Guy Piérauld est un enfant de Lyon, une ville à laquelle il restera toujours attaché, tout comme son grand ami Jean Amadou. C'est à 17 ans, lors d'une répétition, qu'il se "vrille" une corde vocale, donnant ainsi à sa voix un timbre si particulier, à la fois éraillé et dérivant vers l'aigu.
Sa voix et son physique le prédisposent à des personnages à la fois comiques et poétiques. Guy commence après-guerre une belle carrière au théâtre sous la direction des plus grands (Charles Dullin, André Barsacq, etc.), mais également au cabaret (La Rose Rouge) où il côtoie Raymond Devos, les Frères Jacques, Yves Robert (qui le mettra en scène plusieurs fois au théâtre). Une longue carrière théâtrale sans interruption, jusqu'au début des années 2000.
La télévision lui offre aussi beaucoup de rôles, à la grande époque des pièces en direct et des émissions de variétés. Sa participation régulière à l'émission Sérieux s'abstenir puis quelques années plus tard à C'est pas sérieux! lui donne une belle reconnaissance du public. Les plus jeunes d'entre nous se souviennent aussi de lui dans le sitcom AB Le miel et les abeilles (années 90) où il jouait Monsieur Albert. Guy se rappelait mi-consterné mi-amusé de cette période de sa vie, où il recevait dans sa boîte aux lettres le scénario la veille au soir du tournage.
Au cinéma, une filmographie assez peu fournie, quelques petites participations à des films de Truffaut (Domicile conjugal) et de Resnais (Stavisky), mais aussi à des comédies grivoises comme l'étonnant Prenez la queue comme tout le monde de Jean-François Davy (avec tous les comédiens habitués des studios de doublage SND: Richard Darbois, Jean Droze, Philippe Dumat, Lita Recio, etc.) dans lequel il interprétait un homme quitté par sa femme et à qui il ne restait plus rien à part un sous-vêtement. Guy Piérauld se lamentant en slip léopard dans un appartement complètement vide, grand souvenir de cinéphile.
Sa voix "cartoonesque" le conduit assez vite à travailler pour la radio (on lui doit la première voix d'Astérix sur Radio Luxembourg) et le doublage. Le personnage de Bugs Bunny et son célèbre "Quoi d'neuf docteur?" qu'il prononçait en enregistrement en grignotant des sucres (pour ne pas s'étouffer avec des bouts de carottes) reste indissociablement lié à sa voix. Il gardait pour lui une véritable affection: "J'éprouve pour Bugs Bunny une grande tendresse. Je le trouve charmant, malin, et puis pas méchant. Comparativement à Woody Woodpecker que je fais aussi et que je trouve méchant" raconte-t-il à la télévision en 1969.
Le personnage lui colle à la peau, même dans les moments les plus difficiles. "J'ai eu une lourde opération, un double pontage. Dans la salle de réanimation le chirurgien arrive alors que je suis complètement dans le coaltar et me dit "Alors, on ne me dit pas "Quoi d'neuf docteur?" " raconte-t-il au Salon des Séries et du Doublage en novembre 2013.
Au milieu des années 90, après 35 ans de bons et loyaux services, des responsables de la Warner l'invitent à déjeuner pour le féliciter de son travail. Guy apprendra quinze jours plus tard qu'il est remplacé, et qu'une nouvelle équipe va non seulement doubler les nouveaux Looney Tunes, mais également redoubler les anciens. Assez chagriné par la manière dont ça s'est passé, il ne semblera néanmoins pas garder d'aigreur à ce sujet.
Guy Piérauld double Bugs Bunny et parle de doublage avec Jean Amadou (1975)
Le doublage de dessins animés procure un grand plaisir à Guy Piérauld, celui de travailler pour les enfants: "C'est merveilleux, ils sont d'une sincérité, il n'y a pas de problème. Ou ça leur plaît et ça se voit, ou ça ne leur plaît pas et ça se voit encore plus. Ca c'est extraordinaire. De toute façon, pour les gosses, il n'y a pas de mystère: il faut que nous soyons, nous, sincères, complètement sincères."
Parmi les autres personnages de la mythologie enfantine qu'il double outre Bugs Bunny et Woody Woodpecker, beaucoup de seconds rôles dans les doublages Disney des années 70-80 (dont l'inoubliable lapin blanc d'Alice au pays des merveilles ou Grignotin, la taupe des Winnie l'ourson), bon nombre de personnages Hanna-Barbera souvent en tandem avec son ami Roger Carel (Jappy et Pappy toutou, Magilla le gorille, etc.), mais également un personnage bien français à qui il donne une pointe d'accent du midi, la marionnette Kiri le Clown (années 60) très populaire chez les enfants, comme se souvient avec humour mon ami comédien William Sabatier:
"Ma femme et moi avions le plus grand mal à faire manger notre fils Jean-Michel, qui à cinq ans adorait Kiri le clown. J'avais demandé à Guy de téléphoner à Jean-Michel en se faisant passer pour Kiri et de lui faire la morale, lui demander de bien manger sa soupe tous les soirs. Guy a été tellement convaincant que Jean-Michel est devenu quelques années plus tard un grand garçon d'un mètre quatre vingt-dix!"
La voix si particulière et reconnaissable de Guy Piérauld, qui s'épanouit dans les dessins animés, lui ferme des portes pour le doublage de "vrais" acteurs. "On me faisait souvent doubler des nains dans les péplums" se souvenait-il avec amusement. A la télévision, il double Don Adams dans la série Max la Menace, en égayant un peu le personnage. Il est également l'une des premières voix de Woody Allen (Prends l'oseille et tire-toi (1969)).
Mais s'il y a bien un acteur qui colle à merveille à la voix de Guy Piérauld, c'est l'humoriste rouquin Red Buttons. L'interprétation de Guy retransmet bien toute la part d'humanité et de fantaisie de l'acteur. Il lui prête sa voix dans Le Jour le plus long, Hatari!, L'Aventure du Poséidon, mais également On achève bien les chevaux, grand souvenir de doublage pour Guy Piérauld. En effet, la belle Jane Fonda vient se doubler elle-même en français et propose à Guy de danser avec lui au moment du doublage pour être dans les mêmes conditions qu'à l'écran.
Depuis le début des années 2000, Guy Piérauld arrête progressivement le doublage en raison de problèmes de vue qui le handicapent. "Lorsque nous doublions les derniers Winnie, je lui donnais une petite tape sur l'épaule quand c'était à lui de parler" m'avait raconté avec tendresse son ami Roger Carel.
Pour notre Salon des Séries et du Doublage de novembre 2013, Guy accepte de venir malgré de sérieux ennuis de santé, dont un AVC qui lui a occasionné de gros problèmes d'élocution. "J'ai eu un AVC il y a deux mois, donc je parle encore difficilement mais j'ai absolument voulu venir, car rencontrer des gens qui vous aiment, c'est formidable" déclare-t-il devant un public ému aux larmes.
A l'occasion de cette rencontre "Légendes du doublage" avec Jacques Thébault et Paule Emanuèle, Guy chantonne le générique de Kiri le clown et nous raconte de drôles et émouvantes anecdotes, comme par exemple la manière avec laquelle le grand réalisateur Abel Gance l'avait dirigé pour post-synchroniser un hibou.
Une part de notre enfance et de son innocence vient de partir car le sympathique Guy Piérauld n'est plus, mais gageons que celui qui l'a accueilli "là-haut" lui a demandé "Vous pouvez me dire "Quoi d'neuf docteur?"".
Pour en savoir plus: lire l'interview de Guy Piérauld par François Justamand dans La Gazette du Doublage, regarder des extraits de ses interventions au Salon des Séries et du Doublage (plusieurs parties), regarder le montage du "Monde du Doublage Français", retrouver les anciennes VF des Looney Tunes grâce à Mike.
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