Avec l’aide de nombreux amis artistes, je profite du confinement pour réaliser à distance des vidéos musicales de chansons de film que je voulais depuis longtemps monter en concert pour une soirée « Dans l’ombre des studios » (comme je l’avais fait autour des grandes voix Disney en 2015 et 2016). L’occasion de revenir sur l’histoire de ces chansons, et d’ouvrir mes archives. Aujourd’hui : « Ode à la nuit », écrite et composée par Jacques Brel et arrangée par François Rauber pour le film d’animation Tintin et le Temple du Soleil (1969).
(Remerciements à Serge Elhaïk, Claude Ermelin, Gérard Rauber et à la regrettée Lucie Dolène)
Entre la production du film d’animation Astérix et Cléopâtre (1968) et celle de Lucky Luke : Daisy Town (1971), Raymond Leblanc lance un autre projet pour les studios Belvision : Tintin et le Temple du Soleil (1969), compilant en un film le diptyque Les Sept Boules de Cristal / Le Temple du Soleil.
Raymond Leblanc cherchant un compositeur pour la musique du film, Henri Gruel (responsable des effets sonores, également producteur et scénariste) lui suggère François Rauber (compositeur, et fidèle arrangeur de Jacques Brel), avec qui il a travaillé pour des disques pour enfants chez Philips.
François Rauber |
Et les chansons ? François Rauber s’en souvenait dans un entretien avec Serge Elhaïk (reproduit dans Les arrangeurs de la chanson française, éditions Textuel) : « Raymond Leblanc, qui était belge, avait connu Jacques Brel par le passé. Quand il a souhaité deux chansons pour le personnage de Zorrino dans Tintin et le Temple du Soleil, il m’a naturellement demandé de solliciter Brel pour les écrire. Ce dernier a accepté, alors que j’étais convaincu qu’il refuserait, puisqu’il avait pris ses distances avec le métier à cette époque. »
Jacques Brel écrit et compose spécialement deux chansons (dont les manuscrits ont été vendus aux enchères en 2008) qui sont de véritables merveilles : « Ode à la Nuit » chantée par Zorrino (scène où Tintin, Haddock et les Dupondt s’endorment dans la forêt) et « Chanson de Zorrino » chantée en duo par Zorrino et la fille du chef Inca (scène là encore nocturne, où Zorrino, emprisonné, est désespéré par son exécution prochaine). Pour ces deux chansons, François Rauber choisit une orchestration assez similaire, qui tranche avec l’orchestration des instrumentaux du film : petit chœur féminin, harpe, glockenspiel, guitares, contrebasse, flûtes (avec en plus une flûte alto pour « Chanson de Zorrino »), trompette (avec sourdine pour « Chanson de Zorrino »), clarinette (pour « Ode à la Nuit »), percussions (pour « Chanson de Zorrino »).
« Ode à la nuit », malheureusement coupée lors de ses dernières diffusions (l'image a été remasterisée à partir de l'image américaine, dans laquelle la séquence était coupée), me fait fortement penser par son rythme, son ambiance, sa couleur orchestrale, etc. à « L’Ostendaise » enregistrée un an plus tôt par le même Jacques Brel.
Jacques Brel: "L'Ostendaise"
Lucie Dolène |
Claude Ermelin, qui était à la prise de son, se souvient lui aussi de la gentillesse de Hergé… et de son regret de ne pas avoir pensé à lui demander une dédicace.
Quand Lucie parle du « début de tournage » de Mon oncle Benjamin, il s’agirait plutôt des préparations hippiques et sportives (comme Lucie l’a ultérieurement précisé à mon ami Grégoire Philibert pour son autobiographie, Hollywood, non merci ! bientôt publiée chez L’Harmattan), les séances dateraient certainement de mars ou avril 1969 (peut-être le 16 avril, avec Danielle Licari et Jackye Castan dans les choeurs).
En mai 1969, une copie de travail est projetée au MIPTV de Cannes. On apprend dans l’excellent livre Belvision (de Daniel Couvreur, éditions Le Lombard) que Raymond Leblanc avait notifié à François Rauber qu’il trouvait la musique trop « ironique, grinçante, parodique. C’est un film d’aventures et pas un Walt Disney. Le thème doit être plus grave, plus mélodique. Moins lyrique, moins sentimental », remarques qui me paraissent un peu contradictoires et qui ont dû laisser François Rauber perplexe. On ne sait pas si suite à ses remarques certains passages ont été réenregistrés ou pas. Raymond Leblanc et François Rauber ont en tout cas continué à collaborer ensemble sur Tintin et le Lac aux Requins (1972)).
Le film sort en salles le 17 décembre 1969.
NOTRE REPRISE CONFINÉE
« Ode à la Nuit » faisait (et fait toujours) partie des chansons que je souhaitais depuis longtemps monter pour un concert « Dans l’ombre des studios ». Mon amie Lucie Dolène ne pouvant alors plus se produire sur scène pour des raisons de santé, j’en avais parlé il y a deux ou trois ans à Rachel Pignot, non pas par association d’idées (Rachel ayant « remplacé » Lucie lors du redoublage de 2001 de Blanche Neige et les Sept Nains), mais parce que tout simplement, parmi les nombreux artistes que je connaissais, elle était pour moi la meilleure interprète possible sur cette chanson. Rachel avait alors été très emballée car c’était une chanson qu’elle aimait depuis toujours, sans savoir jusque-là qu’elle était chantée par Lucie Dolène.
J’avais fait des démarches auprès de la famille Rauber pour retrouver les partitions, mais malheureusement, comme François Rauber n’avait pas composé mais seulement écrit les orchestrations sur cette chanson, elles étaient introuvables.
Lors des premiers jours du confinement, c’était tout naturel qu’ « Ode à la nuit » ferait partie des chansons que nous allions enregistrer à distance. Et puis, la santé de Lucie, déjà très faible, s’est dégradée. Et ce qui devait être un simple projet de reprise s’est transformé en hommage, quand Lucie nous a quittés le 9 avril 2020.
N’ayant aucune partition, j’ai proposé à Mathieu Serradell deux options : un accompagnement minimaliste (accordéon ou piano) ou un arrangement se rapprochant de l’original, sachant que je pourrais solliciter, parmi mes amis, une harpiste (Barbara-Jane), un flûtiste/clarinettiste (Jean-Pierre Solvès) et des choristes (Wassila Benaïssa, Eléonore Duizabo, Sandra Gaugué et Cécile Oechsner de Coninck, que j’ai choisis en fonction de la douceur de leur voix et de l’homogénéité possible de leurs quatre voix réunies). A ma grande joie, Mathieu a choisi la seconde, et je dois dire que j’ai été très ému quand le lendemain (!) il m’a envoyé une première simulation d’arrangement, absolument magnifique.
Je suis heureux de vous présenter cet hommage, dû au talent de tous ces artistes et de nos fantastiques Grégoire Philibert (montage vidéo) et Stéphane Bonduel (montage audio et mixage).
Pour Lucie…
Chant solo confiné : Rachel Pignot.
Accompagnement musical confiné : Barbara-Jane (Harpe), Mathieu Serradell (Claviers) et Jean-Pierre Solvès (Flûtes, clarinette).
Chœurs confinés : Wassila Benaïssa, Eléonore Duizabo, Sandra Gaugué et Cécile Oechsner de Coninck.
Idée originale, distribution artistique et coordination confinées : Rémi Carémel (Dans l’ombre des studios).
Arrangements et direction musicale confinés : Mathieu Serradell (d’après les arrangements originaux de François Rauber)
Montage vidéo confiné : Grégoire Philibert
Mixage confiné : Stéphane Bonduel
« Ode à la Nuit » du film d’animation « Tintin et le Temple du Soleil» (1969) :
Paroles et musique : Jacques Brel / Arrangements originaux : François Rauber / Interprète originale : Lucie Dolène / Éditions musicales : Éditions Raymond Leblanc
Les musiciens, chanteurs et techniciens remercient leurs proches (notamment Perle Solvès) pour leur patience et leur aide technique.
Cette vidéo est dédiée à la mémoire de notre amie Lucie Dolène (1931-2020).
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