(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)
Dans l’ombre des studios : Je
souhaiterais maintenant que nous évoquions les différentes musiques de films
auxquelles vous avez participé, à commencer par Les Demoiselles de Rochefort (1967)…
Vous me
parliez de maquettes : j’avais été demandée pour enregistrer celles des Demoiselles. Comme je vous l’ai déjà
expliqué pour La Fugue il fallait
présenter quelques airs pour ces messieurs les producteurs. Ca s’est fait à la
Comédie des Champs Elysées transformé en studio d’enregistrement dans la
journée (les Double Six y ont enregistré leur premier 33 tours avec Quincy
Jones), une petite loge d’orchestre au fond servait de cabine aux ingénieurs du
son (salut à Gilbert qui prenait si bien les voix et à Jean-Pierre !). Le
soir la salle redevenait théâtre. Michel Legrand avait réuni un simple
orchestre de cuivres et une rythmique, pas de cordes. J’ai chanté une des
chansons de Solange « Je rentrais de
l’école et je traînais Boubou » (elle chantonne) reprise dans le film
par Claude Parent. L’autre chanson, celle de Delphine a été interprétée pour la
maquette par Nicole Darde qui n’a pas chanté dans le film car ensuite le projet
ayant été retenu par Hollywood (Gene Kelly, etc.) nous avons passé des
auditions avec les autres choristes de l’époque. J’ai auditionné avec la
« Chanson de Delphine à Lancien » : « Mais que sais-tu de moi, toi qui parles si bien, etc. »
(elle chantonne) que j’ai déchiffrée en même temps derrière Michel au piano
en lisant par dessus son épaule ! Il y avait là Francis Lemarque qui avait
investi aussi dans le projet, Agnès Varda et bien sûr Jacques Demy. J’ai donc
été retenue aussitôt pour faire la « voix chantée » de Catherine
Deneuve. Par contre je n’avais pas été contactée pour les auditions des Parapluies de Cherbourg (1964).
DLODS : C’est Danielle Licari qui
doublait Catherine Deneuve dans Les
Parapluies. Pourquoi ont-ils ressenti le besoin de changer de voix pour
Les Demoiselles?
L’extrême originalité
des Parapluies de Cherbourg qui a
tant étonné le monde de la critique et le monde tout court c’est qu’il était
entièrement chanté : pas une parole de comédien, que du chant (d’ailleurs je trouve que les chanteurs n’ont pas eu la
reconnaissance qu’ils méritaient, car ce sont eux qui font le film. Ils
auraient dû être invités au festival de Cannes !), alors que dans Les Demoiselles il y a beaucoup de texte
et on entend donc les voix des comédiens. Il fallait donc que les timbres des
voix parlées et chantées raccordent parfaitement, c’est pourquoi Danielle
Licari n’a pas fait Les Demoiselles de
Rochefort ni Peau d’âne.
DLODS : D’où venait Claude Parent, la
voix chantée de Françoise Dorléac dans Les
Demoiselles de Rochefort?
C’est Mme
Legrand la maman de Michel qui connaissait tout le monde dans le métier par sa
maison d’édition et qui a pensé à Claude Parent. Elle avait un tour de chant
alors et a dû faire un essai après nous. Elle a été prise aussitôt car sa voix
« collait » parfaitement à celle parlée de Françoise Dorléac.
Anne Germain (voix chantée de Catherine Deneuve): Chanson de Delphine
du film Les Demoiselles de Rochefort (1967)
DLODS : Dans Les Demoiselles de Rochefort comme dans les autres films de Jacques
Demy, les chansons ont été enregistrées avant le tournage du film. Les comédiens
du film ont-ils assisté à l’enregistrement ?
Oui, les
deux sœurs sont venues se rendre compte du travail dans la cabine du son, mais
il n’y a pas eu de contact personnel avec elles. La pauvre Françoise s’est tuée
tragiquement l’année suivante. Quant à Catherine Deneuve, elle est toujours
restée très discrète sur le fait de n’avoir pas chanté elle-même dans les films
de Demy.
DLODS : Vous avez quand
même participé à une émission quelques temps après la sortie du film…
Oui, nous
avions été sollicitées Claude Parent et moi pour une émission de télévision dans
laquelle nous devions chanter en direct devant un écran la chanson des jumelles.
Il y avait là Serge Gainsbourg et d’autres artistes. Un de
mes « collègues » batteurs André Arpino éprouve le besoin de me
présenter à Serge Gainsbourg qu’il avait accompagné (naturellement je ne
mentionne pas notre rencontre à Milord l’arsouille quelques années avant sa
célébrité, la carte de la Cité des Arts, etc. s’en est-il souvenu ?), mon
copain lui dit « Je te présente Anne
Germain, qui a prêté sa voix à Catherine Deneuve dans Les Demoiselles de
Rochefort ». Gainsbourg me regarde et dit « Il ne faut rien prêter dans ce métier » (rires) !
DLODS : Que pensez-vous du film au
moment de sa sortie ?
Je n’ai pas été
éblouie à l’époque, j’étais encore dans la magie des grandes comédies musicales
américaines comme Chantons sous la pluie,
The Bandwagon, Royal Wedding et tant d’autres splendeurs avec les Marge et Gower
Champion, Vera Hellen, Fred Astaire, enfin les génies du spectacle chanté et
dansé. Ce n’était pas au niveau bien que très vivant. En fait c’est français,
aussi beaucoup comme mes camarades et moi ont été surpris du succès que
rencontre ce film avec le temps, car en effet des générations de jeunes l’ont
découvert et l’ont trouvé formidable, la chanson des jumelles est devenu un
« classique » ! Mais nous forcément n’avions pas le même regard
ayant « travaillé » pour ce film. Peau
d’âne (1970), c’est différent, il n’y a aucune référence hollywoodienne. Un
conte de fées infiniment poétique –la scène de l’enterrement de la Reine au
début dans son cercueil de verre en forme de bulle porté à travers un champ
enneigé, c’est d’une beauté !-, d’autres passages un peu surréalistes
au-delà du conte, parfois un peu inspirés par Cocteau peut-être ? Comme Parking d’ailleurs…
Anne Germain (voix chantée de Catherine Deneuve): Recette pour un cake d'amour
du film Peau d'âne (1970)
DLODS : Aviez-vous passé une nouvelle
audition pour Peau d’âne?
Non, j’ai
été demandée directement : toujours la même obligation des voix qui
raccordent. Musicalement par contre, c’était plus chanté, plus
« lyrique » sauf la « Recette pour un cake d’amour » qui a
un petit style Burt Bacharach/Herb Alpert –aïe si Michel lit ça, gare (rires)! Jacques Revaux a repris
naturellement la voix chantée de Jacques Perrin.
DLODS : L’univers de Michel Legrand
est-il particulièrement difficile à s’approprier ?
Pas pour
moi, je ressens sa musique comme si je la connaissais depuis toujours, c’est
tellement évident ce qu’il écrit, c’est une vraie musique de Musicien. Dans ses
séances il faut chanter juste et « en place » quand c’est jazzy comme
les séances que nous avions faites pour Stan Getz. Michel a toujours été
charmant et amical avec moi, il était content, donc…
DLODS : Francis Huster chantait
lui-même dans Parking (1985) de
Jacques Demy, et ce n’était pas très «heureux » …
Je n’ai
jamais compris comment la partie chantée de son rôle lui avait été confiée
finalement, alors qu’un vrai chanteur avait déjà fait un enregistrement très
concluant car une belle voix et un vrai interprète : Daniel Levi. Il a
chanté plus tard dans Les Dix
Commandements avec beaucoup de succès. Cela s’est déjà produit que des
vedettes fassent du chantage et exigent de chanter ou sinon elles ne font pas
le film, mais… motus !
DLODS : Pour Michel Legrand vous avez
chanté dans Les Mariés de l’An II (1971)
de Jean-Paul Rappeneau…
Ah oui, Michel
avait dit à Paulette qui convoquait les musiciens « Je ne veux personne d’autre qu’Anne Germain » (rires) !
Je chantais « Gloire à la République, mort à tous les fanatiques, etc. »
(elle chante) à la place de la belle Laura Antonelli ! Pour Michel j’ai
fait un soir au studio Davout une très belle maquette –encore !- pour le
film de Claude Lelouch Les uns et les
autres (1981). C’est Nicole Croisille qui devait chanter et jouer la scène
dans le film mais elle n’était pas là et Claude Lelouch avait absolument besoin
de la musique pour tourner le lendemain. J’ai donc enregistré à sa place en
attendant son retour pour le définitif. C’était magnifique, un orchestre
somptueux comme toujours avec Michel. Hélas j’ai oublié de demander à
l’ingénieur du son de me faire une petite bande en souvenir et quand j’y ai
pensé c’était trop tard : Nicole avait enregistré la séquence et comme il
n’y avait qu’une piste chant la mienne avait été effacée. Désolant et grave de
ne pas penser plus loin que l’immédiat. Pour Cannabis (1970) de Serge Gainsbourg, même oubli. Pour ce film qu’il
avait réalisé et dont il avait composé la musique avec l’aide de Jean-Claude
Vannier pour les arrangements, il y avait une scène dans un cabaret de
travestis où l’un d’eux mimant Marylin Monroe chantait une chanson en anglais
évidemment mais composée par Serge. Il lui fallait donc une fille chantant bien
en anglais, ne pouvant utiliser un vrai disque de Marylin. Deux prises, tout le
monde satisfait, mais là encore j’ai oublié de demander une bande pour moi !
Il reste ce qui est dans le film, mais la scène étant brutalement interrompue
dans l’histoire, la chanson est donc brutalement coupée aussi, je n’ai donc
jamais pu l’avoir en entier. Où est-elle aujourd’hui cette bande ?
Jane Birkin le sait peut-être car c’est elle qui avait écrit le texte…
DLODS : J’imagine que vous aviez dû
faire des chœurs pour Gainsbourg ?
Je n’ai fait
des chœurs pour Serge Gainsbourg qu’une fois : pour sa comédie musicale Anna, avec Anna Karina d’ailleurs :
« Sous le soleil exactement », etc.
DLODS : Nous allons maintenant parler
d’une autre « figure » de ce métier qui vous avait engagée comme
soliste pour son premier film Tout
le monde il est beau, tout le monde il est gentil (1972) : Jean Yanne…
Comment l’avez-vous connu?
Ce n’est pas
Jean Yanne qui m’avait engagée mais mon mari ! Claude avait déjà travaillé
en collaboration avec Michel Magne qui avait besoin de bons arrangeurs et
orchestrateurs pour ses musiques car Michel était surtout un mélodiste avec
beaucoup d’idées mais il ne savait pas écrire pour tout un orchestre. Dans le
projet de film de Jean il devait y avoir beaucoup de musique de variété
principalement avec solistes et chœurs pour les chansons qu’on entend à
longueur de journée dans une station de radio genre RTL. J’ai donc fait toutes
les chansons en « imitation », comme je l’avais déjà fait dans des
covers. Jean Yanne je l’avais déjà croisé quand avec Christiane Legrand, Claude
et d’autres copains nous faisions des pubs pour Les Programmes de France avec
le cher Gérard Sire dans un petit studio rue Croix des petits Champs dans un
immeuble en face de la Banque de France. Eh bien, malgré le temps, Jean Yanne
s’est souvenu de moi à mon grand étonnement.
Montage d'extraits de la B.O. de Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil
Anne Germain imite Sylvie Vartan ("Jesus, rends-moi Johnny"), Mireille Mathieu ("Jésus Java"), Gloria Lasso ("Che o Che") et France Gall ("Chanson bête et stupide")
DLODS : Dans ce film on entend votre
voix à de nombreuses reprises, c’est un véritable « festival Anne
Germain », vous vous imprégnez de tous les styles…
J’ai repris
des évocations de Sylvie Vartan, France Gall, Gloria Lasso, Zizi Jeanmaire,
etc. C’était sympa à faire, dans une ambiance super car tout ça plaisait
beaucoup à Jean Yanne. Claude avait glissé un petit passage
« brésilien » de son cru à la façon « Les Masques » qui
sonnait super bien, trop court mais dans lequel on reconnaît dans deux petites
répliques les voix de Michel Cassez et Danielle Licari. Cette chanson c’est
« Symphonie pour odeur et lumière » : « A cinq heures du soir, dans son bureau, la dactylo sent mauvais
sous les bras ».
DLODS : Il y a également deux chansons
interprétées par un certain N’Dongo Lumba. Je ne trouve aucune trace de cet
artiste, était-ce un pseudonyme ?
Klaus Blasquiz |
Oui,
naturellement il fallait créer l’illusion, c’est le propre du cinéma, vous
savez. Il avait super bien chanté. Nous pensions qu’il serait un rival sérieux
pour le grand Johnny mais il faisait en fait partie du groupe Magma et n’a pas
été intéressé par une carrière de soliste, il était sûrement très bien avec son
groupe. Il chantait la chanson « Jesus San Francisco » dans le film.
C’était l’époque où le monde du spectacle a exploité Jésus (Jesus-Christ Superstar, le film de
Norman Jewison) et Jean Yanne n’a pas manqué d’ « épingler »
cette « mode » ! Ce chanteur c’était Klaus Blasquiz que nous
avons « retrouvé » des années après mon mari et moi pour une
expertise d’instruments synthétiques pour lesquels il avait créé une sorte de
musée.
DLODS : Votre mari a poursuivi sa
collaboration avec Jean Yanne sur d’autres films…
En effet,
Claude a été sollicité pour les films suivants avec ou sans Michel Magne. Jean
Yanne avait lui-même des idées de musique et il a souhaité confier directement
à Claude les arrangements et musiques additionnelles des petites
« maquettes » qu’il s’était enregistré lui-même. Certes, le matériel
était mince ! Sauf pour Deux heures
moins le quart avant Jesus-Christ (1982) où il a demandé Raymond
Alessandrini un grand virtuose du piano qui n’a pas eu la carrière à la hauteur
de son talent. Trop modeste lui aussi, pas tout à fait Philippe Sarde !
Anne Germain : Pauvre Bach
du film Chobizenesse (1975)
DLODS : Pour Chobizenesse (1975) de Jean Yanne, vous chantez en soliste "Pauvre Bach", une parodie des Swingle Singers… et on peut également vous voir à l'image dans une scène du film!
C’était
vraiment de la figuration dans une scène tournée au Théâtre de la Madeleine. Un
film assez délirant comme Jean Yanne aimait bien, avec toujours avec lui de
très grands acteurs, comme à cette occasion Robert Hirsch et la grande Denise
Gence, tous deux de la Comédie-Française quand même ! Les acteurs aimaient
bien travailler avec Jean Yanne car c’était toujours une partie de rigolade
avec malgré tout le savoir-faire et le talent !
DLODS : Dans un tout autre genre,
puisque nous évoquons les musiques de films que vous avez chantées, nous ne
pouvons pas oublier le générique de l’émission L’île aux enfants (1974)!
J’avais été
convoquée par Roger Pouly le pianiste de Charles Trénet pour soutenir une
chorale d’enfants qui devait chanter ce générique, ce que j’ai fait. J’ai donc
chanté avec eux mais ensuite Christophe Izard, l’auteur, m’a demandé de chanter
la partie soliste (le couplet) car le petit garçon prévu n’y arrivait pas. J’ai
donc eu l’idée de chanter une octave en-dessous pour ne pas faire une fausse
voix d’enfant, car les fausses voix d’enfants ça s’entend, ce n’est pas
crédible, alors j’ai chanté plutôt à la façon d’une « maman » avec un
timbre naturel, ce qui je pense a contribué au succès de ce générique. Cela a
beaucoup plu à Christophe Izard qui m’a ensuite redemandée pour l’émission Les visiteurs du mercredi.
Anne Germain: Générique de L'île aux enfants (1975)
DLODS : Vous avez continué à
travailler avec Roger Pouly et Christophe Izard ?
Christophe
Izard avait repris Sesame Street, réalisé
en noir et blanc avec les premières « muppets » bien avant le Muppet Show qui sera diffusé plus tard avec
les voix des « stars » du doublage. Les épisodes que nous avons
doublés étaient très courts mais il y en avait un très grand nombre. Nous
faisions souvent le doublage sans bande rythmo car cela arrivait tellement vite
des Etats-Unis qu’il n’y avait pas eu le temps de les préparer, on avait juste
les textes sur un papier et on doublait à l’image ! Heureusement ce
n’étaient que des poupées avec des mouvements de « bouche » imprécis
et saccadés donc moins délicat que pour des visages humains. Ca aussi c’était
hilarant. Fatiguant, mais si drôle à faire ! Encore un souvenir qui sort
de l’ordinaire dans mon travail de « choriste ».
DLODS : Qui faisait avec vous les voix
des Sesame Street ?
Il y avait
donc Roger Pouly engagé pour la circonstance, son épouse et deux copains à eux
dont je ne sais plus les noms et que je n’ai jamais revus. Plus tard je
retrouverai d’autres « muppets » en doublant Les Fraggle Rock avec Vincent Grass, Michel Mella, Claude Lombard
et Jocelyne Lacaille.
"Ballet du rêve" par Anne Germain (voix chantée de Noëlle Adam)
dans L'homme orchestre (1970)
DLODS : Avez-vous en tête des
souvenirs de chœurs dans des films français connus ?
Anne Germain dans Le Gendarme et les Extra-Terrestres |
Pour lire la suite de l'entretien, vous pouvez cliquer ici.
(Plan: Partie 1: enfance, formation, chanteuse d'orchestre; Partie 2: choeurs pour des chanteurs de variété; Partie 3: enregistrements solistes; Partie 4: groupes vocaux; Partie 5: musiques de films; Partie 6: doublage, compositions)
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Merci à vous et à Anne Germain pour cet entretient passionnant. Au passage, je voulais signaler que la chanson de Gainsbourg/Vannier dont elle parle, "I want to feel crazy", a été éditée sur la BO de Cannabis (collection écoutez le cinéma).
RépondreSupprimerAnne Germain, c'est la voix de mon enfance. Le générique de L'Île aux enfants, citait son nom, du coup, on peut dire que cela fait 40 ans que je connais cette grande dame . Une grande artiste !!
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