dimanche 25 octobre 2015

Décès de Charles Level

Je viens d'apprendre avec tristesse par un ami musicien le décès de Charles Level le 23 octobre à l'âge de 81 ans.

Malgré une relative médiatisation à l'époque "yéyé" puis plus tard dans les années 80, les informations publiques sur la vie et le parcours de Charles Level (né Leveel) sont quasi-inexistantes. On sait qu'il est né à Cherbourg et qu'il passe (apparemment à partir de la rentrée 1960) dans le Petit Conservatoire de Mireille, mais il paraît plus âgé que ses camarades et avoir déjà une expérience de la scène. 

Daniel Beretta (comédien, chanteur, voix française d'Arnold Schwarzenegger) me le confirme: "Il est arrivé un peu avant moi au Petit Conservatoire, c'était un très bon imitateur et il écrivait beaucoup de parodies. Mireille aimait qu'on fasse des parodies de Mozart, Tchaïkovsky, etc. donc avec Pascal Sevran et Claude Lemesle ils en ont écrit beaucoup. Avec Charles on a souvent chanté en duo ou trio. Une anecdote assez drôle: lorsqu'on faisait une émission de télévision, très souvent il y avait sa photo à la place de la mienne, et la mienne à la place de la sienne. On devait se ressembler tous les deux. Il a écrit des chansons pour beaucoup de chanteurs de l'époque et c'était un mec très gentil et plein de talent. Il avait au moins dix ans de plus que nous donc c'était un peu le "patron" après Mireille. On s'est par la suite recroisé plusieurs fois aux fêtes de Mireille qui l'aimait beaucoup".



Belle gueule, semblant assez fier de lui, il charme l'auditoire avec une voix de crooner et des textes intéressants, mais déjà, dans cet extrait où il chante une version française de "Georgia on my mind", Mireille pointe un défaut: trop de dons, et du coup une dispersion qui par la suite desservira certainement sa carrière (on peut mettre en parallèle ce problème avec celui de José Bartel).

Sous le nom de "Charlie Level et les Carnaval's" il enregistre de nombreux disques de reprises dans les années 60. Il fait également du cabaret en tant que chansonnier. A partir de 1968, il écrit plus de deux mille chansons pour Dalida, Sacha Distel, Sylvie Vartan, Michel Delpech, Annie Cordy, les Compagnons de la Chanson, Mireille Mathieu, les Costa, Thierry Le Luron... Il écrit également des chansons pour la télévision (Chapi Chapo, musique François de Roubaix), le théâtre (Le voyage de Monsieur Perrichon, La Célestine, Madame Sans-gêne) et le music-hall (Casino de Paris, Folies-Bergère, Paradis Latin). 
Son ami Jacques Martin l'intègre au début des années 80 dans plusieurs émissions: à la radio dans Les Grosses Têtes de Philippe Bouvard, où Level, avec sa guitare, improvise des chansons et fait des imitations. Et à la télévision dans Thé dansant où il reprend des anciens succès de la chanson française, accompagné par l'orchestre de Bob Quibel.
"Au pays de Candy" chanté par Dominique Poulain (paroles Charles Level)

Dans les années 80, Charles Level s'impose également comme un adaptateur de chansons pour des comédies musicales (Barnum au Cirque d'hiver), des doublages (La Belle et le Clochard, Basil détective privé, Oliver et Compagnie, Winnie l'ourson, etc.) et surtout, pour des dizaines de génériques qui deviendront "cultes": Les aventures de Candy, Rémi sans famille, La Bande à Picsou et la plupart des génériques de la Cinq (Olive et Tom, Le Petit Lord, Embrasse-moi Lucile, Sous le signe des mousquetaires, etc.). Il est possible d'après mon ami Jean Cussac (choriste, et directeur musical de doublage dans les années 80) qu'il ait également fait du doublage en tant que chanteur.


"Le Petit Lord" chanté par Claude Lombard (paroles Charles Level)

Claude Lombard, interprète soliste de la plupart des génériques de dessins animés de la Cinq, se souvient de sa collaboration avec Charles Level: "Je l'ai connu au moment des génériques de la Cinq. Nous recevions les playbacks orchestraux, la version italienne, un synopsis du dessin animé et les textes en italien quelques jours avant. Charles adaptait en français six ou sept chansons en deux jours, ou même parfois en une journée. C'était un homme charmant qui avait beaucoup de talent, connaissait son métier, écrivait vite et bien. Je tiens à le préciser car je lis parfois des critiques sur internet de personnes qui disent "Tu te rends compte, ils ont écrit ou enregistré ça en une journée, c'est du travail bâclé" car c'est faux. Les gens qui travaillent vite, comme Charles Level, ou comme Olivier Constantin ou Michel Barouille qui déchiffrent une partition en cinq minutes et enregistrent en une seule prise, travaillent vite car ils ont tout simplement du talent. Ce ne sont pas des gens laborieux, qui mettent deux ou trois jours pour apprendre une chanson et la chanter à moitié bien. Pour en revenir à Charles Level, il m'envoyait ses textes par fax en me disant de revenir vers lui si quelque chose ne fonctionnait pas et je l'appelais quand il y avait un problème sur une phrase, mais ça se passait très simplement, sans prise de tête. Il était venu aux premiers enregistrements pour voir comment ça se passait. C'était un gros nounours, un peu bourru, avec son cigare. Ca se faisait très vite, on enregistrait six ou sept titres en une journée avec le producteur italien dans un studio rue de l'abbé Grégoire."

On m'avait donné les coordonnées de Charles Level mais je n'avais jamais eu ou pris le temps de le contacter, impuissant devant la course folle du temps et le "grand départ" de nombreux artistes de l'ombre qui n'ont jamais eu l'occasion de se confier sur leur carrière dans une interview. Je le regrette car il devait être un artiste passionnant. 

Ses obsèques auront lieu mercredi à 15h15 au cimetière de Bagneux.

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jeudi 8 octobre 2015

Décès d'Yves Barsacq

Nous venons d'apprendre par des journaux régionaux italiens (La Stampa Savona, etc.) qu'Yves Barsacq nous a quittés dimanche 4 octobre. L'acteur vivait une grande partie de l'année à Albenga, sur le littoral de la Riviera ligure.

Il était né en 1931 dans un environnement artistique, fils de Léon Barsacq (grand décorateur pour le cinéma et le théâtre, nommé aux Oscars pour Le Jour le plus long) et neveu d'André Barsacq (illustre metteur en scène, scénographe et directeur de théâtre). Yves suit des cours à l'Institut Lumière et à l'Idhec, et fait ses débuts comme assistant prise de vue au cinéma, puis cameraman à la télévision. En parallèle, il prend des cours de théâtre et devient comédien. Il est ce qu'on peut appeler un "troisième couteau" et joue des petits rôles dans au moins une centaine de films, alternant souvent flics et gangsters (de la série des Gendarmes avec Louis de Funès, à PlayTime de Jacques Tati). Des personnages peu bavards et parfois un peu niais, contrastant avec l'homme érudit et drôle qu'il était dans la vie.

En doublage, on lui confie plus volontiers des rôles d'autorité, vifs et volubiles, à l'articulation parfaite: l'extraordinaire Alan Arkin (le producteur Siegel, que Barsacq aurait très bien pu jouer lui-même tant l'association entre les deux acteurs est naturelle) dans Argo, Pat Hingle (Commissaire Gordon) dans  Batman de Tim Burton, Jack Weston (Kellerman) dans Dirty Dancing, Colin Blakely (Sir Horace Blatt, milliardaire "enfumé" par la belle Diana Rigg) dans Meurtre au soleil, Walter Gotell (Général Gogol) dans L'espion qui m'aimait et Moonraker, et occasionnellement Gene Hackman, Donald Pleasence, etc. 
En dessins animés, on lui doit Dupont ("avec un T") et de nombreux personnages secondaires dans la série d'animation Tintin des années 90, mais encore le "Pépé" de Cédric. (Montage d'extraits de ses doublages par "Le Monde du Doublage Français" ici)

Yves Barsacq (qui en tant que spectateur ne regardait jamais de films doublés) s'amusait des petits rôles qu'on lui confiait. Un jour, sur un plateau doublage, il raconte devant des camarades de micro hilares (dont Frédéric Pieretti, à qui je dois cette anecdote): "Pendant mes vacances à Hollywood, je suis allé voir Old Chinese, Bartender, Cop 1 et Cop 2 et je leur ai dit : "En Français, c'est moi qui vous double !""
Autre anecdote, racontée par mon amie Hélène Otternaud: "Je me souviens de lui en studio jouant la plus profonde concentration et demandant le silence avant d'annoncer sentencieusement :  " J'entre en barre"..."
"Trait d'esprit" relaté par Michel Paulin: " C'est plus facile de sortir de la SPA avec un chien que de la SPS avec un chèque !" (SPS: grande société de doublage, ndlr).

Une interview qu'il a donnée il y a quelques mois pour FilmoTV nous offre un aperçu de l'humour, l'intelligence et la vie passionnante du comédien (à voir ici; la vidéo ne semble pas s'ouvrir sur tous les navigateurs. Préférer Firefox).
Ne pas avoir eu l'occasion ou le temps de le rencontrer et partager ses souvenirs est et restera certainement l'un de mes grands regrets.



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