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Dans l'ombre des studios: Quelle a été votre première « rencontre » avec Blanche-Neige ?
Ma première rencontre avec Blanche-Neige a eu lieu quand j’avais une dizaine d’années et que Blanche-Neige et les sept nains est sorti pour la première fois en France en 1938, ça a été un enchantement. Il faut bien reconnaître que c’est un film dont la musique est une beauté du commencement à la fin, c’est génial. Il n’y a que de belles chansons dans Blanche-Neige, aussi bien celles du prince que celles de Blanche-Neige. Il m’est même arrivé de chanter « Un chant, je n’ai qu’un seul chant » chantée par le prince dans le film, tellement c’est beau. Comme je vous l’ai expliqué, je chantais beaucoup étant petite fille. Évidemment je chantais « Un jour mon prince viendra » quand j’avais une dizaine d’années, et je l’ai interprétée à la fête de fin d’année de mon école. J’ai toujours le programme de mon école avec une Blanche-Neige dessinée dessus !
DLODS: Savez-vous qui interprétait Blanche-Neige dans le premier doublage ?
Lucienne Dugard a fait le doublage et Elyane Célis a enregistré les disques, et elle a tout raflé ! D’où la confusion. Lucienne Dugard, personne ne connaît. Il m’a été raconté, je ne sais pas si c’est vrai, une histoire assez étonnante. C’est Colette Brosset, la femme de Robert Dhéry, qui m’avait raconté ça, parce qu’on avait fait un spectacle ensemble, qu’elle chorégraphiait, L’amour masqué. Apparemment, Lucienne Dugard –c’était une visionnaire cette femme à l’époque- avait refusé qu’on lui paie un cachet, elle avait demandé un pourcentage sur la recette du film (rires). C’est extraordinaire !
(Ndlr: Quelques mois après cet entretien, des recherches effectuées par François Justamand (La Gazette du Doublage) puis Greg Philip et moi-même, ont prouvé que Lucienne Dugard n'avait fait que le disque. Le doublage de 1938 a été fait à Hollywood par Christiane Tourneur (dialogues) et Beatrice Hagen (chanteuse)).
DLODS: Est-ce que vous savez pourquoi ils ont décidé de faire ce redoublage en 62 ?
Je pense que c’était pour améliorer le son. Le côté technique de la chose je ne pourrai pas vous l’expliquer mais je pense que c’est ça. Et le fait de trouver de nouvelles voix. C’est là où je dois dire que j’ai eu vraiment de la chance.
Reportage sur le redoublage de Blanche Neige et les sept nains (1962)
avec Lucie Dolène et le reste de la distribution
DLODS: Dans quelles circonstances avez-vous été contactée ?
On m’a appelée un matin pour me dire « Est-ce que vous voulez faire des essais pour la voix chantée de Blanche-Neige ? ». Alors, j’ai dit oui, bien sûr, et je suis allée au studio où j’ai passé un essai sur « Un jour mon prince viendra ». J’allais quitter le studio quand j’ai entendu l’ingénieur du son dans la cabine dire à son camarade « Bon, ben c’était bien, Dolène, mais on a toujours personne pour la voix parlée !». Alors je suis vite revenue dans le studio, j’ai refermé la porte derrière moi et j’ai dit « Ecoutez, faites-moi faire un essai pour la voix parlée, car je suis aussi comédienne. On ne sait jamais ! ». Ils m’ont répondu que c’était une bonne idée et on a monté une boucle de Blanche-Neige quand elle fait le ménage dans la maison des nains. Le lendemain, vers 9h du matin, on m’appelle « C’est vous, Lucie ! Monsieur Ketting, le représentant de Walt Disney, est fou de joie d’avoir trouvé la même voix pour chanter et parler, c’est génial. C’est vous qui le faites ! »
DLODS: Vous rappelez-vous les autres comédiennes ou chanteuses qui avaient passé les essais ?
Pas du tout. Je n’ai jamais su qui les avait passés. Ce que l’on m’a raconté, pour ce qui me concerne, c’est qu’une cantatrice de l’Opéra qui s’appelait Jeanine Micheau et qui était professeur au conservatoire avait présenté une ou deux de ses élèves pour Blanche-Neige. Et elle a dit à la production « Mais est-ce que vous avez contacté une jeune femme qui s’appelle Lucie Dolène qui a une très jolie voix, très fraîche, vous devriez la contacter !». J’avais trouvé cela extrêmement gentil et j’étais très flattée que Madame Jeanine Micheau qui était une cantatrice renommée, merveilleuse, et professeur au conservatoire me connaisse.
DLODS: En 1997 vous avez tourné dans Blanche Neige Lucie, un court-métrage de Pierre Huyghe à propos de ce doublage, qu’en avez-vous pensé ?
Ah, vous avez vu ça ? Je crois qu’il a eu un prix pour ce film mais je n’ai jamais vu le résultat final. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de ce garçon, et j’ai trouvé ça un petit peu cavalier car on devait se revoir, et il se devait de me revoir et il n’a jamais plus donné signe de vie, mais bon, ce sont des choses qui arrivent.
Blanche Neige Lucie (1997) de Pierre Huyghe
DLODS: Dans le même registre que Blanche-Neige, est-ce que vous avez passé une audition pour Mary Poppins, et savez-vous ce qu’est devenue son interprète, Eliane Thibault?
Non je n’ai pas été contactée pour Mary Poppins. Et concernant Eliane Thibault, je connais son nom mais je ne l’ai jamais rencontrée.
(Ndlr: Nous l'avons retrouvée et rencontrée entre temps. Parution de l'entretien à venir...)
DLODS: A vos débuts dans le doublage, vous est-il arrivé d’être engagée comme simple choriste ?
Non, à cette époque là, j’étais toujours engagée comme soliste. Par contre, je ne vous ai pas encore dit qu’à mes tous débuts j’étais choriste à l’ORTF, et j’en ai fait des chœurs ! J’ai fait plein d’émissions et je gagnais ma vie comme ça quand j’avais 16-17 ans. J’ai fait plein de choses formidables avec des grands maîtres, de grandes émissions, comme la 9ème de Beethoven avec Serge Koussevitzky. Je me souviens de ce maître qui était si féroce avec les chanteurs !
DLODS: Est-ce que vous vous souvenez du Livre de la Jungle dans lequel vous doubliez la petite fille ?
J’avais trouvé cela adorable à faire, ça s’était très bien passé, sans problème, sans histoires.
DLODS: C’était l’une de vos premières participations sous la direction musicale de Georges Tzipine.
J’ai fait tellement de choses avec les Tzipine. J’adorais Joseph surtout. C’était un homme délicieux, qui adorait les artistes.
DLODS: Que faisait-il justement ?
Il a fait de la direction artistique, (alors que son frère Georges était directeur musical, ndlr) mais il était aussi très bon musicien, il savait de quoi il parlait, et nous avons fait avec mon fils aîné Olivier et lui le long-métrage de Snoopy. Moi je faisais la voix de Linus.
DLODS: A propos des chansons Disney, est-ce que l’enregistrement que vous faites pour le film est le même que celui qu’on retrouve ensuite en CD, car parfois, peut-être en raison de différences dans le mixage, on a l’impression qu’il s’agit d’une version légèrement différente ?
A moi cela ne m’est jamais arrivé. A une exception : en 1966 on avait refait un enregistrement de Blanche-Neige pour « Holiday on Ice » avec un homme charmant, un producteur, qui s’appelait Claude Giraud (à ne pas confondre avec le comédien Claude Giraud, ndlr), qui était un « gentleman » lui aussi. Cette année-là j’ai eu un terrible accident de voiture et j’ai reçu une très jolie lettre de la petite qui jouait Blanche-Neige dans Holiday on Ice et qui avait appris mon accident. C’était une lettre absolument adorable.
"Ode à la nuit" (du film Tintin et le Temple du soleil (1969)) chantée par Lucie Dolène
DLODS: Vous avez aussi doublé Zorrino dans le film d'animation Tintin et le Temple du Soleil . Est-ce François Rauber, le compositeur, qui vous dirigeait en personne ?
Oui, absolument. Et Jacques Brel assistait aux séances. Il avait écrit certaines chansons avec François Rauber et ce film lui tenait à cœur car à l’époque il commençait le tournage de Mon Oncle Benjamin et je me souviens qu’il avait annulé tous ses rendez-vous ce jour-là pour rester avec nous jusqu’à la fin de l’enregistrement.
DLODS: Avez-vous rencontré Hergé ?
Oui, il y avait Hergé qui était là aussi, qui assistait à l’enregistrement de Tintin et qui était la crème des hommes. Il était très content de notre travail. Quel homme délicieux, gentil. Vous savez, en général, tous les grands personnages, tous les créateurs, sont tous tellement gentils et humbles, et pleins d’humilité et de naturel. Ce sont souvent les m’as-tu vu, les gens qui n’ont pas prouvé grand-chose, qui font beaucoup d’esbroufe. C’est classique.
DLODS: Dans les années 60 vous avez aussi participé à des post-synchro de films français.
J’ai doublé le petit garçon dans L’arbre de Noël, avec Bourvil et William Holden. Le metteur en scène, Terence Young, avait dit « Je ne veux surtout pas d’une femme qui fasse une voix de petit garçon ». On lui a proposé deux ou trois essais qui n’étaient pas concluants, et, en fin de compte, on m’a fait faire un essai sans rien lui dire. Et quand on lui a fait écouter mon essai il a dit « Ah ben vous voyez, ça c’est un petit garçon ! » (rires). Après on m’a collé dans la salle pour que je regarde le film et je suis sortie en larmes tellement c’était triste. Un très beau film. Bourvil avait tourné en anglais et il était éblouissant !
J’ai aussi chanté une chanson dans Les Mystères de Paris avec Jean Marais, j’ai doublé une petite anglaise qui jouait là-dedans une sorte de petite Cosette.
J’ai chanté aussi deux jolies chansons dans Frou Frou, un film avec Dany Robin. Elle faisait croire que c’est elle qui chantait (rires). J’avais lu des articles de presse « On a découvert la jolie voix de Dany Robin ». Ce n’est pas très fair-play. Il y a aussi un comédien qui depuis m’a vraiment déçue, c’est Gérard Lanvin. Mon fils aîné (Olivier Constantin, ndlr) a une voix magnifique et c’est lui qui double Gérard Lanvin dans Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine dans la chanson du « Chevalier blanc » (elle chantonne l’air). Et Monsieur Lanvin, depuis quelques temps, se produit dans des émissions en disant « Oui, c’est moi qui ai chanté « Je suis le chevalier blanc » ». Alors je me demande à quoi ça l’avance, qu’est-ce que ça lui rapporte de bluffer sur une chanson comme ça. J’avais beaucoup d’admiration et une certaine estime pour l’homme autant que le comédien que je trouve très bon, mais depuis ce temps-là il m’a déçue.
DLODS: De nombreuses actrices célèbres étaient doublées pour les chansons comme Catherine Deneuve et Françoise Dorléac dans les films de Jacques Demy. Dans les années 50 il y avait aussi Françoise Arnoul qui était doublée par Paulette Rollin. Vous avez dû la connaître ?
Ah oui, j’ai bien connu Paulette Rollin. Et Françoise Arnoul fait partie, avec nous deux, des « amis de Pierrot » (l’association des amis de Pierre Trabaud, ndlr).
DLODS: Je crois que vous aviez beaucoup d’affection pour Pierre Trabaud.
J’aimais beaucoup Pierre, il est là (elle désigne une photo de lui sur sa bibliothèque). Je ne me rappelle plus dans quelles circonstances je l’ai connu, mais on s’est bien connus à une époque et on s’est retrouvés un jour à ma grande surprise sur un doublage où il était chef de plateau. Il n’était pas commode comme directeur artistique, d’ailleurs. Depuis je l’ai revu de nombreuses fois. Et son épouse et lui sont venus tous les deux à Noisy quand on a donné notre spectacle en souvenir de Constantin, qui était une belle soirée, vous savez. De ces soirées qu’on ne recommence pas deux fois car il y a tout d’un coup un état de grâce, il y a des choses qui se passent. Pierre est venu me prendre par les épaules en plein spectacle en me disant « Ah, Lucie c’est formidable, c’est formidable ».
DLODS: Dans les années 60 vous avez eu surtout des rôles chantés, principalement des enfants, puis vous avez commencé à avoir des rôles « parlés » et de femmes de votre âge dans les années 70…
Oui, j’ai fait notamment Amour, gloire et beauté , Rituels, Jeune docteur, deux ou trois séries qui m’ont bien nourrie, comme on dit. Avec de jolis rôles.
DLODS: Il semble que vous en ayez beaucoup moins fait pendant une période.
Oui j’ai recommencé en 1986 à refaire un petit peu de doublage et c’était très difficile parce que ça allait très vite et il fallait s’accrocher, je restais des journées entières à écouter les autres et à lire en même temps que tout le monde pour me remettre à flot.
DLODS: Pour quelles raisons avez-vous fait cette pause ?
Parce que j’ai fait plein d’autres choses autour et qu’on ne m’en a plus proposé à un moment. Et puis ce n’était pas la même façon de travailler, je me souviens que quand on a fait « Oliver ! » par exemple on était en « première classe », on avait tout notre temps. « Lucie est-ce que vous allez bien ? Est-ce que vous voulez boire quelque chose ? Voulez-vous sortir cinq minutes pour respirer ? ». C’était l’âge d’or, c’était formidable, on avait des directeurs de plateaux qui étaient des gentlemen. Ça a complètement changé, complètement évolué et donc ça m’a fait plaisir de refaire du doublage mais ça m’a coûté beaucoup d’efforts pour m’y remettre et avoir cette vitesse de lecture pendant que la bande passe et de remonter à l’image à la fin pour ne pas dépasser. C’est très difficile le doublage, vous savez ! Vous avez dû assister à des séances, vous savez comment cela fonctionne.
"Histoire éternelle" (du film La Belle et la Bête (1991)) chantée par Lucie Dolène
(version d'époque)
DLODS: Après cette petite pause, vous avez doublé Madame Samovar dans « La Belle et la Bête » en 1991. Vous aviez passé un essai ?
Non, je ne crois pas.
DLODS: La voix originale (Angela Lansbury) est beaucoup plus âgée que votre voix, ce qu’ils ont tenté de « rectifier » en faisant redoubler vos chansons par Christiane Legrand, mais cela a attiré les foudres des fans du film.
Ils ont refait une nouvelle version ? Je ne savais pas.
DLODS: Ils ont enlevé votre voix du DVD suite au procès Disney.
Ah oui, c’est vrai que « La Belle et la Bête » est un Disney. Ils m’ont enlevée de partout. Je ne savais pas que c’était Christiane, que je connais bien. La chanson ne collait peut-être pas avec sa voix, je ne sais pas.
DLODS: En 1997, vous doublez la poule Babette dans Chicken Run . Est-ce que vous aviez enregistré avec Gérard Depardieu et Valérie Lemercier ?
Non, je ne les ai pas rencontrés, on a enregistré à part. Mais je n’avais pas grand-chose à faire.
DLODS: Et à ce propos, qu’est-ce que vous pensez des stars qui font du doublage ?
Écoutez, je pense que c’est bien, si ce qu’elles font correspond à ce qu’on leur demande et qu’au final ce soit époustouflant et bien fait… et je ne vois pas pourquoi ça ne serait pas bon ! Si ce sont des stars, il y a des raisons.
DLODS: Quand je dis « star » je veux dire aussi « people » non comédiens, des sportifs, des animateurs de télévision ou des gens issus de la télé-réalité par exemple.
Oui, ça c’est le grand malentendu. Quand Depardieu fait du doublage, je trouve ça très bien, et il y en a d’autres comme lui. Ils en font tous maintenant plus ou moins. Évidemment, quand ce sont des gens qu’on distribue comme ça, parce que ce sont des « people » comme on dit, c’est un peu injuste pour les personnes dont c’est vraiment le métier et qui ont besoin de travailler et d’en vivre. Ça c’est dur !
DLODS: Avez-vous « introduit » des personnalités de la chanson dans le doublage ?
J’étais très amie de Catherine Sauvage (pour qui Jean Constantin avait écrit « Mets deux thunes dans l’bastringue », ndlr). A la fin de sa vie, elle n’avait plus trop de travail et m’avait demandé si je pouvais essayer de la caser sur un doublage. J’en avais parlé à une directrice artistique qui m’avait répondu « Ah bon ? Catherine Sauvage ? ». Elle qui fut une si grande comédienne et chanteuse, elle aurait très bien pu en faire, mais elle n’était plus connue, c’est malheureux.
DLODS: Dans Anastasia vous doublez l’impératrice Marie, et vous avez ainsi retrouvé Angela Lansbury que vous doubliez dans La Belle et la Bête. Est-ce pour cela qu’on vous avait choisie ?
Non, pas du tout. Je ne pense pas qu’ils aient pensé à ça. Anastasia, encore une belle histoire…
DLODS: En 2003 vous avez participé au doublage du film d'animation musical Piccolo et saxo, est-ce que vous avez connu Jean Broussolle des Compagnons de la Chanson ?
Oui, il est venu dîner ici, Jean, un soir, on a passé une très belle soirée. Mais celui que j’ai bien connu, c’est André Popp (le compositeur de Piccolo et saxo, ndlr). C’était un grand ami de mon mari et j’avais fait un beau spectacle avec lui qui s’appelait Cache toi vilain dans un joli petit théâtre, dans un programme qui était produit par Jean-Christophe Averty et Jacques Florent avec le comédien Michel Roux qui était un homme adorable.
Chanson du film Oliver! (1968) chantée par Lucie Dolène (Dodger) et les choeurs
DLODS: Quel est votre plus beau souvenir de doublage ?
J’en ai eu plusieurs dont je vous ai parlé. Par contre, je crois que j’ai oublié de mentionner Oliver ! le film musical avec Oliver Reed qui jouait l’escroc. J’ai même doublé les deux garçons, Oliver et Dodger, parce que le petit Oliver avait fait ses essais avant les vacances, et quand on est rentré en octobre pour commencer le doublage, il avait mué (elle imite la mue en parlant), donc on était un peu pris de court.
DLODS: Vous arriviez à prendre deux voix différentes ?
Oui, alors quand j’avais des scènes avec les deux garçons ensemble ce n’était pas toujours évident, mais je m’en suis quand même bien tirée, ça s’est bien passé.
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