C’est avec une certaine tristesse que j’ai
appris hier par sa famille le décès d’André Valmy mercredi 18 novembre à l’âge de 96 ans. André
était une grande « gueule » du cinéma et de la télévision et une inoubliable voix du doublage français (Walter Matthau, Rod Steiger, George C. Scott,
etc.). Accompagné par mon amie Christine Maline (fille du regretté Georges
Aminel) j’avais eu le bonheur de déjeuner chez lui à Nice l’année dernière et
de l’interroger sur sa carrière.
5 août 2014.
Accueillis par la famille d’André Valmy dans le salon de son appartement
niçois, nous attendons l’un des grands doyens du cinéma. Il arrive en chantant
du Maurice Chevalier, œil et sourire espiègles. Une fois les présentations
faites (présentations qui étaient pour Christine de lointaines retrouvailles, car elle
l’avait connu étant enfant, son père et lui étant très amis), André nous ouvre en continu pendant
presque trois heures le livre de ses souvenirs, parfois digressifs mais
toujours vifs et précis.
« Je suis né à Paris en 1919. J’étais
un vrai Montmartrois. Montmartre à l’époque
c’était la capitale du monde, dès que
vous vous trouviez dans le IXème arrondissement c’était déjà la province. »
Adolescent
passionné d'ébénisterie et de peinture, André étudie aux Arts Déco. C’est un copain de collège
qui le traîne un jour au Cours Mihalesco, rue de Douai. André ne veut
absolument pas devenir comédien, mais Mihalesco insiste et lui propose même de
venir gratuitement. Il intègre ce cours et y reste deux ou trois ans, aux côtés
notamment de René Arrieu.
« Je suis donc devenu comédien
absolument par hasard. Mon père était concierge au Théâtre Antoine –d’où mon
deuxième prénom- mais ne voulait pas de comédiens dans la famille. Gaby Morlay
qui passait en vedette au théâtre lui avait proposé de m’aider mais il avait
refusé ».
Lors de l’une
de ses premières participations artistiques, André Dugenet change de nom. « On m’a demandé comment je m’appelais.
Je trouvais que Dugenet était un nom de vieux con, alors j’ai dit au hasard « Valmy »
car j’étais passionné par l’Histoire. ». « J’ai même mon quai »
ajoute-t-il avec malice.
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A. Valmy, jeune élève au Cours Mihalesco |
Repéré lors
d’une audition du Cours Mihalesco devant des professionnels, il tourne à la
piscine de la Jonquière (Paris) le rôle d’un juif assassinant un officier
allemand dans le film Mein Kampf, mes
crimes (1940), pamphlet anti-Hitler qui sort peu de temps avant l’invasion
allemande.
Au début de
la guerre, André se marie avec Lorette Gallant, jeune comédienne qui est
peut-être l’une des toutes premières « speakerines » de l’histoire de
la télévision française car elle présentait cette invention lors de l’Exposition
universelle de 1937. « Nous nous
sommes mariés sous Pétain, donc sous l’Etat Français. Cinq ou six ans plus
tard, après-guerre, je suis allé voir l’adjointe au maire et lui ai dit « Je
veux être marié sous la République » ».
En 1944, il
va voir René Simon et lui demande de l’aider à passer le concours d’entrée du
Conservatoire qui a lieu quelques semaines plus tard, travaille L’école des femmes et Tartuffe. Il est admis comme auditeur et
y reste trois mois. « On m’a proposé
d’entrer au Théâtre de l’Odéon et au TNP mais j’ai refusé, pas pour rester « indépendant »
mais parce que j’étais dépendant à une autre vie. »
Il fréquente
le groupe Octobre : Yves Montand, Simone Signoret, et Gérard Philipe, avec
qui il tourne dans la baie de Somme dans Une
si jolie petite plage (1949) et qui devient l’un de ses meilleurs amis.
« Je suis venu à son chevet alors qu’il
était mourant après avoir chopé sa maladie au Mexique. Quand il est mort nous nous sommes recueillis auprès de lui. Sa femme ne voulait pas qu’on sache qu’il
était enterré dans le costume du Cid. Dans la chambre on avait piqué un mec qui
essayait de prendre une photo, et on l’avait foutu dehors. En bas de chez lui
il y avait un bar. Je vois Maurice Herzog qui me demande « Alors, il était
dans le costume du Cid ? Tu sais que si tu arrives à prendre une
photo comme ça, ça vaut un million ! » Je lui ai répondu « Ne
compte pas sur moi ». »
André Valmy,
joue beaucoup au théâtre, pour les plus grands metteurs en scène (Raymond
Rouleau, Jean-Louis Barrault, Jean Vilar). Son meilleur souvenir : Antigone d’Anouilh au Théâtre de l’Atelier.
« C’était intéressant, et puis c’est
là que j’ai appris que je venais d’avoir une petite fille. »
Il se
considère plutôt comme un acteur instinctif : « J’avais eu un prix, la Sirène d’or (Prix international d'interprétation), au festival de Monte-Carlo des mains de Grace Kelly et du Prince Rainier pour La Belle Nivernaise que j'avais tournée avec Rosy Varte. Le
soir au théâtre, mon copain William Sabatier avait noté sur le tableau de
service : « Valmy, le con d’or déplumé ». J’ai toujours eu l’air
d’un con, je ne raisonnais jamais comme un acteur intelligent, une fois j’en ai
parlé à Simone Signoret, elle m’a dit « Du moment que tu t’en
aperçois ». »
A propos de
notre ami William, André raconte : « Il
avait créé Rhinocéros de Ionesco. Un jour, son imprésario l’appelle :
« Dites-moi, Sabatier, vous êtes spécialiste des rôles d’animaux ? » ».
Au cinéma,
il joue le patron de pêche Le Guellec dans Si
tous les gars du monde (1956), tourné en studio mais aussi en bateau, au
large pour ne pas qu’on voie la côte. Outre sa première réplique de tournage (« Occupe-toi de ton treuil ! »)
les anecdotes ne manquent pas.
« Lorsque nous sommes partis pour la
première fois en mer, un comédien qui jouait un matelot a dit « Le premier
qui dégueule paye son verre »… et c’est lui qui a payé ! ». André
tient bon, et c’est en rentrant qu’il a le mal de terre. « On puait tout le temps le poisson. Un jour on tournait en
studio. Les marins triaient le poisson sauf qu’avec la chaleur les ventres
étaient gonflés et éclataient, ils ont dû prendre du poisson plus frais. »
Sur le
bateau, les conditions sont difficiles, mais heureusement l’humour est au
rendez-vous. « Un jour, l’ingénieur
du son demande qu’on coupe le moteur pour capter le son des mouettes.
Evidemment quand le moteur s’éteint, les mouettes se barrent. Et là on l'entend crier : « Revenez, connasses ! » »
André garde
aussi un souvenir ému de la fois où ils ont hissé pour le tournage des signaux de détresse et qu’un bateau s’est détourné pour leur porter secours.
En dehors de
ce rôle marquant (mais son meilleur souvenir de tournage est Les démons de l’aube avec Georges Marchal et Jacques Dynam), André
enchaîne les rôles de flics et de gangsters pour la télévision et le cinéma (Mauricet dans Le Gorille vous salue bien avec Lino Ventura, Lucas dans Maigret tend un piège
avec Jean Gabin). A propos de Gabin: « On attendait en
studio dans une espèce de hangar et Gabin me dit « -Mais tu es marié
toi ? » «- Oui » « -T’as des gosses ?»
« -Deux » « -Moi aussi. Ca coûte cher » ».
André Valmy
côtoie tous les grands personnages de cette époque comme Julien Carette. « Dans Une si jolie petite plage, on avait
laissé Carette faire un tour lors d’une pause, et il s’était mis à faire tous
les bistrots à trente kilomètres à la ronde. Il mettait un temps fou à revenir.
On l’avait retrouvé en train d’embêter des religieuses « Vous allez vous
faire enculer, ma sœur ! ». Il aimait faire des « tartines »
aux prêtres. »
Chez André
Valmy, cinéma et vie, fiction et réalité, se mélangent toujours dans ses
anecdotes… Dans La Belle Nivernaise, il incarne le patron de la péniche éponyme. Habillé de façon miteuse pour le rôle, lors d'une pause pendant le tournage un autre pénichier s'approche de lui et lui dit "Toi t’es vraiment un gros dégueulasse, tu pourrais l’entretenir un peu… ta péniche crasseuse !"
Pour ce même tournage: « A la pause déjeuner, en costume, je
trouve enfin un resto. Il n’y avait pas un chat. Je dis « Y a
quelqu’un ? ». Le restaurateur arrive stupéfait « -C’est
pourquoi ? » « -Déjeuner » «-Vous avez de l’argent ?» ».
Une autre
fois, habillé en douanier belge avec son copain Yves Deniaud pour un tournage,
il passe la frontière dans une 2 CV immatriculée à Paris, à la stupéfaction des
vrais douaniers.
Autre
souvenir : celui de ce tournage dans une authentique prison espagnole. « Je jouais le directeur de la prison,
au Carcel modelo. Je me trouvais avec des lunettes noires au milieu de vrais prisonniers. A un moment on nous a dit « Ne venez pas demain matin ».
Un condamné à mort allait être exécuté et pour l'accompagner tous les prisonniers faisaient du
bruit avec des casseroles»
A la télévision, outre les éternels rôles de policiers (L'inspecteur Leclerc enquête), il narre Les Enigmes de l'Histoire et joue dans de nombreux téléfilms et séries historiques (La caméra explore le temps), fier d'incarner -entre autres- Georges Clémenceau.
L'un de ses rôles préférés: Gibassier, le méchant des Mohicans de Paris (et sa suite Salvator et les Mohicans de Paris). Les enfants dans la rue jouaient à l'époque à Salvator contre Gibassier.
Montage des voix d'André Valmy (réalisé par Le Monde du Doublage Français)
C’est par
son ami comédien Jean Brochard qu’André Valmy se lance dans le doublage au
début des années 50. « A l’époque, on
faisait du doublage avec du gasoil » blague-t-il.
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Walter Matthau |
On lui
confie des premiers rôles ou des grands seconds rôles, pour des personnages souvent durs et autoritaires, mais non dénués de fantaisie. Il prête sa voix grave et rocailleuse à Walter Matthau (qu'il a adoré doubler dans une
quinzaine de films dont Drôle de couple,
et L’amour en équation où il emploie un
accent juif plein de subtilité pour doubler Albert Einstein), George C. Scott (qu’il
a un jour retrouvé sur un tournage), Rod Steiger (Il était une fois la révolution), Karl Malden (La Conquête de l’Ouest), Robert Shaw (Les dents de la mer), Alberto Sordi (« acteur difficile à doubler »), et ponctuellement à Laurence Olivier (Marathon Man), Robert Mitchum, Burt Lancaster, Dean Martin, Lee Van Cleef, etc.
Il garde un
souvenir particulier de cette scène du Bon, la brute et le truand (1966) dans lequel il double le Capitaine (Aldo Giuffrè) qui veut voir sauter le pont avant de mourir. « C’est énorme que vous soyez assis à ma table alors que je fais
sauter des ponts ! »
André double
également Anthony Quinn dans plusieurs films.
« Pour La Bataille de San Sebastian, Jacques Willemetz qui dirigeait le
doublage me dit « Je ne veux absolument pas de Djanik ». Je téléphone
à Djanik, qui me dit « Fais ce que tu veux ». J’accepte après avoir
négocié mon cachet et re-demandé l'avis de Djanik. Et pendant tout le doublage le metteur en scène du film, Henri
Verneuil, faisait la gueule car il voulait Henry Djanik qui était arménien
comme lui. »
André Valmy se
souvient des directeurs artistiques de doublage de sa génération: Richard
Heinz (qu'il aimait beaucoup), Maurice Dorléac (« Le
père de Catherine Deneuve et Françoise Dorléac. Chiant comme la pluie, il disait tout le temps « ferme le sens ». ») ou encore Gérald
Castrix qui le dirigeait dans Bons
baisers de Russie (1963): « Il
s’absentait souvent en urgence pour
envoyer des courriers, tout le monde le soupçonnait de travailler pour les
renseignements Russes. ». Preuve une fois de plus que dans la vie d’André
Valmy, la réalité et la fiction n’ont jamais cessé de se croiser.
Même s’il
prête sa voix à plusieurs personnages de dessins animés (le Chasseur dans Blanche Neige et les sept nains (doublage de 1962), le Morse dans Alice au pays des merveilles (doublage
de 1974), McLeach dans Bernard et Bianca
au pays des kangourous (1990), etc.), ce type de doublage l’intéresse
moins, et il préfère rendre hommage au maître en la matière, à savoir Roger
Carel. « Un jour j’ai fait un doublage au milieu de Roger et d’un autre comédien qui prenaient l’accent chinois,
je n’ai pas pu m’empêcher d’éclater de rire. »
Quand on lui
demande ce qui lui a apporté le doublage : « Je ne m’embêtais pas au doublage, j’avais des rôles intéressants.
J’obéissais complètement au jeu de l’acteur que je doublais, en essayant
techniquement de lire à chaque fois à l’avance les répliques pour que ça s’enchaîne.
Ma carrière c’est à peu près 70% de doublage, 20% de théâtre et 10% de
cinéma/télévision ».
A propos des acteurs et du doublage: « Un jour, je parle de doublage à
Michel Bouquet, comédien extraordinaire, que j’ai vu applaudi par toute une
salle alors qu’il apparaissait en
officier SS. Il est entré avec moi dans un studio de doublage, a regardé comment ça se passait, et m’a dit « non je ne
ferai jamais ça » ».
En cinquante
ans d’activité (« A mes début au
Syndicat des acteurs, on n’était que dix »), il a vu le métier
évoluer, les conditions d’enregistrement se détériorer « Avant on mettait au moins une semaine pour doubler un film, maintenant
c’est de plus en plus court ». Quand j’évoque avec lui l’existence d’ « écoles
du doublage » (et notamment celle de Jenny Gerard), il se souvient que l’exploitation
de jeunes comédiens a toujours existé. « Un
jour en arrivant au studio d’Epinay je vois au moins trente inconnus
dans la salle d’attente, des jeunes des vieux. Je vois sortir Jean Droze de l’auditorium
« Vous ! vous ! vous !-ah non, pas toi, Valmy- Vous ! »
et désigner au hasard des acteurs pour faire des ambiances. Ils étaient traités
comme des chiens, venus dès 9h du matin tout en n’étant même pas sûr de toucher
le moindre cacheton dans la journée »
Fin des
années 90, André Valmy arrête progressivement le doublage, de moins en moins
sollicité et souffrant de problèmes de vue de plus en plus importants. Il se
retire à Nice auprès de sa fille Jane.
C’est à
elle, ainsi qu’à Pierre, Marie-Frédérique, Sébastien et toute la famille que je pense en ces
moments difficiles.
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Votre serviteur avec André Valmy (Nice, août 2014) |
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