Dans l'ombre des studios : Au doublage, on vous a aussi souvent retrouvée sur des grands rôles de séries, principalement pour un studio bien connu des voxophiles, qui s’appelait la S.O.F.I…
J’ai rencontré par hasard Pierre
Salva (patron de la S.O.F.I., père de Michel Salva qui a ensuite pris sa
succession, ndlr) dans un café, il m’a demandé « Comment ça se fait que vous soyez là tous les
soirs ? », il a dû penser que j’étais une entraîneuse (rires). Je
lui réponds « Parce que je travaille
en face, je joue au théâtre ». Il m’a alors dit qu’il cherchait des
voix nouvelles et j’ai commencé à vraiment travailler au doublage grâce à la
S.O.F.I. On me donnait de petits rôles à chaque fois différents, pour voir
comment je réagissais. Certains comédiens ont joué le même rôle toute leur vie
au doublage, on leur a donné une profession, « Si c’est un médecin légiste, on va prendre René Beriard » (rires).
Ca n’a pas été mon cas. J’avais une voix
tellement claire, fraîche, il me mettait sur des personnages parfois un peu
trop lourds pour moi, je m’en accommodais en essayant de baisser un peu ma
voix, mais je n’atteignais pas les graves que je voulais à l’époque. C’est
comme ça que j’ai commencé à gravir les échelons dans le monde de la série.
DLODS : Plus tard pour la S.O.F.I., vous avez doublé Jaclyn Smith
(Kelly) dans la série Drôles de Dames.
C’était très sympa, un beau souvenir.
Le jour des essais j’étais aphone, pas un son ne sortait de ma gorge, j’ai
téléphoné au bureau avec le peu de voix que j’avais, on m’a dit « Viens quand même ». En arrivant,
quand Michel Salva m’a vue dans cet état-là, il m’a dispensée d’essais et j’ai
été acceptée de suite. Perrette et Béatrice ont passé les essais, et le client
(Jacqueline Joubert) a mis un moment avant de décider qui doublerait qui. Le
choix est finalement devenu celui que vous connaissez aujourd’hui, et
heureusement car quand vous entendez Béatrice sur Farah Fawcett, c’est une
telle réussite… Quand ça passe à la télévision, je réécoute, je trouve qu’il y
a un peps extraordinaire, nous sommes toutes sur le coup, il y a une joie de
vivre qui ressort de ces enregistrements et qu’on ne retrouve plus nulle part.
DLODS : Qui dirigeait la série ?
Pierre et Michel Salva et Jacques
Torrens au début. Puis à partir de 1985, toute une vague de comédiens devenus
directeurs artistiques à la S.O.F.I.: Francis Lax, Gérard Dessalles,
Philippe Ogouz, Maurice Sarfati, Bernard Tiphaine, etc.
DLODS : Avez-vous gardé des liens proches avec ces « drôles de
dames » ?
Je travaille de temps en temps avec
Béatrice Delfe, qui est restée une amie. A ses débuts, c’était un exemple de
droiture, d’exigence, de courage. Elle était plus jeune que moi, mais elle
osait faire des choses auxquelles je ne pensais même pas.
Perrette Pradier n’est plus là. A l’époque, c’était elle la star dans tous
les studios : chez Michel Salva (S.O.F.I.), Michel Gast, Jenny Gerard et
Jean Droze (S.N.D./P.M./L’Européenne de Doublage), Gérard Cohen (Record Films),
etc. Elle travaillait comme une folle, arrivait souvent en premier choix,
Béatrice en deuxième et moi en troisième.
DLODS : Dans Drôles de Dames,
il y avait aussi Philippe Dumat (Bosley)…
Je l’ai d’abord connu en jouant à ses
côtés dans une pièce de Dominique Nohain, il jouait un inspecteur de police. On
s’était retrouvé à Villefranche-sur-mer, sur le port, on faisait des photos
ensemble. Lui et moi avons immédiatement sympathisé. J’aimais son humour, sa
tournure d’esprit, son talent pour raconter des histoires débiles pour le
plaisir de nous faire mourir de rire. C’était vraiment quelqu’un de bien. On a
énormément travaillé ensemble, il avait une bouche en caoutchouc mousse, il
arrivait à « remplir » quand il manquait des mots sur la rythmo.
Dans Docteur Quinn, femme médecin où je doublais Jane Seymour, lorsque
Michel Gudin a arrêté de doubler Orson Bean (Loren) et a été remplacé par
Raymond Baillet, j’ai été ravie que Philippe prenne le relais (à partir du début
de la troisième saison, ndlr).
DLODS : Parmi les personnages célèbres que vous avez doublés, Sue
Ellen (Linda Gray) dans Dallas. Quels
souvenirs gardez-vous de ce doublage ?
Linda Gray (Sue Ellen) |
Au début c’était très sérieux, on se
réunissait tous les quinze jours dans le café du trottoir d’en face, rue
Mermoz. Michel Salva, qui dirigeait la série, disait « J’ai regardé ce qu’on a fait hier. Dominique, je n’ai rien à te
dire, tu es dedans, formidable. Philippe, fais attention, Bobby c’est pas un
faux-cul, c’est quelqu’un qui est droit, c’est le contraire de son
frère. » Donc il donnait des indications à tout le monde. Arrive mon
tour « -Toi, tu vas arrêter de
pleurer » «-Oui, mais elle pleure tout le temps », « -Tu laisses l’image. Tu as une
émotion, tu as un sanglot, mais je ne veux pas entendre de larmes dans ta
voix ». Il avait raison.
Après c’est allé à vau-l’eau car il a
laissé la direction à des comédiens pas prêts ni formés à diriger. Chacun
faisait à sa façon, pas toujours dans la bonne direction.
DLODS : Le suivi des voix dans les doublages réalisés à la S.O.F.I.
était très aléatoire, on s’en rend compte notamment sur des dessins animés,
avec des personnages réguliers parfois doublés par trois ou quatre comédiens différents.
C’étaient les secrétaires de la
S.O.F.I. qui établissaient les distributions pour les rôles secondaires, sans
qu’il y ait aucun suivi. Parfois une secrétaire me demandait « Evelyn, il y a un personnage qui
revient, gros, moustachu, par qui il était doublé ? », j’étais devenue
l’encyclopédie du doublage de Dallas
(rires).
William Sabatier doublait dans Dallas Howard Keel, un acteur que
j’adorais pour l’avoir vu dans des films hawaïens (au Maroc on nous passait
tous les films hawaïens, avec des comédiennes maquillées comme des camions
volés, et des fleurs sur la tête comme Hedy Lamarr, ça nous faisait rêver).
Puis dans la série le personnage joué par Howard Keel disparaît, et ils prévoient de mettre William Sabatier sur un autre Howard, Howard Duff, avec les cheveux grisonnants
alors que Howard Keel avait les cheveux blanc. J’ai posé la question mais personne
ne s'était rendu compte de rien, ils n’ont pas la mémoire des visages, ni l’oreille musicale.
Par ailleurs, sur les plans de
travail il y avait les noms des récurrents, et parfois sur certains rôles
c’était noté « Michel Salva », ce qui voulait dire « Débrouillez-vous sur le
plateau ». Alors quand il y avait Francis Lax sur le plateau, il le
faisait en disant que personne n’allait le reconnaître. Je lui disais « Tu rigoles ? Tu fais tout pour
qu’on te reconnaisse, avec ton « n’est-ce pas ? » que tu cases
tout le temps. Il sert à quoi ce « n’est-ce pas » ? » « -Ca sert ! » (rires).
DLODS : Pourquoi les directeurs de plateau n’étaient-ils pas plus
impliqués ?
C’est lié à la création de la Cinq en
1985. Il y a eu un afflux énorme de nouvelles séries en France, et le travail
est devenu gigantesque pour les studios de doublage: on travaillait le
dimanche, le soir jusqu’à minuit, les jours fériés, etc. et on manquait de
comédiens et de directeurs artistiques. Du coup, il y a eu toute une vague de ringards qui a commencé à
travailler à ce moment-là (on prenait n’importe qui, même des maîtres-nageurs,
profs de sport, etc.), et de nombreux comédiens (comme Philippe Ogouz,
Jean-Claude Montalban, Pierre Trabaud, etc.) sont devenus directeurs de plateau
à la S.O.F.I. Certains sont restés sympas, comme Francis Lax, et d’autres ont
pris la grosse tête.
Une fois, dans un téléfilm ou je
doublais Jaclyn Smith qui arrive comme ambassadrice dans un pays de l’Est, Dominique
Paturel devait me dire « Je
m’appelle Mike Slade, je suis votre subordonné, si vous avez besoin de quoi que
ce soit je suis là. Entre nous, mes amis m’appellent Mike ». Pour le
remettre à sa place, lui faire comprendre que je n’étais pas son ami, je devais
lui répondre « -Très bien, bonsoir
Monsieur Slade ». Et le chef de plateau voulait que je dise « Bonsoir, Monsieur Mike », ce
qui ne voulait rien dire (on ne dit pas « Madame Evelyn »), et
changeait complètement le sens. Je lui ai dit que je refusais de le faire, car
on m’aurait fait revenir pour un retake qui m’aurait coûté de l’argent en
déplacement, alors que lui aurait été sur un autre plateau pendant ce temps-là
en train de gagner de l’argent. Il s’est mis en colère « Toi, l’étrangère, va faire du doublage à Tombouctou et
fiche-moi la paix!».
Une autre fois, ce chef de plateau a
dit à Bernard Lescrauwaet, ingénieur du
son aux auditoriums de Mermoz qui avait une oreille musicale étonnante et des
doigts de fée : « Voilà ce
qu’on va faire aujourd’hui, tu passes la boucle une fois, on enregistre et on
ne réécoute pas ». Bernard, qui était très zen, est devenu écarlate, il
n’a pas répondu. « -T’as entendu, je
te parle » « -Je m’en vais » « -Pourquoi ? »
« -Jusqu’à maintenant j’ai essayé de faire du bon travail, j’ai eu des
grands metteurs en scène sur le plateau, des grands réalisateurs français,
personne ne m’a demandé une connerie pareille, ce n’est pas maintenant avec toi
que je vais commencer à faire de la merde, alors je me tire ».
Un autre de ces directeurs
artistiques (qui était venu nous « expliquer nos personnages » sur Drôles de Dames alors que ça faisait
cinq ans qu’on doublait la série) a eu une fois, sur un film allemand, plus de
retakes que de lignage.
DLODS : Pour en revenir à Dallas,
c’était une série tellement populaire, que vous avez parfois reçu du public des
réactions assez… inattendues.
On m’a dit un jour, en me jugeant de
la tête au pied « Je peux vous poser
une question, Madame ? Quand on est mariée à un homme comme J.R. qui vous
donne tout ce que vous voulez, vous croyez que c’est bien de le
tromper ? ». Une autre fois : « Madame, quand on a un petit enfant, on ne le laisse pas tout
seul dans son lit. Ce n’est pas un jardin que vous avez, c’est un parc. Les
chevaux ils sont dehors, ça oui. Mais votre bébé, jamais il ne voit le
jour. »
C’était vrai car on ne voyait jamais
cet enfant dehors, ni même à table pour l’apéritif, dans son landau.
Un jour je vais chez une copine qui
tenait une boutique de vêtements. Elle me demande « -Alors, tu viens de Dallas, qu’est-ce qu’il se
passe ? » «- Alors là ça tourne à la rigolade » « -Ah
bon pourquoi ? » « -Parce qu’elle s’est tapée le père et
maintenant il y a le fils qui est là, il est amoureux d’elle, malheureusement
il a eu un accident d’avion alors il roule dans une petite charrette ».
J’étais morte de rire, et une cliente me dit avec la gorge nouée « Je ne vois pas ce qui vous fait rire,
Madame, franchement. » Je regarde ma copine en me demandant ce que
j’ai dit de mal. La femme se met à pleurer. « Mon
gendre c’est ce qui lui est arrivé. Et la belle-mère, ça ne l’a pas empêché
d’avoir le cancer du sein. »
Les gens s’identifiaient à tout ça, à
la famille Ewing et il ne fallait pas en dire du mal, pas critiquer, car ils
retrouvaient leur propre histoire.
Dominique Paturel et Evelyn Selena rencontrent Larry Hagman et Linda Gray
dans l'émission Champs Elysées (1986)
DLODS : Vous avez eu l’occasion de rencontrer Linda Gray sur le
plateau de l’émission Champs-Elysées
de Michel Drucker, avez-vous pu rencontrer d’autres actrices que vous avez doublées ?
Non, la seule actrice que j’ai
rencontrée était Linda Gray, que j’ai
vue pendant un court moment sur le plateau de Drucker avec Larry Hagman et
Dominique Paturel, je ne l’ai même pas vue en dehors. Quand je suis sortie de
ma loge, j’ai vu Michel Drucker assis dans une immense loge où il se faisait
démaquiller. « -Excusez-moi, où sont descendus Larry Hagman et Linda Gray ? »
« -Pour quoi faire ? » «- Pour les remercier de leur
gentillesse, les Américains sont des gens à part, ils vous parlent comme s’ils
vous connaissaient depuis des années, j’aurais aimé dire des gentillesses à Linda
Gray » « -Qui êtes-vous ? » « -Comment ça, qui je
suis ? Evelyn Selena. Je suis la voix de Linda Gray, vous m’avez
interviewée il y a quelques minutes à peine, sur votre plateau en direct ».
Il ne me regardait que dans son miroir, ne voulant pas se retourner : «-Si vous n’avez rien d’autre à faire ce
soir on organise une fête à l’hôtel » « -Paturel est
invité ? » « -Oui » « -Vous êtes très gentil mais
comme les autres ont reçu un bristol… ». Je suis partie, et ne suis
pas allée à la soirée.
DLODS : En 2012, donc bien des années après l’arrêt de la série, Dallas est revenue avec une nouvelle
saison…
Ca m’a fait de la peine de voir ces
gens qui étaient si brillants dans la première mouture devenir aussi ravagés.
Larry Hagman était brillant à l’époque et là il n’avait plus sa voix ni son
regard, il avait perdu beaucoup de poids, ses cheveux. Linda Gray avait déjà été traficotée à
l’époque, mais on ne le voyait pas ; là avec les injections tout est
ressorti, on a vu tout ce qui avait été fait avant. Il ne restait que ses
tics : le mordillement des lèvres, le balancier de hanches quand elle marchait,
etc. La fiancée de Bobby ressemblait à un mannequin en plastique qu’on voit
dans les vitrines. Je me suis dit « à
quoi ça sert, tout ça ? ».
Quant au décor, il était à l'époque très kitch et peut-être signe de mauvais goût, mais on voyait que ça venait de
baraques friquées. Là dans la dernière saison quand j’ai vu le décor j’ai dit à
Barbara Tissier « Mais ils ont
tourné ça à Ikea ? » (rires).
DLODS : Vous avez quand même eu du plaisir à retrouver Dominique
Paturel…
Oui, car c’est un bonheur de
travailler avec lui. Je déteste les gens qui le remplacent, je ne le supporte
pas. Je ne sais pas qui double Michael Caine en ce moment, mais c’est décevant.
Il faut arrêter de prendre les gens
pour des cons, le public n’est peut-être pas comédien mais il a de l’oreille. Mon
immeuble est grand, et certains savent que je fais du doublage, quelque fois
quand un film sortait, on venait m’engueuler « Pourquoi vous n’avez pas doublé « Sur la route de
Madison », vous étiez où ? Il est mauvais, ce doublage… ».
Une fois je demande dans un magasin « C’est
à quel étage, les canapés ? » et là le vendeur me regarde,
tétanisé : « Vous n’êtes pas la
voix du Docteur Quinn ? » (rires).
DLODS : Cela doit vous épater qu’il y ait de vrais passionnés de
doublage.
Oui, je trouve formidable qu’il y ait
des gens comme vous ou David Gential qui soient passionnés, convaincus,
entêtés, et qui fassent toutes ces recherches bénévolement. Quand David a commencé
à contacter des comédiennes, une grande partie l’a envoyée valdinguer. Qu’est-ce
que ça fait de perdre un peu temps pour enrichir la passion de quelqu’un ?
Qu’on ne dise pas après ça que je suis méchante. Ou alors, il ne faut pas me
demander mon avis quand on n’est pas sûr que je donne la réponse attendue.
DLODS : Je sais que vous gardez un bon souvenir de la mini-série
franco-irlandaise Les Roses de Dublin
(1981), où vous doubliez Bernice Toolan…
Le réalisateur, Lazare Iglesis,
voulait un vrai enfant de dix ans pour doubler celui qui jouait mon fils car il
en avait marre d’entendre des femmes trop âgées doubler des enfants. Il a fait
venir de vrais enfants, et c’était encore plus inécoutable car ce n'étaient pas
des comédiens.
Au moment de passer mon essai, Jean
Droze me dit « Tu ne connais pas
quelqu’un qui pourrait doubler ton fils ? », je lui réponds « -Jackie Berger » « -Je lui
en ai déjà parlé mais il n’en veut pas, c’est une fille » et là le
réalisateur me dit « -De qui
parlez-vous, tous les deux ? » « -De Jackie Berger. Vous devriez
la faire auditionner en tournant le dos et en vous laissant guider par sa voix,
vous verrez, sur les garçons de 12-13 ans maximum c’est troublant, j’y crois
dur comme fer ». J’ai insisté et, avec le soutien de Jean Droze, il a
accepté.
Je crois que Jackie fonctionne comme
moi, c’est une battante, elle a donné le maximum, et a été prise.
Elle a fait un travail magnifique sur
ce petit garçon qui était tellement craquant à l’image, avec des scènes
difficiles et bouleversantes. En voix d’enfants c’était la meilleure, elle
avait fait une vraie composition de personnage, qu’elle a su garder et adapter.
Pendant des années, Francette Vernillat a fait de très jolies choses, mais la
voix s’altère au fil des ans.
DLODS : On peut vous entendre aussi dans quelques films d’animation
Disney comme Alice au Pays des merveilles
(la sœur d’Alice, redoublage de 1974), Pinocchio
(la Fée bleue, redoublage de 1975) ou La
Belle et le Clochard (Peg, redoublage de 1989)…
J’ai beaucoup aimé La Belle et le Clochard. Patrick
Poivey fait partie de ceux que j’aime, qui ont du talent, qui apportent
quelque chose d’original. Dans ce film, je ne chantais pas. Je ne comprends pas
qu’on ne fasse pas passer des essais aux comédiens sur les chansons, et qu’on
prenne souvent des choristes avec des voix très différentes de la voix parlée.
Les Claude Bertrand, Philippe Dumat, Roger Carel chantaient bien, et ils
étaient souvent remplacés. Dans Les
Aristochats, quand Michèle André chante, il y a un phrasé musical d’une
justesse incroyable.
DLODS : Vous êtes justement tombée sur un contre-exemple, car c’est
une choriste, mon amie Anne Germain, qui chante à la place de Michèle André
dans Les Aristochats…
Dans ce cas bravo à cette choriste,
le raccord était parfait et je me suis fait avoir.
DLODS : Aimiez-vous doubler des dessins animés ?
Pas vraiment, car je n’arrivais pas à
modifier ma voix. Sachant que j’ai un tempérament vif dans la vie, on me
donnait des hystériques qui beuglaient comme des folles, alors je perdais ma
voix, et certains directeurs artistiques s’en fichaient. Il y en a quand même
un qui m’amusait, c’était Clémentine,
où pour doubler une chienne de la haute société, très snob, j’avais fait une
imitation de Jacqueline Porel, avec ce côté « J’ai été élevée par une
nurse anglaise et j’ai fait mes études aux Etats-Unis ». Un jour
Jacqueline m’appelle : « -Je perds
la mémoire, je viens de voir un dessin animé que je ne me souvenais même pas
avoir fait, et pourtant c’est ma voix » «- Non, c’est moi,
Jacqueline, j’ai voulu te rendre hommage en t’imitant » « -Mais c’est
pas possible ! ». Elle était vexée comme un pou (rires).
DLODS : Parmi les hystériques en question, j’ai un petit faible pour
votre Milady de Winter dans Albert le
cinquième mousquetaire (1994).
L’enregistrement s’est fait dans des
conditions particulières. La chaîne voulait des grands noms du théâtre et de la
télé donc ils ont pris (en plus de Gérard Hernandez, Francis Lax, etc.) Roland
Giraud, Corinne Le Poulain, Christian Alers, Michel Le Royer… et une comédienne
connue qui était adorable, pleine d’émotion au cinéma, mais avait une voix
étouffée qui ne collait pas avec celle de cette cinglée de Milady, qui est
censée hurler sans arrêt. Le studio n’a pas eu le courage de le lui dire, donc ils m’ont demandé de venir tous
les soirs pour refaire le travail qu’elle venait de faire dans la journée.
Plus tard ils ont dit à cette
comédienne que le dessinateur avait enlevé le personnage de la série. J’aurais préféré
qu’ils lui disent la vérité, qu’elle ne pouvait pas abîmer sa voix.
Evidemment c’est retombé sur moi, car
quand je me suis mise à enregistrer avec les autres, Roland Giraud ne
comprenait pas ce que je faisais là. Gérard Hernandez leur a expliqué la
situation, il m’a défendu. Les gens se sont rendus à l’évidence, je n’étais pas
une usurpatrice.
Suite à ce doublage, le producteur, Christophe Izard, m’a envoyé un courrier de remerciements et de félicitations.
DLODS : Dans l’équipe il y avait également Serge Lhorca, qui prêtait
sa voix à Porthos…
Ah, Serge Lhorca… Je n’ai jamais
entendu quelqu’un qui parlait aussi juste, avec autant de sensibilité, c’était
une splendeur. Il était dans son monde, il ne comprenait pas l’anglais,
l’allemand encore moins. Il parlait espagnol, c’était sa langue. Quand on lui
passait la boucle en V.O. il n’écoutait pas : « Ca sert à quoi ? Je ne comprends pas ce qu’il dit »
et devant la rythmo il lisait le texte avec un naturel, comme si c’était lui
qui avait écrit le texte et qu’il savait ce qui s’était passé avant, ce qui
allait venir après, etc. Je ne l’ai jamais vu déjeuner, je lui disais à chaque
fois « -Allez, Serge, viens
avec nous, on va se retrouver tous ensemble ça va être sympa »
«- Non, je vais aller faire ma promenade… », il allait faire une
heure de marche et il revenait. Son fils, Denis Llorca, est devenu metteur en
scène.
DLODS : Puisqu’on parle de compréhension de l’anglais, je crois
savoir que vous appréciez beaucoup Michel Mella…
Michel Mella |
J’aime beaucoup Michel Mella, c’est
un garçon extraordinaire, plein de pudeurs dans la vie, mais avec un cœur gros
comme une maison, d’une générosité pas possible, et quand il joue la comédie il
a un naturel -je ne sais pas d’où ça vient- que je lui envie, cette façon de
dire les choses de manière quotidienne, c’est magnifique. Je ne sais pas
pourquoi il n’est pas employé davantage. Je pense qu’il est trop doué
(notamment parce qu’il est complètement bilingue, donc il entend quand il y a
des approximations dans l’adaptation), et aujourd’hui il faut prendre des gens
qui ferment leur gueule.
DLODS : Avez-vous essayé de faire de la direction artistique ?
Cela ne m’a jamais tenté. Par contre
je m’étais dit qu’il faudrait que j’apprenne pour le cas où –cette prévision s’est
réalisée, je dois être sorcière !- il m’arrivait quelque chose, que je
travaille beaucoup moins et que j’aie besoin d’une porte de sortie. Jacques
Barclay m’a dit « Je n’ai rien à t’apprendre sur la direction d’acteurs car tu es
une très bonne comédienne, par contre il faudrait que tu apprennes comment
faire un plan de travail et tout ce qui est technique une fois que tu as le
film en main ».
J’en ai parlé à Jacqueline Porel,
elle a préparé une rame de papier, on aurait dit qu’il y en avait pour cinquante personnes avec cinquante
pages chacun. « -Qu’est-ce qu’on
fait, Jacqueline ? » «-Tu veux apprendre à diriger ? »
« -Oh tu sais, il n’y a rien d’urgent » « -Ah bon, c’est comme
tu veux » « -Puisqu’on y est on va le faire », et là elle a
gardé le silence, m’a regardé fixement et m’a dit « On ne fait rien, on va déjeuner ». On n’en a jamais
reparlé, j’ai su qu’elle avait été beaucoup plus patiente pour apprendre le
métier à d’autres comédiens. Parfois il faut laisser tomber et ne pas insister.
DLODS : Avez-vous des regrets dans votre carrière ?
Il y a eu beaucoup d’actes manqués
dans ma carrière. J’aurais aimé faire plus de théâtre, de cinéma, et un peu
plus de télé comme tout le monde, malheureusement cela n’a pas été possible. Le
cinéma, je ne connaissais personne. Le théâtre ce n’était même pas la peine de
se présenter, il fallait avoir un nom susceptible de faire venir les
spectateurs, être une « tête d’affiche », les gens ne se déplaçaient
que pour des personnalités.
Pour ce qui est de la télévision, on
parle beaucoup de harcèlement sexuel en ce moment, mais c’était ça tout le
temps.
Un jour, un réalisateur médiocre me
propose un rôle important dans une mini-série : « -Vous avez un permis de conduire ? »
« -Non. » « -Ce n’est pas grave, je peux l’obtenir dans les deux
jours, c’est une formalité. Vous savez
nager ? » « -Oui. ».
Dans le scénario, il fallait que je
parte en voiture sur une route en lacets de Nice à Menton, d’un côté c’était la
montagne, de l’autre c’était le précipice… avec le caméraman arrimé sur le
capot de la voiture ! Dans ces conditions je devais arriver jusqu’au bord
de mer, prendre un canot qui explosait au large, nager jusqu’au rivage,
poursuivie par un hors-bord qui ne me rattrapait pas tellement je nageais vite.
Je lui dis : « -Même aux jeux
olympiques, on ne réussirait pas ce prodige… » « -C’est le miracle du
cinéma ! ». Tout était réglé, et là il m’invite à déjeuner pour
reparler du rôle. En montant l’étage pour accéder au restaurant il soulève ma
robe « -Vous êtes malade ou
quoi ?» « -Comment voulez-vous que je vous dirige si je ne vous
connais pas bibliquement ?» « -S’il
fallait que je couche avec tous les réalisateurs de le la télé pour avoir un
rôle je n’en finirais pas !».
Une autre fois, alors que j’étais
encore au conservatoire, j’apprends qu’on monte pour la télé On ne badine pas avec l’amour, que je
connaissais bien car je l’avais répété pour mon entrée au conservatoire et Georges
Chamarat avait été adorable et m’avait distribué quand il avait monté le
spectacle. Je vais voir le metteur en scène de la télévision avec un paquet de
photos, il les bat comme on bat un jeu de cartes et me dit : « -Et à poil, vous n’avez
rien ? » « -Pour le rôle de Camille ? » «-Pour le rôle
de Camille… ou un autre » «- Non, j’y penserai peut-être, mais je
n’ai encore jamais vu de filles à poil à la télévision ». Finalement,
il a pris sa femme, qui n’avait ni l’âge ni le physique du rôle. Quelle chance
je peux avoir, moi, là-dedans ? Si vous n’avez pas un appui sérieux qui
dit au réalisateur « Allons, tu ne
vas pas prendre ta femme pour ce rôle-là, elle pourrait jouer la mère
supérieure mais pas Camille… », c’est foutu.
Une autre fois, l'un des plus grands réalisateurs de la télévision m’avait
appelée pour un essai. Il y avait une foule devant sa porte, on aurait dit que
c’était la guerre et qu’on allait distribuer des morceaux de pain. Alors que
j’étais l’une des dernières arrivées, il me fait entrer, et me fait attendre
pendant plusieurs heures sans me faire passer d’audition, pour finalement
m’avouer : « -Je suis obligé de
faire semblant de faire passer des auditions mais on m’a conseillé telle
comédienne, car elle est imposée par untel. Mais je vais t’inviter à
dîner, je suis sûre que tu n’es jamais montée dans une Mercedes 190 SL »
« -Je n’en ai rien à foutre, je veux partir ! ». Il m’a
proposé de me raccompagner et j’ai refusé, alors que le quartier des
Buttes-Chaumont était dangereux à l’époque, à part les studios de télévision il
n’y avait rien, pas d’habitations, et pas de station de taxi.
J’ai tourné un téléfilm, Celui qui n’y croyait pas (1965) pour
Jean-Paul Carrère, un monsieur très élégant, très « Jacques
Barclay ». Quelques temps après ce tournage, il me convoque pour me dire « -Je cherche un couple de comédiens
pour tourner dans une adaptation des « Hauts de Hurlevent », vous
avez le tempérament de Catherine, est-ce que ça vous intéresse ? »
« -Oh oui, depuis que j’ai vu ce film j’ai toujours rêvé de jouer
Catherine, c’est une battante, une fonceuse. » « -J’ai pensé à un
comédien pour Heathcliff, mais je ne suis pas sûr de moi, il fait trop
bûcheron. Voyez-vous quelqu’un qui ait ce gabarit là tout en étant
élégant ? ». Et je lui parle de mon ami Claude Titre, qu’il ne
connaissait pas, et lui donne ses coordonnées.
Je venais régulièrement de
Nogent-sur-Marne à Paris pour parler avec lui de l’avancée du projet, mais il
hésitait encore à me choisir : « -Vous êtes tellement brune que ça me
fait peur !» « -Merle Oberon aussi était brune dans le film… »
«-Oui, mais c’était une erreur. » «-Je ne suis pas de votre avis, il
ressort physiquement ce qu’elle a intérieurement, elle devient hystérique pour
défendre celui qu’elle aime. »
Je n’en entends plus parler, et un
jour je vois que ça passe à la télévision. Il avait pris Geneviève Casile, qui
est sublime. Et devinez quoi, alors qu’il me reprochait d’être brune, il avait
mis à Geneviève Casile, qui est blonde… une perruque brune ! Et Claude
Titre jouait Heathcliff, comme il est superstitieux il ne m’avait pas dit qu’il
avait participé au tournage, et ne m’a jamais cru quand je lui ai dit que
c’était grâce à moi qu’il avait été choisi, il ne s’imaginait pas que je puisse
influencer un metteur en scène.
Tout a été tourné en studio, quand
les gens marchaient ça faisait « boum » « boum » car tout
était en bois. Au début du film, ça commence dans la lande irlandaise avec le
vent qui souffle. Heathcliff marche difficilement avec un vent de face,
s’arrête devant la maison et quelqu’un vient lui ouvrir en tenant une bougie.
Dans le film avec Laurence Olivier, la bougie était protégée du vent par une
cage en verre, alors que dans le téléfilm français il n’y avait aucune
protection, et la bougie ne bougeait pas, imperturbable. C’était la cata
(rires).
DLODS : Que pensez-vous du doublage aujourd’hui ?
Je trouve qu’il y a un manque
d’implication, de rigueur, de professionnalisme, d’intérêt au métier, et de
lucidité face à la chance immense que nous avons, chance qui est d’autant plus
grande pour des comédiens qui débutent, que maintenant qu’il y a internet, des
bases de données, etc. vous avez parfois la possibilité de garder à vie –hélas parfois-
un comédien que vous doublez. Les directeurs de plateau ont le pouvoir. Alors
que peu ont l’oreille musicale, on les croit comme si c’était le bon
dieu qui parlait.
Je me souviens encore de cette séance
dans les années 90, peu de temps après la grève, Michel Roux est convoqué à 14h
et arrive à 12h50, il se pose dans le studio et ferme les yeux : «- Vous dormez ? » «- Non, je ne dors
pas ». Je n’avais jamais osé le tutoyer, je n’avais pas souvent travaillé
avec lui, à part des petites choses dans Amicalement
vôtre ou La Légende des Strauss où
je débutais et où il avait toujours été très bienveillant.
Après avoir entendu la première
boucle, où les jeunes qui étaient là ne savaient pas ce qu’il se passait dans
le film et n’avaient pas l’air intéressés par ce qu’ils faisaient, le directeur
artistique leur dit « Amour, joie,
bonheur, (son slogan), première boucle, one take. C’est-y pas
merveilleux ? ». Il n’avait donné aucune indication, deux ou trois
scènes se passent comme ça avec les autres, et puis tout d’un coup arrive notre
tour à Michel et à moi. Michel Roux doublait Tony Curtis et moi je ne sais plus
qui. A l’image, Tony Curtis arrive en nage et en colère. On fait une première
prise, Michel ne bouge pas d’un poil, toujours très statique devant un micro,
et fait quelque chose de parfait. Et là
le directeur artistique, pour montrer qu’il est un grand metteur en scène de
théâtre, un auteur dramatique et directeur de plateau avisé lui dit : « -Michel, je voulais vous demander : vous
avez vu sa jugulaire ? » «- Non, pourquoi? » « - Je pense que si vous l’aviez
vue vous ne l’auriez pas jouée comme ça. Quand on a la jugulaire gonflée comme
ça, ça veut dire qu’on est très très très en colère » «- Ah» « -Bon, on la
refait». On refait la scène et là il lui dit « Eh bien voilà, il suffisait simplement de vous parler de sa jugulaire
». Il n’arrêtait pas de dire des conneries. Michel, imperturbable s’assoit, et me dit pendant le
changement de bobine : « Ca a bien
changé, le doublage !» (rires).
DLODS : Vous avez quand même participé à quelques beaux doublages,
et dans de bonnes conditions, ces derniers temps ?
Virginie Méry |
Oui, les derniers se sont bien passés :
Le Crime de l’Orient-Express (Judi
Dench) pour Michel Derain avec qui je travaille souvent, deux Glenn Close (un
pour Olivia Luccioni, que j’ai connue toute petite et un pour Franck Louis qui connaît
merveilleusement son sujet), Sandy Wexler
(Jane Seymour) pour Isabelle Leprince que je ne connaissais pas.
Et dans quelques jours je vais
doubler Helen Mirren dans un film d’horreur, sous la direction de Virginie Méry.
J’aime travailler avec Virginie, elle est dynamique, vous pousse à vous dépasser. Je l’ai découverte il y
a longtemps comme comédienne chez Alter Ego (société de doublage d’Hervé Icovic,
ndlr) pour un film que je doublais avec Patrick Floersheim. Elle doublait une petite
jeune fille avec une émotion à fleur de peau : en un plan séquence elle
témoignait au tribunal contre son père qui avait violé ses petites sœurs et
elle, et finissait par tout raconter avec une espèce de courage, qui sortait
comme un vomissement, tout en restant très pudique. Virginie venait de
s’enquiller trois scènes sans bavure, sans cafouillage, avec toutes les
nuances, et quand elle a fini sa boucle, tout le monde faisait un silence de
mort sur le plateau, on était scotché.
Et là j’entends la directrice artistique
qui lui dit « -On va la refaire… »
«-Ah bon ? » « -Oui, la labiale n’était pas en place »,
j’étais au fond du studio, et ça a été plus fort que moi, je n’ai pas pu
m’empêcher de crier un « Oh
non ! » de désespoir. Parce
que la labiale n’était pas en place, la directrice de plateau allait foutre en
l’air ce travail plein d’émotion, de pudeur, tout y était. Tout ça pour demander
à Virginie de refaire de façon mécanique une scène qui méritait d’être gardée
telle quelle.
Je regrette qu’on me fasse souvent
enregistrer seule, mais il paraît que je « terrifie » certains
comédiens. De toute façon, on me regarde de travers dans tous les cas, donc
autant dire ce que je pense. En tout cas, sur le dernier Unter Verdacht que j’ai doublé pour Claudio Ventura, je me suis
détestée, c’était d’une tristesse à mourir, on sentait que j’étais seule et que
je ne parlais à personne. J’ai dit à Claudio que pour le prochain épisode (la
comédienne dit à chaque fois qu’elle arrête, et ne peut s’empêcher de
continuer), si aucun comédien n’est là pour enregistrer avec moi je quitterai
le plateau.
DLODS : Vous accordez aussi beaucoup d’importance à la technique.
Chez les ingénieurs du son, j’adore
Emmanuel Mertens, c’est une merveille, digne de Pierre Davanture avec qui
j’avais fait La Guerre des Etoiles.
Il a une poésie, un amour du travail bien fait, il est avec vous (les comédiens
et le directeur artistique), il joue, participe, c’est comme ça que je
comprends le métier, ce n’est pas chacun dans son coin, où tu te fais engueuler
« -Hé, pourquoi tu parles à
l’ingénieur du son ! » «-Pour savoir si ma voix passe… » «-Tu
n’as qu’à le demander à moi ! ».
J’ai également un souvenir
fantastique de Benoît Jolly, qui était ingénieur du son chez Dubbing Brothers, puis
qui a travaillé en solitaire comme monteur à Epinay. Je travaillais pour la
première fois avec lui à Dubbing, et au moment de finir, je vais lui dire « -Au revoir et merci » « -C’est
normal, j’ai fait mon métier » « -Tant mieux si vous considérez la
chose comme ça, mais j’avais la voix dans un triste état, j’avais l’impression
d’entendre une roulette dès que j’ouvrais la bouche, et vous avez fait du très
bon boulot… » « -Je ne vous connaissais pas, Evelyn. A présent qu’on
ne s’avise pas de dire devant moi du mal de vous sinon je lui casse la
gueule ; j’ai travaillé avec une vraie professionnelle ». Sur le chemin du retour, je me retenais pour
ne pas partir en sanglots. Il a fallu attendre que ce soient des gens avec qui
je travaille pour la première fois pour qu’elles me disent des gentillesses,
contrairement à certains avec qui j’ai fait toute ma carrière…
DLODS : On parlait il y a quelques instants de votre regret de ne pas avoir un peu plus joué au théâtre, au cinéma ou à la télévision. Parmi toutes les comédiennes que vous avez doublées, est-ce que vous vous êtes sentie plus « proche » de l’une d’entre elles en terme de personnalité, à tel point que vous auriez presque pu jouer le rôle à sa place si vous en aviez eu l’occasion ?
Glenn Close |
Celle dans laquelle je suis rentrée le plus facilement c’était Jaclyn Smith, c’était gentil mais il n’y avait pas grand-chose à prouver.
Les autres, ça serait prétentieux de ma part de dire qu’elles me correspondaient et que j’aurais pu jouer leur rôle. C’est pour ça que j’aime ce métier. Elles étaient tellement sublimes comme Glenn Close, Meryl Streep dans Out of Africa (à ses débuts dans Kramer contre Kramer, doublée par Annie Sinigalia, je la trouvais formidable, et je l’ai moins aimée dans d’autres films qui ont suivi, où elle reprenait les « tics » de ses débuts), ou la géniale Helen Mirren. Mais toutes ces comédiennes que j’ai doublées m’ont permis d’être moi, différente. Etre un jour une pute, une aristo, une intello, une cinglée… De Brigitte Nielsen qui braille comme une folle à Helen Mirren ou Glenn Close, toutes en nuances. Je n’ai jamais eu le même rôle, c’était toujours différent, il fallait trouver au fond de soi cette chose qui correspondait au personnage qui était en face de nous. Cette chance on ne la donne pas aux comédiens, surtout en France, où au théâtre on ne m’a distribuée que dans des rôles de « filles du soleil ». Aux Etats-Unis, les comédiens se déplacent, un jour ils jouent un gangster, le lendemain un ministre de l’intérieur, alors qu’en France, une fois que vous avez été remarquée dans un rôle vous ne pouvez plus en bouger. Et vous ne pouvez pas être à la fois comédienne, chanteuse et danseuse, c’est suspect...
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