu’avec l’évolution des styles musicaux, des arrangements et
l’expansion du marché du disque, les chanteurs vont de plus en plus avoir
besoin de choristes « modernes », rompus à tous les styles de chant
et notamment au jazz, pour les accompagner. Ces choristes, il faut les choisir,
les diriger vers les arrangeurs du moment en fonction de leurs besoins. Janine
s’engouffre dans ce créneau sans trop y croire. « Lorsqu’on a commencé à faire des chœurs vers 1955-1956, Janine
nous a dit « on va en profiter, mais je ne pense pas que ça durera plus de
deux ou trois ans ». Et finalement la grande époque des chœurs a duré bien plus
longtemps » se souvient Claudine Meunier (ex-Blue stars, Double Six et
Swingle Singers). Janine devient donc avec Christiane Legrand (puis plus tard Jean Stout et Danielle Licari) l’une des principales intermédiaires pour
le choix des chœurs. Plébiscitée par la plupart des arrangeurs parisiens, elle
fait rapidement la pluie et le beau temps dans le milieu des « requins de
studio », et s'entoure notamment de Jean-Claude Briodin, Jean Cussac, Michèle Dornay, Claudine
Meunier, Claude et Anne Germain. Cette position lui permet aussi de s’affirmer
comme chanteuse soliste.
Janine de Waleyne à la télévision
(Choeurs de "L'orange" avec Gilbert Bécaud, duo "L'été où est-il?" avec Boby Lapointe, soliste "Je suis un soir d'été" avec Jacques Brel, et répétitions avec Léo Ferré)
Son amplitude vocale exceptionnelle lui permet de tout faire. Pour Gilbert Bécaud, elle pousse les cris déchirants de « L’Orange » et participe à ses chœurs en studio, tournées, à l’Olympia (1967), etc. Pour Jacques Brel, elle chante en duo avec lui, sur scène et en studio « Demain l’on se marie » (1958), participe à l’enregistrement des dialogues de son poème symphonique Jean de Bruges (1965), chante les vocalises de « Je suis un soir d’été » (1968). Rarement créditée sur les pochettes de disque (les rares fois où elle l’est, son nom est une fois sur deux mal orthographié), on peut l’identifier grâce à son timbre reconnaissable dans les titres de bon nombre de chanteurs des années 60 : Jean Ferrat (soliste "Deux enfants au soleil", studio 1961 (réenregistrée quelques années plus tard dans un nouvel arrangement avec les vocalises de D. Licari) et Alhambra 1965), Alain Barrière (soliste « Ma vie », 1964), Sheila (choriste « Vous les copains », 1964), Antoine (soliste "Dites-moi ma mère", 1969), Gribouille (soliste « Les corbeaux », 1965, dans laquelle son interprétation n’est pas sans rappeler Yma Sumac), etc.
Medley Janine de Waleyne 1: Demain l'on se marie (duo avec Jacques Brel), L'espoir (soliste pour Léo Ferré), Ma vie (soliste pour Alain Barrière), La dispute (soliste pour la musique du film Les Galets d'Etretat, musique Georges Garvarentz), Naquele Tempo (duo avec Baden-Powell), L'étoile a pleuré rose (soliste pour Léo Ferré).
Mais s’il y a bien un artiste qui a révélé toute l’étendue
du talent de Janine de Waleyne,
c’est Léo Ferré. Dès le début des années
60, l’artiste utilise la voix de Janine comme un véritable instrument soliste
en studio et dans des concerts à Paris. Un grand respect mutuel les lie. Cette collaboration atteindra son
apogée pour l’enregistrement et les concerts (Opéra-Comique 1974, Palais des Congrès
1975) de l'oratorio La Chanson du mal-aimé (1972) où Janine prouve qu'elle peut aussi superbement chanter de manière « classique »
et pour l'enregistrement de l'album L’espoir
(1974) : dans ce dernier, elle accompagne Léo Ferré sur plusieurs titres
(« Je t’aimais bien tu sais », « Marie », « L’espoir »,
« Les amants tristes », « La damnation »), jonglant sur les couleurs, les
accentuations, les changements d’octaves. Une interprétation sublime…
D. Licari, J. de Waleyne, M. Dornay et M. Conti (Séance studio pour Léo Ferré, période 1964-1967) (Photo H. Grooteclaes) |
Baden-Powell et Janine |
Autre rencontre importante : le chanteur et guitariste
brésilien Baden-Powell qui, en tournée
en France, tombe sous le charme de la voix de Janine de Waleyne. La mode depuis
le début des années 60 et l’apparition du jazz samba étant d’engager des
vocalistes en accompagnement du guitariste-chanteur principal, Baden-Powell l'engage pour enregistrer plusieurs albums avec lui (parmi lesquels Images on guitar – Baden + Janine, 1972) et
Janine part en tournée avec l’artiste à Rio et San Salvador. Un Baden-Powell qu’elle
trouve génial lors de ses concerts, malgré un penchant malheureusement trop
prononcé pour l’alcool. Son fils Clément de Waleyne participe à cette aventure
comme percussionniste, les débuts d’une longue carrière de studio sous le nom
de Clément Bailly.
Medley Janine de Waleyne 2: Je t'aimais bien tu sais (soliste pour Léo Ferré), Andréa c'est toi (duo avec Boby Lapointe, voix truquée), Sur une plage (slow de Gérard Calvi), Larmes en sol pleureur (ondes martenot pour une musique de Michel Magne, voc. Christiane Legrand), Savez-vous... (soliste pour Maurice Chevalier), Venham mais cinco (soliste pour Zeca Afonso), La damnation (soliste pour Léo Ferré).
Boulimique de travail, Janine est partout et dans tous
les registres dans les années 60/70:
chœurs et soli dans des chansons en studio, sur scènes et en tournées (tournée
en Russie comme chef de chœurs pour Michel Legrand), comédies musicales (Paris Populi de Francis Lemarque en 1974), publicités,
jingles, musiques de films (le superbe blues du film Des pissenlits par la racine, le duo « La dispute » du
film Les Galets d’Etretat), de scène
(théâtre, cabarets). « Avec Janine de Waleyne nous avons même enregistré un duo pour le club Le Paradis Latin qui
s’appelait « Je suis ta pédale douce ». Autant te dire que nos fous
rires ont rendu l’enregistrement difficile! » se souvient avec
amusement et nostalgie son « collègue de micro » Michel Barouille. En
doublage en revanche, son travail est plus discret : pas mal de chœurs (Winnie l’Ourson (1966), Robin des Bois (1973)), quelques petits
soli dans des films (Oliver ! (1968), Pinocchio
(1975)), mais peu de « grands » rôles. On notera quand même sa
participation comme voix chantée de plusieurs personnages dans Dorothée au Pays des Chansons (1980). Elle
chante également plusieurs chansons du Kanapoutz de L’île aux enfants (1978).
Scopitone de "Juanita Banana" (1966) avec Henri Salavador et la voix de Janine de Waleyne
Femme de tempérament, Janine a dans la vie une véritable nature comique, exploitée par les chanteurs qui en font une Ulrika Von Glott (personnage de cantatrice déjantée créé par Marianne James) avant l’heure. Pour son ami Henri Salvador, elle fait les aigus de « Juanita Banana » sur l’air de Gilda de Rigoletto de Verdi et participe à plusieurs de ses chœurs comme « Minnie petite souris ». Pour Régine elle chante en duo "Pourquoi un pyjama?" (1966), pour Henri Tachan « Comme dans un opéra » (1981) et pour Maurice Chevalier « Savez-vous… » (reprise de 1965 de « Savez-vous planter les choux ? »). Pour Boby Lapointe, elle incarne la délirante fée de « L’été où est-il ? » (1967), chante avec lui « J’ai fantaisie » (1964), mais aussi « Andréa c’est toi » (1967), où sa voix, ralentie par l’ingénieur du son Pierre Roche, donne l’effet d’une parfaite imitation de Tino Rossi. En 1962, le compositeur Gérard Calvi, l’un de ses grands amis pour qui elle avait chanté le slow « Sur une plage » (1957), a l’idée de l’engager pour jouer dans la comédie musicale La Grosse Valse avec Louis De Funès et les Branquignols au Théâtre des Variétés. Elle y interprète plusieurs rôles, dont une chanteuse de blues black dans un duo avec un Louis De Funès déchaîné. Cet aspect comique est aussi exploité dans des fictions ORTF des années 60.
Medley Janine de Waleyne 3: Les amants tristes (soliste pour Léo Ferré), Faces in the dark (arrangement d'ondes martenot pour une musique de Mikis Theodorakis), Les corbeaux (soliste pour Gribouille), Comme dans un opéra (duo avec Henri Tachan), Blues du film Des pissenlits par la racine (voix truquée, musique de Georges Delerue), Marie (soliste pour Léo Ferré).
Dédicace de Léo Ferré à Janine (Photo Hubert Grooteclaes, vers 1964) |
Janine de Waleyne et Léo Ferré en 1975 (Photo Patrick Ullmann) |
Interprète
exceptionnelle, Janine de Waleyne est restée inconnue du grand public, à la
différence de Danielle Licari (Le
Concerto pour une voix) ou Christiane Legrand qui ont chacune connu une
certaine notoriété. Il nous reste heureusement de très nombreux enregistrements pour découvrir ou redécouvrir cette artiste étonnante...
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